Chapitre 12
À mon réveil, Laurie était assise dans une chaise, sa fille dans les bras. Quand elle me vit éveillée, elle me sourit et s’assit à côté de moi.
— Merci de t’être occupée de Mathilde cette nuit. Merci d’avoir veillé sur elle.
— Tu as pu te reposer ?
— J’ai dormi comme un bébé, oui.
— Alors c’est tout ce qui compte.
— Maria t’attend dans le salon, mais je ne sais pas ce qu’elle veut te dire.
— Merci de m’avoir prévenue. Je te rends ta chambre.
Libérant son lit, je sortis de sa chambre pour aller me préparer dans la mienne. Je choisis un jean et une chemise blanche. Je m’attachais les cheveux en une simple queue de cheval avant de rejoindre Maria dans le salon. Quand elle me vit descendre, elle se leva et récupéra son sac.
— Suis-moi.
— Où est-ce qu’on va ?
— Je t’ai pris rendez-vous avec le psychiatre, comme je te l’ai dit hier soir. Il t’attend alors on y va.
— Bon très bien. De toute façon, je n’ai pas le choix, n’est-ce pas ?
— Absolument pas non. Dépêche-toi.
En silence, je suivis Maria et montais à l’avant de sa voiture. Jouant avec mes doigts, nerveuse, je regardais la route sans dire le moindre mot. Je savais que ce rendez-vous signifiait. Je savais ce qu’il se passait dans ma tête même si je faisais tout pour l’ignorer. Parler avec ce psychiatre me faisait peur. J’avais peur qu’il annonce que j’étais malade, que j’allais devenir comme ma mère, aussi folle qu’elle. J’avais peur qu’il me dise qu’Elle n’était que le fruit de mon inconscient. Que la seule personne qui me comprenait réellement n’était pas réelle.
— Ce psychiatre est très professionnel, Elena.
— Ce n’est pas ça le problème.
— Je me doute que tu n’as pas envie d’apprendre que tu as la même maladie que ta mère, mais…
— Non, tu ne sais rien. Ce n’est pas toi qui as vécu dix-neuf avec elle. Tu l’as vu normal et devenir folle, c’est vrai, mais c’est moi qui ai subi sa folie, sa violence et sa haine. Je ne veux pas devenir comme elle. Je ne veux pas faire souffrir ma famille.
— C’est justement pour ça que tu dois te faire diagnostiquer le plus tôt possible, ma chérie.
— Pourquoi tu parles comme si j’étais déjà malade ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Nous sommes arrivées, Elena.
Elle coupa le moteur, sortit de la voiture et attendit que j’en fasse de même. En ouvrant la portière, mon cœur s’accéléra dans ma poitrine, j’étais de plus en plus nerveuse. Quand elle ouvrit la porte du cabinet médical, elle glissa sa main dans la mienne. Elle signala notre présence à la secrétaire et m’invita à m’asseoir dans la salle d’attente.
— Tout va bien se passer, Elena. Je t’attendrais ici, sauf si tu veux que je vienne avec toi.
— J’aurais aimé qu’Océane soit là.
— Pourquoi tu n’as pas pris rendez-vous avant alors ? Chez toi, à Glenharm.
— Parce que j’ai peur, Maria. J’ai peur de ce qu’il pourrait me dire.
— Madame Stinley ? m’interpella alors le psychiatre.
— C’est moi.
— Si vous voulez bien me suivre.
J’adressais un rapide regard à Maria qui m’encouragea à le suivre. Nerveuse, j’entrais dans le cabinet et m’assis au bureau tout en jouant avec mes doigts. Les deux minutes suivantes me parurent interminables. Assis devant moi, il regardait, je ne savais quoi sur son ordinateur avant de se tourner vers moi et de croiser ses mains sur son bureau.
— Maria m’a fait part de ce qu’elle attend de moi vis-à-vis de vous. Sachez que rien de ce qui se dira ici n’en sortira, pas même mon diagnostic. Sauf si vous souhaitez que je lui en parle.
— D’accord.
— Est-ce que vous voulez commencer à me parler ?
— De quoi ?
— De moi. Il veut que tu parles de moi, souffla la voix d’Elle.
— De tout ce dont vous voulez. Sauf si vous préférez que je vous pose des questions.
— J’aimerais bien, oui.
— A qui vous confiez-vous quand vous n’allez pas bien ?
— Tu as le droit de lui parler de moi si c’est ce que tu veux. Je n’en voudrais pas. Je suis seulement là pour t’aider, rappelle-toi.
— A ma femme ou à Emma.
— Qui est Emma ?
— Ma cousine et la Gouvernante du château impériale. Elle m’aide beaucoup avec mes enfants et me connaît depuis mes treize ans.
