Chapitre 11
Le trajet en avion entre l’aéroport de Glenharm et celui de Kelnya fut le plus long et je réussis à m’endormir un peu. À mon réveil, l’avion atterrissait et Maria m’y attendait déjà. Je mis rapidement mes lunettes de soleil, pour lutter contre le coucher de soleil avant de descendre de l’avion.
— Bonjour, ma grande, m’accueillit-elle en première.
— Bonjour Maria. Excuse-moi de t’avoir prévenu si tard. Ben m’a mis à la porte.
— Rentrons, tu m’expliqueras tout. Je suis contente de te voir.
Maria récupéra ma valise pour la mettre dans le coffre de sa voiture. Elle m’invita ensuite à monter à l’avant. Sans un mot, elle conduisit jusqu’à chez elle, me laissant regarder le paysage, perdu dans mes pensées.
— Elena, nous sommes arrivées, m’interpella-t-elle.
— Le village a été rénové ? remarquais-je en descendant de la voiture.
— En effet. Depuis que nos frontières sont ouvertes, le village s’est pas mal enrichi. Ce qui a permis de faire réparer de nombreuses bâtisses. Et c’est grâce à toi.
— Je me suis appliquée, n’est-ce pas ?
— Je suis fière de toi, ma grande. Et ta mère le serait aussi, n’en doute pas. Allez viens, j’ai eu le temps de te préparer une chambre à l’étage.
— Merci.
Pour l’aider, je portais moi-même ma valise tandis que les quatre gardes qui m’avaient accompagné faisaient je ne savais quoi. De toute façon, nous en avions discuté dans l’avion. Je ne voulais pas les voir durant mes vacances forcées, sauf en cas d’urgence. Après avoir installé mes affaires dans ma chambre, je descendis dans le salon, où Maria et Antoine m’attendaient avec du jus de fruits et des viennoiseries.
— Bonjour Elena, m’accueillit Antoine.
— Bonjour.
— Il faut que je te prévienne, ma grande, reprit Maria. Depuis quelques semaines j’héberge une jeune mère en détresse. Elle est orpheline, sans domicile et sans ressources. Sa chambre est à côté de la tienne.
— Il n’y a aucun souci. Quel âge à cet enfant ?
— Trois semaines pour être exact. Et Laurie est là depuis l’accouchement.
— Trois semaines ? Je pourrais aider s’il faut. Lui apporter mes conseils.
— Ce serait avec plaisir. Je dois avouer que je suis presque aussi perdu qu’elle. Ça fait longtemps que je ne me suis pas occupée de bébé. Tu étais la dernière, à ta naissance. Quand tes parents avaient besoin d’un peu de repos.
— Excuse-moi, mais je ne veux pas parler d’eux. Et encore moins de ma mère.
— C’est à moi de m’excuser. Pour moi, Julie restera toujours ma fille, celle que j’ai élevée.
— La femme non malade, je sais.
Pendant près de deux heures, je pus parler librement de tout ce qui me tracassait avec ma grand-mère. Du moins, tout ce dont j’avais connaissance. Tout ce que la discussion entre mon fils et son valet de chambre avait fait remonter. Quand la porte s’ouvrit sur la nuit noire, une jeune fille entra et me vit en larme dans les bras de Maria.
— Excusez-moi, je ne voulais pas déranger.
— Assieds-toi, Laurie. Elena ?
Cette fille devait à peine avoir seize ou dix-sept ans. Elle avait les yeux aussi rouges que les miens et de longs cernes. Dans ses bras, un bébé hurlait à pleins poumons alors que la mère semblait désespérée.
— Je peux ? proposais-je avant même qu’on soit présenté.
— Heu oui, bien sûr.
Elle me passa délicatement le nourrisson, emmitouflé dans une couverture que j’ouvris un peu. Ce bébé avait un peu de fièvre. Je m’approchais du lavabo, ouvrit légèrement le robinet d’eau et lui mouilla délicatement la tête jusqu’à réussir à l’apaiser.
— Comment vous avez fait ? m’interrogea la jeune mère. Ça fait plus de deux heures que j’essaie de la calmer.
— C’est une fille ?
— Oui, Mathilde.
— Ma fille aussi faisait régulièrement des poussées de fièvre. L’eau la rafraîchissait et les bruits blancs l’endormaient. Le simple fait d’entendre l’eau coulée la calmait.
— Laurie, je te présente Elena, ma petite-fille. Elle va rester quelque temps avec nous.
— Merci Elena.
— C’est normal.
