Chapitre 8 :
La sonnerie retentissait dans l’école annonçant la fin des cours mais pas ma fin de journée. Elle était loin d’être terminée au vu de ce qui m’attendait maintenant. On était vendredi et j’avais bien dit à Roman que je serai là pour travailler sur notre projet. Je comptais bien le voir et travailler avec lui avant qu’il me balance encore tout ce qu’il savait sur moi au reste de l’école.
Je saluai Emma et Martin qui partaient sans moi vers l’arrêt de bus alors que tous deux me souhaitaient bon courage. Ils avaient supporté mes plaintes toute la journée. Heureusement pour moi car sans eux et leur mot réconfortant je n’aurai pas eu le courage pour affronter la soirée qui s’annonçait devant moi.
Je devais retrouver Roman à la salle de dessin libre. Il s’agissait d’une immense salle toujours ouverte à laquelle tous les étudiants avaient accès à n’importe quelle heure. Le gardien s’assurait seulement qu’à vingt-trois heures tout le monde était parti. Je croisais les doigts pour qu’on ait fini avant. Jamais je ne supporterai de travailler aussi tard sachant que j’étais déjà morte de ma journée de cours.
Bien sûr quand j’arrivai Roman était déjà là, attendant les bras croisés que je daigne me présenter. À cause de lui qui me pressa dès qu’il me vit par les fenêtres qui donnaient sur le couloir, je ne pus même pas profiter de l’odeur de papier et de peinture que dégageait cet endroit. Je ne comprenais pas comment on ne pouvait pas aimer ces odeurs, elles étaient sûrement les plus enivrantes au monde.
— J’ai cru que tu n’allais pas venir, me dit-il en haussant les sourcils.
Super, ça annonçait l’ambiance des heures de travail qu’on avait devant nous.
— Ça a sonné il y a à peine cinq minutes. Laisse moi le temps de venir jusqu’ici.
Il n’avait que faire de mon explication qu’il balaya d’un geste de la main. Il descendit de la table sur laquelle il s’était nonchalamment assis et rajusta sa petite veste en coton au couleur de l'école. Nous y avions tous eu le droit à notre entrée pour autant, il était sûrement le seul à le mettre et encore plus à le mettre tous les jours.
— Allez montre moi ce que tu as fait, enfin si tu as travaillé.
Je ne sais pas ce que je détestais le plus entre ses petits airs princier, sa voix nasillarde ou encore le ton qu’il employait avec moi. Je ne lui avais jamais rien fait et pourtant j’avais l’impression qu’il se donnait un malin plaisir à me rabaisser dès qu’il en avait l’occasion. Bref, il ne fallait pas que je m’énerve sinon nous n’allions jamais avancer.
Le projet entre les matières d’art appliqué et d’architecture urbaine était en fait un appel à projet de l’école. Le doyen avait, enfin, obtenu les terrains jouxtant l’école et il voulait y faire construire un nouveau bâtiment. Nous étions donc tous sollicités pour mettre la main à la pâte. Le meilleur projet serait retenu et le binôme choisi aurait le droit à une récompense. On ne nous avait pas encore dit quoi mais tout le monde se doutait que ça devait être quelque chose d’immense vu l’ampleur du projet.
Je sortis mon portfolio du sac et commençai à étaler les différents croquis et schéma que j’avais fait. J’étais assez heureuse de moi pour une fois qu’un sujet d’architecture urbaine m’intéressait j’avais eu de nombreuses idées. Je savais que toutes n’étaient pas parfaites ou à prendre mais dans l’ensemble j’étais heureuse du résultat.
— C’est quoi ça ? me demanda-t-il avec presque un dégoût sur le visage.
Je m’approchai de lui pour mieux voir la feuille qu’il avait prise et qui le gênait tant et ne comprit pas ce qu’il ne saisissait pas.
— Des ombrières photovoltaïques.
— Merci je ne suis pas stupide, ce que je comprends pas c’est qu’est-ce que ça vient faire là dedans. Tu as lu le sujet au moins ?
— Bien sûr que oui et justement. Le terrain qu’a obtenu l’école est immense, beaucoup trop grand pour juste y mettre un bâtiment et nous savons tous qu’il manque des places de parking. Je me suis dit que ça serait bien d’en faire un du côté nord et on pourrait le couvrir avec des panneaux solaires comme ça, le nouveau bâtiment pourrait en partie être fourni en électricité grâce à ça.
Mon idée était bonne j’en étais convaincue pourtant je vis à sa tête qu’il ne comptait pas la garder, même pas en secours. Tant pis, il ne fallait pas que je me laisse abattre, j’avais encore pleins d’idées à lui montrer.
