22. Il n’y a pas de rose sans épines - Liang
On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l’a dit ce matin
À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée
Je me suis épanouie
Heureuse et amoureuse
Françoise Hardy — Mon amie la rose
Mardi 22 juin 2021
J’attends Xin et Lucas à la sortie de l’école. En voyant leur maitresse avancer droit vers moi, je me tends. L’année de CP n’a pas été facile pour Xin. Après seulement quelques semaines de classe, elle ne voulait plus y aller, prétextant que sa maitresse ne l’aimait pas. Bien entendu, avec Nainai et Mei, on fait tout pour la rassurer. Ma grand-mère a de nombreuses fois été convoquée. Et malheureusement, il s’avère que l’enseignante a bien pris ma petite sœur en grippe. Je veux bien qu’elle ne soit pas toujours facile, elle a du mal à tenir en place, mais c’est principalement parce qu’elle est curieuse. Heureusement, son ami Lucas est avec elle, c’est la seule chose qui la motive à continuer à aller à l’école.
La maitresse me salue.
— Vendredi, nous avons la sortie de fin d’année, me dit-elle.
— Oui, Xin nous en a parlé, et nous avons bien eu le mot dans le carnet, elle aura son pique-nique. Aucun problème.
Elle se tortille les mains.
— Nous avons un petit problème…
Je m’attends à ce qu’elle m’annonce que Xin ne peut pas participer et la colère commence à monter.
—... Deux parents se sont désistés. Est-ce que par hasard, vous ou votre grand-mère seriez disponible pour nous accompagner ? Vous êtes majeur, n’est-ce pas ?
— Euh… oui, je suis majeur et je peux me libérer. Mais, de quel type de sortie s’agit-il ? Je ne peux pas marcher sur de longues distances.
Elle regarde ma canne, puis ma jambe.
— Ah oui…
Derrière elle, j’aperçois Xin et Lucas, d’abord tout souriants. Mais lorsque ma sœur comprend que je parle à sa maitresse, elle se décompose. Je lui fais un petit signe de la main, essayant de la rassurer.
— Est-ce qu’il faut beaucoup marcher ? lui demandè-je à nouveau.
— Hum… On pourrait peut-être s’organiser, dit-elle, songeuse. Vous pourriez rester dans le bâtiment, avec les groupes qui font les ateliers pédagogiques ! propose-t-elle. Une partie des enfants apprendra à reconnaitre différentes plantes, pendant que l’autre ira se balader en forêt. Et ensuite, on inverse.
— Vous allez en forêt ?
— Oui. Vraiment, si vous pouvez vous libérer, ça m’enlèverai une épine du pied…
— D’accord, comptez sur moi. Et j’ai peut-être un ami qui pourra nous accompagner.
— Ça serait vraiment formidable !
***
Mercredi 23 juin 2021
Allongé sur mon lit, je joue sur mon téléphone tout en admirant le dos d’Axel. Il est assis à mon bureau. Je lui ai proposé d’utiliser mon ordinateur pour ses recherches. Je peux profiter un peu plus de lui, et ça lui permet de fuir les tensions familiales.
— Merci, me dit-il. Mon vieux portable déconne et c’est vraiment plus facile sur un grand écran. Et puis ta chambre est bien plus sympa que la BU. Promis, j’ai pas fouillé dans les dossiers douteux.
Il ricane en faisant bouger ses sourcils.
— Aucun risque, tu ne trouveras jamais le mot de passe.
J’essaye de garder mon sérieux et avec la tête qu’il fait, ce n’est pas facile. Il a la bouche et les yeux grands ouverts.
— T’as vraiment un dossier porn ? Maintenant je suis curieux ! Y’a des photos de toi ?
— Euh non…
— Ah, du coup, c’est beaucoup moins intéressant !
Pendant quelques secondes je me sens flatté, puis la réalité me revient en pleine face en imaginant des photos de mon corps déformé. Non, aucune chance que ça arrive. Il a dû percevoir ma gêne, car il enchaine.
— J’ai trouvé des trucs intéressants ! Pour commencer, j’ai épluché les sites des deux écoles d’horticulture que tu m’avais envoyées, puis j’en ai trouvé d’autres. Y’a pas mal de cursus différents, presque tous avec de l’alternance. Je pense que ça me conviendrait bien. J’ai repéré cette école en particulier.
