D'où le torrent prend sa source
Comble de chance durant le repas, comme il est placé devant elle il aura tout loisir de l’observer en détail. Il semble que Juliette s’est emparée de toute son attention, les pièces du puzzle commencent à s’assembler.
Il entend à un moment la chanson Serre moi de Tryo. En même temps qu’elle passe il voit que Juliette n’a aucune timidité et parle à tout le monde, rit de tout, raconte des blagues osées sans aucun complexe, elle est juste d’un naturel renversant: c’est étrange mais cette fille commence à lui plaire vraiment. Elle a cette manie de froncer son petit nez lorsqu’elle éclate de rire, laissant voir de belles et saines dents qui donnent à sa bouche encore plus de fraîcheur. Par ailleurs elle est aussi tout à fait capable de taper franco dans le dos de quelqu’un lorsqu’elle taquine et recherche un signe de complicité : très brute de pomme Juliette. Elle décoince les introvertis, déshinibe les coincés, dévergonde le vieil oncle réservé, divertit l’adolescent réservé, amuse la table des enfants… Elle va et vient partout dans la salle de réception, allant de table en table, où les gens savourent sa venue et regrettent son départ.
Juliette a donc cette aisance sociale que Max recherche justement, et qu’il déplore de ne pas avoir. Elle a l’art et la manière de faire connaissance avec absolument n’importe qui dans la salle, d’un naturel désarmant. Tout le monde semble adorer Juliette: tous âges, toutes catégories socio-professionnelles confondus. Un vrai caméléon vu de l’extérieur, mais qui se contente pourtant d’être simplement elle-même, sans avoir à s’adapter à l’interlocuteur, à porter le masque social que l’on a tous. Juliette se passe d’artifices et ne saurait pas être quelqu’un d’autre. Son authenticité est entière.
Max l’envie. Non, encore plus fort : Max a envie d’elle, comme si l’approcher, la côtoyer, la respirer ou la toucher pourrait porter bonheur et faire déteindre les nombreuses qualités de Juliette, manquantes chez Max, sur lui. Il en est le premier surpris. Même sa voix le séduit : il est à la totale merci de son charisme c’est officiel. Il se demande comment il avait pu passer à côté de ce facteur X qu’elle a, et se dit qu’il doit d’urgence faire réviser son radar.
Pendant la soirée Juliette lance régulièrement des regards insistants à Max ou des sourires, mais il fait semblant de ne rien voir… pour l’instant. Pourtant dès qu’il le peut, il pose ses yeux sur la peau diaphane de la belle Juliette. Il regarde ses traits, ses lignes, ses courbes, ses petites mimiques quand elle parle, sa petite langue qui s’approche de ses lèvres quand elle porte sa coupe à sa bouche… Max a jusqu’à l’impression de pouvoir sentir son doux parfum à distance. Si la pièce pouvait se vider un instant et qu’il pouvait figer le temps, il s’approcherait d’elle et passerait sa joue lentement dans son cou tout en humant l’odeur sucrée de ses cheveux. Il passerait alors une main virile dans cette chevelure et basculerait sa tête en arrière pour plonger sa bouche impatiente dans un gracile cou offert à lui…
Bref. Ce n’est pas encore le moment venu.
Nous sommes au moment des slows, Juliette ne va pas hésiter à aller inviter un jeune ado, vous savez, du genre complexé et inabordable, assis tout seul dans son coin. Tous les deux vont danser sur Heures Hindoues d’Etienne Daho… Max la trouve généreuse maintenant. Bluffante cette Juliette !
Sur la piste, elle danse son slow, puis quand vient de la musique plus rythmée elle se met à danser énergiquement en s’éclatant, très à l’aise avec son corps. C’est This Girl de Kungs. Son aura est dingue : tous les regards convergent vers elle. Il y a d’abord les femmes jalouses de sa beauté, de son peps, son aisance, ou également les personnes « de la haute », qui hésitent entre condamner cette danse dévergondée, et rejoindre Juliette car elle inspire le lâcher-prise. Et on ne compte pas le nombre d’hommes qui la convoitent secrètement, alliance au doigt qui rappelle que leur choix d’épouse… n’est pas Juliette ! Ils vont devoir continuer de boire de la soupe à la grimace servie par madame mal disposée à être agréable, jusqu’à épuisement ou que mort les sépare.
Juliette, elle, respire la liberté : elle danse, sautille, valse, virevolte ou tourne sur elle-même, envoyant lors de ses passages proches de Max un léger courant d’air parfumée à elle.
Max ne fait pas exception et ne voit qu’elle dans cette salle, comptant pourtant de nombreux célibataires.
Un instant qui paraîtra une éternité au sens de Max, Juliette disparaît. Il perd alors subitement tout goût à sa présence à la fête, tout plaisir à savourer les différents mets servis. De la même façon qu’on dit qu’un seul être vous manque et tout est dépeuplé, Max ressent le désœuvrement de ses cinq sens, devenus orphelins de mère.
Pour couronner le tout il entend les convives autour de la table encenser Juliette. Chaque fois qu’il entend son prénom il se donne à lui-même l’image d’un chien qui remue la queue irrépressiblement à la pensée de sa maîtresse. C’est fou de réaliser combien le pronom « elle » revêt une dimension si grande de douceur, mêlée à du désir. Entendre « elle » en l’absence de l’intéressée, dont il est question en termes positifs, n'appelle que des termes élogieux et cela mène à une envie pressante que elle revienne. Le pronom « elle » contribue à l'aura que certaines femmes ont, qu’elles en soient conscientes ou non. Seules les femmes charismatiques parviennent à continuer d’exercer un tel pouvoir de fascination, même en leur absence.
Dans le cas de Juliette il n’y a aucune vantardise autour de ce pouvoir manifeste, ce qui ne gâche rien. Et il est fort probable que Juliette ne se doute même pas de sa puissance, fort heureusement pour les hommes qu’elle pourrait mener par le bout du nez si elle le décidait.
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