17. Joli foutraque - Axel
You can throw me like a yo-yo
But I promise I won't let go
If you don't trust me by now, tell me right now
Tu peux me lancer comme un yo-yo
Mais je te promets que je ne te lâcherai pas
Si tu ne me fais pas confiance maintenant, dis-le moi tout de suite
WayV-Ten & Yangyang
Mercredi 9 juin 2021
— Allo ? dis-je à moitié endormi.
— C’est moi. Liang, précise-t-il après un petit silence.
— Ah oui, y’a ta photo sur l’écran ! Ça va ?
— C’est plutôt à toi qu’il faut poser la question ! T’as pas vu mes messages ? Tu es prêt ?
Pendant une fraction de seconde, je me demande de quoi il parle, puis je réalise qu’il devait venir me chercher.
— Axel ? T’es toujours avec moi ? Tu veux que je repasse plus tard ? me propose-t-il.
— Nan, monte !
Quelques minutes plus tard, Liang entre chez moi. Il m’étreint tendrement. Son contact me fait frissonner de plaisir. Il sent bon, contrairement à moi.
— Je pue, protestè-je faiblement.
Il rit, dépose un doux baiser sur ma joue puis s’écarte.
Il se cache souvent dans des hoodies trop grands, mais aujourd’hui, il porte un T-shirt bleu près du corps, avec un col en V. Il est encore plus séduisant.
— Ça te va bien.
— Toi aussi, me taquine-t-il. Je le connais pas celui-là !
Je réalise alors que je ne porte qu’un caleçon sur lequel sont dessinées des fraises.
— Tu connais ma passion des fruits et légumes !
Il me fixe, puis ricane.
— Tu dormais ? me demande-t-il.
— Non, pas vraiment…
— T’as les marques de l’oreiller sur la figure !
— Ok, peut-être un peu… je suis désolé.
— Y’a rien de grave, et c’est moi qui suis en avance.
— Ah ! J’ai eu peur que tu croies que je t’avais oublié ! Ce qui n’est pas le cas !
Il se marre. Et je cherche vite une autre connerie à dire juste pour le plaisir de l’entendre rire.
— Ça te dit toujours qu’on aille se balader en forêt ? me demande-t-il.
— Oui ! Mais je vais peut-être m’habiller…
— Ça me parait effectivement une bonne idée !
— Faut que je me douche aussi… Je me dépêche !
— Prends ton temps.
Je capte un petit éclat taquin dans ses yeux. J’hésite un instant à lui proposer de m’accompagner.
— Tu veux… un café ou quelque chose ?
Il sourit.
— Moi ça va, je crois que c’est plutôt toi qui as besoin d’un café.
— D’abord une douche !
Je fais quelques pas jusqu’à ma chambre pour prendre des vêtements propres.
— C’est ta chambre ? demande Liang sur le pas de la porte.
— Oui, pardon… pour l’odeur…
Je me dépêche d’ouvrir la fenêtre pour aérer. Puis je m’efforce de ramasser les fringues qui trainent au sol pour les cacher dans le placard.
— Ça ne te ressemble pas, dit-il.
— Tu t’attendais à quoi ? Un donjon avec des chaines au mur et du cuir ?
— C’est ton genre de délire ?
En voyant son air interloqué, je me mets à rire.
— Non pas du tout ! Je raconte juste des conneries… comme d’hab. Et pour rappel, je vis chez mes parents, ils sont cools, mais pour le donjon SM, je suis pas sur que ça leur plaise.
C’est étrange de le voir ici. Il s’avance et fixe le poster au-dessus de mon lit, une grande photo en noir et blanc, de deux beaux mecs qui s’embrassent.
— Ça te plait ? lui demandè-je.
— La photo est belle, dit-il. Mais là aussi, c’est bizarre, je trouve ça trop sobre, trop sage pour toi.
— C’est un cadeau de Tristan. Je suis bien curieux de savoir comment tu imaginais ma chambre.
