V

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 Quelques mois après la rencontre de ses nouveaux amis, Élentir dut faire un choix difficile. Il était temps pour elle de choisir qu'elle serait son avenir.

 Dans tout le royaume, quand un jeune chevaucheur atteignait son dizième anniversaire, il lui fallait choisir le métier qu'il souhaitait faire et commencer son apprentissage. Ce choix déterminait bien souvent l'avenir de l'enfant. Cependant, ce n’était pas toujours le cas ; on raconte que certains jeunes changeaient jusqu’à cinq fois de voie avant de se fixer. Ajoutons que la condition sociale et la richesse n’avaient pas d’influence sur le choix de l’apprentissage. Un enfant de fermier pouvait très bien entrer en apprentissage auprès d’un marchand, un fils de marchand devenir agriculteur. Ainsi, si un enfant sortait de son cercle familial pour découvrir un métier qui ne lui était jusqu’alors connu que de vue, il n’était pas rare qu’il se réoriente en découvrant un métier qui lui correspondait plus. Pour entrer en apprentissage, il fallait juste avoir les capacités nécessaires selon le maître que l’on choisissait. Une volonté de fer était souvent utile pour des métiers qui leur étaient inconnus. Je tiens à préciser que malgré tout, bien des enfants préféraient suivre la même voie que leurs parents.

 Une fois en apprentissage, le maître devenait alors un second tuteur. Il devait s’assurer que l’enfant ne manquait de rien. Il n’était d’ailleurs pas rare que l’apprenti vienne vivre chez lui. Il lui donnait de quoi vivre et il l’envoyait généralement suivre, en plus de la formation initiale, des cours généralistes au temple de Grys, Conscience de la connaissance et du savoir. L’apprenti recevait également un léger salaire en fonction de son âge. Bien que dans la plupart des cas, entre dix et treize ans ce salaire était mis de côté par le maître ou les parents selon chez qui l’enfant vivait.

 Pour beaucoup de jeunes chevaucheurs, le choix était évident. Le plus souvent, ils choisissaient le métier d’un de leurs parents. Pourtant, Élentir n’était pas intéressée à devenir cuisinière. Et même, si le métier de scribe l’attirait un peu plus, elle n’arrivait pas à se décider. En effet, elle ne comprenait pas la nécessité de faire si jeune un choix qui allait déterminer le reste de sa vie. Surtout qu’elle n’avait aucune préférence dans les métiers qu’on lui proposait. Effectivement, les propositions d’apprentissage ne tarissaient pas. Entre la cuisine, les écuries, la forge, la bibliothèque, la salle d’armes et bien d’autres encore, Élentir ne savait que choisir. Bien qu’elle ait déjà exclu certaines possibilités, le dilemme restait entier. Elle ne pouvait même pas imaginer une vie sans passer un jour à la bibliothèque. Accepter d’être l’élève de Lómelindi, c’était être la potentielle future gardienne du savoir, et ciel, elle ne pouvait rêver mieux. Dans ce cas où est le dilemme, vous demandez-vous ? Souvenez-vous plutôt de ce que je vous ai dit sur elle. Élentir avait un réel besoin de liberté, d’air frais, et de nature. Rien qu’en s’imaginant les journées enfermée dans la bibliothèque avec trop peu de temps libre pour aller courir, elle prenait peur à en devenir malade. Alors le choix qui s’offrait à elle, c’était soi de travailler comme palefrenière, soit comme apprentie dresseuse, ainsi elle serait à l’air libre des journées entière. Cependant, elle ne pouvait nier que le peu de temps qu’elle passerait à la bibliothèque ne serait pas suffisant. Surtout qu’elle savait déjà que la conversation avec les gens des écuries n’était pas forcément la plus instructive et intéressante. Et même la compagnie apaisante des animaux ne suffirait pas à la réconforter. Ainsi, elle avait envisagé une seconde d’accepter l’invitation d’Astal de devenir écuyère et ainsi qu’une future chevalière, un honneur pour tout chevaucheur. Mais l’idée de devoir obéir des années durant a un autre qu’elle-même la rebutait. Elle n’avait pas assez d’humilité pour cela. Même s’il est vrai que finalement, être écuyère rassemblait sûrement le plus de ses centres d’intérêt ; elle devrait étudier et passer peut-être de longues heures à la bibliothèque avec Lómelindi comme instructeur ; elle devrait s’occuper des bêtes de son chevalier ; passerait des heures dehors à s’entraîner…

Mais pour l’instant, elle en discutait avec Éledhwen et Palantir à la recherche de conseils :

— Je comprends parfaitement le dilemme que tu as. C’est vrai qu’en toute honnêteté, je t’ai toujours imaginée comme une femme savante. Je veux dire que je te vois plutôt comme mage ou gardienne du savoir que comme dresseuse ou maître d’écurie.

