Chapitre 5
— J’en étais sûre ! Je savais que tu nous cachais quelque chose !
Emma avait patiemment attendu que je termine toute mon histoire avant de s’extasier.
Elle m’avait entraîné dans sa chambre me laissant à peine le temps de dire bonjour à ses parents. Sa chambre était digne d’une princesse de conte de fée. Elle était immense avec une baie vitrée qui menait sur le balcon surplombant le jardin. Dans des couleurs mauves et rose pastel, une petite fille l’aurait tout autant trouvé à son goût. Elle avait un dressing à elle toute seule qui devait faire la moitié de ma chambre. Moi qui trouvais déjà que ma maison était immense et que mes parents gagnaient plus que bien leur vie, je n’en revenais pas de voir encore plus grand chez mes amis.
— Il faudra que tu me le présentes hein, m’affubla-t-elle d’un clin d’oeil.
— Non mais attends, il ne se passe rien entre nous. Ne vas pas t’imaginer trop de choses.
— Bien sûr que si ! Ose me dire que tu ne rêves pas de lui en cachette. En fait, non me réponds pas j’ai déjà ma réponse. Si c’était pas le cas tu m’en aurais parlé dès le début ! me reprocha-t-elle en riant.
— Je sais oui mais je n'osais pas et je ne savais pas comment t’allais réagir. Après tout, je l’ai rencontré alors que j’étais en train de taguer un mur.
— Et alors tu aurais pu être en train de braquer une banque, je t’aurai quand même soutenu.
Je regardai mon ami les yeux plissés et la tête penchée sur le côté.
— Bon d’accord j’exagère mais t’as compris l’idée. Franchement Mélanie t’as aucune honte. Tu sais que tu peux tout me dire. En plus je sais comment tu dessines, comment tu es, t’as du taguer quelque chose de magnifique loin des habituels insultes ou signatures que les autres font.
— J’essaie en tout cas.
J’étais à la fois gênée de parler de ça si ouvertement avec elle et à la fois très soulagée de pouvoir lui en parler. Comme si vider mes petits secrets me rendait plus légère. Et puis j’étais heureuse de lui parler d’Antonin finalement. Lui raconter notre rencontre, son invitation aux terrains, le moment passé ensemble chez lui pour décider de la fresque, sa simple présence à mes côtés quand je peins. Tout me semblait si facile, comme si je n’avais pas besoin de réfléchir lorsque j’étais avec lui. J’avais juste besoin d’être moi, sans faire semblant, sans me faire passer pour une autre. C’était vrai, je voulais apprendre à mieux le connaître, passer plus de temps avec lui, je voulais voir jusqu’où nous pouvions aller.
Quand je relevai la tête me sortant son image de l’esprit je remarque qu’Emma me regardait avec un air attendri, un fin sourire collé sur son visage. Elle avait compris que j’étais en train de penser à lui. Dès les premiers jours de notre amitié, j’avais vite assimilé qu’elle pouvait lire en moi comme un livre ouvert. C’était aussi pour ça que notre amitié fonctionnait si bien. Elle, elle arrivait à parler de tout, à se pencher sur tous les sujets et à me raconter tout ce qui lui arrivait ou lui passait par la tête, tandis que moi qui n’osait pas dire le fond de ma pensée, je n’en avais pas besoin car elle comprenait très bien le cheminement de mon esprit.
— Alors cette soirée, tu comptes y aller habillée comment ? me demanda-t-elle, me ramenant les pieds sur terre.
— Je ne sais pas. À vrai dire, je comptais y aller comme ça.
Elle me toisa comme si je venais de dire la plus grosse absurdité au monde.
— Avec ce jean tout moche et ton sweat ? Hors de question !
— Quoi mais pourquoi ? J’étais habillé comme ça aujourd’hui. Et puis Antonin m’a vu et il ne m’a pas dit de me changer pour venir à sa fête.
