Chapitre 1

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— Raaaah … baillais-je en m'étirant.

La sonnerie venait de retentir dans toute l'école et franchement il était temps. Je n'en pouvais plus de cette journée. J'avais enchaîné maths, économie et informatique toute la journée. Il était temps que je prenne l'air.

— Dis moi que toi aussi tu es morte.

Emma était arrivée à l'arrêt de bus accompagnée de Martin. Les traîtres étaient tombés dans le même groupe et m'avaient abandonnée. Résultat je me retrouvais seule chaque fois que la classe était divisée, autrement dit pour la moitié de nos cours.

— Tu sais très bien que je déteste l’info alors pourquoi tu demandes ?

Il s’agissait sans doute de la pire matière pour moi. On avait beau faire du dessin la plupart du temps je détestais cette matière. Je ne comprenais même pas l’attrait qu'avaient les gens de ma classe à dessiner sur tablette ou encore pire sur ordinateur. Pour ça j’étais une vraie puriste, le dessin sur papier était la meilleure chose au monde. Enfin presque.

— Lucas m’a envoyé un message pendant le cours. Il vient ce weekend ! Je suis tellement contente.

Emma et Lucas étaient ensemble depuis trois ans déjà. Ils s’étaient connus au lycée et ne s’étaient plus quittés depuis. Du moins, presque. Lucas était parti en fac de droit dans le nord tandis qu’Emma était restée ici pour entrer dans notre école d’architecture. C’est là que je l’ai rencontrée. Un vrai rayon de soleil. Elle a toujours un sourire collé au visage, à croire qu’elle n’est jamais triste.

Nous sommes devenues amies si rapidement qu’on pourrait croire qu’on se connaît depuis toujours alors que ça ne fait qu’un mois. Moi le petit chat noir j’étais devenue la partenaire du canari jaune. Je n’étais pas sûre de cette métaphore pourtant elle était plutôt bien trouvée. Entre mes cheveux noirs et ceux blonds d’Emma, mes yeux marrons contre son regard bleu azur, ma solitude face à sa sympathie hors du commun, nous étions deux extrêmes. Les opposés s’attirent étaient sans nul doute l’expression qui nous représentait le mieux.

— Le weekend risque d’être chaud, se moqua Martin m’arrachant un sourire au passage.

— Jaloux va ! lui tira-t-elle la langue.

— Alors là pas du tout. De ce que tu nous racontes, ton copain a l’air d’un ennui. J’espère bien me trouver un mec plus vivant.

— Tu sais pas ce que tu rates. Mais tu sais, je pourrais te présenter quelques amis du lycée. Je suis sûre qu’ils pourraient te plaire. Et à toi aussi Mélanie, ajouta-t-elle en se tournant vers moi. Je ne désespère pas de te trouver quelqu’un avant la fin du semestre.

Je ne savais même plus pourquoi elle s’était fixé cet objectif en tête. J’étais bien moi toute seule. Je n’avais pas forcément envie de me trouver un copain, et encore moins un avec qui Emma avait déjà tout planifié. Aussi puéril était-ce je croyais encore au grand amour et si je n’avais pas encore rencontré le bon ce n’était pas un drame. Le hasard finirait bien par me faire croiser la route d’un garçon.

— Mon bus est là. À demain ! esquivais-je ainsi la discussion.

Il était arrivé pile au bon moment, je n’en pouvais plus de l’entendre me vanter chacun de ses amis un par un et je préférai éviter le sujet des garçons de la classe. Certains avaient beau être mignons, ça s'arrêtait là. Ils étaient des fils à papa. Nous l’étions tous. Pour entrer dans notre école, nous étions obligés de l’être. Et franchement tous collaient parfaitement avec les clichés qui allaient avec. Rien d’intéressant de ce côté en résumé.

De l’école, je n’avais qu’une vingtaine de minutes de transport avant d’arriver chez moi. J’avais de la chance, l’arrêt se situait juste au bout de ma rue. Deux minutes après être descendue du bus, je passais le pas de la porte de chez moi.

