Chapitre 11

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— Hey, tu ne prends pas le bus avec nous ? m’apostropha Emma alors que je m’apprêtais à changer de direction à la sortie des cours.

— Non, j’ai pris mon matériel je vais peindre aux terrains.

— Encore ? Tu sais que tu passes de plus en plus de temps là-bas et beaucoup moins avec nous ces temps-ci ? Tu ne viens même plus lorsqu’on sort le soir avec les autres de la classe, enchaîna Martin.

Si mes deux amis s’y mettait c’est que vraiment je commençais à les délaisser. D’habitude c’était Emma qui râlait seule, elle hurlait à la trahison dès que quelqu’un de son entourage refusait une de ses invitations ou préférait aller à une sortie organisée à l’avance plutôt que de la rejoindre. Elle était comme ça et on s’habituait à ses petites crises de jalousie. C’était même étrange qu’elle ne soit pas autant possessive avec Lucas. Mais fin bref, là n’était pas la question car si Martin commençait à se plaindre lui aussi c’est qu’il y avait une bonne raison.

— Je suis désolée, m’excusai-je, quand la fresque sera finie, promis je passerai plus de temps avec vous mais je dois d’abord la finir. Et puis promis à la prochaine soirée qui est organisée je viendrai avec vous, je ne me défilerai pas.

Je voyais bien que mes excuses ne leur convenaient pas entièrement malheureusement je n’avais rien d’autre à leur proposer pour l’instant. Il fallait qu’ils comprennent que ce projet aux terrains de basket comptait énormément pour moi, c’était la première fois que je pouvais librement m’exprimer en art et sur une aussi grande surface. Et puis, il fallait bien l’avouer, ça me permettait aussi de passer plus de temps avec Antonin. Cela faisait une semaine et trois jours qu’on sortait ensemble. Nous étions tous les deux d’accord pour officialiser notre relation après le samedi que nous avions passé ensemble. Alors c’est vrai que toutes les excuses étaient bonnes à prendre pour aller le retrouver.

— Très bien on te l’accorde, mais on te prévient, il faudra te rattraper.

— Promis ! Et vous savez, vous pourriez me suivre là-bas, je vous promets que c’est super. Il y a une super bonne ambiance et au moins vous pourriez voir Antonin.

Je terminai ma phrase en lançant un clin d'œil à Emma. Elle n’arrêtait pas de me harceler pour que je le lui présente. Si elle venait aux terrains ce serait beaucoup plus facile, enfin si on oubliait le problème Alexis. C’était toujours pareil avec lui, depuis qu’Antonin lui avait dit pour nous deux, on était passé à une nouvelle étape. Si avant il ne faisait que me descendre par petits coups bien dissimulés, maintenant il m’ignorait simplement. D’un côté c’était pas plus mal, je n’avais pas à essayer de passer outre ses remarques, d’un autre, je voyais bien que cette situation ne convenait pas du tout à Antonin. C’était son meilleur ami et on n'arrivait à s’entendre sur rien. Et même si c’était surtout de la faute d’Alexis, je n’y mettais plus du mien non plus, j’avais abandonné l’idée de faire ami-amie avec lui. Il était trop borné pour ça. J’espérais seulement qu’il finirait par comprendre que j’étais digne de confiance et que je ne comptais pas trahir Antonin. Je tenais beaucoup trop à lui pour ça.

Je saluai mes amis, leur promettant une nouvelle fois que je ferai des efforts pour plus sortir avec eux à l’avenir et je les laissai à l’arrêt de bus pour rejoindre les terrains de basket.

En m’approchant, je reconnus l’habituel son du rebond de ballon sur le sol. Au vu de l’intensité et de la rapidité avec laquelle je l’entendais s’écraser sur le sol, je me doutais qu’ils devaient être en plein match. Et bingo, j’avais raison. En cinq contre cinq, plusieurs jeunes étaient en train de s’affronter. Je les reconnus tous plus ou moins, ils étaient du coin. Ce n’était donc qu’un match amical entre eux, pas un qui appartenait à leur habituel tournoi.

Ils me dirent tous bonjour avant une de leur remise en jeu et alors que j’étais en train de m’installer au niveau du petit muret. Il ne me manquait que lui à finir et un seul gros dessin à faire. J’y étais presque et savoir que la fin était si proche me motivait encore plus.

Antonin et Alexis arrivèrent à leur tour. Alexis ne m'accorda pas un regard quand Antonin vint vers moi pour me dire bonjour. Je ne lui avais pas dit que je venais et j'étais plutôt contente de mon petit effet de surprise. Bien que j'avais très envie de rester blottie entre ses bras, je lui enjoignis de retourner avec son ami. J'avais encore du pain sur la planche et ne pouvait pas me laisser distraire. Il me vola un dernier baiser puis s'enfuit en courant vers Alexis. J'aimais cette âme d'enfant qu'il avait toujours et avec laquelle il jouait sans se préoccuper des regards extérieurs. Il ne réfléchissait pas, il était simplement lui-même, en toute circonstance.

