Genèse d'un monstre
Usant de son pouvoir, le Nécromancien m'imposa une vision. Difficile de dire si c'était la vérité, peut-être était-ce simplement la sienne. En tout cas, le rêve devint soudain un autre rêve, complètement différent. Je voyais des événements en accéléré tandis que le terrible magicien se tenait à côté de moi et me racontait son histoire.
— Je suis né dans le nord, dans une famille bourgeoise. J'aurais pu vivre une vie simple et banale. Mais j'avais un don innée pour les arts occultes et je fus admis dans une école de sorcellerie et plus tard à l'Université toute récente de Nalavas.
Je tiquais à ce moment, ce qui arracha un léger rictus au monstre qui me racontait son enfance.
— Je fus diplômé avec les honneurs, me conta t-il pendant que la cérémonie se déroulait sous nos yeux, et je devins rapidement un homme respecté. Mon travail consista pendant un temps à tenter d'améliorer le sort des indigents. C'est à cette occasion que, faute de mieux, je mettais au point cet « artifice » qui permet de voir au travers des yeux d'un autre. J'ai permis à des aveugles de naissance de contempler le ciel bleu, de voir les visages de leurs êtres chers. Et plus tard, j'ai même mis au point de bien meilleures méthodes. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais nous ne sommes pas là pour me jeter des fleurs.
Liam voulu ironiquement le féliciter pour sa modestie, mais il ne pouvait de nouveau plus ouvrir la bouche.
— Quoi qu'il en soit, les Duchés, fondés seulement quelques générations avant ma naissance, devaient bientôt faire face à une menace que nos peuples avaient fui par le passé. Au sud, plusieurs grandes cités-état dominées par des clans de Sorcières très puissantes avaient eut vent, malgré toutes nos précautions, de l'existence de notre nation.
— Je connais... parvint à siffler Liam entre ses dents.
Cet épisode de l'histoire était très connue, elle avait vu la naissance des plus grands magiciens de l'histoire. Le Nécromancien aurait-il été l'un d'entre eux ? Cette théorie courrait encore, mais ne trouvait que difficilement d'explications rationnelles. Comme si le mage noir entendait ses pensées, il poursuivit :
— Oui, je devins l'un des Grands. Je fus envoyé combattre pour protéger notre peuple. Cette guerre fut longue et atroce. Jamais je n'aurais cru que mon art pouvais être utilisé ainsi.
Liam assista à des scènes de batailles entre la chevalerie ducale et des armées étrangères. Dans certaines d'entre elles, des silhouettes fusaient dans les airs, juchées sur des objets volants improbables. Les hommes des duchés, souvent moins nombreux, compensaient par une discipline martiale et un équipement supérieur.
— Les combats s'étalèrent sur des mois. Heureusement pour nous, les populations qui subissaient le joug des sorcières depuis des générations nous accueillirent presque partout en libérateurs. Dans le sud, la campagne dura près de trois ans. Acculées, les sorcières prirent la fuite. Nous n'ignorions pas qu'un schisme avait eu lieu bien des années avant et qu'un puissant clan de ces femmes régnait désormais sur les terres du nord et qu'elles y forgeaient un puissant empire. Nos pires craintes se révélèrent justes.
Les paysages défilèrent sous les yeux de Liam à grande vitesse, laissant les côtes chaudes et exotiques du sud pour les landes des lointaines côtes de l'est.
— Nous avions tous été instruits de nombreux Grands Secrets, continua t-il, et la guerre nous avait permis d'en apprendre d'autres. Si nous savions à présent nous déplacer à la façon des sorcières, en volant sur des objets ensorcelés, nous n'avions pas leur maîtrise, et le gros de nos troupes en était incapable. Nous laissâmes certains des nôtres en arrière pour défendre ce que nous appelâmes les Cités Libres et les plus puissants d'entre nous se précipitèrent vers le nord. Nous prîmes la difficile décision de porter le combat contre l'empire plutôt que de rentrer chez nous et défendre nos terres. Notre choix se révélât judicieux.
D'un geste, le narrateur fit disparaître l'illusion.