Comme à chaque fois que je terminais à dix-huit heure trente, mes parents étaient déjà rentrés quand j’arrivais. Ils travaillaient tous les deux pour une grande boîte de télécom de la ville. Mon père en tant qu’informaticien et ma mère dans l’administration. Tous deux croulaient sous les responsabilités. Responsabilités qui les suivaient jusqu’ici. Les deux seuls sujets de conversation qu’on avait étaient le boulot et l’école. Il n’y avait que ça qui comptait.

La preuve était que le repas ne tourna qu’autour des cours. Je n’en pouvais plus d’entendre parler que de ça mais ni mon père, ni ma mère ne semblaient y faire attention.

— Les premiers examens vont bientôt commencer, non ? demanda ma mère alors qu’on venait tout juste de s’installer à table.

— C’est vrai que d’habitude c’est à cette période, répondit mon père.

— De toute façon, tout se passe bien à l’école. Vu tes résultats au lycée, il ne doit pas y avoir de problème

— Et puis, tu as toujours voulu entrer dans cette école donc maintenant que tu y es, tu dois t’épanouir.

— D’après les échos, les professeurs là-bas sont très bien. Très à l’écoute de leurs élèves.

Je les regardais échanger sur ma vie et ma scolarité sans essayer d’y prendre part, mangeant tranquillement mon repas. Il y avait bien longtemps que j’avais arrêté d’essayer de me joindre à la conversation, même si celle-ci me concernait. J’avais l’habitude de les écouter. Il savait tout mieux que moi de toute façon, même ce qui me plaisait, ce que je voulais, ce à quoi j’aspirais. Enfin, j’étais mauvaise langue. Il est vrai que j’avais voulu faire cette école d’archi… quand j’étais au collège. Depuis j’avais changé, j’avais grandi mais ça ils n’y avaient pas fait attention. Pour eux, j’étais toujours leur petite fille. Je les aimais. Même s’ils m’étouffaient un peu par moment, je les aimais quand même. Je sais très bien qu’ils pensaient agir au mieux pour moi, même si au final, ils ne prenaient jamais le temps de m’écouter. Ils étaient bien trop pris par leur boulot pour ça.

— C’est monsieur Hardenne, il faut que je réponde, s’excusa ma mère quand son téléphone sonna.

On termina de manger avec mon père dans un silence plat. Lui scotché sur son téléphone, il devait vérifier si tout fonctionnait correctement au bureau, moi fixant mes lasagnes jusqu’à ce qu’il ne resta plus rien dans mon assiette. Je l’aida à ranger le plat, à mettre les assiettes et les couverts au lave-vaisselle et à passer un coup sur la table.

Il me souhaita bonne nuit en embrassant mon front et partit rejoindre ma mère dans leur bureau me laissant seule au milieu du salon. Un espace de vie bien trop grand pour le temps qu’on y passait tous ensemble. Je ne comprenais toujours pas pourquoi mes parents avaient tant tenu à l’habiller avec tous ses meubles hors de prix et ses bibelots étranges.

On passait du bouledogue en verre multicolore, au tapis de fourrure blanc sur lequel il ne valait mieux pas faire une seule tâche, en passant bien sûr par le jukebox d’un vieux bar des années soixante et par un rockingchair retapé aux imprimés colorés. Rien n’allait dans notre salon, il fallait le dire.

Ma chambre, heureusement j’avais pu la faire à mon image. J’avais fait sobre préférant des couleurs mates et des meubles en bois simples pour toute décoration. Seule une peinture abstraite aux couleurs pâles venaient réhausser le tout. Elle n’était pas de moi, comme j’avais eu l’habitude à une époque d’afficher toutes mes œuvres, et n’était pas mon style de dessin non plus mais j’aimais les couleurs dessus, je les trouvais apaisante. La preuve étant que je me planta devant quelques secondes en arrivant dans ma chambre.

