Rose 2
Ce matin, je me dirigeais vers le village de Millart avec le chariot. Il était situé au sud de notre maison. J'adorais prendre la route qui longeait la mer pour m'y rendre. C'était un des rares lieu de vie de toute l'île de Castalie.
Je retrouvais Rod et Ted sur le chemin. Ces deux là étaient inséparables. Quand je n'écoutais pas les leçons de Nahabi, j'écumais l'île de long en large avec mes deux fidèles compagnons. Nous nous amusions à nous prendre pour des héros, et maintes fois, nous avions sauvé l'île de ses fictifs envahisseurs. En réalité, personne du reste du monde ne s'intéressait vraiment à nous, et ça allait très bien comme ça aux habitants. Ils aspiraient à une vie simple.
Nahabi m'avait confié une liste de course à faire plus longue que la barbe d'un ermite de la forêt. Il n'aimait pas trop aller au village. C'était toujours moi que me déplaçait. Il y avait des vivres pour un mois au moins. Pourquoi avait t-il autant besoin de stocker ?
Rod me racontait la nuit dernière, il avait réfléchi à comment optimiser mon arc par rapport à mon Don. Nahabi m'avait interdit de parler de mon Don à quiconque, mais j'avais entièrement confiance en eux.
– Tu devrais utiliser du bois d'if, plutôt que celui de frêne. Et il faut aussi qu'il soit plus grand. Tu devras musclé un peu tes petits bras, mais tu seras plus précise et tu gagneras en portée. Je suis déjà en train de voir avec Ted pour te fabriquer un prototype.
Rod était le cerveau, Ted était la main d'oeuvre. C'était comme ça que fonctionnait leur duo. Rod n'était jamais à cours d'idées et d'inventions farfelues et il entrainait inlassablement son fidèle ami avec lui. Ted était brillant également, mais dans un autre registre, il cuisinait, il forgeait, il fabriquait. Il était vraiment doué pour les travaux manuels.
– Ca sera ma plus belle création Rose, je fais de mon mieux.
– Comme toujours Ted. Répondis-je en souriant.
– Mais ta liste de course est énorme ! Dit Rod en me l'arrachant des mains.
– Je ne sais pas pourquoi Nahabi veut autant de choses. Et fais attention, t'as failli me faire mal. Dis-je.
– Il doit encore mijoter quelque chose de pas net l'ancien. Dit Rod.
– Au fait, comment vont tes pouvoirs ? Demanda Ted
– J'ai l'impression que mes sens sont plus puissants chaque jours, mes migraines sont de plus en plus douloureuses également. Et la moindre petite blessure est un calvaire. J'aimerais me débarrasser de mon Don.
– Non, surtout pas. Tu dois apprendre à le contrôler. Tous les Fendils devaient certainement avoir un apprentissage particulier pour maitriser son Don. Tu devrais demander à Nahabi, il doit savoir quelque chose. Dit Rod.
Nous approchions de Millart, le bruit de la ville parvenait déjà à mes oreilles. Le marché était animé. A nouveau, la migraine s'empara de moi. Je fermais un peu les yeux et mettais mes mains sur mes oreilles pour trouver un peu de repos. Ted me tapota doucement l'épaule et je le sentis s'approcher de mon visage.
– Donnes ta liste et reste tranquille dans un coin, Rod et moi, on s'occupe de tout.
Je sortis l'isoleur de sens de Nahabi et l'enfila. Je m'allongeais sur l'herbe non loin de là. Les garçons m'aidaient, comme à leur habitude. Je me sentais privilégiée d'avoir de tels amis. Je restais encore une fois à l'écart. C'était décidé, je parlerais avec Nahabi ce soir, je ne peux pas rester comme ça.
Je somnolais pendant de longues minutes, j'imaginais un monde dans lequel mes pouvoirs me rendraient forte. Je pourrais quitter cette île pour recréer le royaume de Fendil, et devenir sa reine. Une reine à la fois crainte et aimée par ses sujets. Rod et Ted deviendraient mes conseillers personnels.
La douleur s'estompait, je retirais l'étrange cagoule afin de retrouver mes sens mais gardais mes yeux clos. C'était comme si j'avais été déplacée de manière instantanée au beau milieu du marché. D'un coup je sentais les odeurs d'épice, de poisson et de viande, mais aussi la puanteur des crottes d'animaux et même l'haleine fétide des passants non loin. J'entendais les vendeurs crier que leurs produits étaient les meilleurs, les enfants qui jouaient, les amoureux qui se chuchotaient des mots doux.
