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Après avoir quitté Marco, Flavia gagna d'un pas déterminé son appartement, mais dès qu'elle s'y fut réfugiée, elle se départit fébrilement de ses vêtements et se pelotonna dans son lit, prise d’une irrésistible pulsion.
La tête sous les draps, elle se repassait sans cesse le film des dernières vingt-quatre heures, son étreinte brutale avec l’assassin, son attitude contradictoire. Ses flancs portaient toujours les stigmates des doigts de son ancien amant, et elle ne pouvait s'empêcher d'y apposer les siens pour réveiller la douleur. Il fallait que cette souffrance s'incruste dans son esprit pour la détourner de lui à l'avenir.
Sa dernière mise en garde, le regard qu'il lui avait lancé après l'avoir soumise si brutalement jetait toujours un trouble obscur dans son âme. Elle devait absolument s'en débarrasser afin d'aller de l'avant.
Mais le silence la renvoyait à la délicieuse douceur de son torse contre elle, qu'il lui semblait à nouveau éprouver dans la tiédeur duveteuse des draps.
Devancées d’un lointain coup de tonnerre, quelques gouttes ruisselèrent sur les carreaux des vitres, suivies d'un déluge qui s'abattit subitement. Le temps était décidément au diapason de son cœur, s'abîmant dans une morne grisaille que rien ne semblait pouvoir égayer.
Pour combattre les idées noires qui s'insinuaient en elle, elle inséra un disque dans sa chaîne. Elle savait que les mélodies énergiques qui y étaient gravées seraient les plus à même de la réveiller de sa morosité.
La guitare saturée de rage de Love is a loaded gun bouscula le vide qui l'entourait, insufflant en elle une nouvelle vigueur. Portée par le rythme puissant, elle poussa le volume à fond et se redressa sur le lit en balançant la tête en rythme. S'oubliant le temps d'une chanson, elle hurla le refrain, exorcisant les sentiments qui menaçaient de l'emporter à nouveau.
I tried to look the other way and fake it
J'ai essayé de détourner le regard et de faire semblant
You push me to the limits
Mais tu me pousses à bout
I can't take it
Et je ne peux plus le supporter
One down, one to go
Une tirée, une prête à fuser
Just another bullet in the chamber
Juste une autre balle dans le chargeur
Sometimes love's a loaded gun
Parfois, l'amour est un pistolet chargé
Red lights, stop and go
Feu rouge, stop et partez !
What ya gonna do when you play with danger
Que feras-tu quand tu joueras avec le danger ?
Sometimes love's a loaded gun
Parfois, l'amour est un pistolet chargé
And it shoots to kill
Et il tire pour tuer
Pendant quelques minutes, elle était redevenue la jeune fille insouciante qu'elle était encore l'année précédente, celle qui pouvait encore confier ses rêves et ses petits chagrins à sa meilleure amie, Chiara. Quelques mois avaient pourtant suffi à la couper de tout cela, la maladie puis la mort de sa mère, ses premières amours avec Malaspina et Leandro, la découverte de la véritable nature de leur liaison, tout cela avait eu raison de ses dernières illusions.
Jusqu'à ce que le regard de Marco porte son ombre sur elle et ravive la flamme qu'elle avait tenté d'ensevelir en elle.
Il la méprisait, cela n'avait pas changé, malgré tout ce qui s'était produit depuis. Son opinion sur elle pouvait-elle se justifier ? En effet, il l'avait vue s'offrir indifféremment à ses chefs, d'abord à l'un, puis à l'autre, enfin aux deux réunis. Il savait également qu'elle s'était donnée aux mafieux de la branche romaine de la Fiammata, même si c'était pour les besoins de la cause qu'il servait, une telle implication s'expliquait certainement par une légèreté coupable qui la diminuait à ses yeux. Comment comprendre la valeur de ce qu'elle lui avait accordé alors qu'elle semblait dispenser ses charmes sans distinction à qui le voulait ?
Fadaises que tout cela ! Qui était-il pour la juger ? balaya-t-elle en se saisissant de son ordinateur. Un mail l’attendait, la tirant à moitié de ces ressassements incessants.
Angelo lui avait dûment adressé la teneur des cours qu'elle avait manqués. Au prix d'un effort considérable, elle parvint à s'y plonger. Mais avant cela, il lui avait fallu lire et relire plusieurs fois les premiers paragraphes, tant le tueur demeurait omniprésent dans ses pensées.
