CHAPITRE VI : LARS - CIRCULEZ, Y A RIEN À VOIR (2/2)
Ce fut laborieux au début, un mal de crâne lancinant vint le tourmenter durant les premières minutes. Mais la douleur s'atténua peu à peu à force de persévérance. Et puis finalement, alors qu'il avait enfin trouvé le rythme, les portes s'ouvrirent avec fracas et Leïv déboula dans la pièce. Lars se tourna vers le maître des lieux sans cesser d'exercer ses pouvoirs.
Ce dernier, tout haletant, s'empressa d'arracher une tapisserie du mur le plus proche et l'enroula autour de son torse nu... Où était passée son écharpe ? Oh, quelle importance après tout ! Et puis, pourquoi prendre la peine de se couvrir ? Plus tôt, il ne semblait en rien gêné avec moins que ça !
— Eh bien, je ne te pensais pas aussi pudique ! lui lança le dandy avec amusement. Bon, ça veut dire que je peux y aller, maintenant ?
— Changement de plan... Il est... hors de question... que tu rencontres mon père... ou un seul autre membre de ma famille...
Lars, qui s'était levé dans l'intention de prendre sa chemise et sa veste, reporta aussitôt son attention sur son hôte, les sourcils froncés. Comment ? C'était quoi ce ''changement de plan'' à la dernière minute ? Non, non, non, il n'était pas d'accord du tout !
Le jeune homme ouvrit la bouche pour cracher son venin, lorsqu'il remarqua que l'autre n'allait en fait pas bien du tout. Il respirait avec difficulté, c'était à peine s'il lui prêtait attention. Maintenant la tapisserie en place d'une main, il tituba jusqu'au lit et s'y laissa tomber lourdement.
— Euh... est-ce que ça va ? s'enquit Lars, ne sachant pas vraiment comment réagir face à cela. Il avait cru comprendre que le dieu était plus ou moins indestructible, alors qu'est-ce qui pouvait bien le mettre dans cet état ?
Le magicien resta un instant planté près du lit à observer son hôte, visiblement mal en point. La veille, il s'était passé la même chose, ou presque, parce que cette fois, il y avait quelque chose de différent. Il semblait trop fatigué. Et cette obstination à cacher son corps... Ça ne collait pas avec le Leïv d'hier soir.
Lars réfléchit à ses possibilités : l'autre n'était clairement plus en état de courir, devait-il en profiter pour s'enfuir et retrouver par lui-même l'endroit où le portail s'était ouvert ? Mauvaise idée, il ne connaissait rien de ce monde. Aider le Chat, alors ? Qu'est-ce qu'un pauvre petit mortel comme lui pourrait bien faire ? Il ricana mentalement à cette pensée en optant finalement pour la seconde option. Qu'il le veuille ou non, Leïv était le seul... allié qu'il avait en ces terres hostiles, le laisser agoniser sur ce lit ne serait pas dans son intérêt.
—Es-tu blessé ? finit-il par demander en s'approchant.
— Tout va bien... J'ai juste besoin de repos... répondit Leïv en resserrant d'une manière absolument pas suspecte sa poigne sur la tapisserie.
— Montre-moi, exigea Lars d'un ton sans réplique.
— Il n'y a rien à voir...
Mais oui, bien sûr. Le magicien tira sur le pagne improvisé d'un coup sec sans rencontrer la moindre résistance, dévoilant un spectacle qui l'aurait fait vomir s'il avait été une petite nature. Une partie de son dos n'était plus qu'un trou béant. Des artères sectionnées, la chair et les os à vif voire rongés, le cœur à moitié visible... mais pas la moindre goutte de sang. Fascinant.
— Effectivement, il n'y a vraiment rien à voir, ironisa Lars en pointant la blessure du doigt. Comment t'es-tu fait cela ? Oh et puis, finalement non, je ne veux pas savoir. Tu ne peux pas cicatriser ou quelque chose comme ça ?
— Ça n'a aucune importance... L'important, c'est que tu dois rester ici jusqu'à nouvel ordre...
— Mais bien sûr que ça l'est ! Comment je vais faire pour rentrer si tu meurs ?!
— Mourir ? Que tu es mignon... Cette petite fioriture ne me sera pas fatale... Laisse-moi juste me reposer, si ça ne te dérange pas...