— Tu n’as pas perdu la main à ce que je vois, reprit Maria. Même dix ans après.
— S’occuper de jumeaux, ça ne s’oublie pas, Maria, rigolais-je.
— J’oubliais que tu étais parfaite.
— Oh, loin de là, répondis-je en redonnant Mathilde à sa mère et en m’asseyant à ses côtés. Je ne serais pas là sinon.
— Ta mère te hante encore, ma grande ?
— Au point que mon fils me déteste, oui.
— Il a dix ans, ça va lui passer.
— C’est plus compliqué que ça. Entre lui et… Laurie sait pour notre histoire de famille ?
— Tout le monde ici sait que je suis la grand-mère de l’Impératrice, rigola-t-elle.
— Je vois. Eh bien, entre mon fils et l’Empire, je n’y arrive plus. Je ne sais plus où j’en suis, où je vais. Ni même ce que je fais.
— Ma question va te blesser, Elena, mais est-ce que tu te fais suivre par un psychiatre ?
— Je ne suis pas malade ! Je ne suis pas comme ma mère !
— Ce n’est pas…
— Si, c’est exactement ce que tu as sous-entendu. Si j’étais aussi folle qu’elle, le médecin impérial l’aurait déjà remarqué.
— Permet-moi d’en doute ! J’étais au côté de ta mère quand les premiers symptômes sont arrivés et je les reconnais chez toi.
— Je ne suis pas malade ! m’énervais-je en me levant et cognant sur la table.
— Assieds-toi et tous de suite !
Face à Maria, je redevenais la petite fille que j’étais face à ma mère. C’est en silence et la tête baissée que je me rassis.
— Bien. Demain, à la première heure, je te prends un rendez-vous avec le psychiatre du village.
— Mais…
— Il n’y a pas de, mais, Elena. Ici, tu n’es pas l’Impératrice. Tu n’es que ma petite-fille. Que tu aies trente-deux ans ou non n’y changera rien, c’est moi qui décide jusqu’à preuve du contraire. Est-ce que c’est clair ?
— Très clair, répondis-je en serrant les poings et la mâchoire.
— Maintenant que ça, c’est dit, mettez la table, on va manger. Laurie, le biberon de Mathilde est prêt, tu as juste à le réchauffer légèrement.
— Tu n’allaites pas ? la questionnais-je en reprenant le contrôle de mes émotions.
— Je ne suis pas vraiment à l’aise avec ça.
— Et personne ne lui a expliqué comment faire.
— Tu veux que je te montre ? C’est un moment important pour construire une bonne relation avec ta fille. C’est dans ses moments-là, quand elle est contre toi, qu’elle sent que c’est toi sa mère.
— Ça à l’air incroyable quand vous en parlez. Je veux bien essayer.
— J’ai allaité mon fils et ma fille. Tu peux me faire confiance.
— Je vais m’occuper de la table alors.
D’un geste, j’invitais Laurie à s’asseoir sur le canapé. Je lui pris sa fille pendant qu’elle a retiré son haut et la conseilla sur la position à adopter. Après l’avoir rassurée quelques minutes, je positionnais Mathilde correctement dans ses bras.
— Et là ? Qu’est-ce que je sois faire ? m’interrogea-t-elle paniquée.
— Je peux ?
— Faites tous ce que vous voulez.
Je la fis se décalais légèrement et m’assis dans son dos, mes jambes de chaque côté d’elle. Je plaquais son dos contre ma poitrine, posais mes bras au même endroit que les siens et remontais doucement sa fille jusqu’à son sein.
— Au début, soit ça va chatouiller, soit ce sera un peu désagréable. Mais c’est normal. Il te faut le temps d’appréhender cette sensation.
— D’accord.
— Prête ?
— Je le suis.
Je remontais ma main sous la tête de la petite qui téta instinctivement au contact du sein de sa mère. Quand je vis le visage de Laurie s’illuminer, je sus que j’avais réussi.
— Oh ! Regardez où elle a mis sa main. Elle est si belle.
— Ils sont mignons à cet âge. Est-ce que tu veux que je te laisse seule avec elle ?
— Non ! Restez avec moi, s’il vous plaît, Madame.
— Comme tu veux. Mais tu peux m’appeler Elena et me tutoyer.
— D’accord.
— Tu me parais bien jeune pour être maman. Tu veux bien me raconter ton histoire ?
— Elena ! intervint alors Maria.
— C’est compliqué, me répondit Laurie.
— Tu veux que je commence ? J’ai vécu pas mal de choses compliquée et difficile à raconter. Je ne te jugerais pas, jamais.
