32. Rue des charmes - Liang
I felt alive and I can't complain
But no, take me home
Take me home where I belong
I got no other place to go
Je me sentais vivante et je ne peux pas me plaindre
Mais non, ramène-moi à la maison
Ramène-moi à la maison, là où j’ai ma place
Je n’ai pas d’autre endroit où aller
Aurora - Runaway
Jeudi 1er juillet 2021
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe. Axel me tenait la main, tout sourire, et l’instant d’après, il est en train de hurler sur Anastase. J’essaye de les rejoindre aussi vite que ma jambe me le permet. Quand j’arrive enfin au comptoir, Axel a le visage rouge de colère, il a attrapé Tristan par le bras et l’entraine vers la sortie.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandè-je tout haut.
— Alors, ne panique pas, me dit Mei, mais Axel a perdu la raison.
Je regarde autour de moi, essayant à la fois de comprendre la situation, et de reprendre mon souffle. Dans le pub, les discussions sont suspendues et les visages sont tournés vers nous. Je croise les yeux gris-vert d’Anastase qui me fixent.
— Désolé, bafouillè-je. On s’en va…
— Et les boissons ?
Il indique quatre verres pleins posés devant lui.
— Euh… oui, pardon, je vais les payer.
Ce que je fais avant de sortir le plus vite possible, ce qui est toujours trop lent. Une fois dans la galerie marchande, j’ai un petit coup de stress en ne voyant pas Axel. Puis je l’aperçois, un peu plus loin, avec Tristan. Je m’apprête à les rejoindre, mais ma sœur se met devant moi.
— Il s’est passé quoi ? demande-t-elle.
— C’est ce que j’aimerai aussi comprendre.
— Non, mais là, juste au moment où tu as payé ?
— Comment ça ?
— Il s’est passé un truc avec le vampire !
Je secoue la tête, frustré et agacé.
— J’en sais rien ! Axel a pas l’air bien, je vais le rejoindre, on en reparle après.
Axel est de dos, ses mains s’agitent et sa voix est différente. Elle contient beaucoup trop de colère. À moins que ça ne soit de la peur.
— … dix minutes et t’étais déjà en train de te transformer en loukoum !
Tristan proteste.
— Axel, là tu te fais des films, on ne faisait que discuter, j’essayais juste d’avoir des infos.
— En lui bavant dessus ? Ce mec est un serpent venimeux et il vous a tous envoutés ! Tu restes là, je retourne chercher Liang et Mei et on se casse, comme on aurait dû le faire tout à l’heure !
— Je suis là ! annoncè-je, essoufflé.
Il se retourne, me prend dans ses bras et me serre avec force.
— Tu vas bien ? demande-t-il, nerveux. Je suis désolé de t’avoir laissé. J’allais revenir te chercher !
— Axel, tout va bien.
Il enfouit son visage dans le creux de mon cou, il tremble et sa peau est brulante. Tristan me lance un regard interrogatif auquel je ne peux pas répondre.
— Tout va bien maintenant, dis-je, on va rentrer.
— Où est Mei ? demande Axel paniqué. Faut pas la laisser seule avec lui !
— Elle est sortie en même temps que moi, expliquè-je.
— Je lui envoie un message, propose Tristan.
Je passe ma main dans les boucles d’Axel, essayant de l’apaiser.
— Elle dit qu’elle vérifie un truc et qu’elle nous rejoint au parking dans dix minutes, nous informe Tristan.
Ce n’est que lorsqu’on s’éloigne qu’Axel retrouve son calme.
— Je suis désolé, nous dit-il, j’ai vrillé. J’aurais pas dû lui dire qu’on savait…
— C’est pas grave, c’est fait. Et puis, tu as dit plusieurs fois que tu ne voulais pas y aller. On aurait dû t’écouter.
Tristan approuve d’un hochement de tête. Axel se rapproche de lui.
— Je suis désolé de t’avoir crié dessus. J’ai eu peur qu’il te fasse du mal.
— Je sais, je comprends
— J’ai aussi engueulé Mei… pour une fois, j’ai réussi à lui clouer le bec, mais en vrai, j’en suis pas fier.
Nous arrivons au parking, Tristan s’occupe du ticket pendant que je câline Axel. Je pose de petits baisers sur son cou, puis sur sa bouche.