Il m’indique l’écran. Je me lève, attrape ma canne et je vais le rejoindre. Il me montre différentes photos.
— Regarde, ils ont une roseraie avec une quarantaine d’espèces différentes !
— C’est très beau, mais je ne sais pas si c’est un critère de choix très objectif.
— C’est mon côté romantique ! dit-il en me faisant un clin d’œil. J’adore les roses ! Je trouve que les pétales de roses sont incroyablement doux, comme la peau des couilles.
J’éclate de rire, y’a que lui pour sortir des trucs pareils.
— Évite de leur dire ça aux entretiens !
Il rit aussi.
— Non, je sais, t’inquiète pas. Je vais étudier sérieusement. Ça me plait vraiment. Par contre, pour septembre de cette année c’est mort… Les inscriptions sont terminées depuis des mois et les places sont limitées.
— Tu peux toujours déposer un dossier, au cas où.
— T’as raison, je vais envoyer des photos et dire que je suis prêt à coucher s’il le faut !
Il se lève et me prend dans ses bras. Son corps entre en contact avec le mien, je frissonne de plaisir. Puis de nouveau, lorsqu’il embrasse ma joue. Proche très proche, mais pas ensemble.
— Merci ! souffle-t-il.
— J’ai rien fait.
— Si tu m’inspires, tu me motives et tu crois en moi !
— On fait un bon duo !
À son retour de l’école, Xin s’incruste dans ma chambre et monopolise Axel. Ce qui n’a pas l’air de le déranger. Ça l’aide peut-être à accepter l’idée d’avoir une petite sœur.
— Quel animal a le plus de dents ? nous demande-t-elle.
— Le requin ? proposè-je.
— Mais non, répond Axel, c’est le Dentosaurus Rex !
Elle cligne des yeux plusieurs fois.
— C’est quoi ça ?
— Un dinosaure qui a trois bouches !
— Pour de vrai ? demande-t-elle enthousiaste.
— Non…
— Oh… dommage il avait l’air cool. Alors c’est quoi ?
— Je donne ma langue au chat, dis-je.
— Moi aussi.
— La petite souris ! s’exclame Xin. Parce que quand tu perds une dent, c’est elle qui vient les ramasser. Alors elle a plein de dents ! Même si c’est pas les siennes !
— C’est vrai ! Bien joué, la félicite Axel.
Ils sont vraiment trop mignons tous les deux.
— Dis, c’est vrai que tu connais Tristan ? lui demande-t-elle soudain.
Le beau Tristan, y’avait longtemps…
Il approuve d’un hochement de tête.
— Oui, je le connais même très bien ! C’est mon meilleur ami !
— Depuis que vous êtes petits ?
— Oui, depuis le CM2.
Elle a l’air un peu déçue.
— C’est quand même grand les CM2. Moi, mon meilleur ami c’est Lucas ! Depuis la maternelle ! Mais il est beaucoup moins beau que Tristan.
Pauvre Lucas.
J’attends que la petite tornade soit repartie pour lui parler de la sortie scolaire.
— Vendredi, j’accompagne Xin à sa sortie de fin d’année.
— Ah oui ? C’est cool ça, vous allez où ?
— Pique nique en forêt et ateliers sur les plantes.
— Ohh trop bien ! Tu me raconteras ?
Je souris, c’est exactement le genre de réaction que j’espérais.
— Tu veux venir ? lui proposè-je.
— Tu crois que j’arriverai à me faire passer pour un CP ?
— Non, mais y’a des parents qui se sont désistés, la maitresse est un peu désespérée. Elle cherche des accompagnateurs adultes et responsables.
— Ah ! mais c’est tout moi ça !
***
Vendredi 25 juin 2021
Xin et Lucas sont ravis qu’Axel les accompagne à leur sortie. Il est rapidement adopté par les autres enfants, au grand désespoir de Xin qui pensait pouvoir le garder rien que pour elle.
Pendant la journée, je ne le vois pas beaucoup. Comme prévu, je reste dans le bâtiment pour les ateliers tranquilles, alors qu’Alex part faire les grandes balades en forêt.