Je continuais de peindre la fresque, jetant quelques coups d'œil sur le match qui se jouait derrière moi. C'était très serré et je n'étais même pas sûre qu'il s'arrêterait lorsque le sifflet de fin du match retentirait. Ils étaient tous férus de basket. Ils avaient cette même passion du jeu qui les unissait, je trouvais ça beau. Je pensais que c'était ça qui m'avait tant inspiré pour mon œuvre.

Je m'apprêtais à arrêter pour aujourd'hui, j'étais même en train de ranger mes bombes de peinture lorsque je vis cinq jeunes approcher des terrains. C'était la première fois que je les voyais dans le coin. Leurs têtes ne me disaient absolument rien. Surtout que je les aurais gardés en mémoire vu leur taille. Ils étaient tous immenses. De vrais géants, je ne pensais même pas que c'était possible, ils faisaient tous presque deux têtes de plus que moi. On les entendait rire depuis longtemps et je suis rien qu'à les entendre qu'ils n'étaient pas là en amis.

Je n'étais pas la seule à les avoir remarqué. Alexis et Antonin s'étaient eux aussi approchés. Ils étaient à quelques pas de moi, juste devant l'entrée des terrains. Je sentais toute la crispation et l’énervement des deux amis dans leur posture. Antonin avait sa veine sur le côté du front qui ressortait, je l’avais repéré que peu souvent pourtant j’avais bien compris qu’elle était visible seulement quand il était énervé ou excité.

— Et mais ne serait-ce pas notre petit Alexis ? demanda l’un des cinq jeunes qui approchaient.

C’était le plus grand et surtout celui qui me dégoûtait le plus. Il avait la tête d’un méchant de dessin animé avec son nez tordu et son menton saillant. Ses cheveux attachés en un petit chignon ridicule lui donnaient l’air d'un hippie sortit tout droit d’une cure de désintox. Bien que son teint pâle et ses yeux légèrement rouges laissaient plutôt penser qu’il devrait y aller.

— Qu’est-ce que tu fais là Simon ?

La voix d’Alexis était sans appel. C’était à se demander s’il n’allait pas lui sauter au cou pour l’égorger. Bon j’exagérais peut être un peu mais c’est vrai que le ton qu’il avait employé n’augurait rien de bon. Même avec moi, il n’était pas aussi méchant dans sa manière de parler.

— On passait dans le coin et on voulait voir ce que t’étais devenu. Pas grand chose à ce que je vois, se mit-il à rire accompagné de sa clique. Tu es la preuve qu’on peut être doué mais aussi très doué pour gâcher sa vie. Et dire que tu ne tiens ta déchéance qu’à toi, tu devrais…

— T’as bientôt fini ? le coupa Antonin. C’est pas que je m’ennuie mais j’ai pas que ça à foutre que d’écouter des conneries provenant de la bouche d’un connard dans ton genre.

C’était la première fois que je voyais Antonin dans cet état, être aussi vulgaire avec quelqu’un. Je ne comprenais pas tous les ressortissants de cette histoire mais j’avouais que le Simon, là, avait l’air d’être un bel abruti.

— T’es qui toi ? Son nouveau confident ? Fais attention, tu ne sais peut-être pas dans quoi tu te mêles. Ou peut-être que si justement.

Je venais de comprendre que Simon était l’ancien ami d’Alexis, celui qui avait parlé des secrets qu’il lui avait confié, celui qui l’avait trahi. Et les garçons derrière eux étaient ses anciens coéquipiers. Ils n’étaient pas là par hasard, ça ne faisait plus aucun doute à présent. Ils étaient venus exprès pour Alexis.

— Bon tu veux quoi Simon ? Sérieux, t’as rien de mieux à foutre que de venir ici ?

— Ah mais attend je suis venu pour une bonne raison. Je savais que tu faisais joujou à la balle ici et comme on vient de recruter ton remplaçant, on s’est dit que ça serait bien que tu le rencontres.

Un second garçon s’avança, moins grand que les autres, il dépassait quand même Alexis de plusieurs centimètres et s’il était nouveau comme le disait Simon, il avait le même air hautain et fier que les autres. Ça me dégoutait.

— Théo, se présenta-t-il simplement en lui tendant la main.

— Heureux de le savoir, contra Alexis sans faire un geste. Maintenant que c’est fait, vous pouvez y aller, c’est bon.

— Mais tu m’as mal compris, l’arrêta Simon. On veut que tu le rencontres sur le terrain. On est là pour te proposer un petit match amical comme on avait l’habitude d’en faire à l’époque, tu te souviens ?

