Chapitre 12
J'avais fait exprès de venir tôt samedi. Je voulais être là avant que les hostilités commencent. Je voulais voir dans quel état était Alexis, voir si Antonin avait réussi à lui remonter le moral.
Quand j'arrivai, je les trouvais tous les deux avec trois autres jeunes sur les terrains. Voilà donc l'équipe qu'ils avaient composée. J'avais beau ne pas beaucoup m'y connaître, je reconnaissais ceux qui se débrouillaient le mieux. J'espérais vraiment que ça suffirait. Lorsqu’Antonin me vit, il vint directement me rejoindre.
— Comment ça s'annonce ?
— Pas très bien pour être franc. Alexis a du mal à se faire à l'idée qu'il va affronter son ancienne équipe. Ça a été très compliqué pour lui lorsqu'il a dû partir. Alors maintenant qu'il doit y faire face, il perd ses moyens.
— Et on ne peut rien faire pour l'aider ?
— Non, j'ai essayé de parler avec lui pendant toute la semaine, il n'y a rien à faire. On peut juste espérer que le match finisse vite et sans accroc.
On discuta encore un peu tous les deux avant qu'il ne retourne avec les autres. Je croisai les doigts pour que tout se passe bien. Leurs adversaires arrivèrent peu de temps après. Simon était en tête bien entendu. Cette fois-ci ce ne fut pas son air arrogant qui me sauta aux yeux mais plutôt le maillot de basket qu’il portait. Ils portaient tous le même d’ailleurs et il me suffit d’un seul regard pour reconnaître le logo représenté dessus. Il s’agit d’un raton laveur debout sur ses pattes arrière et dont l’une des griffes d’une patte avant est tendue vers le haut en direction d’une ampoule. Il s’agissait là de l'emblème d’Edison, l’école des prodiges. Je n’en revenais pas. Je ne pouvais même pas concevoir que ces abrutis faisaient partie de cette école et à aucun moment je n’avais imaginé qu’Alexis ait pû en être également. Ça me paraissait tellement fou. Pourtant il n’y avait plus aucun doute à avoir.
Ils s’avancèrent jusque sur le terrain où l’équipe d’Alexis et Antonin se mettait déjà en place. Ça crevait les yeux qu’aucun d’eux n’était serein. Alexis était peut être celui qui donnait le mieux le change mais je savais que ce n’était qu’une façade.
— Tu n’as rien trouvé de mieux ? se moqua Simon au centre du terrain pour le coup d'envoi.
Alexis ne se donna même pas la peine de répondre. Il avait raison, il fallait par tous les moyens qu’il réussisse à ne pas rentrer son jeu. C’était actuellement la meilleure chose à faire. Même si je me doutais que toute la durée du match allait se passer sur la même lancée de moqueries et de critiques.
Les terrains étaient étrangement silencieux. Nous étions les seuls présents. Antonin et Alexis avaient demandé à ceux qui ne jouaient pas de ne pas venir aux terrains aujourd’hui. Je n’avais aucune idée de si c’était une bonne idée. Oui personne n’allait voir la défaite qu’ils allaient prendre, car oui tout le monde savait qu’ils allaient perdre, mais ça aurait été bien qu’il y ait du monde pour les encourager. Ce n’était pas moi toute seule qui allait réussir à les faire tenir bon face à ces “prodiges”.
L’envoie du match fut bien sûr remporté par l’équipe d’Edison. Simon était un géant, bien plus que tous les autres membres de son équipe et encore plus que ceux de l’équipe alignée par Alexis. Et il en jouait.
Il tentait tout comme ses coéquipiers de faire leur passe uniquement en hauteur s’amusant à lober les autres comme s’il s’agissait de vulgaire enfant face à eux. Je les détestais encore plus d’agir ainsi. Je savais que ce match n’était qu’une façon de s’amuser pour eux sauf que là ils ne cherchaient qu’à les humilier. Ils ne cherchaient même pas à marquer des paniers, comme si ce n’était que secondaire dans un match, ils voulaient juste les voir se démener pour essayer de reprendre le dessus.
Ils furent étonnés tout comme moi qui lâcha un hoquet de surprise lorsque dans une accélération soudaine Antonin parvint à récupérer le ballon et à partir en contre vers le panier adverse. Seul Alexis semblait l’avoir vu venir car il suivait Antonin de près. Il n’avait pas douté une seule seconde de son ami. Il avait su à l’avance qu’il parviendrait à leur voler le ballon.