— Oui eh bien va dire ça au gros trou que tu as dans le dos espèce d'imbécile ! Raaaah et puis zut, laisse-moi voir !
Lars se retint pour ne pas bousculer ce sale Chat prétentieux lorsqu'il s'assit sur le lit à ses côtés. Il se pencha pour examiner la blessure d'un peu plus près. Il put alors constater que l'autre cicatrisait très rapidement... enfin, en comparaison avec un humain lambda. Mais pour lui, c'était bien trop lent : à ce rythme, le trou ne sera pas bouché avant des heures et Lars n'avait pas envie d'attendre. Il devait partir au plus vite.
— Ça doit te faire un mal de chien, ne put-il s'empêcher de marmonner en esquissant une grimace d'horreur et de fascination mêlée. Il avait l'étrange impression de regarder un documentaire animalier au ralenti.
Après quelques secondes, surpris par la cinglante répartie provenant non pas de Leïv mais du silence, il se pencha davantage vers son visage et remarqua ses yeux désormais fermés : le bougre s'était de toute évidence assoupi.
— Eh bien c'est parfait, je vais pouvoir tenter quelque chose sans être dérangé... grommela-t-il en posant ses deux mains quelques millimètres au-dessus de la blessure béante. Omsorg, murmura-t-il ensuite.
Ses iris et ses paumes s'illuminèrent d'une faible lueur violette qui alla se propager sur toute la plaie. Au début, ça ne semblait rien donner, pour sa plus grande frustration. Mais au fur et à mesure que les minutes passaient, la peau s'étendait, le vide se comblait de chair, les veines et les os se reconstruisaient.
Après seulement dix minutes, un tiers de la blessure était guérie, mais cela demandait à Lars un effort considérable : ses bras tremblaient et son corps entier s'inondait de sueur, l'idée de dégager à nouveau une odeur fort déplaisante alors qu'il venait à peine de se laver le fit râler bruyamment... Avant que, la tête prise d'un violent tournis, il ne tombe en arrière et perde connaissance.
À son réveil, il ne put dire combien de temps s'était écoulé. Il faisait encore bien jour, et toujours aussi chaud, un cauchemar qui n'en finirait décidément jamais ! Son regard se posa sur Leïv, qui dormait encore, tout en se remémorant ses paroles : il ne tiendrait pas sa promesse de l'emmener devant son père. Pourquoi ? Lars n'avait pas attendu toute la nuit pour essuyer un refus ! C'était inadmissible !
Il exprima d'abord son exaspération en martelant du poing les pauvres draps qui n'avaient rien demandé, puis en retournant Monsieur Le-sommeil-m'est-toxique pour le gifler dans l'optique de le sortir des bras de Morphée, à défaut de pouvoir le secouer (ce qui aurait été bien plus satisfaisant) sans risquer d'aggraver sa blessure.
Quand enfin ce dernier ouvrit les yeux, ce fut pour être accueilli par des remontrances acharnées :
— C'est quoi, cette histoire ? Je veux des réponses, et tout de suite !
— Premièrement, bien le bonjour, deuxièmement, ce n'est pas très bon pour la santé de traiter ainsi un blessé. Est-ce que toutes les petites gens de ton univers sont aussi sauvages que toi ? protesta Leïv avec mollesse.
— Trêve de pitreries, je n'ai pas de temps à perdre ! Pourquoi je ne peux pas rencontrer le chef de ton monde de fous ? Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais gentiment t'obéir et rester sagement planqué ici ?
— Parce que, petit malin, mon père a senti ton arrivée dans mon ''monde de fous'', arrivée qui a provoqué quelque chose de suffisamment grave pour qu'il fasse le lien et ne puisse pas se permettre de l'ignorer. En d'autres termes, si tu vas le voir, lui ou n'importe qui d'autre, mon très cher invité, tu es un homme mort !
Aucun des deux ne put argumenter davantage, car une voix s'élevant faiblement depuis l'autre pièce les interrompit brusquement. Une voix féminine au timbre assez grave, presque autoritaire, appelant le Lion à plusieurs reprises.
— Flûte, zut et crotte de bique... souffla Leïv tout bas.
— Quoi ? Qui est-ce ?
— Oh, juste la pire personne sur laquelle tomber dans la situation actuelle : ma sœur, Panna de la Vierge, ou comme on se plaît à la surnommer en privé, le petit toutou de Père...
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