Chapitre 12
Nous progressions rapidement. Depuis que nous avions attrapé les lapins nous n’avions pratiquement décroché aucun mot, on se contentait de courir, de se mouvoir avec le plus de souplesse et de fluidité dont nous étions capables pour avancer vite en évitant les troncs.
Nous étions arrivés au cœur de la forêt. On le devinait aux troncs d’arbres de plus en plus rapproché et à la pénombre qui régnait même en plein jour. Alors que nous avancions toujours plus en gardant un œil sur l’autre, je perçu un mouvement du coin de l’œil qui me fit ralentir avant de m’arrêter. Gabrielle avait disparu.
Je l’appelais par son prénom, en espérant la voir surgir de derrière un arbre, un sourire contrit sur le visage, m’expliquant qu’elle était tombée, ou quoique ce soit d’autre. Mais j’avais un pressentiment, je sentais que ce n’était pas aussi simple, pas aussi innocent. Il s’était passé quelque chose mais quoi ?
Une forte impression d’être observé m’assaillit soudainement. Je fronçais les sourcils et scrutait les alentours, essayant de deviner ce qui se cachait dans la pénombre.
Un bruissement sur la droite.
Je me tournais vivement, espérant surprendre l’assaillant, mais je reçu un coup derrière le genou gauche et je m’effondrais. Je tentais de me relever en tournant la tête pour voir ce qui était en train de m’attaquer.
Bien évidemment je ne le reconnu pas, nous étions tellement, mais je savais ce qu’il était en train de faire, éliminer les concourants un à un pour s’assurer la victoire. Après tout il en allait de sa vie.
Inquiet de ce qui avait pu arriver à Gabrielle, je décidais de mettre ces pensées de côté pour me concentrer sur ma situation pour le moins critique. Toujours au sol, avec son bras autour de mon coup pour m’étouffer, je réfléchis rapidement aux choix qui me restaient. Dans tous les cas je devais me dégager de son emprise si je ne voulais pas perdre connaissance ou la vie.
Je fermais les yeux.
Dans l’une de mes lectures loisirs, à l’époque où j’en avais encore le temps, un professeur de combat au corps à corps enseignait à son élève comment dominer l’autre et lui indiquait que la tête était le meilleur angle d’attaque. Non pas pour le blesser mais pour le neutraliser. Le corps suivait toujours la tête, c’était un réflexe. Il suffisait donc de mener la tête là où on le souhaitait, au sol par exemple et l’adversaire y serait également.
Je ne savais pas si cette technique allait fonctionner pour de vrai, mais je n’avais pas le temps de peser le pour et le contre, des étoiles dansaient déjà devant mes yeux. D’un mouvement rapide j’envoyais mes bras en arrière et plaçais mes pouces sur sa gorge et mes autres doigts sur sa nuque. Ainsi placé je pouvais facilement entrainer sa tête devant moi sur le sol en le faisant basculer par-dessus mon épaule.
Ce que je fis. Le plus rapidement possible je tirais sur mes bras pour le faire basculer en avant et pour faciliter le mouvement, je me baissais moi-même en avant. Ma riposte eu l’effet escompté, mon assaillant se retrouva étalé de tout son long sur le sol, sa tête vers moi.
A peine avait-il touché le sol que je me relevais et allait peser de tout mon poids sur son torse et ses bras pour l’empêcher de répliquer. Je me penchais vers lui en plaçant mon avant-bras sur sa gorge et d’une voix que j’espérais intimidante je l’interrogeais.
- Qui es-tu ? Qu’as-tu fait de Gabrielle ?!
Pour toute réponse il me grogna dessus. La colère monta en moi. Pourquoi fallait-il que ce genre de choses arrivent ? Pourquoi le monde partait-il autant de travers ? Pourquoi devions-nous mettre nos vies en péril pour espérer avoir une chance de survivre ?
- Gabrielle ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?! Répond ! Lui crachais-je au visage hors de moi.
