(La scène va être divisée en deux. Côté jardin, le garage de Pernin. Côté cour, la pièce de travail de Nostradamus. Au lever du rideau, Pernin, en salopette de travail est en train de bidouiller le moteur de la voiture, tandis que la pièce de travail de Nostradamus est vide.)

Pernin

(La tête dans le capot)

Encore un fil à brancher et cette De Dion Bouton roulera comme si elle venait de sortir de l’usine. (On l’entend bidouiller. Il sort la tête, l’éponge avec un torchon assez crasseux qui lui laissera des marques sur le front. Il s’essuie les mains avec, également. Satisfait) Et dire que ce bijou traînait dans la grange du vieux Sempion. « Je ne sais pas à qui elle appartient, m’a-t-il dit. Un jour je l’ai trouvée au milieu de mon champ. Ça fait maintenant quarante ans. Je l’ai mise à l’abri dans ma grange en espérant que son propriétaire vienne la réclamer ; mais personne n’est jamais venu » Il a haussé les épaules et a conclu : « Si tu la veux prends-la. Je n’ai jamais su bricoler les voitures. » Pensez donc si j’étais fou de joie. Ni une ni deux, je l’ai remorquée avec mon quatre-quatre. (A partir d’ici, on voit côté cour, Nostradamus entrer dans son bureau. Il compte une liasse de billets) Ça fait dix jours que j’y suis dessus et, dans quelques secondes, je vais m’installer dedans, mettre le contact, et quand je roulerai dans la rue, les gens croiront voir un homme issu du passé ! Comme dans ce film de l’hiberné qui se croit toujours à la belle époque !!

Nostradamus

(Il a mis les billets dans une enveloppe et se frotte les mains)

Cent mille Florins pariés sur le comte de Montgomery coté à dix contre un ! Optimiste Lord Cardigan, l’ambassadeur de sa Gracieuse Majesté ! Sa mise servira a payer les gains de sa Majesté Catherine, qui en a misé le double sur son mari notre bon roi Henry le deuxième, que j’ai coté à un et demi contre un. (Imitant l’accent Italien) « Mio caro Nostradamous qui dou Roi ou dou jeune Des Loges remportera le combat domani ? » Et moi m’inclinant je lui ai fait lire le premier quatrain de ma nouvelle centurie :

‘’Le lion vieux, le jeune surmontera

En champ bellique par singulier duelle

Dans cage en fer les yeux lui crèvera

Deux classes une puis mourir mort cruelle’’

Elle a été un peu outrée que je traite le Roi (Il s’incline) de vieux lion : « Que votre Majesté me pardonne mais notre bon Roi – que Dieu garde en vie de nombreuses décennies encore – a dépassé le double de son âge… Enfin, de l’âge du comte de Montgomery. Et puis, un vieux lion n’est que plus noble, plus beau, plus superbe qu’un vulgaire lionceau » Elle a hoché la tête : « Vous auriez pou écrire Lé lion vigoroso » Et moi : « Trop de pieds, majesté. Mes quatrains en font onze et pas un de plus. » Elle a de nouveau hoché la tête puis m’a dit : « Ma perché avez-vous écrit Douelle au fémnin ? Moi jé croyais que ce mot était masculino : Duel ! » Elle a raison ; mais je devais trouver une rime à ‘’mort cruelle’’. Alors je me suis permis cette licence poétique. (Haussant les épaules) Et puis zut ! Mes centuries je les ai écrites pour qu’elles ne soient pas comprises par mes contemporains, et pour que les générations futures les interprètent à leur guise ! (Silence) Bon, occupons-nous de nos affaires. (Il sort les billets de et en prend quelques-uns qu’il place dans un tiroir) Je perds des neurones. J’ai failli oublier de prélever ma commission ! (Haussant le ton) Baltimorus !! (Entre son valet qui s’incline. Il lui tend l’enveloppe) Dépêche-toi d’apporter cela au guichet des paris. Ce sont les mises pour le combat de demain.

Baltimorus

(S’inclinant à nouveau)

Bien maître.

Nostradamus

Vérifie qu’il te donne bien les reçus dûment validés.

Baltimorus

(S’inclinant à nouveau)

A vos ordres, maître.

(A peine est-il sorti de scène qu’on entend une explosion et une lumière intense)