Chapitre 3
Il est à peine huit heures et le château est devenu une vraie fourmilière. Les enfants avaient aujourd’hui dix ans et le bal en leur honneur commençait à quatorze heures. Pour être certain qu’ils ne dérangent personne, Nathan les avait emmenés visiter un aquarium. Ils ne devaient revenir qu’à treize heures et demie. Pour les dix ans des jumeaux, mais aussi pour nos dix ans de mariage, quatre mois auparavant, nous avions prévu une fête grandiose. Tandis qu’Océane participait à la décoration de la salle de bal, je devais aider Emma en cuisine, ainsi que sa mère.
— Bonjour tout le monde ! commençais-je en entrant dans la cuisine.
— Elena de bonne humeur dès le matin ? Serais-tu malade ? critiqua Emma.
— Tu veux aller faire le ménage dans la chambre de Ben ? ajoutais-je.
— Même pas en rêve je touche aux feuilles de notes qui traîne dans cette pièce.
— Occupe-toi de tes carottes, alors.
— Vous vous entendez toujours aussi bien à ce que je vois, rigola Corine.
— Évidemment ! répondit Emma en même temps que moi.
— Comment vas-tu, ma grande ? m’interrogea-t-elle ensuite.
— Plutôt bien. Surtout aujourd’hui.
— Vous avez prévu quoi pour fêter vos dix ans de mariage ? Vous n’avez rien voulu faire il y a quatre mois.
— C’est une surprise. En quoi puis-je vous aider ?
— Tu peux t’occuper des toasts si tu veux, me répondit Emma. C’est simple et j’ai déjà commencé.
— Parfait.
Régulièrement, pour oublier pendant quelques heures que j’étais Impératrice, je venais passer du temps en cuisine, surtout pour faire de la pâtisserie. J’étais soit accompagnée d’Élise, d’Océane, voire de moi-même. Ben n’était jamais venu cuisiner avec moi. Mais j’espérais, au plus profond de mon cœur, que ça arriverait un jour. Au fil des années, j’avais amélioré mes techniques, mais surtout le nombre de recettes que j’étais capable de faire.
— Au fait, Elena, comment ça se passe pour le gâteau ? me questionna Emma
— Je l’ai commandé chez un pâtissier de la Capitale. Pour changer un peu et pour faire travailler les entreprises locales.
— C’est aussi une bonne idée. Hâte de voir à quoi il ressemble.
— Tu ne seras pas déçu.
En réalité, Océane et moi étions allés chez le pâtissier en question pour faire nous-mêmes le gâteau. Sur ces bons conseils, nous avions fabriqué un chef-d’œuvre dont nous étions très fières. Le pâtissier devait le ramener au château à treize heures. Préparer les toasts me prit environ deux heures et demie. En même temps, il allait y avoir beaucoup d’invités. Ayant fini les toasts, j’en profitais pour prendre une pause et retrouvais Elsa et David dans le couloir des chambres.
— Tout avance comme vous voulez ? les questionnais-je.
— Plutôt bien, oui, répondit Elsa. Il ne me reste plus qu’à transférer tous les effets personnels de Mademoiselle Élise dans sa nouvelle chambre.
— Tu sais comment tout ranger ?
— Oui, Votre Majesté.
— Et toi David ?
— Je n’ai plus qu’à trier les documents de Monsieur Benjamin et les ranger dans les nouveaux classeurs. Le reste de ses affaires sont déjà dans sa nouvelle chambre.
— Excellent. S’ils sont contents de l’organisation que vous proposez, je vous augmenterai.
— Merci, Votre Majesté.
— Dépêchez-vous de finir. Vous irez aider dans la salle de bal ensuite.
— Comprise, Votre Majesté.
David, le garçon de seize ans que j’avais vu grandir, en avait aujourd’hui vingt-six. À la fin de son apprentissage, Emma lui avait laisser le choix entre un poste au château, à temps complet ou partir travailler ailleurs avec une lettre de recommandation signée par Océane, Emma et moi-même. Il avait choisi de rester et j’étais toujours satisfaite de son travail ? Je savais que Ben lui parlait beaucoup et je savais que David n’hésiterait pas à m’avertir s’il y avait un vrai problème.
Elsa, quant à elle, âgée d’à peine vingt-trois ans, était une jeune fille assez timide et encore perdue. La mère d’Emma l’avait trouvé, il y a deux ans, errante dans la rue. Avant elle, Élise avait eu beaucoup d’autres dames de compagnie, mais seule Elsa avait réussi à obtenir la confiance de ma fille, comme Emma avant elle. Elsa avait beaucoup mûri depuis qu’elle travaillait au château. Orpheline, elle n’avait pu trouver sa place dans la société avant aujourd’hui. Si Corine ne l’avait pas trouvée, elle serait peut-être morte de faim dans la rue. Ce fléau Impérial, la pauvreté, le plus gros sujet auxquels je m’étais attaquée depuis mon accession au trône et je continuais à lutter contre.
