21. Le doute m’habite - Axel

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Every night you're sleeping in my bed

Every morning you love me like a friend

Sunrise coffee I know

You'll take a sip and slip back into your clothes

Chaque nuit tu dors dans mon lit

Chaque matin tu m’aimes comme un ami

Café au lever du soleil, je sais

Tu prendras une gorgée et tu te glisseras à nouveau dans tes vêtements.

Fly By Midnight - Love Me Like a Friend

Dimanche 20 juin 2021

Lorsque l’ascenseur s’ouvre, Tristan est déjà sur le palier. Il se précipite vers moi et me serre fort dans ses bras.

— Hey… ça va ? lui demandè-je.

— C’est à toi qu’il faut demander ça ! souffle-t-il.

Il me fait la bise, puis m’invite à entrer.

— Ta mère m’a appelé au milieu de la nuit pour savoir si tu étais avec moi, explique-t-il. J’ai vraiment eu peur !

— Ah, tu vois ce que ça fait ! le taquinè-je.

Il me donne un coup de coude.

— Ben quoi ? Moi aussi j’ai le droit de faire mon drama.

— Oui, mais c’est pas ton genre, du coup, c’est vraiment flippant !

— Désolé, dis-je en posant un baiser sur sa joue.

Je salue les mères de Tristan, puis nous nous réfugions dans sa chambre.

— Tu m’as pas vraiment répondu, me dit-il. Comment tu vas ?

Je hausse les épaules. Lorsque je suis rentré chez moi ce matin, c’était étrange. Ma mère n’a pas arrêté de parler, de tout et de rien, juste pour combler le vide. À l’inverse, mon père m’a à peine adressé la parole.

— J’ai encore du mal à digérer la nouvelle. À la maison, c’est tendu comme un string… et je suis pas fan des strings, ça me gratte le cul. Par contre, j’essayerais bien les jocktrap, ça a l’air cool…

— Tu viens ici quand tu veux, me coupe Tristan. Tu peux même rester quelques jours.

— Merci Triss. Tu vois, j’ai pas tenu longtemps, je suis déjà là. Pour la suite, je verrai, je sais pas comment ça va se passer. C’est bizarre quand même, j’ai rien vu venir. Vingt ans de mariage. Et d’un coup, mon père se barre et je vais avoir une petite sœur.

— C’est leur histoire…

— Oui, mais c’est ma famille ! T’imagines, une petite sœur, maintenant ? On va avoir dix-huit ans d’écart. Limite, ça pourrait être ma fille…

— C’est sûr que ça fait beaucoup à encaisser d’un seul coup.

— Oui, c’est pour ça que j’ai pété un plomb cette nuit.

Il acquiesce.

— Et du coup, tu es allé te réfugier chez les Wang ?

— C’est quoi ce petite sourire ?

— Rien, je suis juste curieux.

— J’ai rien fait ! me défendè-je. Enfin, rien d’indécent. Même si… quand je me suis réveillé avec Liang collé à mon dos, j’ai eu un mal fou à calmer mon érection.

— Vous avez dormi dans le même lit ? me demande-t-il surpris.

— Oui, enfin non, on a dormi dans une cabane de lit.

Je lui raconte ma nuit dans les grandes lignes.

— Liang est incroyable ! Je débarque chez lui au milieu de la nuit en chialant et il me construit une cabane. J’adore ce mec !

— Et t’essayes de me faire croire qu’il ne se passe rien entre vous ?

Je repense à cette nuit avec Liang, emboités comme des cuillères dans sa cabane magique. C’était tellement parfait, j’aurais aimé que ça ne s’arrête jamais.

— Je sais pas… Il n’y a pas “rien”. Il y a un lien fort entre nous. Je tiens beaucoup à lui. Nous sommes de plus en plus proches, pas seulement physiquement. On discute beaucoup, de tout et de rien. Mais… j’ai l’impression que ça n’ira pas plus loin, qu’on est arrivé à une sorte de point d’équilibre et ça me convient.

Tristan me lance un regard insistant.

— Bon, ok, sauf le matin, quand il est collé à moi, c’est dur… dans tous les sens du terme. Mais c’est pas ma faute, ce mec est tellement craquant !

— Tu sais que Liang n’est pas du tout tactile. Au contraire, il fuit les contacts physiques. J’en reviens toujours pas que vous dormiez dans le même lit.

