33. La maison des sorcières - Axel
I eat boys like you for breakfast
And I know that you tried your bestest
I never said it's right
But I'm gonna keep doing it
Je mange des garçons comme toi au petit-déjeuner
Et je sais que tu as fait de ton mieux
Je n’ai jamais dit que c’était bien
Mais je vais continuer à le faire
Dove Cameron - Breakfast
Jeudi 1er juillet 2021
Liang est au-dessus de moi, son regard plongé dans le mien.
— Ça n’est pas réel ! me répète-t-il.
Sa main qui caresse ma joue, c’est agréable, mais je les sens toujours ! Elles courent sur moi. Je m’agite et me débats pour m’en débarrasser. Elles sont des dizaines et ont chacune huit pattes noires et poilues.
— Regarde-moi, m’ordonne Liang. Oui, comme ça, et respire, doucement.
Je me concentre sur lui et j’essaye de contrôler mon souffle, ainsi que les désagréables frissons qui parcourent mon corps. Lentement, je me relève.
J’entends la voix d’une femme proche de nous. Elle a un certain âge, la peau fripée et porte des tatouages berbères sur le visage. La grand-mère d’un de ses copains d’école en avait des semblables. Je me suis moqué de lui lorsqu’il m’a raconté que c’était des tatouages magiques. Maintenant, j’y crois.
— … à part celle-là, ils n’ont pas l’air bien dangereux, dit-elle.
Elle regarde en direction de Mei qui marche vers nous, accompagnée de Tristan, plus pâle que jamais.
Liang me regarde, inquiet.
— Ça va, elles sont parties, lui dis-je pour le rassurer. Merci.
En tournant sur moi-même, je découvre la maison, un mélange de briques rouges et de colombages. Je vois aussi de plus près les deux sculptures en bois qui avaient attiré mon regard. Des sorcières grandeur nature qui ressemblent étrangement à celle qui se tient non loin de nous. Après le coup des araignées, je crois qu’elle me fait encore plus peur que l’autre cadavre. Je frémis tout de même en le découvrant sur le perron, son regard glacial braqué sur Liang, il lui fait signe d’approcher. Mon ventre se tord.
Pourvu qu’il ne se précipite pas dans ses bras.
Mais Liang est toujours là, avec moi. Il me sourit confiant, puis se tourne vers sa sœur qui se place à ses côtés. Tristan est là également, son visage a retrouvé ses couleurs.
— Ça va ? lui demandè-je tout bas.
— Ça va.
Mei et Liang marchent vers la maison, nous les suivons.
— Anastase, dit Liang, nous devons parler. Je crois qu’il y a eu un gros malentendu.
Il le fixe, d’un air sévère. Dernière nous, la sorcière se rapproche et je sens de nouveau un picotement sur ma peau. Machinalement, je passe ma main le long de mes bras pour me débarrasser des bestioles qui me semblent encore trop réelles. Un rire léger me fait sursauter. Une jeune fille, dans les quinze-seize ans, m’observe. Je n’ai aucune idée d’où elle sort. Elle porte une robe d’une autre époque aux rayures bleues et bordeaux. Son visage ressemble à celui d’une poupée, un teint de porcelaine, des joues roses et de longs cils noirs. Ses cheveux sont également noirs et lui tombent sur les épaules. Elle me sourit. Dérouté par la situation, je fais la première chose qui me passe par la tête : je me présente.
— Je suis Axel, dis-je tout en réalisant à quel point je suis ridicule.
— Marjolaine, me répond-elle amusée.
— Tu… tu vis ici ? demandè-je.
— Oui.
Sorcière ? Vampire ? Je n’ose pas lui demander.
En réalisant que les autres sont déjà entrés dans la maison, je les suis. Hors de question que je reste seul dans ce jardin maudit. On traverse une véranda remplie de plantes, puis on arrive dans un hall avec un escalier. Malgré la chaleur de l’été, la maison est fraiche, comme une morgue. Je me demande si finalement le jardin n’était pas une meilleure option. Il y a plusieurs portes, celle qui est ouverte donne dans une bibliothèque. Des canapés en cuir, des murs recouverts de livres et une cheminée sur laquelle trônent deux chandeliers.
On se croirait dans la maison du Cluedo. Il n’y a pas encore eu de victime, mais j’ai déjà de gros soupçons sur le coupable.