Je les lui présenta une par une, le bâtiment en forme de U pour laisser un espace vert devant qui rejoindrait par un petit sentier la forêt qu’il n’y avait pas si loin, la serre potagère sur les toits que les étudiants s’occuperaient eux-même de gérer, les récupérateurs d’eau de pluie pour les toilettes, j’avais même réfléchi aux différents matériaux qui pourraient être employé pour minimiser les coûts en énergie. Il les rejeta toutes sans exception. Il démonta chacune de mes idées. Il n’avait pas de réels arguments pour les descendre pour autant j’avais l’impression d’être complètement renié. S’il cherchait à m’atteindre moi à travers mes idées, il y arrivait parfaitement et ça faisait un mal de chien.
— Franchement je ne sais pas à quoi je m’attendais mais c’était plus ou moins à ça. Écoute je reconnais que tu as bossé donc je ne me plaindrais pas au prof, mais je crois qu’il vaudrait mieux que je finisse le projet tout seul. Tu n'auras qu’à me remercier quand on aura gagné l’appel.
J’étais tellement en colère pour qui se prenait-il à la fin ? Je lui en voulais de me dénigrer comme ça mais une petite part de moi s’en voulait d’avoir cru que mes idées étaient bonnes. Et même si je savais que je ne devais pas l’écouter, même si je savais qu’il ne s’agissait pas de la vérité, plus je regardais mes dessins et plus je me convainquis qu’ils étaient nuls. Je me disais que ces traits auraient dû être plus fins, que j'aurais dû effacer ceux-là et plus accentuer la lumière de ce côté. Ce qui était le plus étrange en fait était que si Roman avait démonté mes idées, moi toute seule j’étais en train de dénigrer mes dessins. Et c’est ce qui me fit le plus de mal.
Lorsqu’il décida qu’enfin mon enfer était fini et qu’on pouvait arrêter là pour ce soir, j’étais vidée de toute énergie. Je n’avais envie de rien, je ne ressentais plus rien. Il avait réussi à annihiler toutes mes émotions bonnes comme mauvaises. Je voulais juste me poser sur mon lit et dormir.
Je regarda mon téléphone et vit l’heure : vingt-heures quarante sept. Le dernier bus était déjà passé et le prochain ne serait que demain matin. Il ne me restait plus qu’à rentrer à pied… Je n’avais pas prévu de gros sweat comme la dernière fois et le vent vint me fouetter aussi violemment que si nous étions en plein hiver. Je savais que j'aurais dû prendre un pull en plus ce matin.
Tant pis, je croisais les bras sur mon ventre rentrant au maximum mes mains dans ma veste et me mit à marcher. La nuit avait déjà commencé à tomber, je remerciais les lampadaires de m’offrir un peu de lumière.
— Hey la miss ! entendis-je crier.
Je tournais la tête et vit un homme en train de s’approcher de moi, un sourire beaucoup trop grand pour être bienveillant sur le visage. Je continuais ma route sans plus le regarder priant pour qu’il me laisse tranquille.
— Tu vas où comme ça ? Tu veux que je te ramène ? C’est dangereux de se balader seule le soir tu sais.
Il était arrivé à ma hauteur et marchait à côté de moi. J’avais beau complètement l’ignorer, il ne me lâchait pas. Je sentais mon cœur battre plus fort dans ma poitrine tandis qu’elle se resserrait de plus en plus. J’avais de plus en plus de mal à respirer.
— Ça te coûterait quelque chose de me répondre salope ?
Je regardai tout autour de moi, cherchant n’importe qui pouvant m’aider mais il n’y avait personne. J’étais toute seule avec ce type en pleine nuit. J’étais terrifiée. Je voulus hurler lorsqu’il m’attrapa le bras et me força à m’arrêter pour me tourner vers lui mais aucun son ne sortit, j’étais pétrifié alors que lui se mettait à rire devant mon manque de réaction.
— On va bien s’amuser tu vas voir.
— Non ! me mis-je enfin à crier alors qu’il tentait de me tirer dans une autre rue.
Des larmes coulaient inlassablement de mes yeux alors que son air de prédateur s’accentuait de plus en plus. Je tentais de me débattre mais rien à faire, il était bien plus fort que moi. Il me dépassait d’une tête et j’avais bien l’impression que ses bras faisaient littéralement la taille de mes jambes. Quoi que je tentais, il m’en empêchait si facilement. Je perdais tout espoir, je n’arrivai à rien à part à l’énerver un peu plus.
— Lâche-la !
Mon agresseur, tout comme moi, se tourna vers où venait cette voix. Je crus rêver alors que je reconnaissais Antonin arriver vers nous en courant. Il était là, il était bien là. Toutes mes défenses volèrent en morceaux et je m’effondrais par terre en pleurant tandis que mon agresseur s’enfuyait.