— Vois-tu, continua t-il comme si de rien n'était, le conflit entre les sorcières ne datait pas de la veille, mais la matriarche du nord connaissait un ou plusieurs Grands Secret qui lui conférait, sinon l’immortalité, au moins une espérance de vie extrêmement grande. Elle gardait donc en mémoire l'exil de son clan et entretenait une rancœur contre ses consœurs méridionales. De plus, occupées qu'elles étaient à bâtir leur empire, elles avait totalement ignoré l'existence des Duchés et la guerre dans le sud. L'arrivée de leurs anciennes ennemies, venues quémander leur aide, avait donné lieu à divers malentendus qui jouèrent en notre faveur. Je dirigeais une partie des mages vers les villes de la côte, tandis que mes camarades prenaient place dans les villes en périphérie de la capitale. Les combats furent rapides et gagnés facilement. Mais il se produisit alors quelque chose qui risquait de compromettre notre opération et qui me mit passablement en colère.
En effet, même si ce souvenir datait de plusieurs siècles, sa seule évocation suffit à faire frémir mon voisin de table.
— Jugeant que nous avions prit un risque inconsidéré, que nous étions allés au delà des ordres que nous avions reçus, les duchés on fait rapatrier toutes les troupes. Les chevaliers comme les troupes régulières et même les hommes volontairement engagés dans les Cités Libres furent renvoyés chez eux. Mes frères d'armes et moi n'apprîmes la nouvelle que plusieurs jours après le début des véritables affrontements. Nous pensions que nous étions perdus : privés d'armées et surtout, privés de nos chevaliers, nos plus précieux hommes dans ce combat, nous n'avions plus d'autres choix que de battre en retraite.
— Vous étiez entrés en guerre contre une nation en paix avec les Duchés !
Le nécromancien eut un rire que j'aurais aimé qualifier de mauvais, mais il sonna simplement désabusé à mes oreilles.
— C'est donc ça que l'on vous inculque à l'école. N'as-tu donc pas écouté mon récit ? L'empire du nord ignorait l'existence des duchés ! C'est la seule et unique raison pour laquelle nous étions en paix. Dès que les sorcières du nord on appris notre existence, elles n'ont plus eut qu'un but : nous détruire. Et c'est bien compréhensible, nous avions prouvé que nous étions capable de les atteindre, de les détruire elles ! Jamais une nation aussi grande et puissante que la leur ne tolérerais d'avoir un voisin si dangereux. Leur clan, le plus puissant de tous, se devait de nous réduire au silence, de nous réduire à rien tant que nous étions affaiblis par notre campagne et divisés à cause de la décision du Haut-Duc de nous retirer son soutient et celui de nos armées.
— Ce n'est pas ce que l'histoire nous dit.
— C'est pourtant la vérité, répliqua le Nécromancien avec fougue. Nous décidâmes de continuer le combat malgré tout. Nous savions que nous retirer signerais notre fin et celle des duchés. Sans nous, aucune armée, pas même celle des chevaliers, ne viendrait à bout d'un clan aussi puissant de ces sorcières. Elle commandaient aux éléments et au Temps lui-même, dans une certaine mesure. Aidés par les gens du nord, fatigués de ces sorcières étrangères et arrogantes venues les gouverner, nous parvînmes à conserver nos positions. Usant de toute notre ruse et de tous nos pouvoirs, nous infiltrâmes la capitale et nous menâmes le combat final au cœur même du palais.
Une nouvelle illusion s'imposa à Liam, et moi je regardais à travers ses yeux un palais élégant, doté d'une tour ronde, immense, semblable par son style au clocher d'une église gothique. J'y voyais à l'intérieur des éclairs et de la fumée s'échappait de nombreux endroits. Nous avançâmes vers la tour, comme si nous flottions dans les airs, jusqu'à pénétrer dans une pièce immense, respirant la magie à plein nez. Il s'y déroulait un combat acharné entre une puissante sorcière, une femme immensément belle, et un jeune homme d'aspect sévère.
— Est-ce vous ? questionna Liam, mais le magicien à ses côté ne répondit pas.
D'autre combats se déroulaient dans la salle, dans les airs alentours et Liam aurait juré sentir les vibrations de combats se déroulant dans les étages inférieurs.
— Nous étions nombreux à nous lancer dans la bataille, reprit soudain le Nécromancien. Plus d'un millier. À ce stade, nous n'étions déjà plus qu'une trentaine.
Soudain, la grande sorcière expulsa le jeune homme qui lui faisait face. Il heurta violemment un pilier avant de passer au travers d'une ouverture. Il alla s'écraser au pied de l'édifice.
— La matriarche semblait invincible. Elle tirait son pouvoir de toutes celles qui la servaient, en plus d'être elle-même aussi puissante que les plus forts d'entre-nous.
