L'âme en peine.

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L’âme en peine…

Un vieil homme, allongé sur son lit d’hôpital attendait sagement que les Dieux statuent sur son sort. Il souriait et repensait à sa vie avec nostalgie.

Il ne craignait pas la mort, car il l’avait déjà rencontrée…

Alors qu’il n’avait que 10 ans, le jeune Lieg déménagea dans un petit village du nord de la Suède. Perdue au milieu des montagnes enneigées, sa maison était située un peu à l’écart du bourg.

Son père, un solide bucheron, se levait tôt le matin et rentrait tard le soir. Il parlait peu et semblait à son aise dans la rigueur du climat.

Sa mère faisait des ménages et s’épuisait du soir au matin à lustrer les maisons des autres.

Lieg avait appris à vivre seul. Il se levait, déjeunait et partait à l’école sans avoir prononcé une seule parole. Le soir, il rentrait, faisait ses devoirs et dinait seul en attendant ses parents. La solitude était le mot qui carractérisait le mieux sa vie.

Au fil des semaines, le jeune garçon se mura dans sa solitude, mais un matin, alors qu’il nettoyait la fenêtre de sa chambre, il aperçut une ombre qui se déplaçait dans le champ voisin. Elle disparut presque aussitôt, laissant l’enfant perplexe.

Avant de partir à l'école, Lieg vérifia à nouveau que rien de particulier n’agissait dans le jardin voisin, mais le brouillard qui s’était levé empêchait de distinguer quoi que ce soit. Le soir, à son retour de l’école, il fit le tour de la maison, mais ne remarqua aucune empreinte dans le sol.

Rassuré, il ne parla pas de cette étrange silhouette à ses parents et s’endormit facilement.

Le lendemain matin, plus par curiosité qu’autre chose, l’enfant observa par la fenêtre le champ voisin et constata étonné que la forme était de retour.

Une fois la surprise passée, il examina avec attention la silhouette. Un homme de grande taille et maigre comme un clou, marchait bien dans les herbes devant chez lui.

Pendant près d’une heure, il l’épia. Cet homme cherchait manifestement quelque chose par terre. Souvent, il ramassait une pierre et partait la poser à un autre endroit puis, il attendait immobile et repartait dans une autre direction à la recherche d’une autre pierre…

Alors que la silhouette de l’homme s’évanouissait dans le brouillard qui investissait la plaine, Lieg réalisa qu’il était en retard pour l’école. Il ramassa son cartable et courut en espérant de rattraper le temps perdu.

Le soir, il tenta de parler de cet étrange personnage à ses parents, mais le signalement du retard laissé par la maitresse dans son carnet de liaison accapara toute leur attention. Il fut sévèrement disputé et envoyé au lit avec rudesse.

Le lendemain matin, l’étrange personnage était de retour dans son champ. Comme la veille, il errait et au hasard de ses pas, ramassait une pierre qu’il déposait ailleurs. Tout cela n’avait aucun sens pour le jeune enfant qui finit par sortir de chez lui pour aller à la rencontre de l’inconnu.

À mesure qu’il approchait, il put mieux l’observer. L’homme paraissait vieux, incroyablement vieux. Ses vêtements, issus d’un autre âge, n’étaient pas miteux, mais curieusement en bon état. Son visage, caché dans l’ombre de son large chapeau rond, semblait flou. Ses mains, ridées et creusées étaient d’une pâleur cadavérique.

Lieg prit son courage à deux mains et l’interpella :

- Bien le bonjour, monsieur…

- Et en quoi ce jour serait-il bon ? répondit le vieux en s’éloignant.

L’enfant, estimant la distance entre eux suffisante pour qu’il puisse se sauver en courant si le vieux s’avérait menaçant, insista :

- Vous cherchez quelque chose ?

- Oui…

- Et je peux vous aider ?

- Non…

Le brouillard qui s’était levé finit par engloutir le vieil homme qui disparut. Lieg resta seul et finit par partir à l’école.