À leur retour, Xin se jette dans mes bras.
— C’était trop bien ! s’écrie-t-elle. En plus, aujourd’hui, je m’ai même pas fait gronder !
Dans le car, pour le trajet retour, Axel se déchaine et fait chanter les enfants.
Lorsqu’il se rassoit à côté de moi, il pose tranquillement sa tête sur mon épaule. Sa main caresse mon bras. Une maman nous fixe, je lui réponds par un grand sourire si bien qu’elle détourne le regard. J’aime le sentir si près de moi et je ne vais pas la laisser me gâcher ce moment. Ça ne me dérange absolument pas que les gens pensent qu’on est ensemble, j’aimerais juste que ça soit vrai.
On entretient tous les deux cette relation ambigüe, surement par peur d’aller plus loin.
— Merci c’était trop cool ! me dit-il.
— C’est à toi qu’il faut dire merci, tu leur as sauvé leur sortie.
Il rit doucement.
— J’adore être un sauveur. C’était vraiment une belle journée ! Et tu sais quoi ? Maintenant, je sais enfin ce que je veux faire.
— Ambianceur de bus ?
Il éclate de rire.
— Aussi ! J’ai envie d’être animateur nature. Pendant la balade, j’ai discuté avec un de ceux qui travaillent ici, il m’a donné plein d’infos sur les différentes formations.
— C’est une super idée ! T’as un bon feeling avec les enfants.
— Je pourrais faire des journées comme aujourd’hui, tous les jours ! dit-il, tout enthousiaste. Dehors, avec des gamins, c’est génial ! Tu savais qu’il y avait un bac pro forêt ? J’ai raté ma voie, j’ai vraiment été con de ne pas m’intéresser à mon avenir…
— Il n’est pas trop tard !
Nous sommes à peine rentrés à la maison que Xin et Lucas s’endorment dans le canapé et je ne suis pas loin de faire pareil. Même si j’ai peu marché, la journée m’a épuisé, mais ça valait le coup. Leurs sourires à tous les trois me rendent heureux, plus particulièrement celui d’Axel.
Avant de tomber totalement de fatigue, je propose à Axel de le raccompagner. Comme souvent, même une fois garés, on continue de papoter.
— Cet été, je vais aller en Bretagne chez mes grands-parents, me dit-il. Ça te dirait de venir ?
Mon cœur s’emballe.
— Tu pars quand ?
— Je sais pas encore. On attend les résultats du bac de Tristan. Il a peur de devoir passer le rattrapage.
— Il part avec toi ?
— Oui ! Ça fait plusieurs années qu’on part en vacances ensemble, mes grands-parents l’adorent…
Je sais… Tout le monde adore Tristan.
— … ça serait cool que tu nous accompagnes !
Avec Tristan donc…
— Euh… On attend aussi les résultats du bac de Mei, et ensuite, on part en famille. Ma grand-mère a loué un camping-car, on fait tout un périple pour aller voir les oncles, tantes et cousins. On commence par la Belgique, et après je sais pas trop.
— Dommage, faudra qu’on s’organise mieux pour les prochaines vacances.
Régulièrement, il jette des coups d’œil en direction de son immeuble.
— Comment ça va chez toi ? lui demandè-je.
Il hausse les épaules.
— Bof… Mon père a commencé à faire ses cartons. Ma mère et moi, on va rester dans l’appartement actuel.
— Tu dois être soulagé de pouvoir garder ta chambre.
— Oui, et ma super déco que tu aimes tant !
On échange un petit sourire, puis son visage s’assombrit.
— Est-ce que tu savais ? me demande-t-il soudain.
— Euh… de quoi ?
Il marque une pause et semble chercher ses mots.
— Le jour où tu es venu chez moi, pendant que j’étais sous la douche… J’ai bien compris qu’il s’était passé quelque chose. Tu as vu un truc.
Je me pince légèrement les lèvres, mais ne dément pas.
— Est-ce que c’était en lien avec la séparation de mes parents ? Tu les as vus en parler ou se disputer ? C’est ça ?
Je secoue vivement la tête.
— Non, ça n’a rien à voir avec tes parents.
Il laisse échapper un soupir.
