Au moment où Mme SKy s'apprête à parler, elle aperçoit Monsieur Thomas au premier rang. Il la fixe, la tête et les épaules projetées vers l'avant, la bouche ouverte, ses grands yeux sur le point de sortir de leurs orbites. Le noeud de sa cravate est tellement serré qu'on pourrait croire qu'elle essaye de l'étrangler, mais non : elle se contente de réduire à néant le potentiel séducteur du personnage en arborant le portrait d'un chat. En le voyant ainsi pendu à ses lèvres, Caroline SKy a un sursaut de dégoût qui lui fait reprendre ses esprits.

Le choc des annonces passé, l'accusée est à nouveau en pleine possession de ses moyens. La position humiliante dans laquelle elle s'est sentie acculée en dit finalement plus long sur cette foule que sur elle-même. Hommes et femmes se sont entassés ici, drapés dans leur morale et leurs interdits, pour entendre par le menu les récits croustillants des jouissances auxquelles ils aimeraient en réalité tous avoir le courage de s'adonner, Monsieur Thomas en tête. Avant de commencer à parler, elle prend donc quelques secondes pour déterminer à qui elle a exactement affaire. La meilleure manière de leur répondre commence par faire mariner ces honnêtes gens, les faire saliver d'envie et faire cavaler leur imagination, anticipant les récits dont ils sont venus s'abreuver pour ensuite mieux les condamner et les raconter à tout-va.

Avec une contenance qui frôle l'insolence, l'accusée parcourt à nouveau l'assemblée des yeux. Elle n'appréhende plus cette foule comme la masse d'anonymes agressifs dont elle avait peur quelques secondes plus tôt, mais comme un album de photos truffé de vieilles bouilles à reconnaître. En dévisageant ceux qui se positionnent en braves justiciers face à elle, Caroline atteste qu'il en faudra bien plus pour l'intimider et la soumettre.

Parmi les redresseurs de torts venus s'entasser sur les bancs du tribunal, elle reconnaît quelques têtes très familières. Elle réalise à ce moment là qu'on lui demande ce qu'elle fait sous la cascade aux petites heures du matin, l'unique moment où elle se baigne en général seule. Est-ce une ruse, une entrée en matière, un petit amuse-bouche ?