— Une déco joyeuse, colorée, et un peu foutraque ! Comme toi !
— Foutraque ? Après lubrique, j’ai droit à foutraque ? Tu testes mon vocabulaire ? Ou c’est encore un mot que tu as placé là pour faire beau ?
Il se marre.
— Pour tout t’avouer, poursuit-il, je pensais que les murs seraient comme tes T-shirts !
— Avec des bites partout ? demandè-je.
— Non, avec des petites phrases drôles et insolentes, des cœurs, des aubergines… et peut-être quelques arcs en ciel !
— Et des licornes aussi ? Désolé, je les ai mises au placard ! Et non, n’essaye pas de les libérer ! le menacè-je en le pointant du doigt. Après elles foutent des paillettes partout, ça colle à la peau pendant des jours et des jours, c’est chiant !
On éclate de rire. Il me faut quelques instants pour reprendre mon souffle. Je lui montre ensuite fièrement une étagère derrière lui.
— Mais j’ai quand même un cactus pénis !
Il est fièrement dressé et accompagné de deux boules à sa base.
— Ahh voilà ! J’ai cru un instant qu’on t’avait remplacé. Maintenant j’ai confirmation que je suis bien chez toi.
— La preuve par la bite !
Nous partons dans un nouveau fou rire. Puis il continue son exploration et s’attarde sur ma collection de minéraux.
— Oh, elle est marrante celle-là, on dirait une mini étoile fossilisée.
— Oui ! Je l’aime beaucoup, c’est un rhomboèdre de Calcite. Je l’ai trouvé dans la forêt où on va. Dans un coin où des arbres venaient d’être coupés et où la terre avait été remuée. Il était remonté à la surface.
— Et celui-là ? La couleur et la forme, on dirait l’intérieur d’une grenade !
— C’est du quartz hématoïde.
Il se marre.
— Non, mais c’est pas une blague, protestè-je. C’est vraiment son nom ! Je l’ai trouvé dans une ancienne mine en Bretagne.
— Ah tu ne te contentes pas de grimper, tu vas aussi sous terre.
— Oui, des fois, je fais un peu de spéléo.
— Oh, c’est un truc que j’aurais aimé essayé ! Ça doit être calme sous terre !
Sa réflexion m’amuse, car la plupart des gens trouvent ça angoissant d’être sous terre.
— C’est très calme oui ! Sauf quand je chante !
J’attrape la pierre et lui mets dans la main.
— Viens là, devant la fenêtre. On voit à travers. Ses cristaux sont translucides et pleins de petites impuretés.
— C’est magnifique ! dit-il en la tournant vers la lumière.
— Prends-la ! Comme ça tu pourras te faire un trip à distance !
— T’es sûr ? demande-t-il
Je vois l’enthousiasme dans ses yeux.
— Oui ! J’espère juste que je ne l’ai pas trop tripoté et que tu verras autre chose que ma tête !
Il se pince légèrement les lèvres. J’adore le pétillement dans ses yeux.
— Merci, dit-il simplement.
Il enveloppe la pierre dans un mouchoir en tissu et la range précautionneusement dans sa poche.
Je refais mon lit rapido.
— Tu peux te poser là si tu veux.
En remettant mes draps en place, j’ai fait apparaitre mon vieux doudou.
— Oh, mais on dirait Totoro, dit Liang.
— Oui, c’est lui, mais… il a eu quelques mésaventures le pauvre et du coup il est passé à la machine plusieurs fois. C’est pour ça qu’il est tout déformé !
— Il est toujours mignon, dit Liang en le prenant dans ses bras. Il te ressemble !
— Je suis comme un vieux doudou ? Confortable ?
— Oui aussi ! Mais tu es doux, chaud, réconfortant comme Totoro et tu ramasses des glands !
— Purée… C’est vrai, j’avais oublié le coup des glands !
Liang pose sa canne et s’assoit sur le lit, mon Totoro sur ses genoux.
— Fais comme chez toi ! Je file à la douche. Je me dépêche !
