Rencontre

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Attirée par la beauté de son pelage rougeoyant, Ada reprend ses esprits. Elle époussette la terre de son pantalon, se requinque et décide de suivre la bestiole. Celle-ci frétille entre les jeunes pousses, à la cime de l’arbre, intouchable. Position de repli, pas bête, pour éviter les prédateurs. Elle devrait en faire autant pour se dispenser d’une nuit à la belle étoile dans cette nature finalement moins accueillante qu’elle ne le pensait. L’adolescente poursuit donc sa marche, claudiquant sur ce chemin de la dernière chance. Après vingt minutes d’effort, apparaît le bitume d’une route secondaire. Elle l’emprunte, résignée à faire du stop pour rejoindre la civilisation. La départementale, peu empruntée, la laisse ainsi divaguer entre les prairies un bon moment. Ses ampoules la brûlent à présent, et sa cheville, faiblesse d’une ancienne fracture, relâche désormais son venin par grosses flopées. L’aventurière, dégoulinante de sueur, ne fait pas la fine bouche lorsqu’elle entend un moteur fatigué, ronfler sur la colline. Elle agite éperdument ses bras devant le C15 rouge en approche. Il s’arrête dans un crissement aigu. Un béret cache en partie le visage de l’agriculteur local qui descend sa vitre :

― Eh bien, qu’est-ce qui vous amène ici ?

― Pouvez-vous me ramener au village le plus proche ?

― À Aumont ?

― Saint-Chely d’Apcher ?

― Pas mon chemin, désolé. Je dois être rentré pour six heures, je peux vous amener à Aumont par contre.

― OK alors, accepte-t-elle résignée, sans donner plus de détails.

Ada s’installe sur le siège râpé. Poussière, paille et odeur de tabac froid dans l’habitacle. Elle n’ose pas regarder le conducteur, et essuie les gouttes sur son front. Celui-ci, peu bavard, monte le son de la radio et sa main joue avec le vent à travers la fenêtre ouverte. Il semble d’humeur joyeuse :

― Qu’est-ce que vous faisiez sur la route, habillée comme ça ?

― Un problème de train. Je comptais rejoindre la ville à pied.

― Ah ah ah, vous êtes seule ici ? vous connaissez quelqu’un ?

― Euh…

Elle hésite, mal à l’aise, puis reprend à contrecœur, ne voyant pas d’autre issue :

― Seulement un gîte, tenu par une certaine Thérèse.

― Ah oui ! Thérèse... Elle accueille toutes les brebis égarées. Une sainte cette femme. Une sainte, avec un caractère bien trempé cela dit.

Après un quart d’heure de trajet, suffisant pour comprendre que les amortisseurs souffrent dans ce coin de campagne, il se gare devant le perron du gîte, sans sortir du véhicule. Ada descend du tacot, à grand peine, à cause de ses muscles endoloris. Un geste de la main et le revoilà parti dans un nuage de terre, tout fier de sa bonne action du jour.

Devant la porte, Thérèse, petite femme fluette aux muscles secs et à la natte grise tressée, l’observe de ses yeux noisettes. Elle caresse le chat, un panier rempli de plantes débordant sous son bras.

― Vous revoilà ? Normalement on ne passe au gîte qu’une nuit, on y revient rarement.

Silence d’Ada, embarrassée par son départ sans payer. Elle mord ses lèvres gercées.

― Allez approchez, qu’est-ce qui vous arrive ?

La jeune fille reste plantée, tergiversant sur la marche à suivre. Peut-être après tout que la vieille, sénile, ne s’est rendue compte de rien ? Le train toujours bloqué, elle va bien devoir dormir quelque part.

Elle s’avance en boitillant dans le jardin, une grimace au visage à moitié cachée.

― Mon train de ce matin a été annulé.

― Les trains repartent ce soir finalement, je viens de croiser Henri au marché. Vous vous êtes blessée ?

― Non, c’est rien.

― Sornettes, vous boitez. Ça se voit.

― Rien de grave je vous dis.

― Tss, Tss, On n’me l’a fait pas à moi. Alors ? Où avez-vous mal ?

Voyant que la vieille ne lâcherait pas, elle baragouine :

― Ampoules aux pieds et mal à la cheville.

Ada repositionne son sac et se frotte l’épaule sans y faire attention.

― Très bien, très bien, voyons ce qu’on peut faire pour y remédier. Ne restez pas là, entrez, voyons ! Je reviens tout de suite.

L’adolescente hésite, gênée par la situation, tandis que la vieille file vers l’arrière cuisine. Après tout, que risque-t-elle ? Devoir régler sa note si la vieille en parle, pas vraiment un drame.

Elle rentre dans la grande salle et s’assied sur le fauteuil trônant près de la cheminée éteinte. Frémissement de bouilloire, tintement de verre, on hache des plantes séchées. Ada se détend sur le coussin rembourré, en attendant. Thérèse revient avec un large plateau qu’elle dépose sur la table basse : une infusion, des pots en verre contenant d’étranges mixtures verdâtres, un linge mouillé imbibé d’une odeur forte, des pansements et une aiguille.

Ces remèdes de grand-mère lui feront peut-être plus de mal que de bien mais Ada n’ose rembarrer son hôte. Elle trempe ses lèvres dans la tasse de pisse-mémé, laissant échapper une mimique de dégoût.

― C’est un mélange de verveine, mélisse et passiflore, pour vous calmer.

L’adolescente fait les yeux ronds devant les décoctions, perplexe. Thérèse montre du doigt chaque préparation :

― Le cataplasme de consoude et graines de lin, c’est pour votre cheville. Percez vos ampoules et appliquez ensuite ce baume à la pensée sauvage et au millepertuis. Le mélange de chou dans le linge, c’est pour votre apaiser les brûlures de votre épaule.

La moue d’Ada trahit sa réticence. Revigorée, cette dernière reprend du poil de la bête :

― C’est quoi cette sorcellerie ?

La vieille ne se laisse pas démonter :

― L’herboristerie est un art, jeune fille, les plantes ont soigné plus de gens que votre médecine de ville.

― Ah. c’est sans doute pour ça que c’est interdit !

― Vous dépassez les bornes, ma petite, dégagez vos œillères ! Dans vos villes, vous n’écoutez pas vos corps, vos ressentis, vos émotions, vous vous maltraitez et après c’est pilules et cachés. Vous êtes une sotte immature si vous pensez vous débrouiller toute seule avec un cerveau et une mèche de cheveu bleue. Prenez plutôt soin de vous, du lien aux autres, respectez la faune et la flore et leurs bienfaits. Mais si vous voulez continuer à vivre dans un monde artificiel, allez-y, repartez-donc avec votre tribu de dégénérés, personne ne vous retient.

L’adolescente reste sans voix, décontenancée par cette tirade. Finalement, elle se lève et ne sachant quoi lui répondre, s’enfuit en clopinant vers la gare.

La vieille femme, elle, reprend son plateau calmement puis disparaît dans l’arrière cuisine.

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