— Tes lèvres sont si douces, lui dis-je, on dirait des pétales de roses…
Il décroche enfin un sourire.
— Je suis désolé d’en faire des caisses, mais il m’angoisse.
— J’ai vu ça…
Il pousse son bassin contre le mien et me serre fort. On reste ainsi sans bouger pendant quelques minutes.
— Heureusement que ta sœur n’est pas là, me dit-il, amusé. Elle nous trouverait indécents. D’ailleurs, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle devrait être revenue, non ?
J’attrape mon téléphone dans ma poche pour l’appeler, mais je tombe directement sur sa messagerie. J’essaye de ne pas le montrer, mais ça commence à m’inquiéter.
— Je vais la chercher, propose Tristan.
— Non ! proteste aussitôt Axel, on ne se sépare pas !
Au même moment, des messages arrivent sur mon téléphone.
Mei : je peux pas décrocher
Mei : je suis sur une piste
Liang : une piste de quoi ?
Mei : je te tiens au courant
Je pousse un long soupir, puis leur montre l’échange.
— Voilà exactement pourquoi je ne lui avais pas parlé de cette histoire.
— C’est ma faute, dit Tristan. J’ai gaffé.
— C’est pas grave, c’est juste que parfois, c’est dur de la suivre.
— Du coup, on fait quoi ? me demande Axel.
— On a pas trop le choix, on attend. On va pas partir sans elle.
Je commence à avoir mal partout, j’ouvre la voiture pour pouvoir m’assoir. Et nous patientons dans le parking souterrain. C’est un peu glauque, mais au moins, Axel va mieux.
Mei : Venez à cette adresse, il se passe un truc étrange
Liang : étrange comment ?
Liang : on se met en route
Elle m’a envoyé sa localisation, c’est à quelques minutes d’ici en voiture.
— Attends, mais on va où ? demande Axel. Et pourquoi ? Elle n’a rien dit ?
— On aura des réponses sur place, explique Tristan. Tu ne connais pas Mei ?
— Si elle aussi se fait avoir par le pouvoir de l’autre naze, on est foutus ! marmonne Axel.
Je me pince les lèvres et il doit le remarquer, car il pose sa main sur ma cuisse.
— Non, mais je suis sûr qu’elle va bien, Mei est une warrior.
J’acquiesce et me concentre sur la route.
— Je ne comprends toujours pas ce que vous lui trouvez, dit Axel.
— Il est très beau, explique Tristan et il dégage quelque chose de particulier. Pas au point de lui sauter dessus ! Contrairement à ce que tu penses, je n’ai pas perdu le contrôle, mais j’ai eu envie de discuter avec lui… et peut-être aussi de lui plaire.
Axel secoue la tête, dépité.
— C’est probablement lié à sa nature surnaturelle, expliquè-je. Je ne suis pas sûr qu’il puisse le contrôler.
— Pourquoi est-ce que tu continues de prendre sa défense ? me demande-t-il.
— Parce que j’aime bien comprendre avant de juger.
Il grimace.
— Pourquoi je suis le seul à ne pas être touché par son pouvoir ?
— Je n’en suis pas si sûr, dit Tristan. Toi non plus, tu n’étais pas dans ton état normal. Je t’ai rarement vu aussi énervé. Et surtout pas si vite.
La réflexion de Tristan me laisse songeur. Je revois Axel en train de me câliner et de m’assurer que tout va bien, et la minute d’après, il avait totalement vrillé. Effectivement, ça ne lui ressemble pas. À chaque fois qu’il est à proximité d’Anastase, il agit bizarrement. J’ai pris ça pour de la jalousie, mais c’est peut-être autre chose.
— C’est juste que je suis le seul lucide, déclare-t-il.
— Non, mais Tristan a raison. Axel, toi aussi, tu es différent en sa présence. On dirait qu’il te repousse tout comme nous, il nous attire.
— Comme un aimant, commente Tristan.
— J’appelle plutôt ça un instinct de survie ! répond Axel. Il me fait peur !
— On est arrivés.
Je me gare dans une rue résidentielle. Je coupe le contact. Je vérifie mon téléphone, aucune nouvelle de Mei.
Autour de nous, que des maisons anciennes avec de grands jardins
— Et maintenant ? demande Axel. Qu’est-ce qu’on fait là ? Si ça se trouve, elle nous fait une blague ?
