CHAPITRE VII : LEÏV - LE CREUX DE LA DISCORDE

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— Leïv ! Je sais que tu es là, alors je te serais grée de bien vouloir te montrer !



Il ne manquait plus que ça ! Magnifique ! Qu'avait-il donc bien pu faire au Soleil ou à l'Univers pour mériter tout ça ? Son regard croisa celui de Lars, tout aussi déboussolé que lui. Le bruit des pas de la nouvelle venue se rapprochait dangereusement, il fallait agir et vite ! De ses pupilles complètement dilatées par l'adrénaline, il analysa rapidement les lieux tout en se redressant vers son invité :



— Tu as confiance en moi ? chuchota-t-il à son oreille.



— Non !



— Merveilleux, alors tais toi et ne bouge plus !



Sur ces mots, il l'embarqua telle une vulgaire poupée de chiffon jusqu'au plus proche placard et l'y enferma sans se préoccuper de ses protestations, puis se jeta à corps perdu sur le lit au moment même où la jeune femme ouvrit la porte de la chambre. Ses grands yeux vairons aux longs cils recourbées se posèrent immédiatement sur le fringant garçon qui lui souriait de toutes ses dents, posant au milieu des draps sauvagement éparpillés.



— Te voilà enfin, tu aurais au moins pu te donner la peine de me répondre au lieu de m'obliger à m'époumoner de la sorte, le sermonna-t-elle tandis qu'elle pénétrait dans la pièce.



— Ah, pardonne moi, ma sœur, mais il était si plaisant de t'entendre crier mon nom, ce n'est pas chose courante de ta part, j'espérais d'ailleurs en profiter plus longtemps !



L'Incarnation de la Vierge le fixa avec une froide intensité durant de longues secondes, avant de marmonner un sec "Affligeant" et de s'avancer jusqu'au lit. Leïv put alors constater que son bras droit était toujours absent, tandis que la reconstruction du gauche et de son flanc avait avancé, mais sans achèvement.



— Ne me dis pas que tu es venue jusqu'ici pour me soigner ? Tu n'es même pas encore totalement guérie !



— Je suis désormais suffisamment en forme pour y pourvoir, de nous deux c'est toi qui a le plus à t'en faire. Je finaliserai mes propres soins plus tard.



Ignorant le reste de ses protestations, elle s'assit sur le bord du matelas, le prit par les épaules pour l'obliger gentiment mais fermement à se tourner, et observa le trou dans son dos.



— On dirait que le travail est déjà bien engagé, c'est surprenant, d'habitude même ton extraordinaire métabolisme ne t'es pas aussi secourable.



— Il faut croire que j'ai de la chance, pour une fois !



Derrière cette réplique au ton insouciant, le jeune homme ne laissait pas transparaître son étonnement : si Panna affirmait que sa guérison opérait de manière plus rapide que d'ordinaire, il n'y avait aucune chance pour qu'elle se trompe. Ce n'était pas pour lui déplaire, mais il se demandait tout de même ce qui pouvait y avoir contribué. Lars, peut-être ?



Sans donner suite à la discussion, la Déesse rejeta en arrière les longs voiles immaculés qui dissimulaient en partie sa belle chevelure d'or, puis leva son bras valide au ciel pour y faire apparaître un énorme grimoire.



— Bon, je ferais mieux de commencer maintenant, je n'ai pas envie de rester ici plus de temps que nécessaire. S'il te plaît, cette fois, ne me complique pas la tâche et tiens toi tranquille.



— Mais comment vais-je m'occuper ? C'est si long parfois !



— Je t'ai apporté de la lecture...



D'un geste détaché, elle jeta sur le lit un épais livre qu'elle avait apporté dans une sacoche quelconque. La couverture, riche en couleurs et aux personnages masculins positionnés de manière très évocatrice, attira immédiatement l'attention du principal intéressé.



— Ooooh, je ne connaissais pas celui-là... Tu sais que je t'aime, ma sœur ? Tu arrives toujours à trouver ce qui me plaît !



— Il n'est pas bien compliqué de satisfaire un satyre tel que toi, rétorqua-t-elle en haussant les épaules. Allez, allonge toi et laisse moi faire.