— Donc vous êtes mariée et vous avez des enfants ?
— Une si belle femme et de si beaux enfants. Même-moi, je te jalouse, Elena.
La remarque d’Elle me fit légèrement rigoler, laissant l’empreinte d’un sourire sur mon visage. Comprenant ce que je venais de faire, j’accentuais le sourire pour tenter de tromper le psychiatre. Son regard de braise restait pourtant fixé dans le mien en toute circonstance. Il me déstabilisait, mais je ne devais rien laisser paraître.
— Qu’est-ce qui vous fait sourire ainsi ?
— Je viens de me rappeler ce qui me rend si heureuse au château, mentis-je. Être avec ma famille.
— C’est en effet important d’être bien entouré. Qu’on soit en bonne santé ou non.
— Lui aussi est mignon. Tu crois que si je tente quelque chose…
— Il est trop vieux pour toi, chuchotais-je.
— C’est toi qui es vieux jeux, Elena.
— Vous avez dit quelque chose ? Elena ?
— Excusez-moi docteur, je me suis perdue dans mes pensées.
— Vous avez dit, « Il est trop vieux pour toi, » à qui parliez-vous ?
— Je n’ai pas dit ça.
— Tu peux lui parler de moi, Elena. Tu devrais lui parler de moi.
— Elena. Qu’est-ce que vous ne me dites pas ?
— Et bien… il y a bien quelqu’un. Elle… elle est toujours là quand j’ai besoin, peut importante que ce soir le jour ou la nuit.
— Qui est cette femme ?
— C’est juste… Elle. Je ne la vois jamais, je ne sais pas qui elle est vraiment. Je ne voulais pas vous parler d’elle parce que je sais ce que vous allez dire. Je sais que vous allez dire que je suis malade pour vous avoir parlé d’elle.
— Ce n’est pas parce que vous avez, ce qu’on peut appeler un ami imaginaire, que je vais forcément dire que vous êtes malade.
— Vraiment ?
— Vous savez, Madame Stinley. La plupart des enfants ont des amis imaginaires. Pourquoi pas les adultes ?
— Vous pensez vraiment ce que vous dites ?
— Bien sûr. Je ne mens jamais sauf quand mes patients sont trop malades. Ce qui n’est pas votre cas.
— Quel est votre diagnostic alors ?
— Votre grand-mère à raison. Vous avez les premiers signes de cette maladie, mais c’est encore trop tôt pour être certains se quoi que ce soit.
— Est-ce que ça veut dire…
— Vous devriez vous faire suivre par un psychiatre, chez vous, à Glenharm. C’est lui qui pourra suivre votre évolution et vous dire, dans quelques mois ou quelques années, ce que vous avez vraiment.
— Merci Docteur.
— Je vous laisse retrouver votre grand-mère. Prenez soin de vous.
Il se leva et me tendit la main pour me saluer. Il m’ouvrit la porte et me laissa sortir. En me voyant arriver, Maria se leva et s’approcha de moi. Elle posa une main dans mon dos et on marcha en silence jusqu’à la voiture.
— Tout s’est bien passé, me questionna-t-elle en démarrant.
— Plutôt oui. Il m’a aidé à comprendre certaines choses. Mais pour te répondre, je vais bien, pour le moment.
— Comment ça, pour le moment ?
— Il ne l’a pas dit clairement, mais je dois avouer que, pour moi, je commence bien à être malade. Tu avais raison.
— S’il ne t’a rien dit, c’est que ce n’est pas encore grave.
— Je sais bien, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer le pire. Je ne veux pas devenir comme ma mère, Maria. Je ne veux pas faire de mal à ma famille.
— Ça n’arrivera pas, Elena. Il te suffit de faire attention. Pourquoi tu n’en parlerais pas à Océane ou à ton médecin ? Ils seront plus aptes à te conseiller et à prendre soin de toi que moi.
Maria avait raison. Pourtant, je ne voulais pas avouer à Océane que la maladie qui avait détruit ma vie commençait chez moi. Je devais accepter que je risquasse de devenir comme ma mère, mais le dire à ma femme, c’était risquer qu’elle me surprotège plus qu’elle ne le faisait déjà.
En rentrant à la maison, Laurie était endormie sur le canapé. Discrètement, je remontais la couverture sur ses épaules et monta dans sa chambre. Sa fille était, elle aussi, allongée et endormie dans son lit.
— Mathilde est là ? me questionna Maria.
— Oui, elle dort.
— Depuis que j’héberge Laurie, j’ai de nombreux souvenirs qui reviennent. Ceux que j’ai partagés avec ta mère quand elle était bébé, surtout.