— On se voit beaucoup. Il s’est juste habitué à moi…

— Axel, arrête de te voiler la face, il se passe un truc ! Et regarde-toi, quand tu parles de lui, tu as des étoiles dans les yeux ! Vous en avez discuté de cette situation ?

— Nop…

— Alors comment tu peux savoir que ça lui convient à lui aussi ?

— Je lui ai demandé cent fois si j’étais pas trop collant… et il a toujours répondu : non. Il m’a promis de me dire si c’était trop.

— Peut-être qu’il veut plus.

Mon cerveau passe en mode : comédie romantique, nous imaginant, tous les deux, nus dans un grand lit, entouré de pétales de rose et de petits cœurs en papier. Tristan vient d’ouvrir une porte que j’avais barricadée depuis des semaines. Je secoue la tête.

— C’est toi qui m’as dit qu’il était 100 % hétéro.

— Je me suis peut-être planté. C’est possible qu’il soit en plein questionnement sur lui, sur son orientation sexuelle.

Je m’arrête un instant sur cette hypothèse pour y réfléchir. Liang a des insécurités par rapport à son handicap, c’est vrai. Mais sinon, c’est quelqu’un d’assez assuré, il sait ce qu’il veut dans la vie. Donc, s’il voulait de moi…

— Non, il m’en aurait parlé !

— Pas forcément, reprend Tristan. Et puis, il n’a peut-être pas capté qu’il te plaisait.

— Si, il le sait ! J’arrête pas de lui dire et d’envoyer des signaux !

— Axel, sans vouloir être méchant, tu envoies des signaux à tous les beaux mecs que tu croises. Comment veux-tu qu’il fasse la différence ?

Merde…

Je me sens super mal.

— Fais pas cette tête, me dit mon ami. C’est pas si grave, et surtout c’est pas trop tard. Il faut que vous vous parliez.

— Pour lui dire quoi ?

— La vérité. Qu’il te plait, tout simplement.

Mon pied bat la mesure, je me passe la main plusieurs fois dans les cheveux.

— Non, dis-je en secouant la tête. Je peux pas prendre ce risque !

— Risque de quoi ?

— De perdre son amitié, de tout faire foirer !

— Peut-être qu’il n’attend que ça ! Tu ne veux pas prendre le risque que ça marche ?

— Tristan… t’as bien vu ce que ça a donné quand on a essayé tous les deux. Je suis juste nul à chier comme petit ami.

— N’importe quoi. Ça n’a pas marché en grande partie à cause de moi et de ma jalousie maladive. Tu n’as rien à te reprocher.

Il me regarde avec beaucoup de sérieux, mais également avec une grande tendresse. Sa main caresse mon bras et la pression redescend d’un cran.

— Ok, je vais lui parler.

Reste à savoir comment.

***

Lundi 21 juin 2021

L’appartement et mes parents sont les mêmes qu’avant, pourtant depuis qu’ils m’ont annoncé leur séparation, tout me parait différent. Comme si je venais de passer dans une autre dimension, un univers parallèle. C’est troublant. Je ne peux pas m’empêcher de les observer et d’interpréter chacun de leurs gestes, chacunes de leurs paroles. J’ai l’impression d’avoir été trompé, arnaqué. J’ai cru à une famille parfaite et immuable, et là, je découvre l’envers du décor. Depuis combien de temps est-ce qu’ils ne s’aiment plus ? Pourquoi est-ce que je n’ai rien remarqué ? Est-ce que l’amour se voit ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je ne connais rien à l’amour.

Ma mère sourit et essaye de faire comme si de rien n’était, mais elle transpire la tristesse. Ça n’a pas pu arriver d’un seul coup. Comment j’ai fait pour ne pas m’en rendre compte ?

À bien y réfléchir, ça fait vraiment longtemps qu’on ne fait plus rien ensemble tous les trois. À part l’appartement, on ne partage plus rien. Je me demande à quel moment ça a basculé. Quand est-ce qu’ils ont cessé de s’aimer ? Je trouve ça tellement triste, je n’aime pas les fins. Pourquoi est-ce qu’on devrait arrêter d’aimer les gens ? Pour faire une place à une nouvelle personne ? À une nouvelle vie ? Notre cœur n’est-il pas extensible ?