— Sérieusement ? Et vous pensez qu’on va accepter ? commença Antonin. On n’a pas le temps de faire joujou avec vous.

— C’est d’accord, accepta Alexis d’un coup.

J’étais surprise qu’il accepte, comme Antonin j’aurai pensé qu’il préférerait éviter d’avoir à jouer contre ses anciens équipiers surtout vu leur relation actuelle. Et pourtant, il venait de dire oui. J’étais perplexe, était-ce vraiment une bonne idée ? Ces types-là n’avaient rien de gentils adversaires. Depuis qu’ils étaient là, ils n’avaient cherché qu’à faire sortir Alexis de ses gonds, les affronter ne serait sûrement pas une partie de plaisir.

— Rendez-vous ici samedi, continua-t-il. On vous attendra.

Simon fut satisfait de cette réponse vu le grand sourire qui déforma son visage, même ça s’était moche chez lui. Il les salua en posant deux doigts sur son front et en les levant puis s’en alla comme si de rien n’était avec le reste de son équipe.

Dès qu’ils furent hors de notre champ de vision, je vis les épaules d’Alexis s’affaisser alors qu’Antonin posait une main dessus. Cette rencontre avait déjà été dure pour lui, je ne préférai même pas imaginer le match que ça allait donner.

— Tu es sûr que c’était une bonne idée ? lui demanda Antonin.

Nous étions en train de nous écarter des terrains et avions pris la direction de la résidence. Je m’étais permise de les suivre après qu’Antonin m’ait fait signe de venir. J’avais tout entendu après, j’allais peut-être pouvoir leur donner mon avis. Peut-être que comme ça, Alexis allait pouvoir commencer à m’accorder sa confiance.

— Non… avoua-t-il en se prenant la tête entre les mains. Mais tu sais très bien que je ne pouvais pas refuser.

— Je sais oui, mais je ne suis pas sûre que ce match soit une meilleure chose. Tu sais très bien qu’on n’a pas le niveau pour les affronter.

— Je sais oui, mais c’est Simon. Tu sais très bien que je ne pouvais pas faire autrement, je n’ai jamais pu faire autrement avec lui. Il a toujours été celui qui décidait pour nous. Même aujourd’hui, je n’arrive pas à faire autrement.

— Ça viendra.

Les deux garçons relevèrent la tête surprise de m’entendre parler. Moi même je n’étais pas sûre de savoir pourquoi je les avais interrompu mais maintenant que c’était fait autant aller au bout de ma pensée.

— Je ne sais pas quelle était ta relation avec ce Simon mais de ce que j’en ai vu c’est un véritable connard, narcissique qui cherche à tout contrôler et à dominer. Ça ne m’étonnerait pas qu’il soit un aussi beau parleur qu’il soit provoquant, je suis persuadée qu’il arrive toujours à obtenir ce qu’il convoite d’une manière ou d’une autre, même avec toi. Et même si encore aujourd’hui c’est dur de lui tenir tête, ça viendra. Tu apprendras à ne plus du tout dépendre de lui, à faire tes propres choix, à complètement l’oublier. Tu es assez fort pour ça, n’en doute pas.

De la surprise, il était passé au choc. Et oui, malgré le fait que tu m’en fasses voir de toutes les couleurs depuis que j’ai débarqué ici, je t’apprécie, au moins un peu, et je n’aime pas te voir dans cet état. Surtout que je ne pouvais pas du tout me sentir ce Simon. Il était du genre à ne vivre qu’en se mettant au-dessus des autres et ce d’une manière ou d’une autre et je détestais ça. Il me faisait un peu penser à Roman et juste ça, ça me révulsait.

— Merci, bredouilla-t-il en me donnant un petit sourire triste, mon premier.

On avançait tous les deux ! Même si la situation était sans nul doute la pire de toute pour célébrer cette petite victoire, mon petit laïus avait au moins permis de briser la glace entre nous, chose non négligeable.

Je sentais que j’avais fait ma part avec mon discours, il fallait que je les laisse tous les deux en parler. Je savais que je n’avais pas l’histoire dans son intégralité et je comprenais qu’il ne voulait pas forcément me la raconter. Je fis un petit signe de la main à Antonin pour lui dire au revoir et les laissa à l’entrée de la résidence. Il était temps pour moi que je rentre aussi, que j’aille retrouver ceux qui comme Simon pour Alexis, décidaient pour moi de ce que je voulais faire. J’espère que comme lui, je finirai par trouver le courage et la force de leur dire non, de m’émanciper de leurs décisions. Je sentais que j’en étais capable, que pas grand chose me manquait pour réussir à leur tenir tête mais il me le manquait. Ce n’était pas grave, j’avais déjà attendu jusque là, je pouvais encore attendre. Rien n’était perdu, même pour moi.

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