Routine

3 minutes de lecture

Son portable vibre sur le guéridon. Comme chaque matin depuis une semaine, l’aube est debout avant elle. Ada ouvre les yeux dans la chambre a demi-éclairée, s’étire et passe à la douche. Elle enfile un tee-shirt à manche longue, un jeans et file en bas sur la pointe des pieds. Le pain croustille sous son couteau. Elle est de corvée de petit-déjeuner. L’odeur de la mie du pain de seigle lui chatouille les narines. Elle dispose sur les tables, confitures à la myrtille, à la framboise, barattes de beurre et yaourts fermiers, puis prépare café et lait chaud. Les marches de la vieille bâtisse grincent sous les pas des premiers randonneurs levés. Là, Ada se retire sur le perron pour boire son café avec Oscar et observer le lever de soleil. Thérèse plaisante avec les marcheurs et encaisse chèques et billets.

Vers neuf heures, Ada retourne débarrasser la salle et faire la plonge. Quand elle finit son travail matinal il est neuf heures trente et elle est libre jusqu’au soir. C’est le contrat et elle s’y tient. Thérèse, elle, part se promener tous les matins, dans les champs, dans les bois, puis en fin de matinée, s’occupe des chambres. Pour déjeuner, elles mangent les restes de la veille, chacune de leur côtés. Le soir la vieille s’occupe du repas et Ada l’aide pour le service. L’adolescente part ensuite se balader à la tombée du jour, pour faire du repérage dans son nouvel environnement. Elle en profite pour chercher des endroits où le réseau passe. Pour l’instant en vain.

Thérèse revient toujours de ses sorties le panier plein, et elle part souvent en vadrouille. Le mois de mai est riche en fleurs sauvages, jeunes pousses et champignons.

Ada, elle, a croisé une biche dans la forêt un soir. Sa première fois. Elle était toute émue de cette rencontre avec l’animal frêle au museau fin marqué de noir et aux yeux maquillés. De toute beauté.

En rentrant, Thérèse lui a dit que c’était un chevreuil mais Ada persiste, c’était bien une biche. Dommage qu’internet ne puisse trancher.

Les deux femmes s’évitent la plupart du temps et leurs échanges restent limités. Leurs solitudes se frottent quelques instants par jour et ce manège semble convenir aux deux.

Un matin, Ada se met en tête d’acheter des livres pour préparer le baccalauréat, histoire de moucher son père. Arrivée à la maison de la presse du village, elle s’agite dans la boutique sans rien dégoter de convenable. La vendeuse, une grosse rouquine au visage ingrat :

  • Vous cherchez quoi Mademoiselle ?
  • Des annales pour le bac Scientifique.
  • Vous ne trouverez rien ici, il faut aller à Saint-Chély ou à Mende.
  • Et je fais comment moi, sans voiture ?
  • Demandez à Lucas, il y va de temps en temps.
  • Lucas ?
  • Oui, le jeune qui aide Thérèse.
  • Ok, et sinon je ne peux pas commander les livres plutôt ? Je ne capte pas internet.
  • Ah non on ne fait pas ça ici.

Les yeux globuleux de la rouquine retournent à leurs mots croisés.

Ada, furieuse, claque la porte vitrée et retourne au gîte au pas de course. Dans la montée, elle croise un pèlerin occupé à méditer sur un rocher face à la vue splendide sur la vallée.

Il ouvre les yeux à son passage et lui dit qu’elle dérange l’harmonie du lieu avec ses mauvaises ondes, qu’elle ferait mieux d’évacuer en criant qu’en maugréant.

L’adolescente commence à lui hurler dessus de rage, toutes sortes d’injures grossières fusent. Lorsqu’elle se calme, un mouton bêle pour lui répondre. Les deux finissent par éclater de rire devant l’absurdité de la situation.

A son retour, elle trouve Thérèse attablée devant son déjeuner.

  • Bon appétit. Je voudrais savoir comment vous faites si vous voulez acheter quelque chose de bien précis sans internet ?
  • Je fais appel à mon réseau.
  • Votre réseau ?
  • Mes connaissances. Le troc. La débrouille.
  • Sinon, vous avez un vélo ? Une voiture sans permis?
  • Tu veux t’enfuir déjà ? Remarque, au village on te prend pour une prisonnière avec ta nouvelle coupe de cheveux.
  • C’est quoi ces histoires ?
  • La rumeur, mon petit, la rumeur.
  • Non mais c’est pas possible et comment je fais moi pour me fondre dans le paysage ?
  • Ca c’est facile, tu la laisses passer et tu oublies le regard des autres. Tout passe. Avec le temps.

Ada tape du pied.

  • Je cherche des annales pour préparer mon bac.

Thérèse lève sa tête de son assiette. Ses yeux s’éclairent.

  • Demande à Lucas, il l’a eu, il y a deux ans, il doit avoir le nécessaire.
  • Et si je veux pas demander de l’aide et me débrouiller toute seule.
  • Pourquoi tu n’aimes pas les gens ?
  • Ils sont tous cons.
  • Bon alors, commence par être ta meilleure amie.

Ada soupire fortement et tourne les talons.

La vieille a encore visé juste. Elle s’embête toute seule ici. Et ici, sans les autres, c'est un vrai calvaire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire bylud ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0