À mon arrivée dans la salle de bal, il était déjà onze heures et l’équipe d’Océane avait beaucoup avancé. Nos trônes avaient été déplacés et les deux trônes princiers mis en place. À dix ans, Océane et moi voulions qu’ils fassent leurs entrées officielles à la Cour. Nous voulions parler politique et économie avec eux, mais surtout à les former pour nous remplacer un jour. Actuellement, nous ne savions pas lequel des deux prendrez notre place et nous ne voulions pas de faire de différence.
Sur tous les murs de la salle, des guirlandes avaient été mises en place ainsi que de nombreux bouquets de fleurs. C’était certes leur anniversaire, mais c’était aussi nos dix ans de mariage et nous ne voulions pas infantiliser cette fête. De chaque côté de la pièce, des tables rondes avaient été installées pour les invités, tous au laissant le centre libre pour la piste de danse.
— Tout se passe bien ? questionnais-je Océane.
— À merveille, mon amour. Et de ton côté ?
— Tout va pour le mieux. Que ce soit en cuisine ou dans les chambres.
— J’espère qu’ils seront contents d’avoir une nouvelle chambre, plus éloignée de la nôtre.
— Je pense qu’ils devraient l’être. Elsa et ben ont fait un excellent travail.
— Ces jeunes sont remarquables.
— Tu as besoin d’aide ?
— Ici non, mais dans notre chambre oui.
— Oh ! Mais que nous as-tu donc préparé ?
— Viens avec moi, tu verras.
Avec un grand sourire sur le visage, elle attrapa délicatement ma main. Dix ans que nous avions nos petites manies et nos habitudes, mais nous arrivions toujours à nous surprendre. Cette fois, c’était au tour d’Océane de faire le premier pas.
— Chaque année et ce depuis dix ans, c’est surtout toi qui alimentes notre couple, toi la plus créative.
— C’est parce que…
— C’est la manière la plus facile pour toi d’exprimer tes émotions, ton amour et à chaque fois, tes attentions me touchent. Mais aujourd’hui, je veux changer les rôles. C’est à moi de te faire plaisir. Prête à me laisser faire ?
— J’ai une confiance aveugle en toi, mon amour.
— Alors, profite. On a deux heures devant nous.
Elle m’invita d’abord à la rejoindre dans la salle de bain où elle me fit couler un bon bain chaud. Mon dernier bain relaxant remontait à plusieurs semaines. Depuis que nous avions décidé, avec Océane, d’intégrer les jumeaux à la vie politique, il avait fallu mettre en place tout un protocole d’apprentissage et surtout définir les sujets qu’on ne devait pas évoquer avec eux. L’aspect économique de l’Empire me prenait aussi beaucoup de temps et Océane ne pouvait pas m’aider. Après cette longue détente, Océane enchaîna les surprises pour que je puisse enfin prendre du temps pour moi et me reposer. Elle avait vraiment pensé à tout. Ou presque.
— Dis-moi ce qui te ferait plaisir, mais qui n’ait aucun lien avec les enfants ou moi.
— Honnêtement, une bonne nuit de sommeil. Les derniers relevés économiques étaient un vrai casse-tête.
— Pourquoi ne pas engager un comptable de temps en temps ?
— Et risquer la divulgation de données confidentielles ? Non merci.
— Elena, tout territoire ou entreprise a besoin d’un comptable.
— Je suis la comptable de cet Empire, chérie. Je suis beaucoup plus douée avec tous ses chiffres que sur n’importe quel autre sujet. Voir même qu’avec Ben.
— On discutera de ça plus en détail plus tard. Mais je note dans ma tête ton besoin de dormir.
— Merci mon amour.
Profitant de cette dernière demi-heure avec ma femme, je pus me revigorer, mais surtout reprendre confiance en moi. J’avais régulièrement des coups de fatigue, des baisses de motivation et elle le savait. À chaque fois, elle avait su me faire remonter la pente. Quand treize heures arrivèrent enfin, on partit toutes les deux accueillir le pâtissier pour récupérer l’énorme gâteau des dix ans que nous avions préparé, en couple.
— Vos majestés, votre chef-d’œuvre est juste ici, en parfait état.
— Merci de nous l’avoir amené. Je vais vous accompagner jusqu’aux cuisines. Tu viens chérie ? m’interpella Océane.
— Je vous suis.
