8. La place publique

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Caroline SKy est maintenant tournée face au juge. Elle le regarde droit dans les yeux, ouvre la bouche pour parler et se ravise à nouveau. De son box d'apparence si inconfortable, elle prend son temps pour réfléchir : "Oooooh! Mon petit juge s'impatiente ! Tu sais que tu es chouquinet, toi ? On dirait un enfant de cinq ans qui fait sa crise devant la vitrine du confiseur. Tu n'es pas du tout mon type par contre. Heureusement que tu t'effaces sous ta robe de fonction dont le mérite principal est de nous épargner ton être repoussant. Cette étoffe difforme est un rempart qui nous rend à tous un fier service !"

Caroline décroise les jambes pour les entrelacer dans l'autre sens, livrant dans la manoeuvre un bout de cuisse dénudé à un public en apnée. Dans la salle, on pourrait entendre une mouche voler, tant la foule est suspendue aux lèvres de cette femme aussi scandaleuse que fascinante. Les uns cherchent à entendre ou à réentendre les récits de ses comportements révoltants, les autres espèrent qu'elle ne dévoilera pas ce qui n'a pas lieu de sortir du cadre intime. Beaucoup espèrent que la fente de sa robe va continuer à s'ouvrir et peut-être livrer une preuve accablante des moeurs honteuses de l'accusée. Calmement et avec déférence, Madame SKy réajuste le vêtement jusqu'à ses genoux, au grand dam de la foule de curieux venus voir un jugement comme d'autres vont à l'opéra.

Avant d'entrer dans ce tribunal, Caroline croyait qu'on lui reprochait son oisiveté. On allait lui dire qu'elle ne pouvait espérer vivre aux crochets de la société. En réponse, elle leur démontrerait sa parfaite autonomie, grâce à un beau potager qu'elle entretenait et qui la nourrissait et à une minuscule maison - un héritage - qui lui offrait un toit modeste, mais amplement suffisant pour elle seule. On allait lui dire que "oui, mais si elle tombait malade". Elle rétorquerait qu'on ne pouvait pas la condamner en prévention d'un crime qu'elle n'avait pas encore commis. En outre, sans être médecin, c'était elle qui soignait les gens avec les herbes de son potager et les recettes que sa grand-tante lui avait léguées. Devant une absence totale d'objet, elle ressortirait libre après avoir perdu quelques heures de sa vie à se faire chercher des poux par des gens qui n'avaient rien de mieux à faire de leur temps.

Mais l'histoire avait pris une tournure inattendue. Ils étaient plus tordus que prévu et elle s'était faite surprendre. Placer des caméras au pied de la cascade pour ensuite... pour ensuite quoi au juste ? L'inculper pour attentat à la pudeur ? Caroline réalisait qu'on ne lui avait pas énuméré les chefs d'accusation. Elle avait sûrement transgressé leur morale, mais elle n'avait pas enfreint la loi. Essayaient-ils de l'intimider dans le but de lui faire décrire par le menu ce qu'elle n'avait en réalité pas à exposer ?

L'accusée se sent comme la vierge qu'on aurait, en son temps, offert en sacrifice pour attirer les faveurs du ciel et assurer de bonnes récoltes à la tribu. À la différence qu'ici, ce ne sont pas les dieux que l'on cherche à amadouer par son humiliation sur la place publique, mais le public lui-même. Les magistrats et leurs amis les plus vertueux se sont bien rincé l'oeil. Pour justifier leur travail acharné, toutes leurs heures supplémentaires et leur utilité fondamentale pour la bonne marche de la communauté, ils ont eu la bonne et généreuse idée de lancer quelques miettes fumantes et croustillantes aux oreilles des honnêtes gens dont les impôts ont financé le long et dur labeur nécessaire à l'enquête, caméras amphibies et mouchoirs compris. Cette offrande aura en outre l'avantage de maintenir l'ordre en place, donnant d'un côté l'illusion que la justice fait son travail, et dissuadant, de l'autre côté, les éventuels candidats à l'émancipation de dévier du droit chemin par crainte d'aboutir, à leur tour, dans ce box.

Caroline aurait bien besoin de prendre le temps de digérer tout ça et d'affiner sa stratégie. Sa tête bouillonne de questionnements. Il lui faut en priorité déterminer avec précision qui est de son côté dans cette affaire, quelles preuves ils ont réellement en leur possession, pourquoi aucune des femmes qu'elle a connues n'est dans la salle... et en premier chef : de quoi est-elle exactement accusée.

Alors que le juge la somme encore une fois de parler, l'accusée prend la parole :

- Votre Honneur,

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