4 décembre
Exceptionnellement, j’ai laissé la librairie à Marisol et Elio pour m’évader quelques heures avec Nox. C’est sans doute ridicule mais les mots de Albert m’ont complètement retourné. Je ne sais plus vraiment quoi pensée. J’ai passé le reste de la journée à ruminer dans mon coin, repassant sans cesse ces dernières années en boucle dans ma tête. Chaque signe que j’aurai pu montrer à Marisol un intérêt particulier où encore un moment où elle m’aurait fait comprendre ses intentions. J’ai beau me torturer, je ne trouve rien. Pourtant, après avoir encore réfléchis à tout ça cette nuit, je n’ai pu que constater que nos débuts étaient plus que normaux et strictement professionnels. Est-ce Elio qui se fait des idées ?
Non. Ce n’est pas possible. Monsieur François n’aurait jamais avancé cela s’il n’y avait quelque chose. Je ne sais plus quoi faire, tout allait bien il y a quelques jours. Le monde tournait normalement et je n’étais pas perdu comme maintenant. Qu’as-tu fais à mon cerveau, Marisol ?
Je marche à l’abri des regards de mes amis, attendant patiemment Nox pour aller marcher au bord de l’eau. Si j’ai pu échapper aux questions ce matin, je ne pense pas les éviter maintenant. Les boutiques sont assez calmes aujourd’hui, j’en profite pour faire une pause. Je dois me remettre les idées en place avant la grosse période des fêtes qui approche à grand pas. Il faut absolument que je sois au top, ce n’est pas le moment de loupé des ventes.
- Merci de m’avoir attendu. Ce client ne voulait décemment pas partir.
Je sursaute légèrement en entendant Nox dans mon dos, je le regarde remettre son pull de Noël en place. Ses cheveux ébène sont en bataille sur sa tête, lui donnant un air d’adolescent diabolique tandis que ses yeux n’expriment que ce qu’il est. Un ange. Il me sourit avant de se mettre à marcher en silence. Comme un robot, je nous dirige vers la plage, avide d’entendre un peu le rire de Salomé se cognant au rythme des vagues. La ville est calme, le soleil présent réchauffe un peu le vent qui fouette mon visage.
- Tu souhaites me parler de quelque chose en particulier, Noah ?
- Est-ce qu’on peut attendre un peu ?
Il hoche la tête et nous poursuivons notre route en silence. Nous passons au travers des remparts et des rues pavés, je salue les commerçant que je connais tout en continuant mon chemin. Nox ne dit rien, appréciant sûrement découvrir un peu plus la ville. Entre ces pierres, je me sens tout petit, à la fois vulnérable et en même temps, complètement à l’abri. Je suis tombé sous le charme de cette ville. Particulièrement de ce côté précis. Son histoire, son charme. C’est vraiment apaisant. Je ne me lasse pas de la cité corsaire et de ses fenêtres au cadran en bois blanc. La boutique se trouve dans un angle, proche des commerces et des accès à la plage. Les rues sont animées toute l’année avec les écoles à proximité, sans parler de mon immeuble à deux pas du magasin. Tout ce dont je rêvais. Cela apaise un peu mon esprit alors que la mer se dresse devant nous. La plage de Bon secours est sans aucun doute ma préféré. Nous descendons les marches jusqu’au sable, et j’observe la piscine d’eau salée, vide a cette période de l’année. Je resserre mon échappe aux imprimé flocons de neige à cette pensée.
Dans un accord silencieux, je nous dirige à l’écart, à l’abri des regards indiscrets. Il n’y pas grand monde et je n’ai rien à cacher mais j’aimerai que Nox se mette à l’aise pour parler et il m’a déjà confié préférer sa forme naturelle, ce qui me semble logique. Le sable se tasse sous mes pieds et je me sens soudainement à ma place. Près des rochers, j’en trouve un suffisamment confortable pour m’asseoir contre et attendre que Nox revienne.
Depuis notre départ de Paris avec Elio, je n’ai jamais regretté un instant cette décision. Même lorsque garder la boutique a été compromis, même après la mort de Salomé, même après... Tout en fait. C’est ici chez moi. Nous sommes loin de nos familles mais pour rien au monde je ne changerai cela, je sais que mon meilleur ami aussi. Les choses n’ont pas toujours été simple. Bien que nous ayons tous les deux des parents aimants, leur annoncer notre souhait de départ aussi jeune, détruisant leurs espoirs de nous voir reprendre leurs entreprises a été un gros choc. Nous ne nous sommes plus parlé pendant plusieurs mois avant qu’ils abdiquent. Nous n’étions pas eux, et fonder leurs rêves sur nous étaient une erreur. Si nous ne descendons plus vraiment sur Paris, nos parents montent de temps en temps pour profiter de nous et voir l’évolution des magasins. Ils ont été dévastés lorsqu’ils ont appris pour Salomé, elle avait réussi à trouver sa place au sein de ma famille.
Je sors de mes pensées lorsque je suis rejoint par un chat noir aux allures de prince. Il s’assoit près de moi et je souris. Je dois avouer que c’est également ma forme préférée. J’ai toujours adoré les félins. Nous avions prévu d’en adopter un à la SPA avant le décès de Salomé. J’en ai été incapable après sa mort. Tout me la rappelait. Il serait peut-être...