Je tourna ma tête par la fenêtre, il faisait déjà nuit. C’était parfait pour moi. J’enfila mon sweat noir dans lequel je pouvais rentrer au moins deux fois, attrapa mon sac à dos dans le placard et dans une infime délicatesse j’ouvris la baie vitrée de ma chambre.

J’avais commencé à faire le mur pendant l’été alors maintenant j’étais parfaitement rodée. Je descendais mes volets au maximum, me laissant juste assez de place pour me faufiler en-dessous, prenais bien soin d’éteindre toutes les lumières, et refermais la vitre derrière moi. Ainsi il n’y avait pas de courant d’air et au premier coup d'œil il était facile de penser que je dormais. Jamais mes parents ne prendraient la peine de plus vérifier, surtout que jamais ils ne se douteraient que je sortais en douce le soir.

Je rabattis la capuche sur ma tête et commençai à marcher dans la rue. J’avais déjà repéré où je voulais aller. En à peine vingt-cinq minutes de marche j’étais arrivée. Il s’agissait d’un vieux mur à moitié en ruine qui cachait l’ancienne voie ferrée.

Lorsqu’ils avaient remis en service la gare de la ville, ils avaient refait l’entièreté des lignes de trains et surtout en avaient construit des nouvelles laissant les anciennes en l’état. Plus personne n’y faisait attention depuis alors je trouvais ce spot parfait. Je posai mon sac par terre et en sortis une première bombe de couleur. Sans attendre je me mis à peindre le mur. Même s’il y avait rarement du passage de ce côté de la ville, je préférais ne pas m’éterniser. Je savais parfaitement ce que je voulais représenter. Je mis plus d’une heure à faire les bases et l'arrière-plan, il me manquait encore tout le train et les petits détails à taguer. Je me penchai par terre pour récupérer une nouvelle bombe quand je sursautai en entendant une voix derrière moi.

— Très impressionnant !

Je me retournai et découvrit un garçon, sûrement de mon âge, un ballon de basket sous le bras. La lumière des lampadaires me gênait et je dus mettre ma main en visière pour mieux le voir. Il avait des cheveux châtains légèrement plus longs sur le dessus dont deux mèches retombaient sur le haut du front. Son regard presque admiratif lui donnait quelque chose d’enfantin alors que les cernes sous ses yeux lui donnaient un air plus âgé.

— Tu es très douée, me complimenta-t-il. Je n’avais jamais vu quelqu’un peindre aussi bien.

— Me … Merci, bégayais-je.

Je n’avais pas l’habitude qu’on me complimente sur mes œuvres encore moins sur celles que je faisais en ville. Je rangeais en hâte mes affaires.

— Tu as fini ? me demanda-t-il.

Je levai les yeux vers lui et aussitôt son regard happa le mien. Je senti ma gorge se serrer, et mes mains devenir moites. J’avais très chaud tout à coup, pourtant la nuit commençait à se rafraîchir en ce mois de l’année.

— Non mais c’est pas grave, je reviendrai un autre soir, répondis-je sans détourner mes yeux des siens.

— C’est dommage. J’aurai bien aimé voir le résultat final. Tu es sûre que tu ne veux pas finir maintenant ?

— C’est que …

Je n’arrivais pas à réfléchir, à penser, à trouver quoi que ce soit à dire. Tout mon cerveau semblait complètement éteint ou en plein bug.

— Promis je te laisserai travailler en silence. Je serai muet comme une anguille.

— Comme une carpe, rectifiai-je en riant.

Il haussa les épaules avec un petit sourire mutin. Je n’avais aucune idée de s’il avait fait exprès de se tromper, en tout cas il avait réussi à me faire rire et à oublier ma gêne.

— Très bien, je finis mais ne me dérange pas, l’avertis-je.

J’attrapai ma bombe de peinture et repris mon œuvre après un dernier regard vers lui.

