I.

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À la lointaine rumeur de l’océan répondait le claquement sec des étendards de guerre. Gonfalons et oriflammes ondulaient au vent capricieux du littoral, recouvrant la cité de Valonfleur d’un long manteau bicolore. Cette atmosphère était familière à Thélie : elle était bel et bien arrivée au royaume côtier de Carnek. Le crissement hésitant des lames dans les fourreaux, à deux doigts d’être dégainées, plongeait les rues dans une angoisse permanente. Par quelle folie les deux héritiers du roi Fañch se trouvaient au même endroit sans qu’un affrontement n’éclate, cela elle l’ignorait. Quoiqu’il en soit, il en résultait une telle tension que Thélie en venait même à poser sa main sur son propre poignard, flanqué contre sa poitrine, bien en évidence dans son étui en bandoulière.

La Garache reconnaissait l’étendard des deux armées rivales. À l’hermine immaculée de Carnek faisait systématiquement face les deux lions solaires de Nohrrow, si souvent confondus avec des léopards. Ainsi, Wandrille Hrólf, beau-fils du roi défunt, avait décidé de ressusciter le royaume de sa mère… Il amputait là son frère par alliance de la moitié de ses terres, unifiées des années auparavant par le mariage d’amour entre Fañch, alors veuf, et la reine voisine qui l’était tout autant. Mais Thélie doutait que cette querelle de territoire fut à l’origine de la présence d’Ewenn Arvaring et dudit Wandrille dans la cité. Cette famille recomposée était bien trop compliquée pour répondre à la logique humaine.

— Vous ! rugit une voix tonitruante.

Thélie fit volte-face pour se retrouver confrontée au mufle d’un lion métallique. Sous l’imposante visière du heaume félin se débattait un jeune soldat nohrrois, d’une vingtaine d’années à peine. À moins qu’elle ne rêvât, la sentinelle crut voir dans ses yeux une joie extraordinaire, un soulagement divin, autant de choses qui n’étaient pas d’usage d’éprouver à son égard.

— Que l’Être Suprême vous bénisse ! s’exalta le garçon. Vous r’faites ma journée !

Le soldat reprit difficilement son souffle. Depuis combien de temps l’avait-il suivie ?

— V’nez avec moi, commanda-t-il en bombant le torse. Ordre du roi Wandrille Hrólf.

— Déjà les cachots ? s’amusa la femme louve.

— Certainement pas ! Sa Majesté réclame une sentinelle pour un contrat.

Thélie esquissa un grand sourire. Les affaires commençaient donc déjà ! – et pas qu’un peu. Elle avait bien fait de se hâter en chemin pour devancer Nyx et rafler toute la mise : la voilà qui était embauchée par Wandrille Hrólf en personne ! La pauvre Tarasque lui en voudrait toute sa vie…

La sentinelle suivit le lion d’acier dans les larges rues de Valonfleur ; il semblait prendre la direction de la mer.

— Pour quelles raisons Sa Majesté souhaite-t-elle louer mes services ?

Un décurion de Carnek suivit d’un œil réservé le passage des deux individus. Ses hommes grommelèrent quelque chose en patois qui inquiéta la sentinelle.

Quelle ambiance…

— Lui et son beau-frère s’disputent pour l’Mont-du-Loch, lui expliqua le garçon. La seule chose qu’ils parviennent pas à s’partager…

— Fañch Ier ne l’avait-il pas offert à Imma Hrólf pour leur mariage ? Sire Wandrille en est l’héritier légitime.

Des connaissances qui surprirent Thélie – elle ne pensait pas avoir été si attentive durant les cours d’histoire à Carcanesse.

— Allez dire ça à sire Ewenn ! cracha le soldat. Il refuse d’céder l’île à son beau-frère. Faut dire qu’avec toutes les perles qu’y’a d’ssus… Une poignée d’entre elles rendrait jaloux le roi de Lorthanie.

Simple conflit d’intérêts, donc.

— D’accord, mais pourquoi avoir recours à une sentinelle ? s’étonna la Garache. Valonfleur semble prête à accueillir la bataille du siècle.

— Y’a eu une prédiction, bougonna le nohrrois. Pour des raisons qui leur sont propres, messires Ewenn et Wandrille ont voulu régler ça en s’en r’mettant au Grand Arbre. Dans sa transe, la drôle d’ovate leur a annoncé que l’Mont-du-Loch reviendrait à celui ou à celle dont l’amour triompherait des groagez de l’île – ou un truc comm’ça. C’est d’une niaiserie… Y se sont mis en tête d’engager chacun une sentinelle pour championne ; la victoire reviendra à celle qui tuera le plus de ces saloperies avant la tombée de la nuit.

Le sang de Thélie ne fit qu’un tour. Elle devrait se mesurer à l’une de ses consœurs ?

Oh, non…

Affronter des sirènes ? Sur une île piégée par la houle ?

Que le Souffle Ardent me consume sur place… Si Nyx a trouvé sire Ewenn, elle va m’administrer une belle déculottée.

Le soldat juvénile l’entraîna dans une ruelle qui descendait vers la plage. Au loin s’étendait les flots miroitants de l’océan, infini, dont le bleu profond rivalisait avec l’azur pastel du ciel. Le guide leva un doigt ganté vers l’horizon.

— Vous l’voyez, l’Mont-du-Loch ?

Thélie porta sa main en visière. Ses dents claquèrent sans même qu’elle s’en aperçoive.

Oui, je le vois, ton foutu caillou perdu en plein milieu de la mer.

— Je regrette, mais je ne suis pas sûre de pouvoir aider sire Wandrille…

— Vous êtes une sentinelle, non ?

— Bien sûr, mais me battre dans l’eau…

— Présentez-vous au moins d’vant l’roi, j’vous en supplie. J’aurais bien b’soin d’une prime.

La Garache resta un moment perplexe, mais ne put refuser cela au pauvre jouvenceau. Après tout, elle pourrait s’expliquer devant sire Wandrille après coup. L’engager ne serait bénéfique ni pour elle, ni pour lui.

Au bout de la ruelle, le chant des mouettes parvint aux oreilles de Thélie. Tout le long du littoral se dressait la silhouette claire des falaises, où nichaient les volatiles par centaines. Le vent salin se mêlait à l’odeur prégnante de la mer qui arracha un sourire à la femme louve : elle appréciait toujours quand son chemin la poussait à rejoindre l’océan – tout en se gardant d’y pénétrer, bien évidemment.

Thélie suivit le nohrrien à l’armure de lion, peinant à progresser dans le sable. Sur la plage, des drapeaux rivaux entouraient une grande tente frappée des anciennes armoiries du royaume unifié. À l’entrée se tenaient, aussi droits que les piquets surmontés de bannières, des gardes aux armures rutilantes. Le soleil oblique frappait leur plastron avec une telle ardeur que la sentinelle fut contrainte de plisser les yeux, complètement éblouie.

Le jeune guide échangea quelques mots avec les hommes d’armes, puis on incita Thélie à se glisser dans la tente. La gorge serrée, elle plongea sous la toile et sentit brusquement son cœur manquer un battement.

Cette odeur…

Elle devait rêver. Pourtant, ses sens ne la trompaient jamais.

Ce parfum de lavande…

Comment était-ce possible ?

Elle est si forte !

Thélie fouilla dans l’obscurité, forçant sa rétine à s’habituer à la pénombre. Elle y trouva une chevelure dorée qui encadrait un visage tout aussi stupéfait que le sien.

— Emmeryn ? lâcha-t-elle dans un murmure.

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