Je ne savais pas comment expliquer cette soudaine monté de colère, mais je pense que c’était dû aux nombreuses épreuves que j’avais dû traverser pour cette course, je n’en étais qu’au deuxième jour et j’avais déjà failli mourir ou échouer plusieurs fois. La question de savoir si je survivrais jusqu’à la fin se posait de plus en plus. Le stress, la frustration, la colère, la peur et le sentiment d’injustice qui m’emplissaient depuis de nombreux mois venaient tous d’exploser en même temps.
Le gars au sol murmura quelques mots je ne compris pas. Je lui demandais de répéter plus fort et je me penchais légèrement en avant.
- Je sais pas si cette fille trop bonne dont je me suis occupé tout à l’heure est cette Gabrielle dont tu me rabats les oreilles, mais en tout cas tu ne la récupèreras pas indemne…
Un vent glacial souffla sur mon cœur et une main gelé sembla s’en saisir et le serrer à la limite de la rupture. Le souffle coupé, la gorge nouée par le dégout j’essayais vainement de ne pas imaginer tout ce qu’il avait pu lui faire subir pour dire ça. J’espérais que c’était purement et simplement de la provocation, mais une lueur malsaine s’était brièvement allumé dans son regard au moment où il m’avait répondu.
La peur me fit vaciller.
- Tu lui as fait quoi ?! Dis-je d’une voix blanche, me retenant à grand peine de la faire trembler.
Au lieu de me répondre un grand sourire carnassier s’étala sur sa figure. La rage m’aveugla quelques instants. Suffisamment longtemps pour que je l’assomme avec une pierre recouverte de mousse. Du sang ruissela le long de son visage, s’écoulant d’une plaie à la limite du cuir chevelu.
La vue du sang me fit redescendre les pieds sur terre. Ce n’était pas moi. Qu’étais-je en train de faire ? Clio devait être en train de me regarder, et je lui montrais quoi moi ? Je me levais chancelant et vérifiais son état. Il respirait, il était seulement inconscient et la plaie sur son crâne n’était pas profonde, c’était juste impressionnant car la tête saignait toujours beaucoup.
Je poussais un soupir de soulagement. Ne souhaitant pas gaspiller mes ressources pour lui je ne sorti pas ma trousse de secours, je fouillais dans son sac espérant y trouver le nécessaire. Il n’avait pas grand-chose. Je pris donc un pan de sa chemise et le déchirait pour en faire plusieurs bandes. Je pliais l’un des lambeaux de tissus en carré et le plaçait sur sa plaie puis je le fixais solidement avec l’autre bande en faisant le tour de son crâne et en serrant fortement le nœud pour maintenir une bonne pression et endiguer le flot d’hémoglobine.
Ensuite pour éviter toute attaque de sa part une fois que j’aurais le dos tourné, je l’attachais. Je récupérais mon propre sac et partie à la recherche de Gabrielle, espérant qu’elle était encore en vie.
Je la trouvais plus loin dans les fourrés. Elle était au sol, inanimée.
Je me précipitais sur elle pour vérifier son pouls et sa respiration. Je trouvais son pouls et sa respiration plutôt faible. N’étant pas médecin je n’arrivais pas à comprendre ce qui lui arrivait, je décidais donc d’examiner son corps à la recherche de la moindre blessure.
J’étais en train de désespérer, n’ayant rien remarqué d’anormal lorsque je sentis du bout des doigts sur sa nuque juste en dessous de la racine de ses cheveux un corps étranger mou. Doucement je la retournais et je découvris ce que je craignais. Une sangsue.
Elle était déjà bien gonflée avec tout le sang qu’elle avait pompé. Ces sangsues mutantes avaient la particularité d’injecter un venin qui étourdissait leur victime en même temps qu’elles leur suçaient le sang.
Pour la retirer, il ne suffisait pas de la brûler comme avant, elle ne craignait plus la chaleur, la seule chose qui la ferait lâcher une proie c’était l’assurance d’un meilleur repas ailleurs. Pour cela il fallait l’attirer avec l’odeur du sang. Ce qui dans mon cas n’était pas très compliqué étant donné que j’étais couvert de sang. J’appuyais sur mon coude, là où le lapin avait planté ses dents, ce qui m’arracha un grognement de douleur, mais qui rouvrit la plaie. Le sang recommença à couler le long de mon bras.