Mes trois amis et Marjolaine sont dans la pièce, mais je ne vois plus le vampire ni la sorcière. Le silence est pesant. Tristan observe les livres autour de lui. Mei tient fermement son sabre en bois tout en surveillant la porte. Je m’approche de Liang, adossé contre un mur, ses traits sont fatigués.
— Ça va ? lui demandè-je. Tu veux t’assoir ?
— Ça me semble une bonne idée.
Il semble hésitant, trop poli surement. Je lui indique un des canapés où il finit par se poser. Je m’installe à ses côtés.
— Où est-ce qu’ils sont passés ? marmonnè-je. C’est peut-être un gros piège, genre, ils vont nous endormir et nous garder pour leur petit-déj de demain.
— Je ne pense pas, me répond-il. Nous allons discuter et tout va bien se passer.
Il essaye de paraitre confiant, mais je perçois tout de même une certaine nervosité dans sa voix.
Je réalise que Valentin manque également à l’appel, mais je n’ose pas poser la question à haute voix. Cela fait probablement partie d’un plan de Mei. Qu’il reste caché et puisse intervenir en cas de besoin. Du moins, je l’espère.
Trop nerveux pour rester assis, je me mets à faire les cent pas dans la pièce. En passant devant la porte, je vois du mouvement dans le hall. Je m’avance prudemment. Je distingue une gamine, cachée sous l’escalier. Elle a de longs cheveux blonds bouclés et de grands yeux curieux. Elle est en pyjama et porte dans ses bras un lapin en peluche, bien usé. Je fais un pas vers elle, elle en fait un en arrière. À mon tour, je recule.
— Je voulais pas te faire peur. Je m’appelle Axel.
Après tout, se présenter c’est peut-être pas si mal comme technique d’approche.
Après un petit silence, elle passe sa tête pour me regarder.
— Moi aussi j’aime beaucoup les lapins ! lui dis-je. J’ai mon propre doudou !
— Un doudou ? À ton âge ?
— Oui, il s’appelle Lapinou et il est super doux !
Ça a l’air de l’amuser, mais elle se reste prudente et m’observe de sa cachette.
— C’est toi le méchant ? Parce qu’on dirait pas trop…
— Non, je suis gentil !
— Alors pourquoi on doit déménager à cause de toi ? demande-t-elle. Et moi, je veux pas partir. J’aime bien ici. J’ai la meilleure chambre de ma vie.
Une porte s’ouvre derrière moi, le vampire traverse le hall, sans me regarder, pour rejoindre la bibliothèque. À sa suite, un garçon de douze-treize, lui aussi en pyjama.
Mais ils sont combien là-dedans ?
Lui s’arrête pour me fixer d’un air plein de défi. Sa peau est noire, mais au milieu de son front, il a une marque blanche. Elle remonte dans ses cheveux, les dépigmentant de la même manière. Il soutient mon regard, alors qu’il fait deux têtes de moins que moi.
— J’ai pas peur de toi, me dit-il.
Je ne pourrais pas assurer que la réciproque est vraie, du coup, je ferme ma bouche. Il rejoint la bibliothèque.
Et pour finir, la sorcière débarque. Aussitôt, je sens quelque chose sur mon bras. Je le frotte vigoureusement. Je ne vois rien, mais j’entends un petit rire derrière moi.
— Qu’est-ce que tu fais encore là ?
Je sursaute, mais c’est à la gamine qu’elle s’adresse, pas à moi.
—... Retourne au lit. Tout va bien maintenant.
— Ils ne vont pas nous faire de mal ? s’inquiète la petite.
Et là, je comprends la réaction de Liang. Moi non plus, je ne veux pas être celui qui inspire la peur et je me sens le devoir de les rassurer.
La grand-mère me regarde et je secoue vivement la tête.
— Non, non, bafouillè-je. Nous ne vous voulons aucun mal ! Tu peux dormir.
Ce sont les mots de Liang que je répète, pour ma part, j’ai encore beaucoup de mal à comprendre la situation. Je ne sais plus quoi penser. Y’a quand même une chose dont je suis sûr, je ne veux pas non plus qu’elle quitte sa super chambre, surtout pas à cause de moi.
— Donc, je peux rester ! conclut la gamine.
