Chapitre 3

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Je m’étais décidée, j’y allais aujourd’hui. J’avais passé toute ma semaine à réfléchir, à élaborer et à dessiner mes premières ébauches. J’avais été plus qu’inspirée pour ce projet et j’avais maintenant besoin d’un regard extérieur pour m’aider à décider sur quoi je partais.

J’avais envoyé un message hier à Antonin, lui disant que je pouvais passer cette après-midi. Il m’avait aussitôt répondu, comme s’il avait été cloué sur son téléphone en attente de mon sms. Il m’avait envoyé un pouce et m’avait redonné l’adresse du terrain pour être sûre que je l'avais et que je trouverais mon chemin.

J’étais stressée rien que d’y penser. Après tout, je n’avais vu Antonin qu’un soir pendant lequel il m’avait surtout regardé taguer alors ça me faisait bizarre de retourner le voir, encore plus en plein après-midi. Mais bon, c’était le meilleur moment pour moi.

La boîte de mes parents organisait une grande soirée de lancement d’un de leur nouveau logiciel. Et en parfait salariés, ils s’étaient tous les deux proposés pour aider à l’organisation de l’événement. Résultat : j’étais seule depuis ce matin onze heures et j’allais le rester jusqu’à quatre ou cinq heures demain matin.

J’avais dit à Antonin que je passerai en milieu d’après-midi alors quand enfin je me sentis prête à partir, je fourrai mon sac-à-dos de ma pochette avec tous mes croquis, enfilai mon sweat blanc et relevai ma capuche. J’adorai ce pull, je trouvais qu’il faisait ressortir mes cheveux noirs que je laissais retomber vers l’avant. Je ne savais pas trop pourquoi ou plutôt je ne voulais pas vraiment me l’avouer mais j’avais également mis un brin de maquillage. Du mascara sur mes cils pour faire accentuer mon regard de corbeau, comme disait ma grand-mère à une époque, et un peu de blush sur mes joues pour paraître moins blanche que je ne l’étais vraiment.

Et voilà, je me mettais en route. Enfin presque, je passai d’abord au café du coin de la rue pour me prendre un macchiato à emporter. J’avais besoin de ça pour me préparer à ma rencontre. J’étais stressée sans même comprendre pourquoi.

Quand j’avais cherché l’adresse du terrain sur internet, j’avais été surprise de voir qu’il n’était pas très loin de mon école. Je pus donc prendre le même bus que d’habitude et m’arrêter seulement un arrêt plus loin pour me rapprocher de ma destination. Je marchais encore cinq cent mètres avant d’entendre les premiers rebonds de ballon sur le sol. Je sus alors que j’étais arrivée.

En tournant au coin de la rue, je vis enfin ce fameux terrain, enfin je devrais dire ces fameux terrains. Il y en avait deux presque côte à côte. Ils étaient entourés sur trois côtés par de grandes planches en bois qui dépassaient la hauteur des panneaux tandis qu’un petit muret en bois d’un mètre à peine refermait la zone de mon côté. On y accédait par une sorte de tourniquet à moitié cassé de ce que j’en voyais d’ici.

J’étais excitée à l’idée d’avoir toute cette zone comme feuille de dessin. J’allais vraiment pouvoir développer mes idées et en faire quelque chose de magnifique, enfin je l’espérais.

— Je t’ai jamais vu ici toi.

Un des garçons assis sur le muret m’avait repérée et s’était approché de moi. Avec les traits fins de son visage et ses pommettes rondes je lui donnait mon âge pourtant il dégageait de lui quelque chose comme s’il avait déjà beaucoup trop vécu. Ce qui attira surtout mon attention fut la grande cicatrice qui lui barrait la joue juste en dessous de l'œil gauche.

— Ça va je te dérange pas ? me demanda-t-il.

— Pardon, bégayais-je.

Qu’est-ce qui m’avait pris aussi de le fixer comme ça. Il devait me prendre pour une folle maintenant.

— Et du coup, qu’est-ce que tu fais là à nous regarder ? T’es pas du coin il me semble.

— Non mais je… Euh…

Je n’arrivais pas à trouver mes mots. Ses yeux vairons me regardaient de haut, et moi je perdais toute ma confiance. Le café que j’avais pris et que je tenais encore entre mes mains ne m’avait pas préparé à ça. Je ne m’étais surtout pas attendu à un tel accueil.

Peut-être que je m’étais trompée d’endroit, que je n’étais pas au bon terrain. Après tout, Antonin m’avait dit qu’il y serait tout l’après-midi et je le voyais nulle part. Il n’y avait que ce garçon avec ses cheveux blonds en bataille sur sa tête, sa cicatrice au visage et son air pas commode du tout. Je n’avais qu’une envie faire demi-tour, reprendre mon bus et rentrer chez moi. Cette idée d’être venue ici n’était pas la bonne, il valait mieux que je parte. Je m'apprêtais à m’excuser et à m’éclipser quand je vis enfin Antonin arriver en courant vers nous.

Il passa un bras autour du cou du garçon blond et lui ébourrifa un peu plus les cheveux de son poing.

— Commence pas à faire peur à mon invitée, le réprimanda-t-il en riant.

— C’est elle que t’as rencontré l’autre soir ?

Il se défit de l’étreinte d’Antonin qui acquiescait de la tête avant de reporter son attention sur moi. Il me regardait d’un nouvel œil, cette fois il essayait de me jauger. Je ne dis rien pourtant je sentis une pointe d’irritation en moi lorsqu’il leva les sourcils.

— Mouais, conclut-il. J’attends de voir ce qu’elle a à nous proposer et si ça vaut vraiment le coup.

Il haussa les épaules avant de nous laisser là avec Antonin alors que lui repartait vers les terrains de basket.