S'empêcher de penser devint son occupation principale les jours suivants. Durant les moments où elle n'était pas à la faculté, elle s'affaira activement à la rédaction de son mémoire, depuis l'instant où elle se réveillait jusqu'à celui où elle s'endormait d'épuisement, le regard flou d'avoir trop fixé l'écran de son ordinateur.
Marco ne donnait plus signe de vie, mais elle n'avait pas essayé de le contacter de son côté. Qu'aurait-elle eu à lui dire de toute façon ? Mais elle ne pouvait se défendre de jeter de temps à autre un coup d'œil au téléphone, espérant malgré elle un message qui ne venait jamais.
À l'université, elle ne quittait plus la compagnie d'Angelo, forçant les conversations d'un enthousiasme surjoué qui sonnait faux. Son camarade, déstabilisé, tenta bien de lui poser quelques questions pour comprendre ce surprenant changement d'attitude, mais elle les repoussa en lui assurant que tout allait pour le mieux. En fait, elle ne s'était jamais mieux sentie, lui répéta-t-elle jusqu'à ce qu'il abandonne la partie.
Vesari lui-même s'interrogea devant le regard vide qui le dévisageait sereinement sans le voir. Que signifiait cette attitude ? Devait-il l'interpréter comme une volonté de faire la paix ou un nouveau défi lancé à son encontre ?
Les jours s'écoulèrent ainsi, dans cette tragique comédie qu'elle jouait à son monde. Pour tous, elle semblait mettre son cœur à tout ce qu'elle faisait, sans avoir le cœur à rien.
Le jeudi soir, une notification lui parvint sur son téléphone, rompant la mascarade. L'historique des appels lui apprit qu’elle venait d'Alteri. Laconique, ce dernier lui faisait part d'une invitation du Boss pour la soirée suivante, sans en dire plus. Le ton machinal ne laissait rien présager de la teneur du message.
— Tu es demandée demain soir, apprête-toi en conséquence, lui intimait-il sans aucune formule de politesse. Je passe te prendre à 19 heures.
Elle serra l'appareil contre sa mince poitrine. Ainsi, après leur rude rencontre à l'auditorium, Il souhaitait la revoir ? Cela n'augurait rien de bon, songea-t-elle.
Était-elle en danger ? Il fallait prévenir sans attendre le caporegime. Il lui semblait avoir fait une croix sur ses sentiments pour lui, mais cette renonciation était trop récente pour ne pas risquer de rechute, jugea-t-elle prudemment.
Cependant, se rendre à l'invitation de son ennemi sans que Marco ait pris ses dispositions pour la suivre était insensé, et revenait à se jeter dans le vide sans filet. Elle eut un moment de flottement à cette pensée. La protégeait-il malgré tout ?
Elle composa le numéro, les sonneries retentirent, une, puis deux, ses doigts lui semblèrent glisser insensiblement sur le plastique du combiné.
— Flavia, comme staje ? l'accueillit la voix rauque du mafieux.
— Le Boss veut me voir demain. Alteri viendra me chercher à 19 heures au point de rendez-vous habituel, annonça-t-elle, la gorge serrée, sans faire de cas de la question de son interlocuteur.
Subitement, elle raccrocha. L'entendre l'avait suffisamment ébranlée, elle voulait garder sa résolution intacte. Pour se ressaisir, elle prit une grande inspiration et se jeta sur son ordinateur pour s'immerger dans le travail. L'appréhension d'une nouvelle entrevue avec son ennemi avait disparu, elle fit place à une semi-rêverie traversée par des bribes de ses lectures latines.
" Labor omnia vincit improbus " lut-elle. En effet, le travail opiniâtre pouvait venir à bout de tout.
Elle se le tint pour dit, et jusqu'au lendemain, elle vécut à l'heure du règne d'Auguste, elle ressuscitait dans son esprit cette langue morte, tant et tant qu’elle en venait presque à penser directement en latin. Comme elle l'avait fait les jours précédents, elle noya Angelo sous un flot de paroles parfois légèrement décousues. Elle lui détailla longuement la teneur de son travail, les synthèses qu'elle avait réalisées, comment elle avait articulé ses arguments pour créer un ensemble cohérent.