Je fis tomber quelques gouttes de mon sang sur la sangsue qui arrêta aussitôt de pomper celui de Gabrielle sans pour autant la lâcher. Elle devait surement être en train de peser le pour et le contre.
J’approchais mon coude un peu plus en faisant tomber d’autres gouttes. Je devais être vigilant et réactif, je ne devais surtout pas la laisser me mordre sinon les rôles seraient inversés. Sans prévenir la sangsue se mit en mouvement, elle lâcha d’abord Gabrielle puis se jeta sur cette nouvelle source de sang fraie si prometteuse. Je reculais mon coude juste avant qu’elle ne s’y accroche et elle retomba sur le sol meuble de la forêt. Je sortis une boite de mon sac et l’enfermait dedans. Une sangsue était toujours précieuse si on savait s’en servir.
Pour qu’elle survive, je prévoyais d’aller remplir ma boite avec de l’eau du ruisseau dès que nous nous serions remis en route. Avant cela, je soignais Gabrielle avec sa trousse de secours. Une fois que les effets du venin se serait dissipé elle reviendrait à elle, même si à cause du sang qu’elle avait perdu elle risquait de se sentir faible.
J’accrochais son sac au mien et enfilais les bretelles dans l’autre sens de façon à ce que mon sac ne se retrouve pas sur mon dos mais sur mon ventre. Puis j’installais Gabrielle sur mon dos, faisant reposer sa tête sur mon épaule.
Je me remis en route. Le poids des deux sacs et de Gabrielle, bien qu’elle ne soit pas lourde, me ralenti considérablement.
Alors que j’avançais, je repassais à l’endroit où j’avais laissé notre agresseur. Il n’y était plus. Je croisais les doigts pour ne pas qu’il remette ça, car ainsi chargé j’aurais encore plus de difficultés à me défendre.
Quelque chose qui me perturbait depuis que j’avais découvert la sangsue sur le cou de Gabrielle tomba alors sous le sens. Je me demandais comment une sangsue avait pu se trouver là alors que nous n’étions pas proche d’un point d’eau, je venais juste de comprendre que l’étrange boite opaque dans le fond du sac de ce gars que j’avais entraperçu lorsque je cherchais une trousse de secours était en réalité sa réserve de sangsue. Il avait transformé ces animaux en arme plutôt qu’en moyen de soigner.
Toutefois j’étais soulagé qu’il n’ait rien fait d’autre à Gabrielle, car le regard qu’il avait eu et la réponse qu’il m’avait donnée m’avait fait craindre quelque chose de beaucoup plus monstrueux.
Je progressais lentement, faisant des pauses régulières pour reprendre mon souffle et soulager mes muscles qui se crispaient sous l’effort.
Je fini par m’écrouler dans une clairière. Mon corps n’avait plus la force de bouger, même mécaniquement. Je décidais donc de faire une pause repas. Je sortis quelques baies que j’avais ramassé et les lambeaux de viande que nous avions découpés pour les faire sécher et les emmener. Je mangeais, me désaltérant du jus qui jaillissait des baies lorsque je croquais dedans.
Lorsque j’eu fini mon petit repas, je regardais comment allait Gabrielle. Elle dormait paisiblement, les paupières closent, sa poitrine se soulevant doucement au rythme de sa respiration. Elle avait l’air tellement calme, comme si elle ne vivait plus sur cette planète et n’avait pas à endurer tous les problèmes que nous affrontions en ce moment. Elle semblait loin, très loin des soucis de notre quotidien, et je n’eu pas le cœur de la réveiller pour la faire manger.
Je me laissais encore une vingtaine de minutes de pause avant de l’installer de nouveau sur mon dos, les deux sacs sur le ventre, pour repartir en direction de la borne. Il devait bien nous rester une dizaine de kilomètres et d’après la lumière ambiante, plusieurs heures encore avant le coucher de soleil.
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