VI

22 minutes de lecture

Élentir sortit au pas de course, mais ralentit rapidement. Son cœur se serrait plus elle approchait de la salle d’armes. Elle allait figer son futur. Elle avait bien conscience qu’elle était jeune. Que peut-être elle regretterait toute sa vie ce choix dont elle était certaine de ne pas comprendre la moitié des implications. Jusqu’à présent, malgré son boulot, elle faisait tout ce dont elle avait envie. Elle était très douée pour influencer Sébaste dans le choix des tâches qu’il lui donnait. Elle avait également beaucoup de temps libre, ce qui lui permettait de voir souvent ses amis. Maintenant, sa vie allait changer du tout au tout. Avait-elle réellement suffisamment de maturité pour faire un tel choix ?

Malgré ses doutes, ses pas l’avaient menée devant la salle d’armes. Personne ne s’y trouvait. Elle allait se diriger vers les terrains d’entraînement dehors quand dame Astal entra à son tour dans la pièce.

— Élentir ! Que puis-je faire pour toi ?

— Je viens vous dire que j’accepte votre proposition. Je… j’accepte de devenir aspirant écuyer. Sébaste vous passe donc le flambeau.

Dame Astal lui lança un sourire sincère. Élentir sentit que son interlocutrice était presque soulagée qu’elle ait accepté. Cela inquiéta la jeune fille, qui ne comprenait pas pourquoi il était aussi important qu’elle devienne écuyère.

— Très bien, suis-moi, je vais te montrer tes nouveaux quartiers. Tu devras déménager tes affaires d’ici demain. En chemin, je t’expliquerai en quoi va consister ton nouveau rôle.

Elles sortirent donc, Élentir trottinant derrière la maîtresse d’armes qui avançait avec de longues enjambées.

— Au vu de tes compétences et des circonstances, il se pourrait que tu ne restes pas longtemps aspirante. La prochaine présentation des aspirants écuyers a lieu le prochain mois. Vu ton niveau aux armes et de tes connaissances, tu ne devrais pas avoir de mal à trouver un chevalier qui soit prêt à te prendre à son service. Ce qui m’inquiète plus, c’est que tu sois capable, d’apprendre et de respecter le code des écuyers d’ici la présentation. Tout le mois qui va suivre, tu vas devoir suivre l’emploi du temps de tous les aspirants. Tu te lèveras à la même heure qu’à ton habitude, tu déjeuneras dans la salle des gardes avec tes camarades. Après, vous avez une séance d’entraînement suivie de cours théorique et de cours sur le code des écuyers pour les aspirants les plus récents comme toi. Après un repas en salle des gardes, vous devez aller aider aux écuries ou prêter assistance à des écuyers déjà en service. En fin de journée, de nouveau des entraînements, après le repas du soir, vous avez une heure de libre avant le couvre-feu. Si vous n’êtes pas revenus pour le couvre-feu, vous recevrez un blâme. Le nombre de blâmes est pris en compte le dernier mois pour les présentations. Donc, s’il te plaît, évite d’en faire trop à ta tête sinon tes chances seront compromises. Il faut que tu saches que tous les adultes qui participent à votre formation peuvent mettre un blâme et seul celui qui a mis un blâme peut le retirer. Voici les dortoirs. Ils sont mixtes, mais pour plus d’intimité, tu peux voir que chaque lit est séparé par des rideaux. Vous êtes priés de ne pas vous battre, si vous êtes pris en flagrant délit de bagarre, vous pouvez avoir jusqu’à trois blâmes d’un coup. Quiconque pris en flagrant délit de vol se trouve aussitôt disqualifié de la prochaine présentation. Mais je suis sûre que tu devrais arriver à survivre.

— Bien sûr, dame Astal.

— Si tu as tout compris, va chercher tes affaires et installe-toi dans le lit au bout de la rangée, il n’est pas occupé. À partir de maintenant, ce n’est plus à moi que tu dois te référer. En cas de moindre problème, parles-en à maître Romary, c’est lui qui est chargé des aspirants. Et je n’ai pas le droit de faire du favoritisme.

— Bien sûr. J’y vais.