— Et encore heureux ! Il ne manquerait plus qu’un garçon nous dicte comment nous habiller. Pour autant, m’arrêta-t-elle avant que je n’ouvre la bouche, je suis sûre qu’il apprécierait te voir dans une tenue qui te mettrait un peu plus en valeur.
Je n’étais pas très sûre de ce que signifiait “une tenue qui me mettrait plus en valeur” et Emma dut le voir à ma tête déconfite. Elle m’attrapa le bras et me tira derrière elle jusque dans son dressing.
— Tu es un peu plus grande que moi mais je suis sûre qu’on va réussir à te dénicher quelque chose !
Je crois bien que nous passâmes près d’une heure et plus d’une dizaine de tenues avant qu’Emma valide enfin un ensemble. Je n’en pouvais plus, cette séance d'habillage avait aspiré toute mon âme. Je ne rêvais plus que d’une chose sortir de cet antre du vêtement.
Emma était d’accord avec moi, on en avait fini ici. On retourna dans sa chambre où elle me fit asseoir sur son lit alors qu’elle allait chercher sa trousse à maquillage. Elle savait que je n’étais pas fan de tout ce qui était trop voyant et me promis de me faire quelque chose de léger. Je laissais mon visage entre ses doigts de fée, me laissant dorloter par ses soins.
— Je crois que nous avons fini ! m'annonça-t-elle en refermant sa palette de fard à paupières. Tu veux voir le résultat ?
J’hochais la tête un peu nerveuse. Elle me fit me lever et m’emmena devant sa psychée. Et wouah, j’étais ravie du résultat. Tout se marier à la perfection, jamais je n’aurai pu faire mieux.
On avait finalement opté pour un pantalon assez ample gris et noir qui se fermait à la taille par une ceinture en tissus dont le noeud fait à la main soulignait ma taille. En haut on était parti sur un petit top bordeau qui laissait voir mon nombril et dont les manches n’étaient que deux bandes tombantes sur le bas de mes épaules.
Pour le maquillage Emma avait tenu parole. Elle m’avait mis un brin de fond de teint et un rouge à lèvre mate avec du mascara et un léger filet de fard à paupière argenté. Il se voyait à peine mais faisait ressortir mes yeux d’habitude si terne.
— Merci, lui soufflais-je.
Je n’avais jamais fait l’effort de bien m’habiller ou de trouver des vêtements adaptés à mes formes. J’étais sérieusement en train de me demander si je ne passais pas à quelque chose en voyant ce qu’Emma arrivait à faire de moi.
— Il ne te reste plus qu’à rejoindre ton beau basketteur. Si tu pars maintenant, tu pourras prendre le bus pour te rapprocher et tu y seras pile à l’heure.
— Tu es sûre que ça ne te dérange pas ?
— Pas du tout ! En plus mes parents sont de garde ce soir alors tu es tranquille. Tu peux rentrer quand tu veux. Enfin, seulement si demain tu me racontes tous les détails.
— Promis !
Je lui fis un dernier câlin pour la remercier et je me décida à partir. Je ne savais pas à quoi m’attendre en allant à cette soirée mais j’était prête à y aller.
Plus je m'approchais des terrains, plus la musique parvenait jusqu'à mes oreilles. Un mélange de pop électro était en train de passer et annonçait le thème de la soirée.
Plusieurs jeunes de mon âge utilisaient les terrains de basket comme piste de danse où leurs pas plus que hasardeux formaient un ensemble assez harmonieux au final. Des tables avaient été sorties et toutes sortes d'en-cas avaient été étalées dessus. Ne voyant Antonin nulle part m'approcher du bar improvisé pour me servir un verre me semblait être la meilleure chose. Surtout que malgré mon excitation d'être là et de le voir, j'étais stressée et ma gorge sèche en était le premier symptôme.
— Salut Mélanie.