Les bruits et les odeurs arrivaient de toutes parts, les trier et les analyser requérait un gros travail mental, ce qui finissait presque toujours en maux de tête.
Rod et Ted rentraient déjà du marché. Je pouvais sentir leur odeur se rapprocher et entendre le bruit de notre chariot rempli de victuailles. J'ouvrais les yeux et les attendis quelques minutes.
Les deux compères arrivaient en souriant. Fiers d'avoir aidé leur demoiselle en détresse.
Là tu entends ce que je dis ?
– Oui Ted j'entends.
– Mais c'est incroyable, j'ai juste chuchoté, même moi je n'entendais presque pas ce que je disais. Dit Ted.
– Il s'est passé quoi ? Dit Rod.
– Je testais le pouvoir de Rose, c'est génial. Et là, tu peux voir au delà de la mer ?
Ted pointait son doigt vers le sud ouest, vers Dardella.
– Je ne pense pas que je puisse voir aussi loin.
J'essayais quand même et portais mon regard en direction de l'horizon. Il me semblait apercevoir la terre au bout mais mes yeux s'égarèrent sur un navire qui se dirigeait vers nous. Il ne ressemblait pas aux bateaux de pêche que l'on pouvait voir en temps normal proche de nos côtes. C'était une énorme embarcation à trois mâts. Et tout en haut, je distinguais le pavillon jaune avec un soleil rouge, typique des pirates des mers du nord. Mon visage se liquéfia.
– Il t'arrive quoi ? Pour une rose, t'es bien blanche. plaisanta Rod.
– Je crois qu'un bateau pirate arrive par ici.
Ted et Rod regardèrent dans la même direction que moi, mais leur vue n'était pas assez bonne.
– Ils seront sur nous dans quelques heures. Allons prévenir le vieux Hibbert, c'est le chef du village, il pourra nous aider. Dis-je.
Avant de courir en direction de la maison du chef Hibbert, je vérifiais une dernière fois la direction du bateau pirate. Il n'y avait pas de doute, il venait bien par ici. La côte était bordée de falaises, il leur sera compliqué d'accoster. Et j'avais ma petite idée l'endroit où ils iraient.
Rod ouvrit la porte, le vieux Hibbert se tenait derrière son bureau, une plume à la main. Il leva les yeux vers nous. Il découvrit nos visages paniqués et essoufflés.
– Que se passe t-il les enfants ? On dirait que l'armée Styrkienne est à vos trousse. Dit-Hibbert.
– Un bateau pirate approche, nous devons faire quelque chose. Dis-je.
– Des pirates par ici, mais cela n'arrive jamais. Vous êtes sûrs ?
– Oui, absolument.
– Je vais tout de suite réunir le village, nous allons devoir payer un tribut.
– Vous voulez dire qu'on va leur donner ce qu'ils veulent ? Demandais-je.
– J'ai bien peur que oui, nous ne sommes pas des combattants, des chasseurs au mieux, j'essaye juste d'éviter des pertes inutiles.
– Et si je vous disais que j'avais un plan.
J'expliquais alors ma tactique pour repousser les pirates au vieux Hibbert. Il commençait à sourire.
– C'est risqué, mais ça peut fonctionner. Le village repose donc sur tes qualités maintenant Rose. J'ai confiance en toi. Je prépare ce dont tu as besoin. Il n'y a pas une minute à perdre.
Le vieux Hibbert avait rajeuni de vingt ans d'un coup. Il partit en furie de la maison et appela des hommes pour l'aider. De mon côté, je récupérais l'équipement nécessaire à l'exécution de mon plan.
Avec mes deux compères, nous nous dirigions ensuite vers la crique des pêcheurs. C'était une petite plage d'environ cinquante mètres, entourée par les falaises. Elle était la seule étendue de sable à des kilomètres à la ronde.
Quelques bateaux de pêche flottaient sur l'eau paisible de la crique. Je m'installais sur la falaise au nord qui surplombait la plage. J'avais une belle vue sur la situation. Je regardais vers l'horizon, les pirates s'étaient rapprochés. Ted nous laissa ici, et partit aider les hommes du village qui commençaient à arriver. Rod commença à préparer un feu.
– Nous pourrons même manger un morceau avant. Dit-il tout sourire.
J'étais inquiète, le vent se levait et amenait les pirates dans son souffle. Cela compliquait ma tâche. Si j'échouais, c'était la mort assurée. Le vieux Hibbert arrivait au près de nous.