Il fallait dire que moi même je l’avais déjà vu faire. Antonin était un très bon sprinter. Il pouvait taper de ces accélérations éclairs quand on s’y attendait le moins. Sa vitesse était ce qui le démarquait des autres et qui lui permettait de prendre l’ascendant sur ses adversaires. Enfin d’habitude… Là ils affrontaient les prodiges d’Edison, on était loin des matchs de quartier qu’ils organisaient habituellement. Même après la surprise qu’ils avaient tous eu, ils s’étaient rapidement repris et étaient descendus en défense en un temps record.
Simon avait rapidement rattrapé son retard. Ses grandes jambes lui permirent de revenir rapidement sur Antonin qui malgré tout sauta pour tenter un shoot. Simon qui arrivait à fond sur lui sauta en avant pour le bloquer. Antonin le vit faire et au dernier moment changea son orientation et fit finalement une passe à Alexis qui en profita pour tirer et ouvrir le score avec un panier à trois points.
Je me mis à applaudir comme une folle et à les encourager. J’eu le droit au regard noir de Simon que je soutins. Il était hors de question qu’il me déstabilise. J’étais là pour encourager mes amis, et mon copain au passage, et ce n’était pas lui qui allait me faire peur et m’en empêcher.
La partie reprit et la tension générale avait bien changé. De s’être pris aussi bêtement un panier avait modifié la façon dont les prodiges voyaient le match. Ils avaient beau avoir un niveau supérieur, ils ne pouvaient pas prendre le match à la légère sinon ils risquaient de se faire avoir de la même façon. Le contraire était arrivé à l’équipe d’Alexis et Antonin, ce premier panier les avait surmotivés. Ils étaient capables de marquer des points même face à cette équipe très douée donc ils allaient encore plus se donner. Ils ne comptaient pas abandonner le match, chaque point marqué était une victoire pour eux.
Je les encourageai à chaque passe réussi, chaque attaque adverse arrêtée et même lorsqu’ils ne parvenaient pas à finir leurs propres attaques. Ils étaient en train de se surpasser et juste pour ça ils méritaient tous les encouragements possibles et tout le respect possible. En ce moment, ils étaient des monstres du basket.
Mais tout changea à la deuxième mi-temps. Ils avaient décidé en amont qu’ils ne feraient que deux mi-temps de quinze minutes plutôt que les quatre quart temps de dix minutes habituels. Ce match raccourci suffisait amplement, surtout au vu de cette seconde mi-temps qui s’annonçait.
Les prodiges menaient trente et un à dix-neuf. Les jeunes d’ici n’étaient pas bidons loin de là, ils s’étaient défendus comme des lions pendant toute la première partie du match. C’est justement ce qui me faisait peur. Ils n’avaient jamais joué avec autant d’intensité et là, ils étaient déjà tous crevés alors qu’ils devaient encore jouer quinze minutes. Je m’inquiétais surtout pour Alexis. Il boitait alors que son teint presque livide n’annonçait rien de bon. J’avais l’impression que la pause n’avait servi à rien. Il revenait sur le terrain encore plus mort que lorsqu’il en était sorti. Je vis Antonin lui chuchoter quelques mots et Alexis lui répondre par un hochement négatif de la tête avant d’aller se mettre en position pour le nouvel envoie.
Comme je m’y attendais, cette seconde mi-temps fut loin des exploits réalisé à la première et rapidement les prodiges prirent le dessus alors qu’ils se remettaient à les narguer avec des passements inutiles qui ne servaient qu’à faire rire les autres. Malheureusement cette fois, plus personne n’avait la force de s’interposer comme l’avait fait Antonin au début du match. Même lui, je le voyais en train de souffler. Ils étaient épuisés.
La fin du match approchait. Il ne restait plus que quelques secondes à jouer et les prodiges étaient en train de gagner quatre-vingt six à vingt sept. C’était pour dire la raclée qu’ils avaient prise lors de cette seconde mi-temps. Pourtant ce fut Alexis qui cette fois eut un coup de maître et réussit à récupérer le ballon. Il parvint à dribbler deux joueurs sans réelles difficultées. Il ne lui restait plus que Simon à devoir passer. Il était le seul rempart face au panier alors que les secondes défilaient et qu’il n’en restait plus qu’une poignée avant la fin. Il parvint à le bluffer. Il partit dans une direction avant de complètement changer d’appuis pour changer de direction, chose auquel ne s’attendait pas Simon qui fut pris à contre pied et ne put suivre Alexis. Ce dernier en profita pour prendre position et sauta pour tirer le dernier panier de cette compétition. Je restai béate alors qu’il ne décolla pas du sol et qu’à la place il s’effondra par terre, le visage tiré par la douleur.