Ce n’est qu’une fois que je suis sous l’eau chaude, en train de me savonner que je réalise.
Liang est dans ma chambre !
Et s’il découvre que je me caresse en pensant à lui. Cette nuit encore, quand je n’arrivai pas à dormir… Merde, j’espère que j’ai pas laissé trainer un mouchoir sale !
J’aurais dû lui proposer de venir me savonner… au moins, ça aurait été clair et direct. À cette idée, Hercule se gonfle et se dresse. Je suis obligé de le passer sous l’eau froide pour le calmer.
En sortant de la salle de bain, je retrouve Liang dans la cuisine, le visage pâle et l’air ailleurs.
— Ça va ? lui demandè-je inquiet.
— Oui, je… je me suis servi un verre d’eau.
— T’as bien fait ! Tu veux autre chose ?
Il fait non de la tête sans oser me regarder.
c’est sûr, il s’est passé un truc. Il a vu quelque chose dans ma chambre et je n’ose pas lui demander quoi, car je sais que ça me concerne.
Merde… Est-ce qu’il sait ?
***
Je fais attention à ne pas marcher trop vite et m’adapte au rythme de Liang. Je lui lance des petits coups d’œil. Je n’arrive pas à savoir si y’a un malaise, où si c’est juste dans ma tête. Après tout, il est quand même là, dans la forêt, avec moi.
J’essaye d’occuper ce vide étrange en racontant des conneries, ce qui me vaut quelques sourires.
Après avoir installé la couverture sur le sol, on s’y installe. Les oiseaux piaillent gaiement autour de nous. Lentement, je tends ma main vers lui. Mes doigts effleurent son bras, mais je ne vais pas plus loin. J’attends qu’il me prenne la main, comme il l’a fait les autres fois, mais il ne le fait pas. Je déteste ce malaise entre nous. Et je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi.
La plupart des gens ont des frontières strictes en l’amitié et l’amour, pas moi. Les gens que j’apprécie, j’aime aussi les toucher, les avoir contre moi. Et quand ce sont des beaux mecs, j’ai envie de les embrasser. Ça me parait la suite normale.
Samedi dernier dans la piscine, c’était tellement agréable de le tenir dans mes bras. J’étais vraiment heureux qu’il se baigne, qu’il me fasse confiance. Il riait, il était encore plus beau.
À un moment j’ai même cru qu’il allait m’embrasser.
Chez les gens normaux, les amis ne fantasment pas les uns sur les autres. Peut-être qu’il se sent trahi. Il me trouve peut-être dégoutant….
Non pas Liang ! Il n’est pas comme ça.
— Tu veux rentrer ? lui demandè-je, craignant la réponse.
— Euh non… toi tu veux ?
— Non plus.
Il se tourne vers moi, interrogateur. Je secoue la tête.
— Je sais pas, j’avais l’impression que… qu’un truc clochait.
— Tout va bien, me dit-il calmement, ne t’inquiète pas. D’accord ?
Tout va bien.
— J’ai juste un peu la tête ailleurs, ajoute-t-il. Et avant que tu demandes, non j’ai pas envie d’en parler.
Il m’adresse un doux sourire
Tout va bien.
— Ok !
Je dois lui faire confiance. C’est juste qu’il n’est pas aussi tactile que moi. Il a besoin de respirer. Je suis trop collant, trop bavard, trop en demande…
Plus détendu, je ferme les yeux et profite du soleil qui filtre à travers les feuilles, jusqu’à ce que je sois interrompu par la sonnerie de mon tél. C’est Tristan, je ne comprends pas ce qu’il me raconte parce qu’il sanglote. Je me lève d’un bond, comme si ça pouvait l’aider et me mets à faire les cent pas, le cœur serré.
— Triss, calme-toi. je vais venir. Tu es où ?
— Dehors… dans le parc.
Je n’ai pas besoin qu’il en dise plus, je sais où le trouver.