Aidé par Océane, le pâtissier réussit à transporter le gâteau sans encombre, malgré les nombreux allers-retours des domestiques. Il a vérifié que tout était en ordre avant de retourner dans son atelier. Il avait d’autres commandes en cours. Heureusement, Emma n’était pas en cuisine à l’arrivée du gâteau. Elle ne l’avait pas encore vu et ne le verrait qu’au dernier moment. Il nous restera désormais plus qu’une demi-heure avant le retour des enfants et je commençais à angoisser. Arriverons-nous à terminer à temps ?
— Tout va bien, mon amour ? m’interrogea Océane.
— Oui, ne t’inquiète pas. Il faut juste que je prenne le temps de respirer et de réfléchir correctement. Il n’y a pas de soucis à ce faire, tous devraient bien se passer.
— Tu es tellement adorable quand tu stresses comme ça. Pour le moment, tout roule comme sur des roulettes, alors détends-toi.
— Si seulement c’était aussi simple, chérie.
— Tu sais quoi ? On retourne dans la chambre. Il est temps d’enfiler nos robes. Surtout que je t’en ai acheté une nouvelle.
— Vraiment ? Tu as fait ça ?
— À ton avis, crétine ? Tes robes sont démodées, ma vieille. Tu es Impératrice Elena, tu dois être celle qui est le mieux habillée.
— Crétine et vieille dans la même phrase ? Tu n’as pas froid aux yeux.
— Mais c’est parce que je t’aime.
— Je t’…
— Dépêche-toi, ma vieille. On a moins de vingt minutes pour se préparer.
— Mais arrête ! Je te rappelle que c’est toi la plus vieille de nous deux.
Plus forte que moi, comme d’habitude, elle me tira jusqu’à la chambre sans le moindre encombre. Dis qu’on fut entrée, elle ferma immédiatement la porte à clef et m’obligea à m’asseoir sur le lit. Elle sortit ensuite une robe de soie et de voiles bleue. Elle m’aida à la mettre et je pus l’étudier en profondeur. Elle était légère et douce. Les voiles ne laissaient apparaître que le bout de mes pieds. Avec mes talons, la robe devrait sûrement m’arriver aux chevilles. Une ceinture de la même matière était positionnée juste en dessous de la poitrine. Pour le tour des épaules, c’était une guirlande de diamants qui agrémenter la robe.
— Elle est magnifique, soupirais-je.
— Et elle te va à ravir. Je vais te coiffer et te mettre des boucles d’oreilles qui vont avec, maintenant.
— Tu as pensé à tout, on dirait.
— Pour que tu sois la plus belle ? Bien sûr.
— Tu es incroyable, chérie.
— Et toi, tu es la plus belle femme de l’Empire.
Avant que je ne la contredise, elle me poussa délicatement sur la chaise de la salle de bain pour commencer à me coiffer. Avec les années, sa dextérité n’avait cessé de s’améliorer. En termes de douceur, elle pouvait désormais rivaliser avec Emma.
— Tout va bien, ma chérie ? m’interrogea-t-elle après m’avoir observée dans le miroir.
— Oui. Je suis heureuse d’en être arrivée là, avec toi et les enfants, c’est tout.
— Tu es une femme et une mère incroyable. Soit fière de la femme que tu es devenu.
— Je le suis.
— J’ai fini, lève-toi pour voir.
Écoutant ma femme, je me levais délicatement. J’étais vraiment à l’aide dans cette robe. J’avais l’impression de marcher sur un nuage, emportée par le vent. Pendant quelque seconde, Océane me détailla de la tête au pied, sans prononcer le moindre mot.
— Est-ce que… ça va ? lui demandais-je nerveuse.
— Tu… tu es magnifique, mon amour. Tu es tellement belle que j’en perds les mots.
— C’est vraiment ce que tu penses ?
— Je ne te mentirais jamais sur ça, mon amour. Jamais. Regarde-toi dans le miroir.
Suivant le conseil de ma femme, je me rendis dans la salle de bain. Elle avait raison, cette robe était incroyable. Aujourd’hui, je me trouvais belle, alors que depuis quelque temps, doutant beaucoup de moi, me trouver belle avait été compliqué.
— Qu’est-ce que tu en penses, chérie ? m’interrogea Océane.
— Merci Océ. Merci mon amour.
— Je suis là pour ça, Elena. Tu es belle, il faut juste que tu te le prouves à toi-même.
— La robe est incroyable.
— Prête à en mettre plein la vue ? Les enfants ne vont pas tarder à arriver, enchaîna Océane.
— Je suis prête, mais toi non.
— Je vais vous rejoindre. Emma t’attend dans la salle de bal. Et n’oublie pas ta couronne.