Il resta là à côté de moi pendant tout le temps ou je peignais. Tantôt assis sur son ballon, il me regardait faire, tantôt assis par terre, il faisait rouler son ballon devant lui. Lorsqu’il était ainsi concentré sur autre chose je me permettais de jeter quelques regards vers lui. Un peu plus grand que moi, il portait une veste marron dont le col était remonté sur son cou. Ouverte, elle laissait apercevoir un tee-shirt légèrement troué à certains endroits, sûrement à force d’être trop portée, et une chaîne autour de son cou à laquelle était attaché une sorte de médaille en acier. Je me demandais ce qu’il y avait d’inscrit dessus mais de ma place je n’arrivais pas à voir. Il surprit une fois mes yeux posés sur lui, je me reconcentrais aussitôt sur ma peinture alors que je sentais le rouge me monter aux joues.

Après cette épisode je n’osai plus me tourner vers lui et je préférai terminer pour enfin rentrer chez moi. Il se releva en même temps que je m’écartai du mur pour admirer le résultat.

— T’as vraiment du talent.

— Merci, ne sus-je quoi répondre d’autre.

— Ça t’arrive souvent de taguer ? T’as l’air de bien t’y connaître.

— À l’occasion. Je préfère ne pas le faire trop souvent, on pourrait me prendre et pas sûre que mes parents apprécient beaucoup.

Je ne préférais même pas imaginer leur tête s’ils l’apprenaient. Je pense que mon père ferait une syncope et ma mère … Je préférais même pas y penser.

— Tu m’étonnes. Si mon père apprenait tout ce que je fais dans son dos, je crois qu’il ne me laisserait plus jamais sortir. Mais si ça t’intéresse, j’ai l’endroit parfait pour toi où personne ne viendra te reprocher quoi que ce soit.

Je fronçai les sourcils, peu certaine de ce qu’il allait me proposer mais quand même curieuse de ce fameux lieu.

— Je joue sur un vieux terrain de basket avec des amis. On est les seuls à l’utiliser et il mériterait bien un petit coup de jeune. Je suis sûr que tu pourrais nous faire un chef d'œuvre là-bas.

Il n’y allait pas de main morte dans ces compliments, ce qui me refroidissait un peu. Je n’étais pas habitué à tant de commentaires sur mes peintures et encore moins des aussi positives. Pourtant j’avais bien envie d’accepter sa proposition. Après tout, j’aimais vraiment peindre sur les murs, ça me changeait des dessins architecturaux de l’école.

— Si tu veux t’as qu’à y réfléchir. Je te passe mon numéro et si tu veux venir voir ou peindre tu n’as qu’à m’envoyer un message.

Ça semblait si simple pour lui. Il ne se prenait pas la tête, ne réfléchissait pas trop longtemps et ne cherchait pas à m’influencer. Sûrement était-ce pour cette raison que j’acceptais son offre. Je n’avais pas vraiment dit oui pour peindre sur son terrain de basket mais j’étais d’accord pour prendre son numéro et le contacter si je faisais un choix.

Ma décision sembla lui plaire puisqu’un grand sourire illuminait son visage alors qu’il prenait mon téléphone pour y inscrire son numéro. Je lus son prénom avant de ranger mon portable dans ma poche : Antonin. Ça lui allait plutôt bien.

— Moi c’est Mélanie, me présentais-je enfin.

— Et bien Mélanie j’espère rapidement avoir de tes nouvelles.

Il accentua sa phrase d’un clin d'œil avant de me faire un petit signe de la main et de s’éloigner. Je rangeais mes affaires encore étalées sur le trottoir et pris le chemin pour rentrer chez moi.

Lorsque je fus enfin allongée sur mon lit, prête à rejoindre les bras de morphée. Celui-ci ne semblait pas de cet avis. Je mis un temps fou à m’endormir, me repassant en boucle ce qui venait de m’arriver, essayant de savoir si c’était vraiment arrivé ou si j’avais juste imaginé cette rencontre.

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