Chapitre 14 (partie 2)
Avait-elle réellement compris la requête du médecin ? Ses prunelles argentées semblaient indiquer que oui mais le gaz, trop puissant, l'emporta rapidement vers un sommeil sans rêves.
— Elle s'est endormie. Injectez le prototype SE48.
Sans attendre, une femme s'empara d'une seringue qu'elle glissa sous la peau de la fille. Délicatement, elle pressa le bout de l'objet laissant le liquide infiltrer chaque particule de son organisme.
Venait maintenant une partie des plus difficile : l'attente. Un moment où les secondes se transformaient facilement en minutes puis en heures. Un temps permettant à l'équipe de vérifier les constantes de la combattante.
— Les données n'indiquent rien d'anormal pour le moment, signala une délivreuse.
— Concernant la substance, et au vu de nos calculs, son effet ne devrait plus tarder, ajouta un autre compère.
Sans doute était-elle déjà à l’œuvre, tentant d'emprisonner les cellules corrompues. Personne n'écartait la forte possibilité de signer à nouveau une défaite. C'est dans ces sombres pensées que le temps défila. Quinze minutes, une demi-heure, puis 1 h, 2 h. Au bout de 2 h et trente-six minutes, une réaction se manifesta.
— Elle fait une montée de fièvre.
— Bien, cela signifie que le produit fait effet. Surveillez sa température et prévenez-moi dès qu'elle redescend.
Il n'en fallut pas plus pour commencer à entendre H-14 lâcher des plaintes entre quelques grognements.
— Soyez prêt à réagir au moindre souci, rappela Nelson. On ne doit pas la perdre.
Un mal invisible rongeait l'intérieur du crâne de l'adolescente. Elle tentait d'y remédier mais les attaches la maintenaient clouée au matelas. La douleur gagnait du terrain. Elle devait absolument l'extraire. Une détermination incendiaire prit possession de ses membres. À force de débattements, une sangle mal fermée se desserra, libérant le bras de la guerrière. Elle se griffa, cramponna ses cheveux, se frappa la tête dans l'espoir de supprimer sa détresse. Deux soignants vinrent maintenir ses muscles animés par la souffrance. Son corps exprimait toute la fureur qui bouillait au fond d'elle.
— Tous...
— Elle a parlé ! s'exclama une des délivreuses.
— Tuez-les tous ! Ils... Aidez-moi... Je...
— Ses propos sont insensés. Elle délire, constata Nelson en fronçant les sourcils.
— Theoden va vous sauver ! La quête... Traîtres !
Bien que déséquilibrées, certaines paroles de la jeune femme avaient de quoi inquiéter. La reine, plus que tout autre personne présente dans la salle, prenait conscience de l'ampleur de ces mots. Qu'avait-elle bien pu réaliser sous les ordres de l'usurpateur ? Quand les divagations de l'Éteint vinrent à terme, la tension put légèrement se relâcher auprès du personnel. Ses maux s'évaporèrent ainsi que sa fièvre. Elle ne tentait plus de marteler son visage maintenant adoucit.
C'était sans compter les autres crises qui suivirent cette première, chacune ponctuées de phrases alarmantes. L'anxiété grandissait parmi le groupe. Ils s'attendaient à voir la folie ou bien la faucheuse emporter la rouquine. Ses divagations finirent par s'espacer pour enfin n'être qu'un lointain souvenir. Nelson n'aimait pas le silence qui régnait à présent. Sachant que celui-ci pouvait se révéler fatal, le docteur ne lâchait plus des yeux la demoiselle. Un mouvement attira son regard.
— Je crois qu'elle se réveille. Allez ma petite ! Tu peux le faire. On croit tous en toi, l'encouragea-t-il.
Au plus grand soulagement de tous, l'adolescente ouvrit ses yeux. Ses prunelles, d'un gris presque blanc, semblaient s'être accrochées à la moindre étincelle de vie. H-14 s'était battue.
Nelson s'approcha doucement de la fille. Ne souhaitant pas la brusquer, il lui demanda calmement :
— Comment te sens-tu ?
— Épuisée mais libre.
Ces trois mots sonnèrent autrement à l'oreille des personnes présentes. Ils constituaient le dénouement d'un récit éprouvant, car oui, ils l'avaient fait. Tous ensemble et après tant d'années de recherches infructueuses, ils tenaient enfin le bon antidote ! L'émotion bien trop puissante donnait naissance aux larmes et cris de triomphe. La combattante restait calme, opposant son visage dur à ceux dont l'euphorie étirait les traits. Soucieux, Nelson l'interrogea sur l'origine de son trouble.
— Est-ce normal si je ne me souviens ni de ma famille, ni de ma vie d'avant, ni même de mon nom ? questionna la rouquine d'une voix tressautante.
Nelson s'y attendait : aucune réussite ne pouvait échapper à la malédiction des effets secondaires. Une défaillance cognitive ? Très bien. Son origine sera décelée et des soins appliqués en conséquence. La priorité pour le moment ? Rassurer la demoiselle et surveiller son état général durant plusieurs jours.