— Mélanie, tout va bien ?
Il s’agenouilla à mon niveau et me prit dans ses bras. Ma respiration se calma petit à petit alors que je respirais son parfum. La chaleur de son corps m’enveloppa dans un cocon. Je ne voulais plus en sortir. Je me sentais bien là, je me sentais en sécurité.
— Il t’a fait du mal ?
J’entendis toute la colère dans sa voix, alors que ses muscles se contractaient autour de moi. Je n’arrivais toujours pas à parler, ma gorge ne se dénouait pas, je ne pus que faire non de la tête. Il se décontracta un peu et resserra son étreinte. Un frisson parcourut tout mon corps et il posa son menton au-dessus de ma tête.
— Tu as froid ? Je vais te ramener chez toi.
— Non … articulais-je d’une voix cassée comme si j’avais trop hurlé.
Je n’avais aucune envie de rentrer chez mes parents. Je ne voulais pas les voir, qu’ils voient mon état et que je lise dans leurs yeux qu’ils ne se souciaient pas de ce qui m'était arrivé.
— On ne peut pas rester là. Viens, on va chez moi. On avisera ensuite.
Il m’aida à me relever. Mes jambes avaient du mal à supporter mon poids, je frissonnais sans cesse, je me sentais si faible. Antonin le vit. Je vis toute l’inquiétude dans ses yeux. Il enleva sa veste qu’il me passa sur les épaules. Je m’enroulai aussitôt dedans. J’avais l’impression qu’il me tenait toujours dans ses bras et cela calma mes frissons. Il passa un bras dans mon dos et me conduisit tout en douceur jusque chez lui.
En arrivant dans son appartement, je ne pus m’empêcher de me mettre en boule dans un coin de son canapé. Je vis Antonin partir dans sa chambre et revenir avec un plaid. Il me le passa dessus avant de s’asseoir à côté de moi et de me reprendre dans ses bras.
— Tout va bien, me chuchota-il. Tu es en sécurité ici. Il ne t’arrivera rien.
Je me serrai un peu plus contre lui. Ce soir j’avais cette irrésistible envie de rester auprès de lui. Il n’y avait qu’à ses côtés que je me sentais entière, que je me sentais moi-même. Il était le seul qui ne cherchait pas à décider pour moi, il était le seul à m’accepter tel que j’étais vraiment, il était le seul à vouloir vraiment apprendre à me connaître.
— Qu’est-ce que tu faisais dans le coin si tard ? me demanda-t-il sans bouger d’un pouce.
— Je travaillais à l’école. J’ai un projet à préparer avec un garçon de ma promo.
Ma voix était enfin redevenue normale et le nœud dans ma gorge s’était dissipé. Être ici me faisait vraiment du bien.
— Et il ne pouvait pas te raccompagner ? Il ne pouvait pas réfléchir deux secondes avant de te laisser partir seule.
Je haussai les épaules. Même si Roman était un abruti quand il s’agissait des cours, je ne pense pas qu’il ait seulement pensé à ce qui pouvait m’arriver. Moi même ça ne m’était pas venu à l’esprit. Après tout, je n’avais jamais eu de problème lorsque je sortais la nuit pour taguer. Je n’imaginais pas que ça puisse m’arriver en rentrant chez moi et encore moins aussi proche des abords de l’école.
— Tu as mangé ? J’ai des restes de pâtes bolo dans mon frigo, on peut se les partager si ça te tente.
Ayant ses propres oreilles, mon ventre répondit à ma place à la proposition d’Antonin en émettant un gargouillement. Antonin me regarda devenir rouge pivoine avant d’éclater en fou rire. Il se leva et partit dans la cuisine nous préparer nos assiettes.
Je m’enroulai dans le plaid qu’il m’avait laissé et m’approchai du bar. J’admirai la photo posée dessus et qui avait déjà attiré mon œil la dernière fois que j’étais venue à l’intérieur.
— Elle est belle, n’est-ce pas ? me demanda Antonin en mettant à réchauffer la première assiette.
J’entendais dans sa voix à la fois une immense fierté mais aussi une pointe de nostalgie. Je levai la tête vers lui et vit qu’un fin sourire s’était installé sur ses lèvres.
— Elle est magnifique. C’est ta mère ?
Il hocha de la tête. Je me doutais de la réponse et du malaise que j’allais sûrement créer mais je voulais poser la question.
— Où est-elle maintenant ?
— Partie, se contenta-t-il de me répondre en me tendant une assiette.
Le sujet était encore douloureux. Je le comprenais. Même si les relations avec mes parents n’étaient pas aux beaux fixes, je ne sais pas comment je pourrais vivre sans eux. Je crois que le chagrin m’anéantirait.