Et ainsi commença la courte période où elle fut aspirante écuyère. Vous ne me reprocherez pas de passer rapidement sur cette courte période de la vie de notre jeune héroïne. Elle n’est restée qu’un mois aspirante écuyère et nous avons bien d’autres choses à dire sur elle. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en un mois seulement, elle réussit à avoir cinq blâmes. Il faut dire qu’au bout quelques jours, elle fut capable d’adapter son emploi du temps d’aspirante écuyère modèle. Elle rognait sur ses temps de pauses repas pour s’éclipser dans la forêt, dans la bibliothèque ou aux cuisines. Elle pouvait ainsi continuer à voir régulièrement Hylde sans avoir à attendre ses jours de repos. Elle réussit à faire le mur toutes les nuits sans que personne ne le remarque, y compris, ses camarades de dortoir. Elle allait voir Éledhwen et Palantir. Si ce dernier était légèrement exaspéré par le comportement rebelle de son amie, sa sœur, elle, en était amusée. De ses virées nocturnes, elle tirait presque autant de fatigue que de réconfort. Il faut bien dire que l’entraînement pour devenir écuyer n’avait rien d’une balade de santé. Elle qui avait toujours eu pour adversaire les héritiers était sûrement l’une des plus douées. Cependant, très vite, ses instructeurs remarquèrent que jamais elle n’utilisait l’entièreté de ses capacités. Elle perdit ainsi un certain nombre de combats qu’elle aurait dû gagner. Et malgré le blâme qu’elle reçut un jour pour refus de combat, malgré la dure correction qu’elle reçut, rien n’y changea. Elle continua sans le vouloir à se retenir. D’autres blâmes vinrent de sa façon de reprendre, de répondre, de corriger les adultes chargés de sa formation. Elle avait lu la bibliothèque en long et en large et si elle n’avait lu en réalité qu’une infime partie, elle avait plus de connaissances que certains des scribes qui leur donnaient des cours d’histoire. Elle ne supportait pas non plus les inexactitudes. De plus, régulièrement elle s’endormait en cours pour compenser la fatigue de la nuit. Bref, elle finit son mois sans s’être fait un ami et en ayant épuisé ses instructeurs. On la laissa tout de même participer à la présentation.

La présentation avait lieu une fois par an et durait trois jours durant lesquels tous les chevaliers qui souhaitaient prendre un écuyer à leur service pouvaient observer les aspirants faire leurs preuves. Le premier jour, c’étaient les épreuves physiques. On testait leur endurance, leur force, leur habileté… Puis la journée se finissait par des duels et combats. Le deuxième jour était celui où les connaissances des aspirants étaient mises à rude épreuve et où l’on déterminait leur compatibilité magique. Enfin, le dernier jour, c’était celui des épreuves spéciales ; les chevaliers testaient par eux-mêmes les aspirants qui les avaient intéressés. Ce n’était qu’à la fin de cette journée que les chevaliers choisissaient officiellement leur futur écuyer.

Avec ses cinq blâmes Élentir aurait droit à des malus pour chaque épreuve. Elle n’était cependant pas inquiète, et ne doutait pas de sa réussite.

Pour les épreuves physiques, elle fut condamnée à avoir le bras gauche attaché dans le dos pour chaque combat. Mais cela ne lui posa pas de problème particulier. Tout d’abord, elle avait largement fait ses preuves lors de la première partie de la journée. Sans se forcer, comme à son habitude, elle avait terminé toutes les épreuves dans les premiers. Et surtout, elle réussit à ne perdre qu’un seul duel contre Égilon. Elle ne fut pas vexée, c’était sûrement le meilleur de la promotion au combat, et même le meilleur tout court.

Le lendemain, elle eut droit à dix minutes de moins dans l’épreuve des connaissances. Celle-ci consistait à répondre aux questions qu’on lui posait à la fois sur l’histoire, le code des écuyers, les situations des autres pays et la religion. On s’assurait également qu’elle savait lire et écrire. Puis l’on finissait dans une mise en situation stratégique. On demandait à l’aspirant de diriger une bataille virtuelle face à un chevalier, avec Lómelindi comme seul juge. On laissait pour cette épreuve trente minutes. Puis Salmar venait tester la compatibilité magique.

Pour cette dernière épreuve, Élentir fut inquiète. Elle eut un instant peur que l’animosité qu’éprouvait le mage vis-à-vis d’elle la désavantage plus que tout autre malus. En effet, tous les chevaliers, et par conséquent les écuyers, devaient pouvoir se servir de la magie. Mais elle se trompait.

Salmar sembla d’abord légèrement intrigué par les résultats d’Élentir. Cette dernière ne les comprenait pas, mais le mage se tourna vers l’assemblée pour les expliquer :

— Cette enfant a sans aucun doute les résultats les plus étranges que j’aie jamais vus, mais il n’y a pas de doute, elle pourra se servir de la magie. En toute honnêteté, elle a sans doute le niveau pour devenir mon apprentie. N’importe quel mage de cette contrée serait prêt à la prendre comme apprentie, d’ailleurs.

Élentir fut soulagée. Si jamais on ne voulait pas d’elle comme écuyère, il semblerait qu’elle ait trouvé une autre voie. On commença à chuchoter dans les rangs des chevaliers. Élentir voulut tendre l’oreille, elle avait toujours eu une ouïe fine si elle se concentrait suffisamment. Mais pour une fois, elle ne put rien entendre. Elle en fut perturbée, mais pas suffisamment pour ne pas remarquer le regard intense que lui lançait Léothéric. Lómelindi lui fit signe qu’elle pouvait se retirer avec un grand sourire. Élentir sentit la fierté de l’homme. Elle en fut d’autant plus rassurée.

