ch. 4 - gibbeuse croissante
Luna frotte le sommeil hors de ses yeux encore froissés, effaçant les échos d'un rêve déjà loin. Le bruit d'une porte claquée sans ménagement vient de la puiser des limbes. Les étoiles fluorescentes de plastique collées aux parois du cockpit offrent une douce lueur dans la nuit. Luna n'a pas besoin de tendre le bras pour remarquer l'absence d'Artémis. Elle a froid, jusqu'aux os. Ses orteils se recroquevillent à la recherche de chaleur. La peur au ventre, Luna repousse les couvertures, ses doigts tremblants contre la poignée intérieure de l'hélicoptère. Piégée, abandonnée. Ça grince sous sa peau. Elle arrive enfin à s'extirper de sa bulle d'acier. Ses pieds nus sont avalés par le sable glacé.
Artémis hisse son sac sur ses épaules, un bidon vide à la main. Luna cligne plusieurs fois des paupières, cherchant son souffle, son poumon gauche martelé par les réverbérations de son coeur affolé.
- Désolé, je voulais pas te réveiller, lance Artémis d'un ton détaché.
- C'est pour ça que t'as claqué la porte ? marmonne Luna, dubitative.
Artémis hausse les épaules, refusant de croiser le regard astral de Luna. Il ajuste son sac, ses cheveux sombres balayés par le vent du désert. La noirceur cache son visage, voile invisible entre la réalité et ses sentiments.
- T'allais partir sans rien dire ? demande Luna.
- Je t'ai laissé un mot. Je vais juste à la ville voisine chercher du carburant. Je serai de retour d'ici quatre jours.
- Pourquoi tu fais ça ? On a plus besoin de remplir la bagnole, on est arrivés à destination. Tu veux t'éloigner de moi ? Dis-le, plutôt que d'inventer des excuses.
- J'ai pas pensé que ça ferait une différence pour toi.
Luna retient des éclats de verre sous sa langue. Chaque mot est douloureux, ceux d'Artémis comme les siens. Il s'éloigne d'elle. L'empreinte d'un soulier marquée dans la précarité temporaire du sable. Une empreinte, puis deux, rejointe d'un troisième. Luna compte la distance, refusant d'y croire. Ses jambes s'animent sans son consentement, réaction primale, geste de survie. Elle court vers Artémis, elle s'accroche à son bras, elle le retient de toutes ses forces.
- Pars pas! supplie Luna.
Il inspire profondément, les yeux liquides de Luna trouvant les siens. Il la déchire de son départ et ça lui fait du bien. Artémis compte les maux qu'ils s'offrent, se jetant de l'amour de la pire des manières. Le désir de rester lui laisse le souffle court.
- Fais-moi rester, qu'il murmure dans un souhait balayé par la nuit.
Luna se laisse happer par les mots. Elle déteste ça, elle le déteste lui, mais elle l'aime encore plus qu'elle le déteste. Ça fait trembler son corps entier, comète qui menace de s'écraser. Elle glisse un quintuor de phalanges arctiques vers la nuque d'Artémis. Luna sculpte son corps à celui de son amour, négatif photo de son existence.
- T'es glacée, s'inquiète le grand gamin.
- T'as qu'à me réchauffer.
La fine adolescente plante ses ongles dans la peau d'Artémis, à la commissure de sa nuque et du col de son t-shirt. Quatre demi-lunes marquent maintenant son épiderme. Il enfonce ses dents dans sa lèvre inférieure, indécis. Sur la pointe des pieds, elle se hisse jusqu'à ses lèvres pour lui voler un baiser, siphonneuse d'oxygène. Elle pile sur son orgueil, le piétine à même le sable.
- Viens, reste jusqu'au matin.
Elle ne sait plus quels pieds se sont précédés, mais la porte coulissante de l'hélicoptère est claquée derrière leurs talons. Ils s'enferment ensemble, le temps de se s'imprégner de l'autre, le temps de se manquer. Artémis a les doigts pressants, ses bras s'enroulent autour de Luna sans arriver à la retenir. Elle glisse comme la nuit, omniprésente. Luna troque sa chair de poule contre des frissons bien différents. Peau à peau, coeur à coeur, avec l'espoir de se recoller avant l'aube. Des vêtements froissés leurs servent maintenant de matelas. Ils s'enlacent dans un chaos charnel ponctué de soupirs et de mots échappés. Luna ne sait plus de quel côté se trouve le sol. La gravité refuse de se mêler de leurs ébats.
L'urgence laisse place à la tendresse. Nez à nez, abriés des membres de l'autres, ils ne savent plus où commence l'un pour finir l'autre. Luna crispe un sourire amusé sur ses lèvres de velours.
- Quoi ? demande Artémis.
- Un, deux, trois ... compte Luna.
La jeune femme appuie ses propos de la pointe de son index, caressant chaque marque de morsure sur la peau de son amant. Ses oeuvres commencent au creux du cou pour descendre vers l'épaule, belle ribambelle de sa passion. Artémis farfouille le désordre qui les entoure à la recherche de son chandail.
- Tu pars ?
- Je vais devenir fou à rester dans cet endroit. Je te jure, je crois que le sable s'infiltre jusque dans ma tête. Au moins, si on a du carburant, on aura le choix de partir quand on voudra, tente d'expliquer Artémis.
- Tu quitterais cet endroit sans moi ? s'inquiète soudainement Luna.
Il hausse les épaules, n'ayant pas lui-même la réponse à la question qu'elle pose. Le grand brun a retrouvé tout son attirail, il ne reste plus que son sac, abandonné là-bas dans le sable. Son absence de réponse remonte le temps. La douceur est partie, il ne reste que la peur, celle de ne pas être assez, celle où s'aimer n'est pas suffisant.
- C'est ça, va-t'en. Ne t'oblige pas à revenir. C'est pas comme si t'allais me manquer, attaque Luna.
- Je reviens dans quatre jour, fais ce que tu veux d'ici là, je vais faire la même chose, déclare Artémis.
- Parfait!
- Génial!
Le soleil n'a pas encore caressé la ligne d'horizon qu'Artémis est déjà bien loin, son coeur meurtri encore accroché aux talons de Luna, là où il a été écrasé.
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