Les gosses de l'immeuble
Sur la soixantaine d’enfants de l’immeuble, peut-être un tiers était des grands ou des bébés, tous les autres se retrouvaient dehors chaque jour pour s’amuser. On jouait surtout à des jeux simples de plein air, au jeu du mouchoir, à la balle aux chasseurs, et bien d’autres jeux encore. On avait peu de jouets d’extérieur. On jouait aux jeux de filles : marelle, corde à sauter, balles, élastique. On sortait très rarement les jouets de la maison.
On jouait sur les grandes pelouses qui entouraient les immeubles, parfois dans le petit jardin d’enfants où il y avait toboggan, tourniquet et cage à poules. Mais là, les enfants de plusieurs immeubles y étaient aussi, et ça finissait systématiquement en bagarre entre les clans. Parfois le gardien de la cité venait nous sortir des pelouses, il disait qu’on les abîmait. Nos mères étaient furieuses, il leur promettait de leur donner une amende si l’on continuait. Et bien évidemment, dès qu’il avait tourné les talons, tous les gosses retournaient sur les pelouses. À l’extrémité d’une des grandes pelouses, il y avait un fossé, on appelait ça « Le Trou », on y faisait des glissades sur les fesses. Après l’enterrement de ma mère, nous sommes retournés sur ces lieux avec mes frères et sœurs, finalement le fossé était bien moins profond que dans mon souvenir.
On faisait très souvent du patin à roulettes. J’étais plutôt douée, j’allais vite. Les allées entre les immeubles étaient bitumées, de vrais boulevards pour faire du patin. Il y avait une allée en descente qui se terminait par un escalier débouchant directement sur une rue. Le jeu était de descendre à toute allure et de s’accrocher à la rampe en haut de l’escalier. C’était sacrément dangereux.
Souvent, tous les gosses jouaient ensemble aux cow-boys et aux indiens, de vraies batailles interminables. Un jour, un voisin de mon âge m’a embrassé sur la bouche. Il était le chef indien et moi la femme du chef, alors, c’était normal qu’il le fasse. C’était bien, j’avais bien aimé.
Mais le plus amusant, c’était lorsqu’il y avait de la neige. Dès qu’au réveil, on voyait les pelouses couvertes d’un beau tapis neigeux, c’était la fête. Tous les gosses descendaient vite, et là glissades et bonhommes de neige, mais surtout c’était bataille de boules de neige. Tous les enfants de l’immeuble se regroupaient et c’était bagarre géante contre les gosses des immeubles voisins. La bataille continuait jusqu’à ce que la neige soit totalement fondue, parfois elle durait pendant plusieurs jours.
Un jour, une grande fille des 17 enfants qui n’était pas bien futée, avait donné à manger des raisins à tous les gosses. On jouait à la dînette. En fait, c’étaient des baies noires qu’elle avait cueillies sur un talus. Tous les gosses ont été malades, nausées, vomissements et diarrhées. Le médecin de quartier a été appelé. Il est resté des heures dans l’immeuble, il a visité tous les gosses dans les vingt appartements. Je me souviens que ce sont mes frères qui sont allés sur les talus rechercher les fameuses baies, afin que le médecin connaisse précisément la source de l’empoisonnement collectif. Belle recette pour le médecin ce jour-là.
Lorsqu’on n’était pas chez ma grand-mère les mercredis, on jouait dehors. Et à un moment dans l’après-midi, une des mères criait à la fenêtre : « C’est Zorro ». Et là, tous les gosses stoppaient leurs jeux, et c’était une vraie cavalcade dans les escaliers, chacun rentrait chez soi. Le feuilleton à peine fini, tout le monde redescendait dehors, et bien sûr, on rejouait tous les scènes de l’épisode vu.
Je détestais abandonner le jeu, pour remonter aux toilettes, si bien que j‘attendais toujours le dernier moment. Si ma mère me voyait de la fenêtre me dandiner d’un pied sur l’autre, elle hurlait : « Remontes, tout de suite ». Parfois, j’arrivais trop tard, j’avais commencé à faire pipi dans ma culotte. Je prenais une baffe et j’étais punie de jouer. Les copines venaient frapper à la porte, et ma mère répondait : « Elle reste là, elle est punie, ça lui apprendra ». Je pleurnichais pendant des heures après. Ma mère m’ordonnait : « Arrête tout de suite, ce sont des larmes de crocodile ». Elle prétendait que je faisais du cinéma, et elle n’avait pas complètement tort.
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