***

Je suis passé chercher Liang, direction : Le bout du monde. C’est la fête de la musique, Ambre et son groupe donnent leur concert dans ce lieu incroyable. C’est une ancienne usine de tissu, avec plusieurs bâtiments de briques rouges. Depuis quelques mois, une scène est installée dans la plus grande des salles. Tristan et Mei sont déjà sur place, ils ont aidé aux derniers préparatifs. En arrivant, on croise Hicham et Ambre qui est toute stressée. Je remarque que tous les deux me font la bise, mais qu’ils saluent Liang d’un geste de la main. Pas de contact physique. Tristan a raison, Liang laisse peu de gens l’approcher.

Les gens commencent à arriver et il y a déjà pas mal de monde devant la scène.

— On restera sur le côté. Et si y’a quoi que ce soit, je suis là !

— T’as oublié ta cape, me répond-il avec un petit sourire.

— Ouais, mais j’ai mis mon slip rouge, dis-je en ricanant. Tu veux voir ?

— Peut-être plus tard, s’amuse-t-il.

Je ris avec lui, mais je peux pas m’empêcher de me poser mille questions. Est-ce qu'il me tend une perche ? Et si Tristan avait raison, si Liang s’intéressait à moi et que je passais à côté...

Je suis complètement con, il répond juste à ma blague. Faut que j’arrête de vouloir tout analyser, ça va me rendre dingue.

— Je vais essayer de trouver un endroit pour m’assoir, me dit-il.

Je ne vois aucune chaise, mais je repère un canapé installé dans un coin. Arrivé devant, Liang grimace légèrement.

— Hum… dis-je en l’inspectant. C’est vrai qu’on sait pas à quoi il a servi.

— Et je préfère continuer de l’ignorer !

— Clairement trop de taches suspectes !

En discutant avec les organisateurs, je récupère deux chaises et Liang peut s’assoir et reposer sa jambe.

Pendant toute la journée, j’ai réfléchi à ce que j’allais lui dire, et maintenant que je suis face à lui, je ne sais plus comment faire. Tristan a raison, on doit se parler, mais comment ?

Pour lui dire quoi ? Que j’ai envie de lui, de ses lèvres, de ses mains, de sa peau… mais que je suis incapable de lui donner davantage ? Et puis… est-ce qu’il en a tout simplement envie ?

Je suis tiré de mes réflexions, par des copains et copines du lycée qui viennent me saluer. Ils me parlent de leurs études, leurs projets. Tout comme Liang, certains ont déjà tout planifié, ça me donne le vertige. Même si ça ne fait qu’un an, pour eux, le lycée semble loin. Moi, j’ai l’impression de ne pas avoir évolué. Et je ne sais pas où je vais…

Mes études, ma famille et ma vie sentimentale, tout est en bordel.

Pendant que je discute, Liang me fait signe qu’il sort. Lorsque mes anciens amis s’éloignent, je constate que la salle s’est bien remplie et Liang n’est pas revenu. Je pars à sa recherche et croise Mei dehors.

— T’as pas vu Liang ? lui demandè-je.

— Il était avec toi.

— Oui, mais…

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous vous êtes disputés ?

— Non, pas du tout, il est juste sorti prendre l’air…

— Tu n’aurais pas dû le laisser seul ici !

Elle regarde autour d’elle, les sens en alerte. Qu’est-ce qui lui prend ? Je regrette de lui avoir posé la question, elle me stresse.

— Hey, il est juste sorti…

— Pour ton info, me dit-elle, c’est compliqué pour Liang d’être ici.

— Je suis au courant, mais ça sert à rien de paniquer. Il sait se débrouiller et s’il avait besoin d’aide, il me l’aurait dit !

— Espèce d’otite ! Il fait des crises de panique !

Je me souviens de la fois où je l’ai trouvé tout pâle dans les toilettes. J’ai chaud, je me sens mal. Ok, maintenant c’est moi qui panique.

Elle s’éloigne en courant vers le fond de la cour. Je la suis. On retrouve rapidement Liang. Il est appuyé sur un petit mur en briques à côté de ce qui ressemble à un potager. Je me précipite vers lui et le prends dans mes bras.

— Laisse-le respirer, me gronde Mei.