Élentir pencha la tête. Elle était plus ou moins d’accord, pour elle les deux derniers choix étaient plus des loisirs qu’une véritable possibilité d’avenir. Et malgré toute l’estime qu’elle avait pour Iago et Sancie, elle ne pouvait se représenter un avenir à diriger des écuries ou à dresser des animaux.

— Comme je l’ai déjà dit, je ne supporterais vraiment pas de rester enfermée tout le temps dans une bibliothèque. Et si la magie ne me déplaît pas, je ne pourrais jamais devenir mage. Il faudrait pour ça que le mage veuille bien me prendre comme apprentie. Mais d’un, il a déjà un assistant. Et puis ni l’un ni l’autre ne m’apprécie. Et choisir un mage itinérant ou d’une autre ville m’empêcherait de vous voir…

— Mais finalement ce qui te conviendrait le mieux pour l’instant, c’est sans aucun doute la proposition d’Astal.

Élentir hocha la tête doucement, peu convaincue. Mais c’est finalement Palantir qui mit ses doutes en parole :

— Le problème reste sûrement le fait que tu n’arrives pas à suivre un ordre correctement. Que tu ne peux t’empêcher de donner ton avis même quand on te demande de te taire. Si tu restes aussi arrogante, tu risques d’avoir des problèmes.

— Je ne suis pas d’accord, protesta sa sœur. Je ne pense pas qu’on puisse se tromper autant sur son compte ! Tu es tellement douée une arme en main, ton esprit est déjà plus vif que certains chevaliers, tes connaissances sont supérieures à celles de la plupart des aspirants écuyers.

Élentir éclata de rire :

— Tu me flattes trop ! Mais être écuyer demande une grande humilité et une obéissance que je n’ai pas, Palantir a raison. Si je n’arrive pas à me contrôler, il y a de fortes chances pour que je me fasse renvoyer soit parce que j’ai fini par lasser mon chevalier, soit par mon propre choix. J’ai presque autant plus vite fait de choisir la confrérie des dragons.

Jamais ce qu’elle avait énoncé jusqu’alors ne les avait autant ébranlés.

— Tu n’es pas sérieuse, dis ? demanda Palantir avec inquiétude.

— Tu sais très bien tous les sacrifices que ça impliquerait. Tu ne pourrais jamais t’y plier, affirma presque froidement Éledhwen.

Élentir regretta un instant d’avoir énoncé la possibilité à haute voix, mais elle se sentait également soulagée d’avoir pu en parler. Ainsi, elle continua, ignorant la tempête qu’elle avait provoquée dans le cœur de ses amis :

— Je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser. Vous savez comme moi que j’ai presque toutes les qualités pour rentrer dans l’ordre. J’ai le savoir et le talent de combattante, mais surtout, je sais lire et parler le draconique. Et je pense que mon front les intéresserait au plus haut point.

— Ton front ?

La jeune fille avait choisi de se soulager de tous ces secrets qui pesaient dans son petit cœur d’enfant, mais elle se sentit mal. Elle avait l’impression de trahir Hylde en les dévoilant. Toutefois, elle enleva son bandeau, laissant voir son stigmate aux héritiers. Ces derniers furent émerveillés.

— C’est si joli, ne put s’empêcher de dire Palantir. On dirait un diadème. C’est vraiment toi qui devrais devenir la reine.

— Non merci, rigola Élentir, c’est votre fardeau, pas le mien. Il ne faut surtout rien dire. Sinon, Salmar va vouloir me disséquer ou je vais être emmenée de force par la confrérie, c’est sûr.

— Mais tu ne sais pas ce que c’est ?

— Non, je l’ai depuis que je suis arrivée ici et je n’ai pas de souvenir qui remonte à plus loin. Du coup, je ne sais pas ce que c’est.

— Je n’ai rien vu de tel, je suis certaine que cela n’est pratiqué ni par les nomades ni par les mages de ce pays.

— Moi, ça me rappelle une vieille histoire sur Envinyatar. On raconte que le pouvoir des dragons lui avait été donné sous la forme d’un diadème.

