Prologue : it was perfect
Les épingles rentrent dans son crâne et tirent un peu trop sur ses cheveux. Elle essaie de les remettre mais elle doit entrer sur scène. Elle sent un des sequins sur son justaucorps pincer sa peau et en a la chair de poule, la musique résonne dans sa cage thoracique. Madame Dubois lui fait signe d’aller se mettre en position. La salle se remplit d’applaudissements. Elle fait quelques pointes avant d’entrer à son tour sur scène. Les autres danseuses l’entourent, elle fait son solo jusqu’à ce que Alekseï, qui joue Rothbart et Andy qui joue le prince, la rejoignent. La musique monte crescendo, elle alterne les portés et les pirouettes. Alekseï la fait monter au-dessus de sa tête alors que la musique résonne dans la salle. Son cœur bat au rythme des notes, elle tournoie sur scène avant de tomber silencieusement, gracieusement, sur le parquet. La partition est terminée, Rothbart n’est plus, Odette est morte… Le rideau se ferme et les applaudissements du public signent la fin du ballet. Les danseurs se félicitent, s’embrassent, certains courent chercher à boire avant d’aller saluer. Une fois qu’ils sont tous réunis, ils se placent en ligne devant les rideaux en velours et s’inclinent une première fois.
“T’étais magnifique Joséphine” murmure Andy à son oreille
Elle sourit, lui serre un peu plus fort la main en le remerciant. Les spectateurs applaudissent, sifflent, lancent des fleurs. Joséphine les regarde en souriant, les joues rougies par l’effort, la respiration encore saccadée. Mais c’est pour ce genre de moment qu’elle danse, pour voir l’émerveillement dans les yeux des plus petits et la fierté dans ceux des plus grands. Elle parcourt des yeux les sièges remplis. Elle aperçoit ses amies, Max et Maliah, assises dans les premières rangées qui lui font des signes de mains pour attirer son attention. Puis elle voit sa mère et son petit frère quelques places derrière, leurs yeux remplis d’admiration. Cette vision embaume son cœur. Les danseurs et danseuses s’inclinent une dernière fois, les sifflements et applaudissements redoublent. Elle a le sourire jusqu’aux oreilles, rendant ses joues encore plus rouges, quand un membre du staff lui apporte un bouquet de roses. Elle le remercie en lui embrassant les joues, comme elle a pu le faire de nombreuses fois. Elle ne pourrait pas rêver mieux en ce moment.
Tenant les fleurs d’une main, l’autre saluant le public, elle regarde une nouvelle fois les visages devant elle. Alors que son rythme cardiaque était s'accélérait il y a de ça quelques secondes, elle a l’impression qu’il s’arrête d’un coup. Ses yeux se posent sur les sièges en plein milieu de la salle, juste en face d’elle. Et elle le voit, souriant, applaudissant, accompagné de sa copine, ou de sa femme peut être. Joséphine perd son sourire instantanément. Elle n’arrive pas à détacher son regard de lui. Il est là, dans la salle. Il a regardé le ballet dans lequel elle a dansé. Elle sent sa gorge se serrer, son cœur s’affoler. Elle sert les roses contre elle, les sequins de son tutu pincent sa peau, les épingles dans son chignon rentrent dans son crâne, le stress revient alors qu’elle a arrêté de danser. Il est là et il n’a pas changé. Il a toujours ces mêmes yeux marrons et elle n’arrive pas à détourner le regard. Andy lui prend gentiment le bras et la tire vers les coulisses. La main du danseur refermée autour de son bras la tire de ses pensées et la ramène à la réalité. Elle lui jete un coup d'oeil, détournant le regard du public. Il lui fait signe de sourire et elle s'exécute sans broncher. Elle a l’impression que le temps s’étire à rallonge, mais une fois à l’abri dans les coulisses, il reprend son cours. Elle suit le mouvement, se précipite dans les vestiaires. Andy la retient.
“ Tout va bien ? Qu’est ce qu’il t’a pris ?
– Rien, t'inquiète pas. On se voit plus tard, répond Joséphine en souriant.”
Elle referme la porte de sa loge derrière elle et se presse d'enlever ses collants et son costume, qu'elle range dans sa housse et le suspend à un cintre vide. Lorsqu’elle a enfilé son jogging et un pull, elle bourre le reste de ses affaires dans son sac et sort. Elle doit rejoindre ses amies pour boire un verre, comme à chaque fin de représentation. Elle referme la porte et salue les autres danseuses avant de pousser la double porte qui mène sur le parking. Son petit frère accourt vers elle et lui saute dans les bras alors que sa mère et ses amies le suivent.
“T’étais trop belle Jo, il murmure contre son épaule.
– Merci chouchou.”
Elle ébouriffe ses cheveux ce qui le fait râler mais rire en même temps. Le petit groupe qui se forme autour d’elle ne fait que la complimenter, la féliciter. Sa mère lui prend son sac des mains et le bouquet de roses, lui promettant de les mettre dans un vase. Du coin de l'œil, Joséphine l’aperçoit avec sa copine. Son cœur reprend un rythme effréné. Elle se concentre sur la discussion autour d’elle.
“J’ai bien cru que Alekseï allait te lâcher à la fin, avoue Max en riant.”