— Vous jouez à quoi ? nous demande tranquillement Liang.

Il s’écarte de moi, mais laisse sa main glisser le long de mon bras, dans une brève, mais douce caresse. Puis il serre mes doigts dans les siens une fraction de seconde. Son contact et son sourire suffisent à me rassurer.

— On s’inquiétait pour toi, expliquè-je, plus calme.

— Pourquoi ? Je vais bien.

— Tu vois, dis-je à Mei. Il va bien. Tu nous as stressés pour rien !

Elle me fixe, lèvres pincées, puis regarde son frère.

— Mei, ça va, répète-t-il, je ne suis pas en sucre.

Elle hésite un instant, puis retourne vers le bâtiment.

— Ça va bientôt commencer, dis-je.

Je tends ma main à Liang qu’il prend pour se relever.

À l’intérieur, c’est le brouhaha. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait tant de monde. Même moi je trouve cette proximité insupportable, j’ai envie de frapper tous ceux qui nous approchent.

— Tu sais quoi, dit-il, je vais t’attendre dehors.

— Je viens avec toi.

— Je suis désolé, souffle-t-il, c’est trop pour moi.

— C’est moi qui suis désolé, j’aurais pas dû insister. Je te ramène chez toi si tu préfères.

— Je peux attendre…

— Non, tu vas pas rester là…

— Et moi je veux pas te gâcher ta soirée !

Le ton est monté d’un coup, ses poings sont serrés.

— Lapinou, arrêtes, tu ne gâches rien du tout !

Après une habile négociation, il accepte que je le raccompagne.

— T’as prévenu ta sœur ? lui demandè-je en me garant devant chez lui.

— Oui, je lui ai envoyé un message dès qu’on est partis.

— Ouf, je tiens à ma vie.

— Je suis désolé… pour tout… J’aurais dû prévoir et prendre la voiture de ma grand-mère.

— Non, mais on s’en fout. Et c’était plus sympa d’y aller ensemble. On se regarde un film ? proposè-je.

— Tu ne retournes pas au concert ?

— Non, je préfère rester avec toi

Il ne répond pas. dans la pénombre, je ne vois pas bien son visage.

— Ok… je le prends pas du tout mal, plaisantè-je.

— Axel, dit-il, il y a beaucoup de choses que je ne peux pas faire.

— Je sais. Enfin, j’aurais dû y penser. Désolé d’avoir insisté. Des fois, je suis vraiment con, j’aurais dû réfléchir…

— Non, proteste-t-il.

Je ricane bêtement.

— Non, tu veux pas que je réfléchisse ?

— Si bien sûr, mais j’aime ta spontanéité et je ne veux surtout pas que tu la perdes.

Sa voix se détend.

— Ok, promis, je vais essayer de pas trop réfléchir.

On rit plus franchement ensemble.

— J’aime le fait que tu ne vois pas mon handicap, m’explique-t-il. Avec toi, je fais des choses que je n’aurai jamais osé faire seul.

Je souris, touché et fier.

— Tu me tires vers le haut, poursuit-il, mais moi je te ralentis.

— Mais non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Et puis, on fait pas une course !

Il pousse un long soupir et pose la tête sur mon épaule.

— J’aime le fait que tu me proposes plein de choses et que tu continues malgré mes nombreux refus. Tu me boostes ! Mais parfois, comme ce soir, la réalité me revient en pleine face. Ma jambe me limite physiquement et mon don m’oblige à me tenir à distance des gens, et encore plus de la foule. Ça me frustre, j’aurais aimé pouvoir partager ça avec toi.

— C’est pas grave, on partage plein d’autres choses.

Son souffle sur mon cou me fait frissonner de plaisir.

— Pour la pride. Je t’ai dit qu’on verrait pour ne pas te décevoir, mais soyons réalistes, je ne pourrai pas venir. J’aimerais pouvoir marcher fièrement à tes côtés, mais ce n’est pas possible.

J’attrape sa main, nos doigts s’enlacent.

— Je comprends ! Et non, tu ne me déçois pas !

— Je suis juste frustré de ne pas pouvoir être et faire comme les autres.

— Même si je ne serai jamais à ta place, j’imagine que ça doit être frustrant. Mais tu n’as pas besoin d'être comme les autres. Liang, tu es parfait comme tu es !

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