À peine réussit-il à placer une ou deux suggestions, au milieu de cette logorrhée continue.
— Hé bien, tu es passionnée par ce que tu fais... c'est bien d'être aussi enthousiaste, conclut-il, un brin sarcastique.
Avec flegme, il pensait que ce n'était qu'une passade et qu'il retrouverait bientôt la Flavia douce et rêveuse qu'il affectionnait.
La jeune fille comprit le sous-entendu, elle en faisait un peu trop, apparemment. Mais elle ne pouvait se payer le luxe de s'écouter penser en ce moment, prise entre deux feux, entre ces deux menaces qui lui semblaient d'égale dangerosité.
Après avoir gratifié son compagnon d'un petit sourire gêné, elle en prit congé pour rejoindre à pas rapide l'arrêt de bus devant la faculté. Ses ongles heurtèrent la barre verticale en s'y raccrochant, elle ne parvenait pas à les desserrer, crispée comme elle l'était.
Le bus était ralenti par les embouteillages, c'était souvent le cas, mais pour une fois, cela ne l'exaspéra pas, elle redoutait même sa progression qui lui paraissait trop rapide. Debout au fond du bus, elle gardait son regard rivé à la direction d'où elle venait, tournant délibérément le dos au sens de circulation. Malgré sa réticence à se l’avouer, la destination se rapprochait inexorablement, le terminus Rinscimento, proche de la Piazza Navone. Elle traîna des pieds pour en descendre, mais arrivée à terre, elle inspira un grand coup. Cela ne servait à rien de s'atermoyer ainsi, elle ne reculerait pas l'échéance en se comportant aussi lâchement.
Cela l'enrageait, ces alternances de phases où elle réussissait à faire face, auxquelles succédaient invariablement des périodes pendant lesquelles elle s'affaissait face au destin. Elle cheminait, absorbée dans ces réflexions quand ses yeux furent attirés par la fontaine aux livres sur la Via degli Staderari. L'ouvrage d'art résumait bien sa vie avec ses quatre livres d'où s'écoulait le flux du savoir devant le cerf indifférent, symbole d'une chasse vaine, et peut-être du salut. L'animal avait fait ployer son prédateur et l'avait amené sur la voie de la vertu divine. Mais en ce qui la concernait, il fallait simplement que la proie abatte son chasseur, pour le salut de tous. Il était impossible de faire plier un tel nuisible, il ne possédait aucune lumière qui aurait pu justifier qu'il soit sauvé. Elle se détourna vivement de la sculpture pour traverser la grande place et rejoindre s. Une fois parvenue chez elle, elle prit une minute pour se rafraichir.
Après s'être inondé le visage d'une pluie glacée, elle se scruta attentivement, afin de jauger sa détermination. Fronçant les sourcils pour se convaincre, elle s'affaira à tracer une ligne de khôl à la base des cils pour durcir ses traits. Et pour s'endurcir davantage, elle se cuirassa dans la robe de deuil qu'elle avait portée lors de l'enterrement de sa mère et de ses amants, celle-là même avec laquelle elle comptait accompagner son jeune ami dans sa dernière demeure. Elle enfila la courte robe croisée à même la peau et sangla fermement le collier de soumission autour de son cou. Pourquoi s'embarrasser d'un soutien-gorge pour mentir sur sa silhouette ? Le Boss la connaissait et l'acceptait comme telle, pourquoi en ferait-elle autrement ?
Elle esquissa un sourire en inspectant une dernière fois sa tenue. Est-ce que ses relations barbares qu’elle entretenait avec le Boss pouvaient avoir eu un effet bénéfique pour elle ? De manière assez surprenante, toutes ses pérégrinations avaient renforcé sa confiance en elle... non pas renforcé, mais véritablement conféré une force nouvelle. Chaque vicissitude l'avait affermie, même si la peur demeurait tapie en elle, une anxiété irrépressible quand il s'agissait du Boss. Il la haïssait profondément, sans aucun doute, il lui réservait un sort pire que les tourments qu'elle avait déjà connus.
À tout prendre, autant y aller franchement ... elle ajouta une couche de rouge à lèvres pourpre et se parfuma de sa fragrance favorite, s'enveloppant dans un voile suave de clémentine et de réglisse.
La puissance sucrée des effluves sembla se répandre dans ses veines, et elle se jeta vivement à la rencontre d'Alteri.
