Chapitre 5 

C'est pour cette raison qu'il avait brusquement écourté sa semaine de travail et décidé de rentrer plus tôt, sans en avertir Lana, histoire de lui faire la surprise. Il voulait en effet avoir une conversation sérieuse avec sa femme, car le doute le rongeait et lui empoisonnait l'existence. Et si ses soupçons n'étaient en réalité que le fruit de son imagination ? Il reconnaissait volontiers qu'il avait été difficile à vivre ces derniers temps et que les week-ends, l'ambiance était plutôt électrique. En réalité, il avait perdu le sommeil et tenait sur les nerfs depuis de longs mois.  

Chaque fois qu'il était à l'appartement et après s'être assuré que son épouse dormait, il jetait un œil sur son téléphone, histoire de vérifier ses appels et messages. Jusqu'à présent, il n'avait découvert aucune preuve de son infidélité, rien ne permettant de confirmer ses soupçons, et ce n'était pas faute d'avoir cherché. Il y avait bien cette nouvelle amie, Stéphanie, qui ne cessait de lui envoyer des textos et avec laquelle elle était au téléphone en permanence, y compris en sa présence, ce qui l'agaçait d'ailleurs énormément. Mais Lana lui avait assuré qu'il s'agissait d'une employée de la bibliothèque, une pauvre fille, qui venait de se faire larguer par son mec et qui cherchait désespérément un peu de réconfort. Connaissant le côté «Ménie Grégoire» de son épouse, Yvan se doutait qu'elle n'avait pas dû se faire prier pour accepter de jouer ce rôle de confidente. 

Plus il réfléchissait, plus il en arrivait à la conclusion qu'il se montait la tête inutilement. S'il broyait du noir, c'était qu'il était juste fatigué, à bout. Tous ces allers-retours étaient épuisants. Il devait se reprendre, positiver. Non, bien sûr qu'il n'était pas trop tard, que les choses pouvaient encore s'arranger. Il allait commencer par lui acheter un bouquet de roses, ses fleurs préférées. Aucune femme ne restait insensible à un tel geste. Ensuite ils iraient au restaurant, il y avait longtemps qu'ils n'étaient pas sortis ensemble. Aller dans un lieu public était même une très bonne idée, car il comptait profiter de ce repas pour la questionner. Et si jamais elle s'avisait de lui mentir, il lui suffirait alors de hausser le ton pour lui faire avouer la vérité. Elle détestait se faire remarquer. Rassuré pas ses nouvelles résolutions, il s'arrêta comme convenu chez un fleuriste et c'est avec un grand sourire qu'il gagna l'appartement. 

Pendant ce temps-là, Judith s'inquiétait. Elle se doutait bien que son fils lui cachait quelque chose, il n'y avait qu'à le regarder pour s'appercevoir qu'il était en pleine dépression. Sachant qu'il rentrait aujourd'hui, elle se demandait, non sans appréhension, si ce retour prématuré était vraiment une bonne idée. Elle qui avait tant œuvré pour en arriver là commençait seulement à entrevoir la portée dramatique de son geste. Et si jamais il surprenait Lana avec Stéphane ou avec un autre homme, comment réagirait-il ? Cette mère connaissait bien son enfant et savait qu'il pouvait lui arriver d'être impulsif, voire violent en certaines occasions. Elle n'était pas dupe non plus des raisons pour lesquelles sa belle-fille portait des lunettes noires, quelle que soit la saison. Bien évidemment, Judith n'approuvait en rien ce genre de comportement, mais son fils était devenu un homme sans même qu'elle s'en rende compte et s'il estimait devoir agir ainsi, il avait sûrement ses raisons. De toute façon, ce n'était plus son problème, il était assez grand. 

Il y a longtemps qu'Yvan ne lui faisait plus de confidences. Mais son instinct maternel l'avertissait malgré tout que quelque chose de grave se préparait.