CHAPITRE XIX : LEÏV - PERFECTION (1/2)
Le Coureur de Lumière regarda avec une immense satisfaction Lars s'endormir, enfin ! Une bonne chose de faite, une bataille de gagnée, appelons ça comme l'on voudra, mais il se sentait extrêmement fier d'avoir réussi à lui faire prendre un peu de repos. Avant cela, il aura fallu changer les draps devant lui, même après avoir maintes et maintes fois répété qu'il ne s'y était rien passé ce matin-là, ni la nuit précédente. Aldiem a gracieusement accepté de se congédier lui-même, non sans adresser à sa majesté un long, très long regard noir. Leïv soupira lourdement, regrettant que ces deux-là ne puissent s'entendre. Bon, le magicien l'avait un peu pris en otage, c'était compréhensible. En fait, le problème venait majoritairement de Lars, il n'avait aucune raison de détester Aldiem ! Pour un peu, on pourrait croire à de la jalousie...
Ah, qu'est-ce qu'il en avait à faire, après tout ? Il était en droit de fréquenter qui il voulait ! Et puis, il avait bien plus important à songer en ce moment : il y a moins d'une heure, il ne se serait jamais attendu à devoir organiser un dîner. C'est Lars qui avait suggéré l'idée le premier, après tout ! Il n'a fait que suivre le mouvement, trop engagé qu'il était dans la conversation ! Et maintenant... maintenant, il était dans de beaux draps. Bien sûr que ça l'excitait profondément, mais d'un autre côté, il ne savait absolument rien sur le sujet, mis à part ce qu'il a pu lire dans les livres ! Il n'était même pas sûr d'avoir quoi que ce soit en son domaine qui puisse faire l'affaire, que ce soit en matière de lieu, de mobilier, et de nourriture ! D'autant plus que, par-dessus le marché, il n'a jamais fait la cuisine de sa vie ! Pour quoi faire, puisqu'il était incapable de profiter des plaisirs de la nourriture ? Mais voilà, il était coincé maintenant. Ça le faisait frissonner d'impatience et d'appréhension à la fois.
Et puis l'idée lui traversa l'esprit : il n'avait qu'à demander de l'aide à quelqu'un de plus expérimenté que lui en la matière ! C'était un genre de dîner galant, non ? Donc, des trucs d'amoureux ou... non, non, pas d'amoureux, non, Lars et lui n'en étaient certainement pas à ce stade, et ne le seraient d'ailleurs jamais ! Plutôt... plutôt des connaissances intimes... oui, c'était davantage ça. Parfaitement ça. Et par conséquent, quelle chance, il connaissait justement quelqu'un qui correspondait à ce critère ! Plus que ça, ça faisait littéralement partie de ses rôles les plus adulés ! Il ferma alors les yeux, vida son esprit de toute pensée, et se concentra durant de longues secondes jusqu'à ce qu'une onde froide et vive vienne lui envelopper le cœur. C'était une aura, une empreinte mystique propre à chaque divin. Et il venait de localiser celle qu'il recherchait.
Sans perdre un seul instant, Leïv quitta sa demeure à pas feutrés et, plutôt que de se mettre directement à courir, il se dirigea calmement vers l'ascenseur et attendit d'être arrivé tout en bas de l'Arbre d'Or pour foncer à toute vitesse, estimant qu'ici au moins, il ne risquait pas de réveiller Lars. Il courut et courut jusqu'au portail du Serpentaire et s'arrêta juste devant pour le traverser normalement. C'était instinctif, une habitude. Il ignorait pourquoi il sentait qu'en le passant à pleine vitesse, ce serait mauvais pour lui, mais si c'était son instinct qui le lui dictait, c'est que quelque chose a dû lui arriver dans le passé, à lui ou bien une précédente Incarnation. Certaines choses restaient ancrées malgré les âges et les visages.
Une fois de l'autre côté, il suivit le même chemin qu'il avait emprunté avec Lars quelques jours plus tôt. Au lieu de se remettre à courir, il se sentit d'humeur, d'envie à simplement marcher, profiter de l'instant en sautillant d'un pas à l'autre, les mains derrière le dos. Ça le contentait, lui rendait le cœur léger. Et il continua, et dépassa le pavillon de la Balance qui lui inspirait désormais de très bons souvenirs, puis bifurqua un peu plus loin pour sortir de la forêt et pénétrer dans un splendide jardin aux fleurs exotiques de toutes sortes. De multiples parfums lui embaumaient les narines, tous plus exquis les uns que les autres, et ça ne le confortait que davantage dans sa belle humeur. Il y avait de quoi, après tout : il avait rendez-vous avec Lars ! Cette fois, ce n'était pas un concours de circonstances mais un événement planifié. Tout devait donc être parfait ! Ou, en tout cas, un minimum digne de lui. Aucune pression...