- Pourquoi tu voulais que nous parlions ? Nous nous voyons tous les soirs, interroge Nox.
- J’ai eu besoin de m’échapper un peu. Je ne supporte plus le regard de Marisol.
Nox tourne la tête vers moi et même si je ne le connais pas vraiment, à force de passer tout mon temps avec lui, j’ai fini par apprendre à reconnaître ses expressions et ses attitudes. Même si cela ne marche pas vraiment avec son apparence actuelle, ses yeux restent suffisamment expressifs pour que j’arrive à le lire.
- Pour quelles raisons ?
- J’ai l’impression que tout le monde s’attends à ce que je tombe amoureux d’elle.
- Ce n’est pas ce que souhaite ? interroge-t-il calmement.
- Je n’en sais rien.
- La véritable question c’est : est-ce qu’elle te plaît ?
- Oui… C’est juste que… Je ne sais pas si je suis prêt.
- Tu ne m’as pas encore parlé de Salomé, remarque Nox.
- Je t’ai expliqué comment elle est morte.
- J’aimerai que tu me racontes sa vie.
Les larmes me montent aux yeux et je me rends compte que c’est vrai. Pourtant avant lorsque quelqu’un s’intéressait à moi, je parlais toujours de Salomé, maintenant, les choses sont différentes. Je suis obligé de raconter sa mort, alors pour la première fois depuis longtemps je repense à notre rencontre, il faisait beau ce jour-là. Nous étions tous les deux avec Elio, devant la devanture du bâtiment que nous venions juste d’acheter, réfléchissant à ce que nous pourrions faire afin de rendre ces vieilles vitrines à notre image. Elio notait sur son calepin ce qu’il était possible de réaliser et moi, les sourcils froncés, je tentais d’imaginer chaque paroles que me disait mon ami. Salomé à débarqué comme une boule d’énergie, manquant de tomber sur Elio qui s’avançait au même moment. Je me souviens avoir aimé son rire alors qu’elle s’excusait. Je me souviens que nous avions discutés pendant une éternité, elle s’était même mit à nous conseiller. Finalement, le temps a passé et elle n’a jamais arrêter d’être présente pour nous, démissionnant de son travail pour venir bosser près de nous. Sa lumière et sa joie embellissait nos journées sombres.
- Elle semblait spéciale pour vous, sourit Nox.
J’approuve d’un hochement de tête.
- Comment vous êtes tombés amoureux ?
Je lève les yeux vers la mer, réfléchissant à sa question. Les vagues se succèdent en torrent régulier, me rappelant sa manière de sauter dans l’eau dès les premières lueurs du soleil de printemps malgré les températures encore fraîches. « Cela raffermi la peau. » criait-elle en plongeant. Puis elle ressortait. Complètement frigorifié mais le sourire aux lèvres et les yeux brillant de malice.
- Je ne sais pas. Elle ne me l’a jamais dit. Pour moi, c’était une succession de moment. Une addition de tout ce que nous faisions tous les deux. Je suis tombé amoureux d’elle comme on respire. Naturellement, sans m’en rendre compte, j’avoue doucement, Les livres mentent. Ils démontrent l’amour avec des papillons dans le ventre et des frissons partout mais ce n’est pas ça. J’aimais Salomé sans réellement le comprendre, sans réellement le savoir. Un jour, c’était simplement là. Cela sortait par tous les pores de ma peau. Je ne voulais plus qu’elle parte car elle était devenue indispensable, s’infiltrant dans chaque partie de mon être pour ne plus jamais en sortir. J’aime à croire que c’est toujours le cas malgré sa disparition.
- C’est très beau ce que tu dis. Je suis navré pour sa mort, Noah. Salomé avait l’air d’être une personne fabuleuse.
Je hoche la tête à nouveau, ne sachant pas quoi répondre de plus. Nox se lève, dégourdissant ses pattes. La mer claque contre les rochers et je lève les yeux pour voir les oiseaux surfer sur le vent. Un sentiment de plénitude m’envahi, mon ami revenant se poser près de moi.
- Qu’est-ce qui te fait peur, Noah ? Marisol est une fille très gentille et de ce que tu m’en dis, Salomé semblait être quelqu’un de compréhensif. Elle aurait voulu que tu refasses ta vie.
- Je le sais…
Je baisse tristement la tête, jouant dans le sable. Le pelage de Nox brille à la lumière du soleil. Ma tête me paraît soudainement tellement rempli. Je ne veux pas laisser tomber Salomé. J’ai la sensation de n’avoir que cela qui tourne en boucle dans le peu de neurone qu’il me reste depuis ma chute d’un arbre à dix ans. Tout revient. Les souvenirs, les sensations… Les erreurs aussi. Nos premières fois en tant que couple. Nos premiers rendez-vous. Cela remonte à quatre ans maintenant. Nous étions tellement maladroits. De vrais enfants. A l’époque, je nous croyais invincible. Je n’aurais jamais pu deviner à quel point je me trompais.
- Ce qui vous est arrivé est affreux, Noah… Mais tu ne peux pas rester figé dans le passé éternellement. Tu es jeune. Tu mérites de vivre ta vie, c’est ce qu’elle aurait voulu.
- Comment tu peux le savoir ? lâché-je, ma voix se brisant.
- Le malheur ne sied à personne, Noah.
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