Le chrono se mit à sonner annonçant la fin du match. Je me précipitai sur le terrain pour m’approcher d’Alexis. Antonin avait été le premier sur lui à s’agenouiller à ses côtés rapidement suivi des autres membres de l’équipe.
— Et bien… s’approcha Simon. Je ne sais pas à quoi je m’attendais mais clairement à mieux que ça. Tu n’es plus rien il semblerait, s’adressa-t-il à Alexis. Même plus capable de tenir sur tes jambes ou plutôt ce qu’il en reste. Après tout, t'étais déjà mieux à genoux à l’époque, continua-t-il en riant.
Je n’avais qu’une envie : me lever, lui mettre mon point dans sa gueule mal faite et l'insulter par tout ce qui me viendrait à l’esprit, mais je savais que ce n’était pas une bonne idée.
— Allez on y va les gars y a plus rien à voir ici, seulement des ratés, remit-il une couche avant de partir et d’entraîner sa clique avec lui.
L’air se détendit un peu autour de nous. De les savoir loin rasséréna un peu tout le monde. Enfin qu’à moitié, Alexis était toujours au sol et il ne semblait pas prêt de se relever. Surtout que les dernières phrases de Simon semblaient l’avoir encore plus amoché que le match qu’il venait de faire.
— Merci les gars d’être venus, vous pouvez y aller maintenant. On reparlera du match un peu plus tard, les congédia Antonin.
Personne ne le prit mal. Loin de là même, il semblait tous comprendre ce qui se passait. J’étais la seule laissée dans le flou de cette fin de match. Alors j’attendis. Je restai auprès d’Alexis et Antonin qui s’était assis au côté de son ami et qui attendait patiemment que ce soit lui qui brise le silence.
— Je vais bien, finit-il par dire sans pour autant lâcher le sol des yeux.
— Oui, bien sûr, je te crois t’en fait pas, répondit Antonin. Tu devrais essayer de me le redire avec un peu plus d'enthousiasme.
— Au moins c’est fini.
— Pour l'instant oui mais on sait tous les deux que Simon reviendra. C'est un pervers narcissique, il ne va pas te laisser comme ça surtout quand il voit comment ça t'atteint toujours.
— Je n'arrive pas à faire autrement, se plaignit Alexis.
— Je sais et ce n'était pas une critique. Mais il serait temps que tu apprennes à revivre pour toi. Tu ne peux pas continuer comme ça, ton accident est en train de te pourrir la vie.
Mes yeux écarquillés durent trahir ma surprise. Je n’avais jamais entendu parler d’un accident.
— Tu l’aurais appris d’une façon ou d’une autre à un moment, se résigna Alexis.
Il attrapa les pans de son pantalon et les remonta sur sa jambe droite. Jamais je n'aurais pu imaginer une telle chose. Je n’en revenais pas. Du pied jusqu’au genou, sa jambe n’était qu’une prothèse en métal. Tu m'étonnes qu’il se soit écroulé à la fin jamais une telle prothèse devait être faite pour faire autant de sport.
— Tu devrais refermer ta bouche avant de gober une mouche, me railla-t-il.
— Comment c’est arrivé ?
— D’abord trop de sport qui m’ont mis les os en vrac pendant ma croissance et puis un coup de batte bien placé d’un ex à ma mère qui a réussi à me briser l’ensemble.
Je portais mes mains à ma bouche. Alexis m’annonçait cela avec tellement de désinvolture comme si ça ne le touchait pas alors qu’on parlait de quelque chose qui lui avait valu de perdre sa jambe. Ce sont les larmes au coin de ses yeux ainsi que ses doigts crispés contre le tissu de son pantalon qui me firent comprendre le masque qu’il portait, qu’il portait en permanence.
— Alexis… Je suis désolée.
— Ne le sois pas. Cet accident m’a juste coûté ma carrière. Et puis, ça m’a aussi permis de m’éloigner de mes coéquipiers toxiques. Finalement c’est un mal pour un bien.
Je voyais bien qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il me racontait. Il essayait surtout de se convaincre lui-même des bienfaits de sa perte mais il n’y en avait aucun. Aucun qui pouvait rivaliser avec ce qu’il avait perdu.
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