Qui pouvait bien être cet homme, se demandait l’enfant. Que cherchait-il dans ce champ ? Un caillou ? Une pierre précieuse ?

Ce soir-là, Lieg s’endormit avec la ferme intention de seconder le vieil homme et de tirer profit du butin, s’il aidait à le trouver.

Le lendemain, il se leva très tôt et constata médusé que le vieil homme était déjà à la tâche. En courant, il le rejoignit et lui proposa son aide.

- Je n’ai pas besoin de toi, gamin, répondit en toussant le vieillard.

- Vous ne voulez pas partager ?

- Tu veux qui je partage quoi ? Mon malheur ?

- Votre malheur, je vous le laisse, mais le trésor, j’en veux bien la moitié !

- Il n’y a pas de trésor ici, mon jeune ami. Rien que de la peine, de la souffrance et de la méchanceté…

- Comment vous appelez-vous ? demanda soudain Lieg.

- Je me nomme malveillance et je dois me racheter…

- Moi c’est Lieg et je vis dans la maison en face, répondit l’enfant en pointant sa demeure.

- Rentre chez toi, Lieg. Ta place n’est pas ici…

Le vieil homme ramassa alors une pierre au sol et se déplaça de plusieurs mètres sur sa droite et la reposa par terre. Il attendit quelques instants puis la reprit et la mit un pas plus loin. Il répéta ce geste plus d’une dizaine de fois. Il posa sa pierre à un pas au nord, puis à l’est et à l’ouest et pour finir au sud. Dépité, il lâcha son caillou et reprit sa marche vers l’endroit où il l’avait trouvé.

Lieg s’approcha de la pierre laissée au sol et la ramassa.

- C’est pas la bonne pierre ?

- Je ne sais pas… répondit l’homme d’une voix éreintée.

- Il faut la mettre où ?

- Je ne sais plus…

Lieg ne comprenait pas la situation. L’homme cherchait une pierre qu’il n’était pas en mesure de reconnaitre et souhaitait la déposer à un endroit qui lui était inconnu. Tout cela relevait du n’importe quoi !

- Si je trouve la bonne pierre et la pose au bon endroit, je gagne quoi ?

- Rien…

- Vous me direz votre vrai nom ?

- OK, cela me semble équitable, répondit le vieil homme.

Lieg partit de ce pas à la chasse à la pierre perdue. Il décida que cette pierre devait avoir fière allure et rejeta sans même y prêter attention tous les cailloux mal taillés qu’il rencontra. Cette pierre devait être, une belle pierre ! Une pierre de belle facture aux bords plats, droits et taillés. Une pierre digne d’être retrouvée dans tous ce fatras de roches dispersées.

Plusieurs heures passèrent sans que l’enfant ne daigne se pencher pour ramasser quelque chose au sol puis son œil s’arrêta sur une pointe qui dépassait discrètement de la terre. Lieg ramassa un petit bâton au sol et commença à creuser autour de sa trouvaille. Après quelques minutes d’effort, il déterra un joli pavé et l’examina de près.

Le cube faisait près de cinq centimètres de côté et représentait, de loin, la plus belle pierre que pouvait receler ce modeste champ.

Le vieil homme s’était figé. Il regardait comme hypnotisé la trouvaille du jeune garçon.

- Je parie mes chaussures neuves que c’est votre caillou !

Le vieil homme ne répondit pas. Il était tétanisé.

L’enfant faisait voler entre ses mains le pavé et riait en toute insouciance. Le vieil homme se retenait de courir vers lui et lui arracher l’objet des mains, mais, il ne pouvait pas, il n’en avait pas le droit. Alors, il se contenta d’observer.

Lieg finit par se calmer et jeta un regard circulaire tout autour du champ.

- Alors, je dois le déposer où ?

- Je ne sais plus, se contenta de répéter le vieux dans un murmure.