Élentir éclata de rire :

— Les dragons se sont retirés depuis bien trop longtemps. Et puis pourquoi m’auraient-ils choisie ? Pourquoi maintenant ? Et surtout, si tu as raison, comment auraient-ils pu donner tant de pouvoirs à une enfant puis la laisser à l’éducation d’un autre, ne sachant pas ce qu’elle allait devenir ? Et de plus, j’ai une attirance pour la magie, mais je n’ai pas particulièrement l’impression d’être douée.

— Vu tous les arguments que tu as, tu as dû beaucoup y réfléchir, répliqua Palantir.

Élentir se mordit les lèvres, remit son bandeau.

— Bon, revenons plutôt à mon avenir. Je pense que je vais accepter la proposition de dame Astal. C’est sûrement la meilleure solution. Ce qui m’inquiète, c’est de savoir quel chevalier va accepter de me prendre à son service.

— Ça, ce n’est pas un problème. À la dernière compétition, tu étais encore sur le podium, non ? argumenta avec un grand sourire Éledhwen. Presque tous les chevaliers du pays sont présents lors de la fête de la victoire d’Athelleen et d’Aegnor, et je suis sûre que plus d’un sera prêt à te voir entrer à leur service bien que tu sois arrogante et indisciplinée.

— Mais si tu t’inquiètes tant, il me semble que ça va faire deux ou trois ans que sire Léothéric n’a plus d’écuyer. On peut lui en parler.

— Sire Léothéric ! Vous pensez vraiment qu’il acceptera de me prendre comme écuyère ? On raconte que c’est le plus puissant chevalier depuis des générations. Il paraît que lors d’une escarmouche avec les pirates, il est sorti vainqueur alors qu’ils étaient dix contre lui et il n’avait pas une seule égratignure. D’ailleurs, c’est l’un des chevaliers les plus calés en magie…

— Oui, mais on dit également qu’il a renvoyé tous ses écuyers jusqu’à ce jour. À ma connaissance, pas un seul n’a réussi à passer plus d’un an à son service.

— Un défi que je relèverai haut la main s’il me le permet, retourna fièrement Élentir.

Il était grand temps qu’ils retournent tous à leurs occupations. Ils se quittèrent ; les héritiers promettant de toucher un mot au chevalier, et Élentir assurant que quoi qu’il arrive, elle irait voir dame Astal pour confirmer son titre d’aspirante écuyère. Après s’être séparée de ses amis, Élentir rejoignit l’intendant Sébaste pour recevoir ses ordres. Quand elle arriva dans le bureau, elle trouva l’intendant en compagnie du menuisier royal.

— Élentir, tu tombes bien, l’accueillit sèchement Sébaste. Maître Brunon vient te proposer d’entrer à son service pour un apprentissage. Il ne faudrait pas que tu tardes trop à me donner ton choix avant que tout le château vienne à mon bureau pour me réclamer ta réponse.

— J’ai justement besoin de m’entretenir avec dame Astal, je pense accepter de devenir aspirante écuyère. Je suis désolée, maître Brunon et je vous remercie pour votre offre généreuse.

Elle fit une légère courbette. L’homme lui sourit froidement :

— Il fallait bien que je te propose, mais je savais bien que je ne pourrais avoir tes doigts de fée.

— Ce n’est pas très grave, je suis peut-être douée de mes mains, mais côté créativité, ce n’est pas à votre niveau.

— Certes, il se dirigea vers la porte, désolé du dérangement, il faut que je retourne à mon atelier avant qu’un de mes gars fasse une connerie.

Là-dessus, l’homme sortit, sans plus aucune considération pour Élentir. Cette dernière ressentait la contrariété du menuisier. Elle était étonnée qu’il veuille autant d’elle, mais avant qu’elle puisse s’en formaliser, Sébaste se rappela à elle.

— Bien heureux que tu aies enfin fait ton choix. Maintenant, les aspirants écuyers ne sont plus sous ma responsabilité, donc va voir dame Astal. Et dépêche-toi un peu.

— Toujours aussi peu émotif, retourna Élentir ironiquement. Je ne travaillerai peut-être plus jamais pour toi. Tu pourrais être plus ému.

L’intendant soupira.

— À vrai dire, je suis plutôt heureux de te voir partir. Tu devenais intenable.

— Je me retire en espérant que Felasys te soit favorable, déclara pompeusement la jeune fille.

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