Une bonne demi-heure plus tard, la promenade champêtre s'arrêta en même temps que Leïv devant un petit colisée de marbre blanc. La moindre parcelle de ses murs et piliers était recouverte de fines décorations taillées avec soin, sans parler du dôme de verre qui le surplombait. C'était surtout à cela qu'on reconnaissait l'architecture pour le moins particulière des Poissons. Le jeune homme s'avança jusqu'à l'une des nombreuses entrées et commença à se représenter mentalement un gigantesque brasier, histoire de pouvoir un minimum pallier au grand inconfort qu'il allait subir, et pénétra finalement les lieux. La douce chaleur extérieure fit aussitôt place à un froid intense et profondément dérangeant pour un signe d'Été comme lui, qui plus est le moins apte à s'adapter aux autres températures. Ses muscles tremblaient déjà !
Il évita d'y penser autant que possible tandis qu'il rejoignait le cœur de la bâtisse, qui abritait de nombreux bassins aux profondeurs variables. Un peu comme ses thermes... la chaleur en moins. Et c'est là qu'elle se trouvait, dans celui du milieu, le plus large de tous. Entièrement nue, sa splendeur à peine dissimulée par les eaux ondoyantes, elle profitait du silence et de la fraîcheur dans un sourire béat. À la vue du nouvel arrivant, ses grands yeux verts brillèrent de surprise puis de contentement. Elle attrapa rapidement de longues manches posées près du bord et les enfila, cachant ainsi la totalité de ses bras et de ses mains.
— Leïv ! Ça alors, si je m'attendais ! lança-t-elle de sa petite voix fluette avant de lui faire signe de la rejoindre.
Changeant son brasier mental en éruption volcanique, le Lion s'exécuta dans un rictus aguicheur. L'un après l'autre, dans une lenteur très sensuelle, ses vêtements tombèrent au sol sous le regard plein de gourmandise de la spectatrice.
— Bien le bonjour, ma chère Ryby...
Tous deux savaient qu'il ne pourrait jamais être sien, alors ils ont convenu que la moindre des choses lors d'une visite était de lui faire profiter visuellement de sa splendeur à lui. Ça ne le dérangeait pas, tant qu'elle gardait les mains au-dessus de la ceinture. Il entra ensuite dans les ondes hivernales qui lui arrivaient jusqu'au bas-ventre et s'avança vers la belle, qui caressait des yeux sa musculature tout en se mordillant avidement la lèvre inférieure. Elle se leva, faisant totalement fi de la décence et de la pudeur, et s'en alla le prendre dans ses bras avec une facilité extrême, comme si elle marchait sur la terre ferme. Ces signes d'Eau... ils ne pouvaient pas s'empêcher de frimer avec ça !
— Comment vas-tu ? Que viens-tu donc faire ici ? Tu n'as pas trop froid, au moins ? Mon pauvre ! déblatéra-t-elle très vite sans même lui laisser une seule fois le temps de répondre.
— Tu me demandes ça alors que tu viens de me faire venir jusqu'à toi là-dedans ? Je te savais cruelle, mais pas à ce point !
— Ah, tout de suite les grands mots ! Tu n'es qu'une petite nature, voilà tout !
Leïv secoua la tête avec amusement malgré le froid qui le tenaillait. C'est alors que la manche droite de la créature d'albâtre se déchira et qu'un trident argenté apparut dans sa main, main qu'elle prit un soin particulier à laisser immergée. Le Lion devinait aisément pourquoi, aussi n'y fit-il pas glisser son regard, se contentant du visage angélique et poupin de l'Impératrice des Mers. Dans un murmure, l'Arme s'illumina et les eaux du bassin se réchauffèrent à la convenance du jeune homme.
— Tu n'aurais pas pu faire ça plus tôt ?
— Te faire frissonner d'abord est bien plus amusant ! Alors, en quel honneur me rends-tu visite ?