Moi qui espérait tomber sur Antonin, j'avais seulement le droit à son meilleur ami, Alexis. Je croisai les doigts pour qu'il me laissait rapidement mais il ne semblait pas de cet avis puisqu'après s'être pris une nouvelle bière, il resta à côté de moi.
— Tu ne saurais pas où est Antonin par hasard ?
— Sûrement ci ou là à draguer une fille. D'habitude, il profite des soirées comme celle-là pour se trouver quelqu'un.
Je ne sais pas à quoi jouait Alexis mais je ne trouvais pas ça drôle. Au contraire même, il ne s'en rendait peut être pas compte mais ses paroles me faisaient mal. Bien plus que je ne le laissais paraître, enfin j'espérais.
— Après tout, on ne sait rien de toi, on vient tous d'ici. Alors si tu me parlais de toi.
C'était donc là où il voulait en venir ? Il aurait pu être direct, franchement. Je ne comprenais pas trop son comportement.
— Pose-moi tes questions, je serai ravie d'y répondre.
— Tu fais quoi ? Antonin nous a dit que t'étudiais toujours.
— C'est le cas, je suis en école d'archi.
— Cette école de fils à papa ? Vraiment tu fais partie de ces enfants nés avec une cuillère en or dans la bouche ?
J'entendais un tel mépris dans sa voix mais elle était aussi teintée de colère, de rage même. Je ne sais pas ce qui l'animait autant, ce pourquoi il réagissait, mais je ne voulais pas de cette colère alors poussée par je ne sais quelle force en moi, je me décidai à lui mentir.
— Pas du tout. J'ai eu une bourse. Jamais j'aurai pu payer les frais d’inscription sinon.
Mon mensonge sembla passer et même parvint à le décrisper un peu. Je ne sais pas ce qu’il avait contre ceux qui avait de l’argent mais je sentais qu’il le prendrait mal si je lui demandai comme ça de but en blanc.
— Vraiment ? me demanda-t-il toujours sur ses gardes. Et alors ça fait quoi d’être entourée de tous ces bourges de première ?
— Je… Euh…
Je n’avais aucune idée de quoi lui dire. Un seul mensonge et voilà que je devais me retrouver à en dire d’autres, j’aimais pas du tout ça pourtant je me sentais obligée de m’enfoncer dans mes conneries.
— Je ne les fréquente pas vraiment. Tu sais, je n’appartiens pas à leur monde.
Qu’est-ce que je racontais encore, ça n’avait aucun sens. J’étais en train de détruire mon verre en plastique tellement j’étais stressée et gênée de cette conversation. Je disais n’importe quoi et pourtant même si je détestais cette idée de mentir, il était maintenant trop tard pour faire marche arrière.
Surtout qu’Alexis semblait apprécier mes réponses. Pour une fois qu’il ne me regardait pas de travers, qu’il m’acceptait un tant soit peu ou du moins qu’il supportait ma présence, je ne voulais pas que ça change.
Je redoutais une nouvelle question de sa part et donc forcément un nouveau mensonge quand je vis enfin apparaître Antonin. Il arrivait de la résidence les bras chargés de paquets de chips. Je me demandais d’où il sortait tout ce stock.
— J’avais plus grand chose chez moi donc je me suis permis de t’en voler, lança-t-il à Alexis en déposant son chargement sur la table.
Lorsqu’il se tourna vers moi, je vis ses yeux scruter chaque parcelle de mon corps alors qu’un large sourire se dessinait sur son visage. Emma était la meilleure. Sans même que je le sache jusqu’à présent, c'était exactement la réaction que j’avais voulu provoquer chez lui.
— Tu es magnifique, me souffla-t-il.
— Merci, tu es très beau toi aussi.
Je ne mentais pas. Il avait lui aussi fait un certain effort vestimentaire en enfilant un jean noir et une chemise grise avec des fils violets brodés dessus. Elle lui allait très bien. Je devinais sous son col son habituel chaîne bien que je ne pouvais toujours pas savoir ce qu’étais le pendentif qu’il avait normalement au bout.