— Ok j’arrive, mais je suis en forêt, j’en ai au moins pour une demi-heure.
— D’accord… mais je veux pas te déranger…
— Tu me déranges pas. Ça va aller, ok ? J’arrive. Je t’aime.
Je me tourne vers Liang pour lui expliquer la situation, mais il est déjà debout et a plié la couverture.
— Je suis désolé, dis-je.
Il secoue la tête.
— Est-ce qu’il va bien ? demande-t-il.
— Je sais pas trop…
***
La rencontre avec Tristan a été une étape importante de ma vie. Non seulement parce que ce mec génial est devenu mon meilleur ami, mais aussi parce que pour la première fois, je rencontrais des gens queers dans la vraie vie.
J’étais en 6ème, et dans le square, tout le monde parlait de cette nouvelle famille avec deux mamans. J’ai trouvé ça intrigant. Quand je l’ai croisé au City stade, ce sont surtout ses cheveux roux et ses yeux verts intelligents qui m’ont captivé.
Un petit groupe de gamins l’emmerdait. J'aurais dû intervenir, les remettre en place. Mais pour une fois, j’ai fermé ma bouche. J’en ai encore honte aujourd’hui.
— Tu mens ! Il faut un papa et une maman !
— Je suis pourtant la preuve que deux femmes qui s’aiment peuvent avoir un enfant ! leur a-t-il répondu.
Tristan a toujours été économe en mots, beaucoup plus que moi. Moi je parle à tort et à travers, pour attirer l’attention et combler le vide. Lui, quand il ouvre la bouche, c’est pour dire des choses intelligentes. C’est comme ça qu’on est devenus amis, on se complète bien.
Il a su très tôt qu’il était pansexuel. Moi j’ai mis un peu plus de temps à réaliser que j’étais homo. Pourtant, même dans les dessins animés, ça a toujours été les persos masculins qui m’attiraient. Je leur ai posé beaucoup de questions, à lui et à ses mamans. L’avoir dans ma vie a clairement rendu les choses plus faciles.
Liang me dépose devant le parc à côté de chez moi. Je retrouve Tristan assis au pied du grand chêne, ses genoux repliés contre lui. Je le rejoins, l’entoure de mes bras, dépose un baiser sur son front et le berce. J’attends qu’il soit prêt à me parler.
— Je deviens mauvais… comme elle ! souffle-t-il.
— Non, ça n’arrivera pas.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Je te connais.
Il me regarde un instant, secoue la tête, puis enfouit de nouveau son visage dans le creux de mon cou.
— Parfois, je ne sais plus qui je suis…
Je caresse ses cheveux.
— Tu es Tristan.
— J’ai changé…
— Tu veux dire depuis que t’es plus puceau ?
Malgré les larmes, il rit.
— T’es vraiment con, s'exclame-t-il. Je te parle de mon pouvoir. Il me fait peur.
— Je sais.
— Non, tu ne comprends pas. Je prends plaisir à faire du mal.
Axel secoue la tête.
— Tu n’es pas mauvais, tu étais juste énervé.
— J’étais vraiment prêt à lui faire du mal… et c’était pas le première fois.
— Ce prof est un gros connard… et puis tu ne l’as pas fait.
Il se redresse et me regarde, intrigué.
— Tu sais ?
— Oui, j’ai eu Mei au téléphone pendant le trajet. Elle m’a raconté.
— Elle me déteste…
— Bien sûr que non, Ambre et elle étaient en train de te chercher.
— Je leur fais peur…
— J’y crois pas un seul instant. Par contre, elles ont surement eu peur pour toi. Surtout quand tu t’isoles comme ça, au lieu de partager ce qui ne va pas. Arrête de fuir ceux qui t’aiment. Fais-nous confiance.
— J’ai peur… de vous faire du mal.
— Tu as bien fait de m’appeler. Mais tu devrais davantage te faire confiance. Tu n’as rien à voir avec elle ! Elle s’est noyée dans les ombres. Toi tu es un soleil !
Annotations