— Fait pas attention à Alexis, il est comme ça avec tout le monde.

Ouai ben super. J’avais l’impression que ça allait être compliqué de m’entendre avec lui, surtout si je devais lui aussi le convaincre de mes idées pour les peintures autour du terrain.

— Je suis content que tu sois venu, m’annonça Antonin en se passant une main dans ses cheveux.

— Moi aussi, ne sus-je quoi d’autre lui répondre.

Il me répondit par un petit sourire en coin très mignon qui m’en arracha un à mon tour. Je baissai la tête gênée de ma réaction et but les dernières gorgées de mon macchiato pour me redonner une contenance.

— Je te montre ce à quoi j’ai pensé ?

— Oui vient on va aller se poser dedans, on sera plus à l’aise.

Je le suivis jusque dans la cour d’une petite résidence à deux pas des terrains. J’étais étonnée de trouver un lieu comme ça dans ce coin de la ville. Je savais que les quartiers du nord-est de la ville n’étaient pas des plus réputés. Quartier dit chaud on ne s’attendait pas à découvrir un petit havre de paix. La cour était entièrement ombragée par deux arbres tandis que la rambarde des escaliers extérieurs était tressée avec un lierre tout en fleurs

On monta au deuxième où il m’invita à entrer dans ce qui devait être chez lui. Son salon était plus grand que ce à quoi je m’attendais. Et surtout j’adorai sa déco. Il avait accroché au mur un ensemble de trois cadres dont les couleurs me rappelaient le tableau que j’avais dans ma chambre.

Il m’invita à m’asseoir sur le canapé et à sortir mes dessins. Je le regardai s’éloigner dans la cuisine et remarqua un petit cadre posé sur le bar. Un petit garçon se tenait au côté d’une femme. Tous deux avaient de magnifiques yeux verts, ils ressortaient de manière incroyable, on ne voyait qu’eux.

Quand Antonin revint avec deux verres d’eau, je le reconnut. C’était lui le garçon de la photo, il avait toujours la même tête, le même air enjoué. Je me doutais alors qu’il le tenait de sa mère qui posait à côté de lui et qui avait le même sourire que celui qu’il m’avait donné.

— Je t’interdis de te moquer, me menaça-t-il en riant à moitié.

— Mais pas du tout, tu étais tout mignon.

— Parce que je ne le suis plus ? me demanda-t-il avec un air faussement boudeur.

— Ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit, riais-je à mon tour.

— Alors tu me trouves mignon ?

Il était en train de me piéger et y arrivait parfaitement puisque je sentais mes joues commençaient à chauffer. Pour me cacher et dans un geste complètement naturel j’attrapai un coussin à côté de moi pour lui balancer dessus.

— Hé ! cria-t-il en riant. C’est pas jeu ça.

— Et si on se mettait à travailler plutôt.

Il me tira la langue comme l’aurait fait un enfant de cinq ans puis s’approcha un peu de moi pour mieux voir ce que j’avais étalé sur la table. Il regarda chacun de mes croquis un par un. Il prenait ça vraiment à cœur et j’appréciais qu’il s’y intéresse autant.

— J’aime beaucoup celui-là, me dit-il en me montrant l’une des esquisses.

Sur celui-là j’avais imaginé des rubans pleins de couleurs allant un peu dans tous les sens et reliant les différents dessins principaux. J’étais assez d’accord avec lui, maintenant que j’avais vu comment étaient agencés les terrains, c’était sans doute le meilleur choix. Surtout que ça rendrait très bien avec le muret, je pourrais faire suivre les rubans même à l’extérieur en passant par là.

— Très bon choix. Je suis sûre que je réussirai à donner un beau rendu aux terrains.

— J’en suis persuadé. Après t’avoir vu peindre l’autre soir, je sais que tu feras quelque chose d’extraordinaire.

Pourquoi fallait-il qu’il soit si peu avare en compliments ? Je n’étais pas habituée à en recevoir autant et ne savais pas du tout comment y répondre. J’eu un hoquet de gêne qui m’empourpra un peu plus. J’avais utilisé mon blush pour rien, il était sûre que j’étais encore plus rouge maintenant qu’au départ de chez moi.

Antonin fit semblant de ne rien voir et je l’en remerciait. Il continuait de fouiller dans les dizaines de dessins que j’avais apportés et en sélectionnait plusieurs qu’il gardait dans sa main.

— Je fais mes courses, j’espère que ça ne te dérange pas, changea-t-il de sujet à mon grand bonheur.

— Non, non, vas-y. Tu as raison, c’est fait pour. Et puis, quand tu auras fini, je pourrai peut-être commencer. Je vais avoir du boulot pour tout peindre donc autant m’y mettre le plus rapidement possible.

Il choisit encore deux ou trois dessins et me tendit l’ensemble de sa sélection. Il avait plutôt bon goût, ces croquis allaient très bien les uns avec les autres, ils suivaient le même schéma avec un dessin central et des explosions de couleurs de différentes formes un peu tout autour.

Il me raccompagna jusqu’aux terrains où un match avait été lancé. Je reconnus Alexis, le garçon de tout à l’heure. Je ne sais pas depuis quand ils avaient commencé mais, lui, semblait très fatigué. Lorsque je m’approchai pour commencer mon œuvre au centre des deux terrains, je remarquai qu’il était vraiment dans le mal. Son tee-shirt était trempé et son visage crispé. Ce qui m’étonnait le plus est qu’il était le seul dans cet état. Les autres semblaient un peu essoufflés mais bien loin de cette fatigue.

Je détournai aussitôt mon regard quand il posa ses yeux sur moi. Je n’avais pas besoin d’un second coup de pression de sa part. Je préférais autant me mettre au travail et me concentrer sur ma fresque.

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