Lorsque je revins dans ce même monde par l'entremise de mes songes, ce fut pour retrouver Liam, le jeune héritier du duché de Nalavas. Il assistait à un rassemblement. Tout me sembla d'abord confus : il y avait des cris et de nombreuses conversations agitées. Je sentais mon hôte assez nerveux et je ne tardais pas à en découvrir la raison.

— Messieurs ! Un peu de calme ! Je comprends que cette annonce vous inquiète, mais il ne s'agit pour le moment que d'un cas isolé. Nous n'avons d'ailleurs aucune victime à déplorer. Je le répète : l'équipage est revenu secoué mais sain et sauf. Nous ne ferons plus de patrouille dans le secteur au nom du principe de précaution.

Plus de patrouille ? L'inquiétude de Liam grandit d'autant plus. Les duchés ne devaient en aucun cas se priver d'une si précieuse source d'informations pour seulement satisfaire l'opinion publique ! Ils s'apprêtaient à entrer en guerre de toute façon, contre l'ennemi le plus terrible de l'Histoire. Il se fraya un chemin dans la foule jusqu'auprès de l'estrade.

— Et qu'en pense le Haut Duc ?

— Je ne pense pas que cela vous regarde, jeune homme.

— Je pense alors que vous pensez bien peu. En tant qu'héritier des Nalavas il est de mon devoir de soulever certaines questions. Comment nous tiendrons-nous informés de ce qui se passe si nous abandonnons notre seule source de renseignements ?

J'entendis derrière moi des murmures. Approbateurs, pour la plupart. Celui qui nous faisait l'annonce des événements vrilla son regard dans le mien, une pointe d'agacement bien visible derrière le respect qu'il se devait de montrer.

— Je voulais simplement dire que certaines informations ne peuvent pas et ne seront donc pas dévoilées ici. Si vous estimez que vous devez en savoir plus, adressez-vous directement à votre père.

— Croyez bien que je n'y manquerais pas, rétorquais-je, buté.

Il y eut ensuite de l'agitation dans la salle. Des questions fusèrent, mais Liam avait l'esprit ailleurs. Il s'éloigna de l'estrade et, perdu dans ses réflexions, heurta quelqu'un. Il s'excusa, confus, puis repris sa route sans même avoir remarqué qu'il venait de bousculer Elaine. A ce moment, je fus comme chassé du corps de Liam et me retrouvais suspendu dans les airs, comme un fantôme, invisible aux yeux de tous et de nouveau pleinement moi-même. La confusion, la colère, la frustration me quittèrent et je me rendis soudain compte que je n'était plus un adolescent.

Mon attention resta braquée sur Elaine, que je voyais pour la première fois sans le filtre des sentiments de Liam. Si elle n'avait pas été un rêve, j'en serais moi aussi tombé éperdument amoureux tant elle était belle, même si pour le moment la surprise teintait comiquement ses traits. Elle suivi Liam du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse. J'aurais aimé vivre cet instant comme avec les autres personnages de mes songes, mais je n'avais pas accès à ses pensées. Son attention se reporta toutefois sur la salle et, bien malgré moi, la mienne aussi. Je contemplais cette foule rassemblée ici et une vague d'incertitude m’envahit. Comment ces enfants pouvaient-ils espérer vaincre le Nécromancien ? J'avais vu la forteresse, senti la peur nouer les entrailles des soldats et d'autres, comme Ange Grissort, vu la terreur sourde que cela provoquait chez les plus grands conjurateurs.

Ces pensées en tête, l'angoisse commençait à m'étouffer et je savais que, privé d'un hôte, j'allais être chassé de ce monde comme du sommeil sous peu. Je n'eut le temps que d'entendre une alarme et d'observer les premiers effets de celle-ci sur la foule avant de me réveiller.

Tous firent silence, écoutant cette alerte avec une gravité non feinte. La salle se vida rapidement, sous le regard d'Elaine qui captait les émotions des élèves, de ces jeunes croisés qui allaient peut-être vivre leur première bataille. Le regard de la jeune femme s'illumina soudain d'une lueur d'inquiétude, elle fit volte face, quitta la salle et moi le rêve.