– Tu sais Rose, je suis peut-être vieux, mais je ne suis pas sénile. Si j'ai confié le sort du village entre tes mains, c'est parce que je sais qui tu es. Tu es la fille D'Azalée Fendil, ancienne reine du royaume de Fendil. Tu es héritière du Don et enfant de l'éclipse. Mais ne t'en fais pas, ton secret est bien gardé avec moi.
– Comment avez-vous su ?
– Tu es arrivée ici au moment où les Styrkiens gagnaient la guerre, et tu étais accompagnée de Nahabi. Les Inkolas sont rares hors de leurs terres, j'en ai déduit que tu étais quelqu'un d'important. Ensuite, il fallait être aveugle pour ne pas voir que tu pouvais sentir, voir ou entendre toute sorte de choses impossibles pour nous autres.
– Merci de n'avoir rien dit à personne.
– Merci à toi de repousser les pirates.
Je ne comprenais pas pourquoi il parlait d'enfant de l'éclipse. Je conservais ce sujet dans ma mémoire et interrogerais Nahabi là dessus ce soir.
Dans le contrebas, j'apercevais Ted ainsi qu'une dizaine d'hommes du village finaliser les préparatifs. Nous étions presque prêts, et les pirates arrivaient. Je contemplais leur navire. Il était immense, presque aussi long que haut. Dessus, l'équipage se préparait au combat. Au niveau du gouvernail, une femme à la peau mate et à l'allure noble semblait diriger ce petit monde.
Bientôt le bateau fut assez proche pour qu'Hibbert puisse d'adresser à la femme.
– Puis-je vous demander de vous présenter ainsi que la raison de votre visite ? Dit Hibbert.
– Je suis Tigra, reine des mers du nord. Et je viens à vous car je recherche quelqu'un.
– Nous n'avons personne à cacher ici. Je suis désolé, vous pouvez passer votre chemin.
– Il s'agit d'une femme qui doit avoir environ vingt ans, brune aux yeux bleus et qui possèderait d'étranges pouvoirs.
Mes jambes flageolaient. Elle me cherchait moi. J'essayais de faire quelques pas de recul pour me mettre hors de son champ de vision. Mais ça ne fit qu'attirer son regard.
– Toi ! Montres toi !
– Ce n'est que ma fille, dit Hibbert, elle a peur voilà tout.
– Nous allons vérifier ça nous même. Envoyez les chaloupes !
Sur ces mots, L'équipage envoya trois embarcations remplies de pirates à l'eau. Ils commençaient à ramer vers la plage.
– Vous devriez dire à vos hommes de rentrer. Dit Hibbert.
Tigra ignora les paroles du chef du village. Elle se préparait pour la prochaine chaloupe. Hibbert mit sa main sur mon épaule, et d'un signe de tête, me souhaita bon courage.
Je saisis mon arc, j'avais préparé des flèches auxquelles j'avais accroché des morceaux de tissu. Rod s'était occupé du feu. Je préparais mon arc et passais ma flèche au dessus des flammes. Le morceau de tissu s'embrasa.
Je regardais en bas nos assaillants se rapprocher du piège que nous avions tendu. Les villageois avaient dispersé des petits tonnelets remplis de poudre un peu partout dans la crique. Les pirates n'y prêtèrent aucune attention. Une chaloupe se rapprochait de l'un d'entre eux.
Je bandais mon arc et arrêta ma respiration. Je sentais chacune des fibres de mon arc, le vent me caressait le visage et m'aidait à estimer sa vitesse. Je visualisais l'endroit exact où je souhaitais envoyer ma flèche, et je relâchais la corde.
Je fis mouche. Dans un bruit assourdissant, l'explosion détruisit l'embarcation et carbonisa son équipage. Les corps morts ou mourants des pirates jonchaient la crique, rougissant l'eau d'habitude si belle en ces lieux.
Les autres chaloupes se stoppèrent, les pirates étaient sous le choc. J'en profitais pour préparer une seconde flèche enflammée et viser une autre cible. Une bourrasque de vent dévia la trajectoire et la flèche finit sa course dans l'eau.
Tigra regardait la scène, furieuse. Elle ordonna à ses hommes de rentrer. Ils s'exécutèrent dans la confusion la plus totale.
Je tirais une troisième et dernière flèche qui se ficha dans un tonnelet proche d'une embarcation. La détonation ne fit pas de dégâts, mais l'équipage tout entier sursauta. Et rama à toute vitesse pour rejoindre le navire principal.
La reine des mers du nord me regardait. Pendant que son équipage remontait sur le bateau, hissait les voiles et relevait l'ancre, elle ne me lâchait pas des yeux. Elle grogna quelques mots que seule moi pouvait entendre.
– Je reviendrais te chercher Fendil.
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