— Non, c’est pas son genre. Allons voir.
On passe devant plusieurs maisons toutes aussi impressionnantes les unes que les autres.
— Tu as vu le nom de la rue ? me demande Axel. On dirait vraiment une mauvaise blague.
Il pointe un panneau indiquant : « Rue des charmes ». Je m’arrête devant un portail, j’essaye de distinguer le bâtiment qui se cache derrière de grands arbres. L’obscurité n’arrange rien. Une maison très haute, avec des tourelles.
— Je crois que c’est ici, dis-je.
— Une maison de sorcière, souffle Axel, de nouveau mal à l’aise.
Sur la façade à colombage, deux sculptures de sorcières grandeur nature semblent soutenir l’étage.
Liang : On est arrivés, t’es où ?
Liang : Qu’est-ce qui se passe ?
Mei : j’arrive
Elle arrive derrière nous, avec un grand sourire fier.
— C’est ici ! La tanière du vampire !
— Comment tu l’as trouvé ? demande Tristan.
— J’avais raison, il s’est passé un truc. Juste après qu’on soit parti, il s’est enfui en utilisant la porte de derrière. Je l’ai suivi jusqu’ici !
Elle parle tellement vite que j’ai du mal à tout comprendre. Je crois que moi aussi je commence à être lassé par cette soirée, j’ai envie de rentrer.
— Ok, bien joué, mais pourquoi tu nous as demandé de venir ?
— Ah parce qu’il se passe un truc étrange à l’intérieur.
— Tu es entrée ? demandè-je, inquiet.
— Non, pas moi…
Valentin apparait juste devant nous, j’ai un petit sursaut et Axel pousse carrément un cri.
— Désolé, dit-il.
Mais son petit sourire indique le contraire.
Je n’avais pas senti sa présence, mais j’aurais dû me douter qu’il accompagnait Mei. Il doit être là depuis ses repérages, peut-être même avant. L’avantage de voir sans être vu.
— Donc tu es entré ? demandè-je à Valentin.
— Oui, et ils sont en train de faire leurs valises de manière précipitée.
— La meilleure nouvelle de la soirée ! s’exclame Axel. Qu’il se casse très loin de nous !
— Ils ? Mais qui ça ils ?
— Le vampire et sa famille.
— Sa famille ?
— Oui, y’a une grand-mère avec lui, une ado et des gamins.
— Des gamins ? demande Axel. Tu veux dire… des enfants vampires ? C’est super flippant.
— Quoi ? m’agacè-je. Je ne comprends rien ! Reprenez dans l’ordre.
— Dès que vous êtes sortis du bar, raconte Valentin, il a prévenu ses collègues qu’il avait une urgence et leur a demandé de gérer le service. Et il est sorti par la porte de derrière.
— C’est là qu’on l’a suivi, intervient Mei. Jusqu’à cette maison.
— En rentrant, il a dit à la grand-mère : réveille tout le monde, on fait les bagages, ils nous ont retrouvés.
— Je ne comprends pas, ils sont pourchassés ? demandè-je, en danger ?
— Ils ont eu peur de nous, dit Mei.
— Mais pourquoi ?
— Ils ont dû croire qu’Axel les menaçait, réplique Tristan.
— Moi ? Une menace ? Tu parles ! Moi j’étais terrorisé, lui, n’a pas bronché.
— Peut-être qu’il arrive à ne pas le montrer.
Mei, secoue la tête.
— Non, reprend Valentin, il a commencé à avoir peur après que Liang ait payé. Quand vous êtes sorti, il était encore plus blanc que blanc.
— Est-ce qu’il a un genre de pouvoir comme le tien ? demande Axel. Il a senti un truc sur ta carte ?
— Ma carte n’est pas un objet intime, et je n’ai aucune animosité envers lui, je ne comprends pas.
— Le fait est qu’ils sont en train de plier bagage, résume Mei.
— À cause de nous ?
— Bon débarras, commente Axel.
Je secoue la tête.
— Non, je ne veux pas être perçu comme une menace. Je ne veux pas être celui qui crée la peur… surtout s’il y a des enfants.
— Vous croyez que c’est ses enfants ? Peut-être qu’il les a enlevés, suggère Axel.