— Je t’aime chérie.
— Moi aussi.
Elle posa délicatement sa main dans mon dos pour venir m’embrasser puis me laissa partir. Ta tête haute, heureuse et belle, je retrouvais Emma qui terminait les derniers préparatifs.
— Je peux aider ?
— Elena ? Tu…
Quand elle se retourna pour m’accueillir, elle s’arrêta de parler. Au même instant, tous les domestiques s’arrêtèrent pour m’observer. Sous tous ses regards, je me mis à rougir.
— Ça, c’est une robe digne d’une Impératrice. Tu es magnifique.
— Merci, c’est Océane qui l’a choisi.
— Elle te va à merveille. Et pour répondre à ta question, tout est en place donc plus besoin d’aide.
— Ça marche. Nathan va bientôt arriver de toute façon.
Près d’une des portes-fenêtres, je remarquer l’un des soldats qui observait l’extérieur.
— Ils sont là, Votre Majesté.
— Merci. Je vais aller à leur rencontre.
Après un dernier sourire à Emma, je sortis de la salle de bal pour retrouver mes enfants dans la cour. Rapidement, Élise me prit dans ses bras tandis que Ben me dit à peine bonjour.
— Tu es trop belle, maman !
— Merci ma puce. J’ai une surprise pour vous, suivez-moi.
— Je peux juste aller dans ma chambre ? Ajoute Ben froidement.
— Ta surprise est dans ta chambre, Ben.
— Ah.
La main de ma fille dans la mienne, je les conduisis tous les deux jusqu’à leur nouvelle chambre respective.
— C’est vraiment ma chambre ? m’interrogea Ben.
— Oui, mon grand. Fini la chambre d’enfant, voici une pièce plus grande et d’adolescent. David a trié tous tes documents pour les ranger correctement. Quant à toi, Élise, j’ai fait refaire toute ta garde de robe.
— Merci maman !
— Ça te convient comme ça, Ben ?
— Oui. Merci de m’avoir choisi la pièce la plus éloignée.
Ben n’arrivait jamais à me dire merci gentiment. Il fallait toujours qu’il agrémente son merci d’une pique à mon encontre.
— Ce n’est pas gentil ça, Ben ! intervint Élise à ma place.
— Ouais, je sais.
— David et Elsa vous attendent dans vos chambres pour vous préparer. Vous avez vingt minutes avant que les premiers invités ne commencent à arriver.
— Merci, maman, pour la chambre, termina Élise.
— De rien ma puce.
Dès qu’ils s’enfermèrent tous les deux dans leurs chambres respectives, je m’éloignais, essayant de retenir mes larmes. À chaque fois que Ben me lançait une pique, c’était un nouveau coup de couteau en plein cœur. C’était ce qui m’avait fait perdre confiance en moi, petit à petit, au fur à mesure que le temps passait. Aujourd’hui, Ben était mon plus grand échec et ça me révoltait. Parce qu’avec lui, être Impératrice ou sa mère ne servait à rien et c’était tout ce que je savais faire. Face à lui, je redevenais la jeune femme impuissante que j’avais toujours été devant ma mère.
Luttant pour reprendre mes esprits, je retrouvais Océane dans la chambre. Océane avait revêtu une robe violette dans le même style que la mienne. Elle aussi était magnifique dans sa robe.
— Cette fête va être incroyable. Ça te va bien.
— Je n’en doute pas un seul instant.
— Tu ne mets pas de boucles d’oreilles ?
— Si bien sûr. Tu veux m’aider à les mettre.
— Avec plaisir, mon amour.
Elle désigna les boucles d’oreilles qu’elle voulait porter. Je les récupérais et les lui mis délicatement. Durant toute la procédure, son regard resta bloquer sur mon visage et surtout sur mes lèvres.
— Tu as fini de me mater ? rigolais-je après avoir fini.
— Jamais mon amour. Sinon, les enfants ont apprécié leur chambre ?
— J’en ai eu l’impression. Même Ben m’a dit merci.
— Vraiment ? C’est un grand pas en avant.
— Oui, ça avance.
Océane n’avait pas besoin de tout savoir. Si je lui disais que Ben était content, juste parce qu’il avait la chambre la plus éloignée de moi, elle allait encore vouloir essayer d’arranger la situation. Je ne voulais pas lui dire, pour éviter de gâcher la fête.
— C’est parfait. Prête à rejoindre tout le monde ?
— Oui, je le suis.
— Allons-y alors.
Océane glissa sa main dans la mienne, en souriant. Même si Ben faisait tomber une brique de mon mur à chaque fois qu’il m’envoyait des piques. Océane en remettez deux par sa patience, son amour et sa douceur.
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