Elle pose une main sur sa poitrine, feignant la surprise de manière trop exagérée. Jo les rejoint dans leurs éclats de rire alors qu’une boule se forme dans sa gorge.
“Il ne l’aurait jamais fait, Madame Dubois lui aurait donné des coups de bâton si Jo était tombée, rétorque Maliah.”
Le pire c’est qu’elle a raison. Sa professeur de danse avait tout misé sur elle en début de saison, lui assurant qu’elle était faite pour jouer Odette et Odile. Durant les entraînements, certains portés avaient été ratés et elle avait pris un malin plaisir à menacer Alekseï et Andy. Mais d’un autre côté, Joséphine la comprenait. Elle avait pris du temps à faire des auditions pour chaque rôle du ballet, à perfectionner les pas, les mises en scènes et les décors, à s’assurer que tout était parfait pour que la représentation de ce soir soit la meilleure que la compagnie n'ait jamais faite. Alors que sa mère et son frère l’embrassent une dernière fois et retournent vers la voiture et que le parking se vide petit à petit, Joséphine le voit s’avancer vers elle.
“Je vous rejoins à la voiture dans pas longtemps…dit-elle.”
Max et Maliah se retournent et se jettent un regard avant d’hocher la tête. Jo voit qu’elles hésitent mais finalement, elles se dirigent vers leur véhicule. Elle les regarde partir, comptant les secondes avant qu’elle ne se fasse interpeller par la fille qui l’accompagne.
“Excuse-moi de te déranger, Joséphine c’est ça ? commence-t-elle avant de continuer lorsque la concernée hoche la tête. Je tenais à te dire à quel point tu as été resplendissante ce soir. Je n’ai jamais vu quelqu’un interpréter Odette de cette manière, c’était captivant. Tu étais captivante.
– Merci beaucoup, répond Jo en souriant, légèrement mal à l’aise. Ravie que ça vous ait plu.”
Elle essaye de garder les yeux posés sur cette fille, mais elle échoue. Son regard divague sur lui qui a un bras autour de sa taille. Elle a un bouquet de fleurs dans les mains, il est magnifique.
“Tiens, Ezra les a choisies donc j’espère qu’elles te plaisent. Je sais que d’ordinaire on est censé offrir des roses aux danseurs mais bon…”
Joséphine fronce les sourcils en prenant le bouquet dans ses bras. Des lys. Des beaux lys blanches. Elle sent son cœur tomber dans son ventre, sa gorge se serrer comme si quelqu’un s’était amusé à entourer son cou de barbelés. Elle entrouvre la bouche pour parler mais aucun son ne sort. Elle le regarde, il a ce sourire satisfait aux lèvres, comme s' il est conscient de la réaction que ça lui procure.
“Je…merci. Ça change des roses au moins.”
C’est la seule chose débile qu’elle trouve à répondre. Mais, ça a l’air de réjouir la fille qui s’accroche au bras d’Ezra. Il la regarde, elle, pas sa copine. Un klaxon attire son attention et elle esquisse un sourire en voyant non loin d’eux Maliah secouer la main. Dieu merci elles sont là.
“Passez une bonne soirée et merci d’être venus, dit Joséphine en se forçant à sourire.”
Elle se dépêche de tourner le dos au couple et de s’engouffrer dans la voiture. Elle pose le bouquet à côté d’elle sur la banquette arrière et Max, qui est au volant, démarre et sort du parking. Elle la regarde à travers le rétroviseur.
“Tu savais qu’il serait là ? lui demande-t-elle.
– Non, répond Jo en regardant dans le pare-brise arrière.
– C’est dingue le culot qu’il a de venir avec sa copine. Nan mais je rêve !”
Maliah hoche la tête, appuyant les propos de la rousse. Elle se tourne pour observer leur amie.
“C’est lui qui t’a offert les fleurs ?”
Joséphine ne répond pas et ça à l’air de suffir amplement à la jeune femme qui soupire d’exaspération. Elle sait très bien ce que ses deux meilleures amies pensent de lui. Leur discours a été le même depuis la première année de fac et il y a des fois où Jo regrette de ne pas les avoir écoutés plus tôt, de ne pas avoir suivi leurs conseils.
Le silence retombe dans la voiture et Max remet la radio pendant le trajet. Jo n’arrête pas de penser à cette interaction de quelques secondes, à cette coïncidence qu’il soit dans le public pendant qu’elle dansait. Elle reste muette jusqu’à ce que le véhicule s’arrête sur le parking du bar. Elle regarde le bouquet de lys quelques secondes, un pli entre ses sourcils se formant alors qu’elle hésite. Les filles discutent, dehors, du nombre de verres qu’elles pourront boire avant d’être complètement ivres. Elle finit par prendre le bouquet et sortir de la voiture. Elle se dirige vers la poubelle la plus proche et laisse les fleurs tomber dedans. Près d’elle, elle entend les filles dire quelque chose du genre “yes girl”. Joséphine prend une grande inspiration, chassant les mauvaises pensées et l’anxiété qui lui monte à la tête. Elle fait demi-tour pour rejoindre l’entrée du bar.
Elle le déteste. Elle n’arrive pas à enlever la vision de son sourire satisfait. Il complique toujours tout. La coutume est d’offrir des roses aux danseurs à la fin des ballets. Pas des lys. Elle déteste les lys.
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