— Ce n'est que temporaire ? s'enquit-elle anxieusement. Mes souvenirs... Je vais les retrouver hein ?
— Plusieurs possibilités peuvent être à l'origine de cette amnésie. Surtout, ne t'inquiète pas pour le moment. Il serait préférable, pour toi, de récupérer tes forces en premier lieu. Les prochaines journées risquent d’être épuisantes.
Un brin sceptique, elle acquiesça de la tête tout en observant Nelson la libérer d'une partie des sangles. Après réflexion, le scientifique ajouta :
— Ne nous en veux pas si on ne te détache pas entièrement du lit flottant. On préfère s'assurer que tu sois entièrement hors de contrôle de Theoden avant. Principe de sécurité.
— Ce n'est rien, je comprends votre position.
L'adolescente en profita pour observer son entourage. Des éclats de rires, des visages souriants, des tapes amicales dans le dos… De quoi former un monde heureux. Un univers auquel elle avait du mal à prendre goût. L'impression qu'elle avait était amer. La perte de sa mémoire jouait évidemment un rôle là-dedans. Seulement, elle sentait au plus profond de son être qu'elle devait absolument se remémorer quelque chose. Elle y réfléchissait, tentant de mettre des lignes, des formes et des couleurs sur ce trou béant. Rien. Le néant. Ses réflexions furent interrompues par une femme au charisme incontestable.
— Bon retour à la lumière mon enfant. Permettez-moi de me présenter. Je me nomme Adelina Woodyn. Sincèrement, je doute que mon nom vous soit inconnu.
— Je sais qui vous êtes, confirma H-14 sur un ton méfiant qui suggérait les marques creusées dans son esprit à cause de l'usurpateur.
— Je comprends que vous veuillez garder une certaine distance envers ma personne. C'est tout à fait normal, mais je tiens à ce que vous sachiez qu'ici vous êtes en sécurité. Nous sommes là pour vous.
Ces quelques phrases détendirent l'adolescente. L'aura de la reine lui inspirait confiance. Le genre de confiance qu'accorde un bambin à sa mère.
— Je me souviens de vous, derrière une paroi transparente, disant vouloir m'aider, confia-t-elle.
— Vraiment ? De quoi vous rappelez-vous exactement ?
— Et bien... Un assortiment de pierres ornait vos cheveux bruns. Vous étiez vêtue d'une tunique brodée aux couleurs de votre royaume : bleu, or et blanc. Vos yeux, rougis par quelques larmes, s'accordaient avec vos lèvres. Votre regard se perdait souvent dans celui de votre compagnon quand vous ne me regardiez pas. L'inquiétude et le doute planaient sur votre visage...
— Jamais je n'aurai cru que sous l'effet du gaz vous puissiez avoir l’œil aussi alerte. Vous êtes incroyable ! souffla la reine impressionnée.
— Non ! Je ne suis pas incroyable. Le mot "monstre" me correspond mieux. J'ai étudié votre coiffe en pensant qu'elle constituerait une bonne poigne pour vous maîtriser. J'ai contemplé votre tenue en me disant que cela manquait de rouge. J'ai observé vos yeux en espérant y voir baigner la souffrance. Mais plus que tout, j'ai voulu que votre dernière vision ne soit pas pour votre mari mais pour moi. Vous tuer. Seulement cette idée comptait. Puis mon cerveau a court-circuité en comprenant le pourquoi de votre venue. Je ne contrôlais aucun de mes faits et gestes. Cela me semblait être un besoin, une urgence. J'appelais au secours et vous avez entendu ma détresse. Merci.
Heurtée par les propos de l'ancienne soldat, la reine réagit :
— Je ne crois pas qu'un monstre soit capable de dire merci, ni d'implorer de l'aide. Certes, ces réflexions sont horribles, mais ce ne sont pas les vôtres. C'est Theoden Sartirog qui sévissait à travers vous quand vous étiez une Éteint.
— Il n'y a plus qu'H-14 aujourd'hui, un être cruel pour avoir aimé posséder de telles pensées.
— Ne soyez pas dur envers vous-même. Par ailleurs, ce nom n'a jamais été fait pour vous. Comment peut-on réduire une personne à un amas de numéros et lettres ? Tiens ! Que dirais-tu d'un nouveau patronyme pour marquer la fin d'un cauchemar et le début d'une nouvelle vie ?
La rouquine, touchée par la proposition d'Adelina, approuva cette idée par un léger sourire. Ce sobriquet, attribué par les soldats de Theoden, l'horripilait.
Dorénavant, s'il y avait bien une chose qu'elle avait à faire regretter aux hommes du tyran, s'était de lui avoir massacré ses souvenirs si précieux. De nouveau maître d'elle-même, elle comptait bien faire évoluer les choses : commencer par changer de prénom était un premier pas vers son retour à la lumière et déjà elle savait lequel choisir.
— Appelez-moi Joa.
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