— Ok… mais alors… c’était quoi ? T’as trouvé la licorne à paillettes ? Tu m’as vu faire un truc vraiment… malaisant ?
Merde…
J’ai de plus en plus de mal à soutenir son regard. Je baisse la tête et me concentre sur les mains. Je me sens toujours honteux d’avoir fouiné dans ses affaires. Surtout que j’aurais mieux fait de m’abstenir. Les images d’Axel avec Tristan me reviennent bien trop souvent en tête.
— Je suis désolé, dis-je, je n’aurai pas dû…
— Non, mais je te comprends. Sincèrement, je crois que j’aurai fait la même chose. Je t’en veux pas pour ça. Ce que je ne pige pas, c’est pourquoi tu étais contrarié.
— Tritan, lâchè-je. Je l’ai vu partout dans ta chambre et… euh… je ne m’y attendais pas.
— On est très proches, il vient souvent chez moi.
— Je sais… j’ai vu.
Il me fixe, perplexe.
— Y’a un problème avec Tristan ?
— Non, non, je sais que c’est quelqu’un de bien. Il compte beaucoup pour Mei et pour toi…
Les mots ont du mal à sortir, mais je ne veux pas lui mentir.
— C’est juste que je n’avais pas réalisé à quel point vous étiez proches.
Son regard ne me quitte pas, ses sourcils sont froncés.
— Désolé, je dois être con, mais faut que tu m’expliques, parce que je ne comprends pas.
À mon tour de soupirer.
— Non, c’est pas toi, c’est moi qui suis idiot. Ça m’a rendu jaloux.
— Hein ? Mais pourquoi est-ce que tu serais jaloux de Tristan ? Ce que je partage avec chacun d’entre vous est différent !
— Je sais… Je t’ai dit, c’était idiot. Je vais rentrer, je suis vraiment KO.
***
Samedi 26 juin 2021
Axel : coucou, tu as pu te reposer ?
Liang : j’ai dormi pendant 11 h
Axel : ??
Axel : on est en train de se préparer
Axel : Sam me refait une beauté !
Liang : je veux voir ça !
Quelques minutes après, je reçois une photo. Je reconnais son sourire et ses yeux malicieux, mais le reste est très différent. Ses cheveux sont coiffés en arrière et gominés, ce qui leur donne un aspect beaucoup plus sombre. Ses paupières sont maquillées d’un arc-en-ciel. Il a plein de paillettes qui, mélangées à ses taches de rousseur, forment un adorable tableau . Il porte un T-shirt blanc qui moule bien son corps, sur lequel il est écrit : Je peux pas j’ai Gay Pride. Je suis triste de ne pas pouvoir être avec lui, le voir en vrai, le toucher.
Liang : félicite Sam, tu es très beau !
Axel : mieux que d’habitude ?
Liang : différent
Axel : ^_^
Axel : Liang… je voulais te demander un truc
Liang : Oui ?
Je fixe les trois points qui indiquent qu’il est en train d’écrire et ça me semble interminable. Soit il écrit un roman, soit il cherche ses mots. Je me prépare à devoir m’expliquer à propos de la bombe que j’ai lâchée hier, à propos de ma jalousie envers Tristan. Peut-être que ça sera plus facile à avouer derrière un écran.
Axel : j’avais pensé t’envoyer des photos et te ramener des souvenirs de la marche. Mais je sais pas si c’est une bonne idée ou pas. Est-ce que ça va aider à diminuer la frustration ? Ou au contraire, est-ce que ça risque de te rendre triste de ne pas être avec nous ? Je n’ai absolument pas envie de te rendre triste. Je comprendrais si tu ne veux pas de photos ni de souvenirs.
Je suis soulagé mais également très touché qu’il soit aussi prévenant.
Liang : non, tu peux !
Liang : au contraire, ça me fera plaisir !
Axel : ♥♥♥
Liang : j’aurai l’impression d’être un peu avec toi !
Axel : t’es toujours un peu avec moi
Axel : :-*
Liang : ♥
Je lâche un long soupir de soulagement. J’ouvre mon armoire pour en sortir le T-shirt d’Axel. Il l’a oublié quand il a dormi ici, je l’ai caché. Je m’installe sur mon lit et regarde de nouveau sa photo. Mes doigts caressent le tissu.
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