Elle le découvrit assis à l'arrière d'une Alfa Romeo Giulia rouge aux vitres teintées. Sa portière était grand ouverte, une de ses jambes était étendue à l'extérieur. Elle ne put se défendre d’admirer le galbe du mollet et de la cuisse musclés soulignés par un pantalon à pinces grège en laine et une élégante richelieu en cuir marron qui reposait à terre nonchalamment. Comme à son habitude, il arborait sa beauté lisse de mannequin de magazine dans cette pose dégagée.
En retour, le mafieux contempla la jeune fille un court moment puis l'invita à monter, d'un simple geste du menton.
Pendant tout le trajet, il garda le silence, fixant la vitre séparative, se refusant à tout commentaire. Cependant, elle devinait qu'il l'observait du coin de l'œil. Avait-il abandonné ses vues sur elle ? Et dans ce cas, pouvait-elle encore compter sur sa complicité passive ? L'examen insidieux auquel il se livrait et les nombreuses questions qui fusaient dans son esprit ne la détournèrent par pour autant de l'autre surveillance dont elle savait faire l'objet. Quelque part derrière elle, Marco la suivait. Implacablement, il poursuivrait sa traque. En cela, elle avait pleinement confiance, malgré les évènements qui les avaient séparés. Ils étaient partenaires à présent, elle ne le verrait plus que comme tel, se promit-elle une énième fois.
Au bout d’une demi-heure de ce silence gêné, pendant laquelle Flavia gardait les yeux rivés à sa montre, le véhicule s’immobilisa enfin. Il lui sembla qu’il avait roulé sans s’arrêter cette fois, hormis lors de rares et courts moments. La circulation avait donc été fluide. Il faudrait voir dans quel rayon cela la portait, si on considérait qu’ils avaient avancé à environ cinquante kilomètres à l’heure, ce qui était la vitesse limite autorisée en ville. Un simple calcul définirait un périmètre probable où effectuer les recherches, songeait-elle encore quand la voiture se gara.
Il lui faudrait en faire part à son complice, car la manipulation des chiffres avait toujours été pour elle un exercice ésotérique, ses piètres résultats en mathématiques en avaient témoigné par le passé.
En compagnie du Consigliere toujours mutique, elle arpenta les longs couloirs du quartier général de la Fiammata. Ils étaient invariablement vides, constata-t-elle une nouvelle fois, d’autres mafieux s’y trouvaient-ils à demeure, comme à Naples ? Si c’était le cas, une intrusion ici se révèlerait périlleuse, dans le cas contraire, une infiltration aurait davantage de chances de succès. Les profonds renfoncements des portes qui jalonnaient ces corridors pourraient servir d’autant de caches de fortune, imagina-t-elle. Pour la première fois, elle se montra attentive au nombre et aux places des caméras de surveillance, tâchant d’en graver l’emplacement exact dans son esprit. La prochaine fois, elle compterait le nombre de portes, décida-t-elle pour guider le plus sûrement possible son complice.
Elle avait dénombré au moins sept caméras entre le sous-sol et la salle où le Boss recevait habituellement ses invités en petit comité : deux dans les sous-sols, une dans l’ascenseur, quatre aux coudes formés par les couloirs. Encore, fallait-il que lors de l’intervention de Marco ait lieu pendant une des soirées auxquelles elle était conviée, pour que toutes ces informations servent à quelque chose.
Ses mains se crispèrent sur le tissu noir de sa robe alors qu’elle s’apprêtait à pénétrer dans cet enfer miniature qui se présentait devant elle. Elle frémit de revenir au contact de cette armée démoniaque, Giorgio, Andrea, le Boss et Dieu sait qui encore. Même Alteri semblait indifférent au supplice qui l’attendait certainement derrière la porte marquetée. Le motif qui y était incrusté par un assemblage de bois sombres, un triangle qui pointait son sommet vers le haut, évoquait le symbole alchimique du feu. Ce pictogramme particulier l’avait frappée dans un ouvrage du pseudo-Democrite, deux ans auparavant. Celui-ci lui parut de prime abord un funeste présage, synonyme de souffrance, mais in fine, il lui apporterait la damnation ou le salut. En renaîtrait-elle purifiée ou y finirait-elle consumée ?