— Non, ce ne sont pas des conversations pour les enfants.
— Mais… c’est pas juste Bo et Marjolaine ont le droit de rester eux !
— Ils sont plus grands…
— C’est pas juste ! répète-t-elle dans un gémissement.
— Emma, ce n’est pas négociable, tu remontes te coucher !
La vieille femme s’accroupit devant la plus jeune, qui se jette dans ses bras pour un câlin, comme n’importe quel enfant avec un parent ou une personne de confiance. Elles sont une famille. Je me sens de trop. Je retourne dans la bibliothèque et reprends ma place aux côtés de Liang.
— Bon, qu’est-ce que vous voulez ? gronde le vampire, visiblement agacé.
— Rien, répond Liang, on a juste été curieux, probablement trop, mais vous n’avez rien à craindre en nous, nous ne vous voulons aucun mal.
Le vampire se place devant lui. Il le fixe en essayant probablement d’évaluer sa sincérité. Liang soutient son regard, j’admire son courage et son calme. De mon côté, je n’en mène pas large.
— Vous me menacez dans mon pub, puis vous vous introduisez chez moi ! Et tout ça pour quoi ?
Anastase nous dévisage, les uns après les autres, et s’arrête sur moi, je détourne les yeux.
— Désolé de m’être emporté tout à l’heure. J’étais en colère, j’ai eu peur…
— Peur de quoi ? me demande-t-il.
— On connait Damasio et Vic… et… On ne sait pas ce que tu leur as fait.
Le vampire fronce les sourcils et se pince les lèvres. Il semble troublé.
— Comment êtes-vous au courant de ça ?
— Nous aussi, nous avons quelques ressources, explique Liang.
Ils se fixent.
— Désolé d’insister. Tu n’as pas répondu à la question, reprend Liang. Est-ce que nos amis sont en danger ? On est inquiet pour eux.
— Non, répond Anastase.
— Bien. Nous sommes des alliés, pas des ennemis.
— Vous êtes des Wang ! crache la sorcière, qui vient d’entrer dans la pièce.
— Oui et alors ? rétorque Mei, prête à en découdre.
Le garçon s’avance vers elle. Liang s’appuie sur sa canne pour se lever.
— Nous sommes là pour nous parler, déclare-t-il d’une voix forte. Pas pour nous battre !
Il regarde Anastase qui confirme d’un léger hochement de tête.
— Certaines branches de notre famille peuvent avoir mauvaise réputation, mais…
— Je ne parle pas de ragots, le coupe Anastase, mais d’expérience ! On s'est fait avoir une fois, pas deux. Alors, vos beaux discours de gardiens, d’alliés, vous pouvez vous les garder ! Lui aussi nous a fait croire qu’il était de notre côté ! Je pensais que nous étions amis, puis il nous a vendu à des chasseurs.
— Liang ne ferait jamais ça ! dis-je en me levant. Depuis le début, il prend ta défense ! Alors que tu voles les souvenirs des gens, il continue de penser qu’il y a du bon en toi !
Les deux s’observent de nouveau.
— Nous n’avons pas de mauvaises intentions, annonce Liang d’une voix calme. Vous n’avez rien à craindre de nous, je t’en donne ma parole.
— Je vous donne ma parole également, dit Mei.
Tristan et moi faisons de même. Bien entendu, je ne leur veux aucun mal, mais je ne fais toujours pas confiance à Anastase. Je trouve qu’il a balayé bien trop rapidement le sujet Damasio et Vic. Et je ne peux pas m’empêcher de craindre la suite. Que va-t-il se passer maintenant qu’on connait son secret ? Il pourrait nous effacer la mémoire et nous enfermer dans sa cave pour nous transformer en poupées de sang.
Le vampire et la sorcière échangent un long regard, puis il s’adresse de nouveau à Liang.
— Ok, je t’ai écouté, comme tu me l’avais demandé. Maintenant, débarrassez-moi le plancher et ne venez plus jamais troubler ma famille !
Liang se pince les lèvres, mais se dirige vers la sortie, silencieusement.
Une fois à l’extérieur, Mei attrape le bras de son frère.
— Pourquoi est-ce que tu ne lui as pas demandé le nom du traitre ?
Liang a l’air préoccupé, il secoue la tête.