Leïv s'exécuta tout sagement et entama ce récit narrant la libération sexuelle de deux sorciers issus de familles rivales. Ses lèvres s'étirèrent en un grand sourire joueur et amusé lorsque, à la lumière des descriptions des personnages, il ne put faire autrement que d'y transposer les images de Lars et de lui-même. À croire qu'il s'agissait d'un signe. Ça suffisait même à lui faire oublier que le vrai magicien était coincé dans un placard à 10 mètres de lui et qu'il devrait y rester encore un bon moment dans le plus grand inconfort.



En flottaison dans les airs, le grimoire noir s'ouvrit de son propre chef. Ses pages tournèrent à une vitesse folle, et lorsqu'elles s'arrêtèrent, les yeux de Panna se mirent à briller tandis que sa main se mouvait avec légèreté au-dessus de la blessure :



— Zachazet.



De très longues minutes passèrent avant que les effets de ce sortilège ne commencent à se faire remarquer. Normalement, ça ne devrait pas prendre autant de temps, mais pour une raison mystérieuse, ce type de plaies semblait rejeter les pouvoirs de soin. La seule solution était de se montrer patient.



Un bref bruit sourd provenant du fameux placard fit soudainement lever la tête de la guérisseuse dans sa direction :



— Qu'est ce que c'est ?



— Quoi donc ? Je n'ai rien entendu ! répliqua aussitôt Leïv sur un ton innocent.



La jeune femme continua de fixer le fond de la pièce d'un œil suspicieux, mais finit par s'en détourner pour retourner à son labeur. Le patient, de son côté, poussa un soupir de soulagement : un peu plus et ils étaient découverts ! Ce type voulait-il mourir ?



Il se replongea dans sa lecture pour donner le change, puis oublia à nouveau tout ce qui se passait autour de lui, jusqu'à la succession des heures. C'était hélas nécessaire pour un mal aussi ancré en profondeur que le sien, il fallait recréer les muscles, la chair, les os, les nerfs...



Panna prit un soin tout particulier à s'atteler en premier à la zone du cœur, dont la vision palpitante manquait à chaque instant de la faire vomir. Lorsque le petit organe fut de nouveau solidement protégé, elle put se concentrer sur le reste.



À force de ténacité, elle parvint à achever sa mission peu après 10 heures du matin. Leïv se releva tout pimpant, tout sourire, et s'étira dans un râle de satisfaction fort compréhensible.



— Ah ! Ça fait un bien fou ! Merci, ma chère, ton doigté est toujours aussi formidable !



— Remercie-moi plutôt en ne te faisant pas blesser ce soir, mes journées n'en seront que plus tranquilles. Tu es un petit inconscient décérébré, mais tu n'en restes pas moins l'élément primordial de notre équipe, et vu la tournure qu'ont pris les événements, tu es plus indispensable que jamais.



— Arrête donc, tu vas me faire rougir !



— Je suis on ne peut plus sérieuse, mon frère, et tu devrais en faire autant ! Sur ce, je vais te laisser, je dois encore m'occuper de ma propre condition. Tu peux garder le livre, tu me le rendras quand tu l'auras fini.



Sans rien ajouter ni même attendre que Leïv ne lui dise au revoir, elle fit disparaître le grimoire et quitta la pièce en refermant les portes derrière elle. Le Lion l'observa depuis la fenêtre descendre l'escalier central de l'Arbre d'Or, et une fois assuré qu'elle se trouvait suffisamment loin, il s'en alla d'un pas nonchalant offrir à Lars la liberté dont il devait désespérément avoir besoin.



— Alors ? Pas trop serré là-ded...



Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, car une force invisible le fit valser à l'autre bout de la chambre. Il atterrit sans douceur sur le lit et n'eut pas non plus l'occasion de reprendre ses esprits que Lars lui tombait dessus comme une furie. Le magicien était clairement fou de rage. Ses yeux brillaient à nouveau d'une lueur surnaturelle, comme cette nuit-là, tandis qu'il saisissait violemment Leïv par les épaules et le secouait sans ménagement.



— Ne.refais.plus.jamais.ça ! cracha-t-il d'une voix sifflante en le plaquant avec brutalité sur le matelas.



Il se pencha ensuite vers lui, le regard empli d'une fureur glacée, mais le Dieu y décela également une pointe de panique.