— J’aimerais bien parler d’elle. De qui elle était enfant. Une fois, elle m’a raconté que vous viviez dans un petit village maritime. Elle m’a dit que la première fois qu’elle était montée sur un bateau de pêche, c’était quand elle avait dix ans.
— Avec son père, oui. Assieds-toi. Je vais te préparer une tasse de thé et tout t’expliquer.
Après m’être assise, je récupérais la tasse de thé que me tandis Maria et attendit qu’elle me rejoigne.
— Enfant, ta mère était une petite fille joviale. Elle s’intéressait à tout. Elle voulait toujours en apprendre plus, en découvrir plus. Adolescente, elle passait beaucoup de temps à la bibliothèque du village. Elle a eu l’occasion de partir faire ses études à la Capitale, où elle a rencontré ton père. Quand leur relation à commencer, elle ne savait pas qui il était, ni qu’il allait devenir Empereur. Quand elle l’a su, elle a longtemps hésité. Elle ne voulait pas devenir Impératrice.
— J’ai du mal à imaginer ma mère, hésiter à devenir Impératrice.
— C’est tout à fait compréhensible. La femme que tu as connue ne se préoccupait malheureusement que de son trône et de son pouvoir. Elle ne s’occupait certes pas beaucoup de toi, mais quand je l’avais au téléphone, quand elle était lucide, elle regrettait sans cesse. Elle voulait t’envoyer auprès de moi et de ton père.
— Je ne comprends pas comment vous avez pu la laisser faire. Vous saviez qu’elle ne se contrôlait plus. Elle a volontairement fait partir mon père et celui d’Emma. Mais pourquoi ce n’est pas elle qui est partie ?
— Ta mère était rarement lucide. Quand elle ne l’était pas, nous ne pouvions rien faire. Quand elle l’était, on faisait tous pour qu’elle me rejoigne ici, qu’elle abandonne sa couronne, qu’elle laisse ton père s’occuper de toi. Mais ces moments de lucidité étaient trop courts pour qu’on puisse parvenir à quoi que ce soit. Elle passait plus de temps avec toi qu’à nous écouter. Tu peux me croire ou non, mais quand elle était elle-même, avec toi, elle était très attentionnée. Elle avait peur de te faire mal, elle appelait sa gouvernante au secours au moindre pleure. Elle n’était pas très douée, c’est vrai, mais elle t’aimait.
— J’ai vraiment du mal à y croire là pour le coup.
— C’est tout à fait compréhensible.
Derrière moi, j’entendis Mathilde grogner. Elle se réveillait doucement. N’ayant plus vraiment envie de parler de ma mère, ne voulant plus imaginer la vie que j’aurais pu avoir si elle s’était soignée dès le début, je me concentrais sur la petite. Laurie dormait encore profondément. Délicatement, je récupérais Mathilde dans mes bras. Maria lui prépara alors un biberon.
— Qu’est-ce qui te tracasse au point de mettre fin à notre discussion ?
— Fuir est malheureusement ma spécialité. Quand je ne sais pas comment réagir, quand je sais à l’avance comment ça va se terminer, je fuis. Comme je l’ai tellement fait avec Ben.
— Pourquoi tu fais ça ?
— Je ne saurais te l’expliquer.
— Je pense que tu as peur de l’échec, tout simplement. Tu fuyais Ben, parce que tu savais que, quoi que tu lui dises, tu serais blessée. Quand tu sais qu’une situation politique ou une décision va te mettre en porte à faux, tu préfères te mettre à l’écart et laisser Océane faire. Tu fuis la situation.
— C’est Océane qui t’en a parlé c’est ça ?
— Oui. Elle s’inquiète pour toi plus que tu ne le crois. Ce n’est qu’une proposition, mais, est-ce qu’il ne serait pas tant pour toi de te mettre officiellement en retrait ?
— Pour qu’Océane soit seule à tout gérer ? Ce n’est pas une bonne idée.
— Je pense, dans ce cas, que tu devrais en faire moins. Il te faut plus de temps pour t’occuper de toi et de ta famille. Pourquoi ne pas engager un assistant ?
— Ça pourrait être une solution, en effet. J’en discuterais avec ma femme.
— Ton père aussi pourrait te conseiller, si tu lui demandais.
— Il est déjà intervenu dans ma relation avec Ben. Ce ne serait pas correct de le faire revenir juste pour ça. Il faut juste qu’on se réorganise, c’est tout.
— Tu es la mieux placée pour savoir quoi faire.
Quand Laurie se réveilla, je lui rendis sa fille et partis me reposer dans ma chambre. Si j’étais là, c’était avant tout pour me remettre en question, pour comprendre ce qui ne fonctionnait pas chez moi. Je récupérais mon téléphone et mes écouteurs, lançait une musique et me posais dans mon lit pour réfléchir.
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