— Il faut lui dire qu’il n’a rien à craindre de nous, que c’est un malentendu. Je vais aller lui parler.
— Je viens avec toi, me dit Mei.
Elle retourne à la voiture et récupère son sabre d’entrainement en bois dans le coffre.
— Je suis désolé pour tout ça, dis-je à Axel. Si tu veux, tu peux m’attendre dans la voiture avec Tristan.
— Hors de question ! Je viens avec toi. On ne se sépare pas.
— Je viens aussi, confirme Tristan.
— C’est ouvert, dit Mei en poussant le portail.
Je donne un rapide baiser à Axel, puis d’un pas lent, mais décidé, j’entre dans le jardin. Je passe sous de grands arbres, il fait particulièrement sombre et mes pieds butent plusieurs fois sur des racines. Je manque de tomber, lorsque quelqu’un me bouscule et me dépasse.
— Avance, me dit Axel. C’est pas possible comme tu te traines. T’es pas impatient de retrouver ton vampire ?
— Euh… non. Attends-moi.
— Non, j’en ai marre de t’attendre, t’es un boulet Liang. On s’est bien amusé, mais tu as raison, je vais m’emmerder avec toi.
— On peut se parler ? Axel attends…
Je tends ma main vers lui, mais au lieu de l’attraper, il s’écarte de moi.
C’était trop beau pour être vrai. Mon cœur se déchire. Les larmes me montent aux yeux. Il me surplombe et me fixe en riant. Je me recroqueville sur moi-même, tout ce que je veux, c’est disparaitre. Je me sens tellement seul, perdu dans cette étrange pénombre. Je repense aux doux moments passés ensemble, à nos rires, à nos baisers.
Quelque chose ne va pas, ce n’est pas Axel. Axel ne ferait pas ça, il ne m’abandonnerait pas, pas comme ça. Il n’est pas dans son état normal.
Je m’appuie sur ma canne pour me remettre debout. Je m’avance péniblement jusqu’à lui pour lui faire face. Son sourire grimaçant me fait froid dans le dos. Derrière lui, les traits sont flous, comme dans un rêve. Je suis dans un cauchemar !
— Je n’y crois pas ! hurlè-je.
L’imposteur qui se tenait devant moi s’évapore en fumée noire. Les arbres s’écartent comme par magie et je vois la maison.
Je sens un truc qui appuie sur mon dos.
— Vous n’auriez pas dû venir ici, me dit une voix derrière moi. Je n’hésiterais pas à tirer, alors ne bouge pas !
Je lève lentement les mains en l’air.
— On ne vous veut aucun mal ! dis-je en essayant de rester calme. Je vous le promets. Je veux juste parler à Anatase.
— Non, toi et tes amis allez déguerpir, avant que…
Sa phrase est coupée par un son sourd, suivi d’un cri étouffé.
— Ne touche pas à mon frère !
En me retournant, je découvre Mei, son sabre à la main. Au sol, assise sur ses fesses, une petite femme à la peau ridée. Son menton, son front et ses joues sont tatoués de symboles. Sur la tête, elle porte un foulard fleuri dont s’échappent des cheveux orange. À ses côtés, cassée en deux, je découvre l’arme avec laquelle elle me menaçait : une imitation en plastique rose.
— Tu vas bien ? me demande Mei, inquiète.
— Oui.
Je tends la main à la vieille femme qui la refuse, se remettant seule sur pieds.
— Je m’appelle Liang et voici ma sœur Mei.
— Vous êtes des Wang, crache-t-elle.
Mei et moi nous regardons, étonnés. Je n’ai pas le temps de lui demander quel est le problème, que j’entends Axel crier.
Je le retrouve quelques mètres plus loin, allongé sur le sol, en train de se débattre contre un ennemi invisible.
— Enlevez-les-moi ! hurle-t-il.
Je me précipite à ses côtés.
— Des araignées, y’en a partout !
— Je t’assure qu’il n’y a rien. Ce n’est pas réel. Regarde-moi !
Je le prends dans mes bras.
— Arrêtez ça ! hurlè-je. Je veux parler à Anastase !
Le calme semble revenir.
— Je suis là.
Le vampire se tient sur le perron de la porte, droit comme un piquet. Il nous fait signe d’entrer.
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