Chapitre 3 

Lana n'avait jamais été crédule au point d'imaginer rencontrer un jour le prince charmant. Comme toutes les jeunes filles de son âge, et compte tenu de ce qu'elle avait vécu par le  passé, elle espérait juste une relation sincère, durable, basée sur des sentiments véritables. Rien de plus normal, en somme. Elle n'était pas non plus la jeune fille dépravée qu'Yvan se plaisait à décrire lorsqu'il cherchait à se donner bonne conscience afin de justifier ses actes. Non, certainement pas. Lana aimait suivre la mode, et alors ? Qui aurait pu le lui reprocher ? Et s'habillait en réalité comme toutes celles de sa génération. 

Elle se souvenait même que c'était justement ce petit air branché qui avait plu à Yvan la première fois qu'ils s'étaient rencontrés. Alors que s'était-il passé ? Et pourquoi ce qui l'avait attiré autrefois ne lui valait aujourd'hui que des réflexions désagréables, voire des humiliations ? Petit à petit, il avait formaté ses goûts, au point de la rendre différente, moins attirante. Elle avait assisté impuissante à cette transformation et l'avait acceptée. Au début pour lui faire plaisir, et ensuite par peur de le contrarier, tout simplement. Ce qu'elle voulait avant tout, c'était le rendre heureux et qu'il soit fier d'elle. Ensuite elle avait juste cherché à éviter les conflits et à trouver la paix, malgré lui. 

Mais quoi qu'elle fasse, il n'était jamais satisfait. La moindre contrariété, un regard qu'il jugeait déplacé, une simple moue sur son visage, suffisaient à le mettre hors de lui. Dans ces cas-là, il ne servait à rien de se justifier. Non, il fallait juste attendre, se taire et courber l'échine, comme la proie qu'elle était devenue, faire acte de soumission. Même dans ces conditions, sa fureur ne s'éteignait pas pour autant et l'amenait invariablement vers un châtiment, qui atteignait son paroxysme lorsqu'elle se trouvait à terre, assommée par ses coups.

Mais comment aurait-elle pu savoir, sans avoir jamais connu de parents, ni de relations affectives stables, qu'elle était en train de perdre peu à peu sa dignité de femme, au contact de cet homme jaloux ? À qui aurait-elle pu en parler ou demander conseil ? Avec son passé d'enfant de la Ddass, Lana s'était toujours sentie différente, stigmatisée par le regard des autres. Elle, qui aurait tellement aimé être comme tout le monde et grandir au sein d'une vraie famille, n'avait connu qu'abandon et violence. 

Et plus cette dernière se manifestait tôt dans la vie d'un individu, plus les dégâts qu'elle engendrait laissaient des traces dans l'existence, une fois adulte. 

L'énergie normalement transmise par ceux qui vous mettent au monde, elle ne l'avait pas reçue, comme ce sentiment légitime d'être aimée et désirée. Elle avait dû se battre pour se reconstruire, faire confiance à nouveau, ne pas laisser sa peur et ses craintes gouverner sa vie. Quand son chemin avait croisé celui d'Yvan, elle avait tout de suite su que c'était lui. Était-ce sa manière toute particulière de la regarder, comme si elle était unique ? Sa façon de lui parler avec douceur ou son physique imposant qui l'avait rassurée ? Elle ne s'en souvenait plus. 

Aujourd'hui, Lana avait l'impression de vivre dans un trou noir, dont elle ne parvenait pas à s'échapper. Elle se sentait traquée, surveillée, comme une prisonnière sous l'emprise de son geôlier. Même ses excuses, lorsqu'il en formulait, avaient un goût de violence et parvenaient à faire naître en elle un relent de culpabilité. En effet, il ne cessait de proclamer que « c'était lui la victime » et par là même, il sous-entendait que c'était elle le bourreau. Mais de quoi pouvait-elle être bien coupable ? Elle n'avait de cesse de se poser la question sans jamais parvenir à trouver de réponse...