— Disons que je viens... requérir l'aide de la divinité de la séduction.
Elle le fixa durant de très, très longues et silencieuses secondes, puis se mit soudain à bondir en tournant sur elle-même et en agitant extatiquement les bras :
— Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Euh... Je voulais dire... Ooooh, voilà qui est intéressant !
Après s'être calmée, elle recula de quelques pas pour prendre appui sur le rebord et s'y asseoir en croisant délicatement les jambes, la main derrière le dos. À l'exception de sa poitrine, à peine dissimulée par ses épaisses boucles bleu ciel collant à sa peau, elle se retrouvait complètement exposée et s'en moquait royalement. Mais malgré cette attitude des plus provocatrices, ses yeux brillaient d'une indéniable et adorable candeur.
— Je ne pensais pas que toi, tu puisses avoir un jour besoin de conseils ! Je suis toute ouïe !
— Pour commencer, ce n'est pas ce que tu crois, se défend d'avance Leïv en levant les mains, il s'agit simplement d'un petit dîner...
— En tête à tête ? Oh, c'est si romantique ! Ça te change ! Effectivement, je comprends l'urgence de la situation !
— L'urgence ? Tout de même, pas à ce point ! Qu'est-ce qui te dit que je n'ai pas déjà recouru à ce type de...
— Chéri, je te connais trop bien. Tout le monde, d'ailleurs ! On sait tous que tu n'es pas du genre à... encombrer ton temps de frivolités dont tu ne peux pas profiter.
Elle n'avait pas tort... Ceci dit, Leïv était loin d'être le seul dans ce cas. En même temps, pourquoi s'embêter à participer à des choses dont seuls les humains pouvaient jouir ? Les seules fois où il l'a fait, tout du moins d'après ce qui fut porté à sa connaissance, il s'agissait des banquets d'honneur dédiés à la formation de son Cortège. Ce dont, bien évidemment, il ne se rappelait pas. Mais avec Lars, c'était différent. Il avait envie de ça, ce n'était pas des paroles en l'air. Il s'en fichait de ne pas être capable de manger, il voulait de ce temps en sa compagnie.
— Trêve de bavardages ! Qui, où, quand, qu'est-ce qu'il aime, et que prévois-tu d'une manière générale ? énuméra Ryby à une vitesse folle, interrompant ainsi le cours de ses pensées.
— Hé ho, ralentis un peu ! Ça fait beaucoup de mots pour un non bavardage, tu sais ?
— Des détails, des détails. Allons, dis-moi ! Qui est l'heureux élu ?
Et elle insista encore et encore en remuant joyeusement les jambes, éclaboussant Leïv au passage, avant de poser les coudes sur ses cuisses et la tête dans ses mains avec un grand sourire. En la voyant ainsi, il ne put s'empêcher de penser que s'il aimait les femmes, il la trouverait sans aucun doute à croquer. Et sans aucun doute la croquerait-il déjà.
— Très bien, très bien ! Il s'appelle L...
Il se stoppa juste à temps, se rendant compte de l'énorme bêtise qu'il était sur le point de faire. Il ne manquerait plus que ce soit lui qui dévoile l'existence de Lars, de surcroît par une stupide étourderie ! Ryby le fixait avec suspicion... Un subterfuge, vite !
— Hum... Aldiem ! Il s'agit d'Aldiem...
— Vraiment ? Ho ho, j'ai toujours senti qu'il y avait quelque chose de spécial entre vous !
Spécial ? C'était vite dit ! Certes, il s'est très souvent montré en public avec lui... de même qu'avec Noxir et Leock, tous trois formant parmi ses Cortégiens les seuls dont il puit partager la couche ! Il ne touchait évidemment pas à la moitié féminine du groupe, et les deux hommes restants n'ont jamais montré le moindre intérêt envers la chose. Bon, il est vrai que ça ne se limitait pas qu'à cela. En dehors de ses prouesses... physiques, Aldiem disposait d'un esprit sensible et créatif qui l'amusait beaucoup. On pouvait même dire qu'il le contrebalançait. Leïv ne pouvait bien évidemment nier l'affection sincère qu'il ressentait envers lui. Mais de là à dire qu'il y avait quelque chose entre eux... Si Aldiem avait eu quelque sentiment que ce soit envers lui, il lui en aurait forcément parlé ! De toute façon, ça l'arrangeait que sa sœur le croie.
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