— J’espère qu’Alexis ne t’a pas trop embêtée.
— Non, non il voulait seulement en apprendre plus sur moi.
— Es-tu en train de me dire qu’il te connaît mieux que moi ? demanda-t-il en prenant un air choqué.
— Il semblerait bien oui, le narguais-je en retour.
— C’est une honte mademoiselle ! Vous me devez remboursement.
— Ah oui vraiment ? Et quel remboursement suffirait à me faire pardonner ? Jouais-je le jeu amusée.
— Venir danser avec moi !
Sans attendre ma réponse, il m’attrapa par la main et m’entraîna à sa suite vers les terrains de basket où nous nous sommes faufilés au-milieu des autres danseurs. Il n’avait toujours pas lâché mes doigts tandis qu’il commençait déjà à se dandiner au rythme de la musique. Oui, oui, se dandiner. Il était bien loin de réellement danser pour autant sa chorégraphie grotesque me fit rire et je le suivis dans son délire, attrapant son autre main à mon tour.
Je crois bien que nous sommes restés toute la soirée sur les terrains ne faisant plus attention à rien, aux gens qui nous entouraient. Nous étions comme dans une bulle profitant de ce moment rien que tous les deux. Je commençais à avoir sacrément mal aux joues à force de rire et de sourire. Il ne s'arrêta jamais comme si son seul objectif avait été de me rendre heureuse et de m’amuser pendant toute cette soirée.
Je fus surprise lorsqu’une musique bien rock des années quatre-vingt fut remplacée par un léger slow au rythme doux. Je ne pensais pas qu’on passait encore des musiques comme ça pendant des fêtes et encore moins dans une fête comme celle-ci organisée en plein milieu de la rue sur des terrains de basket aussi vieux que la ville elle-même.
Pourtant je vis tout le monde autour de nous jouer le jeu. Je crois qu’Antonin était tout aussi gêné que moi lorsqu’il me tendit sa main. Un peu hésitante mais le cœur battant à mille à l’heure, je posais ma paume contre la sienne alors que mon autre main vint se poser sur son épaule. Je sentis délicatement ses doigts venir se poser au creux de mon dos.
Alors que nous dansions au rythme de la musique, nos corps se rapprochaient imperceptiblement l’un de l’autre. Et sans que je ne m’en rende compte jusque-là, mon buste était collée contre son torse, nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre.
C’est ainsi, ne pouvant détacher mon regard du sien, que je découvrais les tâches dorées présentes au fond de ses yeux. Elles ranimaient son vert habituel, lui créant un nouvel éclat. Bientôt mes deux mains se rejoignirent derrière son cou alors que les siennes se tenaient respectueusement sur ma taille.
Je voyais ses yeux descendre vers ma bouche puis revenir vers les miens. Ce geste si anodin me donna pourtant envie de goûter à ses lèvres. Je me demandais si elles seraient aussi douces que ses mains posées sur ma peau laissée nue. J’avais envie de le sentir un peu plus proche de moi encore, je voulais me laisser aller contre lui et profiter de son étreinte.
Alors que j’allais me laisser aller à mes envies abandonnant les remparts que je m’étais dressée, la musique prit finalement fin. Nous nous écartames l’un de l’autre troublée de l’échange que nous venions d’avoir. Notre cocon rien qu’à nous venait de se briser et nous avait ramené sur les terrains de basket, au milieu des autres qui commençaient déjà à chanter L’Aventurier à tue-tête.
Nous sortîmes du groupe sans un mot. Je le suivais sans rien dire tentant désespérément de faire se calmer les battements de mon coeur.
La magie du moment s'était cassée et cet échange troublé rendait étrange notre proximité autant que notre éloignement. Ni lui, ni moi ne savaient quoi faire, quoi dire, comment réagir après le moment que nous venions de passer.
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