Mais le grincement léger du battant la tira de cette divagation incongrue en ce moment critique. Stupéfaite, elle réalisa que le bras droit du Boss ne lui avait pas demandé de se dévêtir avant d’entrer, ses mains s’agrippèrent davantage sur les pans de la jupe, mais un geste discret de ce dernier arrêta son mouvement.
Maddalena était agenouillée près du Boss, féline dans une robe vaporeuse couleur lie de vin. Face au grand chef de la plus puissante organisation mafieuse du pays, trois hommes à la peau cuivrée et aux yeux bridés étaient affalés dans un long canapé de cuir capitonné, un cigare à la main et un verre dans l’autre.
En une fraction de seconde, la jeune fille remarqua les tatouages sur leurs joues, leurs fronts et leurs mentons. Sans pourtant savoir que ceux-ci les rattachaient au dangereux gang colombien des jinetes del Apocalipsis, elle déglutit devant l’inquiétante sauvagerie qui émanait de leur apparence. À côté d’eux, le Boss avait presque l’air civilisé, il s’en fallait de peu qu’il la rassure malgré elle.
Pétrifiée, elle contemplait cette confrontation silencieuse.
— Maddalena, va t’assurer que mes amis soient parfaitement satisfaits de leur visite ici, en notre belle ville, ordonna froidement le maitre des lieux à son amante.
La sublime rousse tourna un visage effaré vers le demi-masque qui avait prononcé ces paroles, assommée aussi bien par la sentence qui venait de tomber que par le ton indifférent sur lequel elle avait été prononcée. Incrédule, elle scruta désespérément les trous noirs qui laissaient entrevoir un éclat sombre, comme si elle s’attendait à ce que quelque chose vienne démentir sa soudaine disgrâce.
Un court moment de flottement s’écoula au terme duquel le parrain se tourna ostensiblement vers les yeux bleus éperdus de la prostituée. Celle-ci tressaillit ostensiblement, et après s’être levée péniblement, se dirigea vers les Colombiens d’un pas lent, comme si elle se dirigeait vers l’échafaud. Son teint à la carnation pâle blêmissait jusqu’à faire craindre qu’elle ne perde connaissance, mais de cela, le Boss n’en avait cure. Elle prit place à quelque distance des hôtes du jour, croisant les jambes et s’entourant de ses bras fébriles.
Cette vision de désespoir déchirait le cœur de Flavia, qui se souvenait de ce qu’elle lui devait.
— Petite chienne, viens ici, intima le Boss, sans plus s’occuper de son ancienne compagne. Désormais, c’est toi qui me serviras. Tu t’es bien pavanée l’autre jour, mais maintenant tu vas retrouver la place qui est la tienne, à mes pieds. Ma chienne donne des conférences en littérature latine, figurez-vous, déclara-t-il à l’attention de ses invités, alors que Flavia prenait la place laissée vacante par la favorite déchue.
Ouvre la bouche, ordonna-t-il en empoignant ses cheveux, de manière à ce qu’elle le regarde droit dans les yeux.
Flavia s’exécuta, stupéfaite de cet ordre abscons. Horrifiée, elle le vit se pencher vers elle et sentit s’infiltrer entre ses lèvres béantes une grosse goutte de salive visqueuse. Un haut-le-cœur la prit, sous les yeux attentifs du Boss, incandescents dans l’ombre du loup blanc.
Un éclair de lucidité lui permit de comprendre qu’il la testait, il mettait à l’épreuve son obéissance et aucun écart ne serait toléré devant les féroces Colombiens.
Se faisant violence, elle déglutit, baissant la tête en signe de soumission.
— C’est bien, c’est ainsi que doit se comporter une chienne, approuva le mafieux. Ne crois pas que tu auras les mêmes privilèges que Maddalena. Parce que tu n’es pas aussi décorative qu’elle, et ce malgré son âge, tu t’en doutes bien. Je sens que je vais bien m’amuser avec toi, tu as prouvé ton endurance, et tu es résiliente. On va voir jusqu’à quel point.
Il leva la main vers ses gardes du corps et claqua des doigts.
— Giorgio, Andrea, amenez de quoi la rendre plus décorative ! Et toi, Maddalena, au travail ! rugit-il sourdement.
Immédiatement, Flavia, épouvantée, entendit des pas se rapprocher d’elle par-derrière, ponctués d’un cliquètement terrifiant.
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