— J’y retourne, dit-elle.
— Mei, je suis pas sûr que ça soit le bon moment.
Il est épuisé.
— C’est trop grave ! insiste-t-elle. C’est notre famille, on doit savoir !
— Ok, soupire-t-il, résigné, mais attends-moi, on y va tous les deux.
Je les regarde s’éloigner, puis rejoins Tristan dans le jardin, il est en train de parler à Marjolaine.
— Vous pouvez nous faire confiance, lui dit-il. Nous ne sommes pas si différents de vous.
— Tu as de quoi noter, demandè-je à la jeune fille, que je te donne mon numéro de tél.
Elle rougit et se met à rire.
— Euh, non, mais c’est pas un plan drague ! Je suis gay et en couple avec Liang.
Je me sens tout fier de l’annoncer, même si les circonstances ne sont pas idéales. Elle sort un petit carnet et un stylo de sa poche et prend note.
— Si jamais tu as besoin d’aide, toi ou les autres…
— Tu as eu l’impression qu’on est retenus prisonniers ?
— Non, mais parfois, les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent.
Je me retourne vers la maison, Liang et Mei ne sont toujours pas revenus. Je croise le regard de la sorcière, tapie dans l’obscurité, à nous surveiller et je frémis.
— N’ai pas peur, elle est super gentille, affirme Marjolaine. Enfin, tant que tu ne t’en prends pas à sa famille.
— Ouais, j’ai vu, dis-je en me frottant les bras. Elle m’a attaqué avec des araignées bien dégueu !
Marjolaine se met à rire.
— Elle n’a rien fait ! C’est de la magie des cauchemars, tu vois ce qui te fait peur. Donc j’en déduis que tu n’aimes pas les araignées. Et puis, ce n’était pas Baya, elle ne fait pas ça.
— Le garçon alors ? demandè-je surpris.
— Non, plus, c’était Emma.
— La toute petite ?
— Oui oui.
Je reste sans voix en repensant à la mignonne petite tête blonde avec son doudou lapin.
— Marjo, tu parles trop ! dit une voix derrière moi.
C’est Bo, le garçon téméraire qui nous tourne autour.
Liang et Mei reviennent et je suis content de pouvoir sortir de cet endroit.
— Tu as été tellement courageux, dis-je à Liang en retournant à la voiture.
— Arrête de te moquer, dit-il d’une voix faible.
— Non, mais je suis sérieux. Tu as assuré. Vraiment !
Il s’écroule dans mes bras et se blottit contre moi. Je réponds à son étreinte. Je crois d’abord que c’est juste la pression qui retombe, puis je remarque Mei, figée, les poings serrés.
— Liang ? demandè-je doucement en caressant ses cheveux.
— Il nous a donné le nom…
— Le nom ?
— Celui qui les a trahis… c’est… notre père. J’ai envie de vomir.
— Merde… dis-je en le gardant contre moi.
Valentin apparait aux côtés de Mei. Elle aussi se laisse aller dans ses bras, silencieusement. Tristan me regarde, inquiet.
— On rentre, dis-je. La soirée a été longue.
Le trajet est calme, il y a plein de questions qui me trottent en tête, mais je les garde pour moi. Je dépose Mei, Valentin et Liang, puis rentre avec Tristan.
— Tu veux dormir à la maison, lui proposè-je.
— Non, ça va aller, ne t’inquiète pas.
Je repense à ce que Marjolaine nous a expliqué et je me demande ce que Tristan a vu. J’espère qu’il n’a pas eu, de nouveau, à confronter sa sœur. De mon côté, je préfère encore les araignées.
Je le regarde entrer dans le hall, puis monter dans l’ascenseur. Je me dirige vers mon immeuble, et sors mon téléphone pour envoyer un message de bonne nuit à Liang.
Axel : ça va ?
Liang : ma grand-mère était couchée, on va devoir attendre demain pour les explications.
Axel : merde
Axel : désolé pour vous
Axel : je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais essaye de ne pas trop y penser
Liang : La nuit va être longue…
Axel : si besoin, je peux venir
Liang : me chanter une berceuse ?
Axel : je pensais plutôt à une branlette, y’a rien de mieux pour s’endormir
Liang : ^_^
Axel : mais si ça te fait plaisir, je peux chanter en même temps
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