— Je veux bien que tu commences alors.
Pendant plusieurs minutes, je racontais les moments forts de ma vie sans entrer dans les détails. Ma mère, Océane, mon mariage avec le père de mes enfants, mon mariage avec Océane et ma relation compliquée avec mon fils. Pendant mon récit, je la sentais se détendre. Elle prenait de plus en plus appui sur moi, comme elle aurait dû faire dès le début. Quand je vis que Mathilde commençait à ralentir, je montrais à Laurie comment la retourner.
— Tu es mariée avec une femme ?
— Et oui. Depuis dix ans déjà. Je me suis mariée peu de temps avant la naissance des jumeaux. Le temps passe tellement vite quand on est heureux.
— Je ne sais pas si Maria te l’a dit, mais j’ai quinze ans.
— Elle ne m’a rien dit non.
— Quand je suis tombée enceinte, j’avais encore quatorze ans. Quand je l’ai su, c’était déjà trop tard pour avorter. Le père, lui, il… il a dix-neuf ans.
— C’est du détournement de mineur, ça !
— Elena, intervint Maria.
— Pardon. C’est l’Impératrice qui parle.
— Nous nous aimions vraiment. On l’a fait juste une seule fois et pourtant nous nous étions protégés. Quand je lui ai dit que j’étais enceinte, il m’a abandonnée et s’est enfui sur le continent. Je n’ai plus aucune nouvelle depuis.
— Depuis quand Maria s’occupe-t-elle de toi ?
— Depuis que l’orphelinat m’a rejeté, peu de temps avant la naissance de Mathilde.
— Pourquoi t’ont-ils rejeté ?
— En fait, c’est plus compliqué. Comme Mathilde n’est pas orpheline, elle ne pouvait grandir aux frais de l’orphelinat. Comme je voulais la garder, j’étais obligée de partir. Mais j’ai eu le temps de m’y préparer et aujourd’hui, je suis ici.
— Je suis navrée.
— Elena, je crois qu’elle a fini de manger, me regarda-t-elle en souriant.
Mathilde avait en effet fini son repas. Je montrais à la jeune maman comment attendre son rôt avant de pouvoir aller la coucher. Cinq minutes plus tard, elle était à table avec nous. Pour la première fois depuis longtemps, le repas se déroula sans que personne n’évoque un quelconque sujet en lien avec l’Empire. Pour une fois depuis longtemps, j’étais juste, moi.
Alors que je m’étais endormi assez rapidement, je fus réveillée au bout milieu de la nuit par les cris du bébé. Depuis que les enfants étaient nés, je n’avais toujours dormi que d’une oreille, par peur qu’il ne leur arrive quelque chose. Ils avaient aujourd’hui dix ans et rien n’avait changé. Entendre la petite de Laurie pleurer en pleine nuit était logique. Pour la laisser s’occuper seule de sa fille, j’attendis plusieurs minutes avant de la rejoindre dans sa chambre. Laurie faisait les cent pas dans sa chambre, Mathilde dans les bras. Quand elle me vit entrer, elle soupira de soulagement.
— Je ne voulais pas te réveiller, mais je ne sais pas quoi faire pour la calmer.
— Ça fait combien de temps que tu n’as pas dormi ?
— Depuis qu’elle est née.
— Tu veux que je m’en occupe cette nuit ? Que tu puisses te reposer.
— Tu ferais vraiment ça ?
— Si tu le veux, oui.
— Je veux bien oui. Merci.
— Va te coucher dans ma chambre alors.
Elle embrassa délicatement sa fille sur le front avant de sortir de la chambre en fermant la porte. Mathilde dans les bras, je m’assis sur le lit, dos au mur et commença à la bercer tout en lui caressant du doigt du front au nez. Cette petite caresse avait longtemps fonctionné avec Ben. Avant qu’il ne grandisse et s’éloigne de moi. En une dizaine de minutes, elle arrêta de pleurer et parvint à se rendormir dix minutes plus tard. J’avais un peu perdu la main. Avec Ben, ça allait plus vite. Dès que je fus sûr qu’elle dormait bien, je la couchais dans son lit et essayais de dormir avant son prochain réveil, dans quelques heures, pour manger.
Quand elle se réveilla, quelques heures plus tard, je descendis dans la cuisine lui récupérer son biberon. Je m’installais ensuite sur le dos pour la faire manger. C’est avec Mathilde dans les bras et allongée contre ma poitrine que je m’endormis, après l’avoir fait manger et l’avoir bercée.
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