- Moi… je le déposerai bien à côté de la souche de ce vieux chêne. Ainsi, il ne sera pas seul, vous en pensez quoi ? répondit l’enfant un large sourire aux lèvres.

Le vieil homme regardait la souche de chêne avec stupéfaction. Cette souche lui était familière, mais, il le savait, sa mémoire lui avait été retirée. Il ne devait pas s’y fier.

- Fais comme bon te semble, mon garçon… réussit-il à prononcer.

L’enfant se dirigea d’un pas joyeux vers ce qu’il restait de l’arbre et posa sa pierre près d’une racine.

Le vieil homme attendait fébrile, mais rien ne se passa.

- Essaye un autre endroit, s’il te plait ?

Lieg ramassa sa pierre, fit un pas et la posa à nouveau. Il regarda le vieil homme qui ne bougeait pas. Telle une statue, il attendait que la bonne place soit trouvée.

L’enfant reprit sa pierre et entreprit de faire le tour de l’arbre. Alors qu’il était presque revenu à son point de départ, en posant la pierre au sol, le vieil homme réagit :

- Argh… Tu y es presque, hurla-t-il en se serrant la poitrine.

Lieg bougea le pavé de quelques centimètres et le vieil homme s’écroula au sol. L’enfant se précipita à son secours, mais avant qu’il l’ait rejoint, le vieil homme leva le bras et l’arrêta :

- N’approche pas plus, mon ami.

- Mais vous allez bien, demanda Lieg anxieux.

- Je vais bien, ne t’inquiète pas. Tu viens de me délivrer d’un lourd fardeau, d’une bêtise que j’avais faite il y a de nombreuses années et qui me hantait depuis…

- Vous aviez volé cette pierre ?

- En quelque sorte, oui… Jadis, cette pierre délimitait mon champ et je l’avais déplacé afin d’agrandir ma propriété. Il était de mon devoir de la remettre à sa vraie place et ainsi réparer ma faute. Ma peine a été acquittée, je vais pouvoir me reposer.

Lieg regardait stupéfié les traits du vieil homme s’estomper. Avant de complètement disparaitre, il ajouta :

- Mon nom est Deildegast. J’en avais bien un autre avant, mais je ne m’en rappelle plus…

Lieg resta un moment immobile. Le vieil homme avait disparu et lui, commençait déjà à douter de ce qu’il venait de vivre. Mais une chose était sûre : la pierre devait demeurer à sa place. D’un puissant coup de talon, il l’enfonça profondément dans le sol et repartit chez lui.

Alors qu’il arrivait sur le seuil de sa maison, une voix l’interpella :

- Bien le bonjour, mon garçon.

Il se retint de répondre la même phrase qu’avait lancée le vieil homme et se retourna. Une très jolie femme blonde le regardait de ses yeux bleu clair. Elle portait un tailleur bleu et un chapeau à dentelle. Elle était d’une beauté à couper le souffle. Un ange… c’était un ou plutôt ‘une’ ange !

Il reprit ses esprits et réalisa que cela devait plutôt être une éducatrice sociale qui venait vérifier pourquoi il n’était pas à l’école.

- Tu as fait une bonne action aujourd’hui. Il faut avoir une belle âme pour secourir un infortuné.

- Je ne sais pas, madame, répondit l’enfant bien incapable de comprendre de quoi elle parlait.

- N’ais crainte, ton secret sera bien gardé. Et lorsque cela sera l’heure, c’est moi qui viendrai te chercher.

Comme pour le vieil homme, les contours de la jeune femme devinrent troubles et finirent par disparaitre.

Leig ne parla à personne de cette histoire. Une fois adulte, il comprit qui étaient ces Deildegasts. Ces fantômes condamnés à remettre à leurs places les bornes de terrains qu’ils avaient sciemment déplacés à leurs profits.

Alors qu’il arrivait au terme de sa vie, Leig se sentait apaisé. Il savait qu’il allait sous peu revoir l’ange de son enfance.

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