On laissa tous les deux tomber ce sujet trop compliqué et nous retournâmes nous installer sur le canapé avec nos assiettes et une fourchette. Il alluma la télé et mit un film. Une comédie. Nous avions tous les deux besoin de ça pour nous changer les idées.
Je restai dans ses bras tout le reste de la soirée. J’y étais tellement bien que je crus m’y endormir plus d’une fois. Je parvenais tout juste à rouvrir les yeux avant que ma tête ne s’effondre totalement contre lui.
— Si tu ne veux toujours pas rentrer chez toi, je peux te prêter mon lit pour cette nuit.
Je ne savais pas trop quoi répondre à cette proposition. J’étais tellement bien là, chez lui, auprès de lui que je n’avais aucune envie que notre soirée s’arrête. Je ne voulais pas rentrer chez moi et me retrouver seule dans ma chambre comme je passais la majorité de mes soirées. Mais en même, j’avais l’impression qu’il avait déjà tellement fait pour moi, je ne voulais pas abuser un peu plus en restant chez lui même s’il ne s’agissait que d’une nuit.
— Je ne sais pas, je ne veux pas te déranger. Et puis je n’ai même pas de pyjama ou de quoi me changer.
— Tu ne me déranges pas. Je peux te prêter un short si tu veux ou quoi que ce soit d'autre.
— À la rigueur un tee-shirt. Ça sera mieux.
Il m’accompagna jusque dans sa chambre, fouilla dans son placard et finit par me tendre un ancien haut qu’il ne mettait plus d’après ses dires. Il m’indiqua la salle de bain et me laissa tranquille pour que je me change.
Je me déshabillai et enfilai son tee-shirt, ne gardant que ma culotte en-dessous. Comme je m’y attendais, il m’allait trop grand et me tombait à mi-cuisse. Je croisai les doigts pour que ça ne le dérange pas de me trouver dans cette tenue.
En sortant de la salle de bain, je le trouvai assis sur le lit, dos à la porte. Il était resté là au cas où j'aurais besoin de quelque chose. Je trouvai ça absolument adorable.
— Tu es sûr que ça ne te dérange pas que je dorme ici ? lui demandai-je une nouvelle fois le faisant se retourner vers moi.
Je vis ses yeux suivre les courbes de mon corps avant de vite remonter vers mon visage alors que le bout de ses oreilles devenaient rouges. J’étais tellement gênée et pourtant une sorte de satisfaction montait en moi. J’étais heureuse qu’il me regarde ainsi.
— Non, non t’en fait pas. Je dormirai sur le canapé. Alexis m’a toujours dit qu’il était très confortable, c’est l’occasion pour moi de voir s’il me dit la vérité.
— Tu es sûre ?
— Oui, oui ça ira. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis à côté. Et surtout n’hésite pas.
Je le regardai se lever du lit tandis que je m'installais sous les draps. Il me lança un dernier sourire avant de s’éloigner vers la porte. Je ne sais par quelle force les mots sortirent de ma bouche mais ils vinrent juste avant qu’il ne la referme derrière lui.
— Tu peux dormir avec moi si tu le souhaites.
J’avais vraiment osé. Je n’en revenais pas et lui non plus au vu du temps qu’il mit avant de repasser la tête par la porte. Il me regarda, un air très sérieux sur le visage qui me fit peur. Étais-je allée trop loin ?
— Tu es sûre de toi ? Je ne veux pas que tu me proposes ça parce que j’ai bien voulu t’héberger, ni parce que je t’ai aidé dans la rue avec le gars.
— Je sais, lui répondis-je à mon tour très sérieuse. Je ne te le propose pas pour te remercier, mais parce que j’en ai envie. J’ai envie que tu restes auprès de moi cette nuit.
Mes paroles semblèrent le convaincre puisqu’après une énième hésitation il accepta de revenir dans la chambre. Je me poussai d’un côté et le laissa s’installer à côté de moi. Il n’avait mis qu’un short pour se coucher et j’en profitai pour admirer les muscles de son dos puis les lignes de deux premiers abdos qui se dessinaient sur son ventre.
— Tu peux me prendre dans tes bras ?
Je me sentais pousser des ailes ce soir. Je ne sais pas si mon agression avait débloqué quelque chose en moi mais ce qui était sûr, c’est que je ne voulais plus perdre une seconde de ma vie. Je voulais en profiter et faire ce que je voulais.
Antonin ouvrit les bras et je me blottis contre lui profitant de la chaleur de son corps. Je posai ma tête au creux de son épaule et posai délicatement ma main sur son torse. Je sentais son coeur battre sous ma paume. C’est son battement lent et régulier qui me berça jusqu’à ce que je m’endorme contre lui.
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