— Recommence et je te jure que divin ou pas, je te tuerais dans d'atroces souffrances !!



Leïv ne répondit pas. Il n'essaya même pas de se défaire de la prise de son assaillant, même s'il n'aurait eu aucun mal à le faire. La vérité, c'est que la vue de cet étrange humain entrant dans une colère aussi terrible le fascinait. Et puis... cette poigne ! Cette force dans la manière de le maintenir ! Ces muscles noyés de sueur ! Il ne devrait sans doute pas penser ainsi, mais il s'en fichait : il trouvait ça effroyablement sexy... il le trouvait effroyablement sexy. Alors, fidèle à lui-même, il lui fit son plus beau sourire et lui susurra avec provocation :



— Je demande à voir.



Mais la réalité le rattrapa si vite qu'il ne sentit pas son rictus s'effacer...



— Sans moi, tu seras plus en danger que tu ne l'es déjà. Je ne pensais pas que qui que ce soit débarquerait sans prévenir, j'ai été imprudent. Je suis désolé.



— Je m'en fiche ! Si tu essaies encore de m'enfermer dans un placard, je te tue !



Les prunelles chocolat se couvrirent d'un voile éphémère, laissant entrevoir l'espace d'un instant une facette de lui que d'ordinaire il ne montrait à quiconque, pas même à son propre reflet. Le réalisant presque aussitôt, il s'empressa d'y faire à nouveau briller la flamme de l'insolence :



— Et avec quels pouvoirs ? Celui de tes beaux yeux ou celui de tes mains si douces ? C'est fou ce que je me repens !



Dans un mouvement sans effort, il prit l'ascendant sur Lars et le fit tomber en arrière, inversant ainsi les rôles. Au passage, il put humer brièvement son parfum. Fraîches et mentholées, ces effluves lui rappelaient les rares nuits d'hiver dont il osait profiter au sein de la constellation du Serpentaire : pour un signe à la fois d'Été et de Feu, le froid était un ennemi mortel.



— Écoute, je conçois qu'être coincé dans une armoire plusieurs heures n'a pas dû être évident à vivre, mais je n'avais pas franchement le choix. C'était ça, ou assister à ton exécution publique. Tu aurais préféré cette alternative, peut-être ?



Pour toute réponse, le magicien lui lança un regard plein de défi, ce qui ne le rendit que plus séduisant encore. Allié à sa fragrance, Leïv ne pouvait qu'être incité à se pencher légèrement vers lui, d'une part pour la sentir à nouveau, d'autre part pour le fixer d'un air faussement similaire. Si Lars voulait jouer au dur, il jouerait aussi.



— Arrête de me regarder comme ça. Arrête, sinon je te tue, et moi, j'en suis capable. Ça arrangerait tout de suite mes affaires, au lieu de m'embêter à essayer de te comprendre et de te supporter malgré tes crises de nerfs.



La stratégie porta ses fruits, car après de longues et silencieuses secondes passées à l'agresser du regard, Lars finit par relâcher sa prise, non sans conserver une expression de froideur. Leïv lui permit de se dégager, ce dont il profita pour aller récupérer sa chemise qui était tombée de l'autre côté du lit... et exploser une ou deux autres babioles dans la foulée. Dont l'outrageux livre.



— Hé ! Il n'était pas à moi ! Panna a horreur qu'on abîme ses affaires ! D'ailleurs, je n'aime pas non plus qu'on s'en prenne aux miennes ! Tu as le droit de te sentir en colère et déboussolé, mais ce n'est pas de ma faute si tu t'es retrouvé prisonnier de mon Univers !



Le sorcier ne lui répondit pas, se contentant de boutonner son haut d'un air renfrogné.



— Bon, quand tu auras fini de bouder comme un enfant, fais moi signe. Je t'emmènerai dans un endroit tranquille où tu pourras t'exercer à... quels que soient tes pouvoirs. Plus vite tu seras parti, plus vite je pourrais correctement protéger mon monde, et toi ton amant.



Ça ne le rendit pas plus bavard pour autant, mais à ces derniers mots, la dureté sur son visage s'estompa peu à peu. À la place s'afficha un lourd et profond désarroi, qu'il préféra cacher à son hôte en se retournant... pour faire face à un miroir.

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