Les combats continuèrent, il y eut encore des morts, des deux côtés. Mais bientôt, il ne resta plus que la matriarche pour faire face à une vingtaine d'adversaires épuisés mais déterminés.
— Ils sont tous là. Je les reconnais ! s'exclama Liam. Les Grands Magiciens.
— Oui, les seize.
Liam compta rapidement. Il n'y avait pas seize, mais vingt personnes qui faisaient face à la matriarche, qui l'encerclaient, l'acculaient petit à petit vers sa fin. Mais elle porta la main à son cou, s'emparant d'un objet, sans doute un collier et malgré le déluge d'énergie et de sortilèges qui déferla sur elle, une énorme vague de pouvoir balaya toute la salle. Après quoi, elle se tint seule, debout au milieu de la pièce, contemplant ses ennemis vaincus. Quatre d'entre eux chutaient en ce moment même vers leur mort inéluctable. Vidée de ses forces, elle s'assit sur son trône. C'est là qu'un de ses adversaires, protégé de la déferlante de pouvoir déchaînée contre eux par ce même trône, lui enfonça dans la gorge un long poignard.
— Là, c'est vous.
— Toujours pas, s’amusa le Nécromancien. Tu veux absolument me salir les mains avec le sang de cette femme. Trop belle pour être mauvaise, pas vrai ? Tu es jeune... Non, moi je suis là, inconscient.
Il désigna un corps inanimé. Liam se rappela son visage, contempla celui du Nécromancien qui lui faisait de nouveau face, l'illusion se dissipant.
— J'ai vécu longtemps depuis cette époque. Jusqu’à changer de corps et de visage. Mais c'était bien moi.
— Que s'est-il passé ensuite ?
— Les duchés nous ont accueillit en héros lors de notre retour. La population nous portait aux nues, ce qui n'était pas du goût de tout le monde. Nous fûmes assignés à résidence et surveillés pendant des années. Cela nous déplaisait, bien sûr, mais nous supportâmes ce traitement, par pure loyauté. Grâce à nous, l'avenir des duchés était assuré, nous avions désormais des partenaires commerciaux au sud et à l'est. Malgré tout cela, le pouvoir se méfiait de nous. Trois d'entre nous moururent jeunes. Mes compagnons et moi comprîmes que quelques chose n'allait pas. Des sorciers de leur envergure n'auraient pas du mourir aussi tôt. Nous menâmes une enquête et la vérité acheva de nous rendre furieux : ils avaient été assassinés.
— Assassinés ? Les Grands ? Par qui ? Et pourquoi ?
— Sur ordre du Haut-Duc naturellement : il avait trop peur de nous. C'était un avertissement. Par la suite, deux autres furent également assassinés, et nous ne pouvions rien faire. Après tant d'années cloîtrés, le peuple nous avait oublié. Certains disaient même que nous refusions d'utiliser nos pouvoirs autrement que pour faire fortune auprès des puissants. En réalité, nous n'avions plus le droit de sortir de chez nous. Je suis cependant resté fidèle aux duchés. Ce ne fut pas le cas de mes camarades. Neuf d'entre eux tentèrent un coup d'état, mais échouèrent. Le Haut-Duc s'était entourés de nombreux excellent sorciers et il avait pris soin de prendre tout les renseignements utiles pour nous neutraliser. Nos vrais noms, entre autres choses.
— Personnes ne m'a jamais parlé de ça.
— Bien sûr que non. Mes camarades furent exécutés dans le plus grand secret. Leur mort aurait soulevé trop de questions. Quand à moi, j'eus alors l'intelligence de partir vers le nord, après en avoir obtenu l'autorisation, pour, prétendis-je, soutenir mon duc et vivre mes dernières années sur mes terres natales. Le temps passa, le Haut-Duc mourut, mais son successeur ne changea pas de politique à notre sujet. A presque quatre-vingts ans, j'en paraissait quarante et je ne voulait pas vivre encore ainsi éternellement. C'est alors que je mis mon plan à exécution : je commençais à me vieillir par magie et à me plaindre régulièrement de problèmes de santé, relevant de la sorcellerie et des combats menés dans le passé. Trois ans plus tard, j'étais mort. Enfin, tout le monde le cru.
Liam se vit proposer et non imposer une nouvelle illusion, qu'il accepta avec méfiance. Il assista alors à l'enterrement de l'un des Grands.
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