Et arriva le dernier jour de la présentation. Bien évidemment, elle n’avait plus de désavantages. L’épreuve allait être donnée par des chevaliers qui s’intéressaient à elle. Avant l’épreuve, elle se mit à douter, ce qui était assez rare pour elle. Pour réussir cette épreuve, il fallait déjà qu’un chevalier au moins accepte de lui en trouver une. Si elle ne doutait pas que ses capacités physiques et mentales intéresseraient au moins un chevalier, elle s’inquiétait plutôt de ce qu’il penserait de tous ces blâmes. Accepterait-il de passer outre pour la juger réellement ?

Elle ne fut donc pas déçue de voir dans les tribunes une bonne dizaine de chevaliers. Dont sire Léothéric. Elle n’arrivait pas à lire dans le cœur de la plupart. Ce qui n’avait rien d’étrange. Elle se doutait que son don était lié à la magie. Or, tout bon chevalier sait se servir de la magie pour se protéger. Depuis qu’elle avait mis un pied sur l’esplanade de l’épreuve, elle avait retrouvé tout son calme. Elle étudia le terrain pour glaner des indices. Mais il était totalement vide. Sûrement un combat, se dit-elle, en serrant légèrement son épée. Elle essaya de garder le visage neutre, mais intérieurement elle était impatiente. En effet, comme il n’y avait pour l’instant que des chevaliers dans l’arène, elle en déduisit que l’un d’eux serait son adversaire. Elle pourrait apprendre des tas de choses, et même si aucun ne voulait d’elle, au moins elle aurait pu s’amuser.

— Bienvenue, Élentir, c’est Léothéric qui prit la parole. Nous souhaiterions avant de commencer te poser quelques questions. Es-tu prête ?

« Ai-je le choix ? », pensa avec malice l’enfant, mais elle répondit avec sérieux :

— Je le suis.

— Très bien, je veux que tu répondes honnêtement, sans chercher à faire une réponse qui nous plairait. Nous sommes capables de sentir si tu mens. Tout d’abord, peux-tu nous dire pour quelle raison tu souhaites devenir chevalière ?

Élentir ne sut que répondre. Elle prit donc son temps pour réfléchir. Bien évidemment qu’ils sentiraient si elle mentait, mais elle ne pouvait pas seulement leur dire qu’elle n’avait pas de réelle motivation. Si elle avait choisi de devenir écuyère, c’était juste parce qu’on lui avait demandé de choisir un apprentissage. Elle n’avait pas de raison noble pour devenir chevalière. Elle ne savait même pas en quoi cela consistait réellement. Elle répondit alors avec toute sincérité :

— Pour être honnête, dans un premier temps, je suis devenue aspirante, car je venais d’avoir dix ans et qu’il me fallait un apprentissage. Dame Astal est venue, comme beaucoup d’autres, me faire une proposition. Je les ai toutes comparées et j’en ai conclu que celle qui me correspondait le mieux c’était celle qu’elle me proposait. Je pourrais mettre en avant à la fois mes capacités physiques et mentales. Je suis curieuse de nature et je suis sûre qu’être écuyère pourrait me permettre de répondre à ma curiosité.

Sire Léothéric eut un sourire que l’enfant ne fut pas sûre de comprendre. Elle observa silencieusement les chevaliers discuter entre eux sans qu’elle puisse les entendre. Le grand chevalier finit par reprendre la parole :

— Es-tu sûre que ce soit là la seule chose qui te motive ?

Élentir n’était pas sûre de réellement comprendre ce que sous-entendait le chevalier.

— Je crois…

Elle se tut. Elle venait de comprendre.

— Je pense que je souhaite également pouvoir rester auprès de mes amis et les épauler. Je crois que… Si je deviens chevalier, je pourrai les seconder.

Elle n’eut pas besoin de préciser de quels amis elle parlait, une grande partie de l’assemblée avait compris. Et elle comprit qu’elle avait bien répondu au sourire qui s’afficha sur le visage de sire Léothéric. Ce dernier poursuivit donc son interrogatoire :

— Tu es celle qui a eu le plus de blâmes alors que tu es là depuis seulement un mois. Comme tu le sais, c’est pris en compte dans notre décision finale. C’est pourquoi j’aimerais qu’en toute honnêteté tu nous dises les raisons de ces blâmes et si pour toi, ils étaient oui ou non mérités.

Élentir pencha la tête sur le côté. La question était bien plus compliquée qu’il y paraissait. Elle ne doutait pas qu’il puisse lire en elle comme dans un livre ouvert. Le plus gros problème consistait donc à ne pas se mentir à elle-même. Elle prit une grande inspiration avant de se lancer :

— Pour trois d’entre eux, je comprends et admets que j’aurais dû m’y prendre autrement. Ce sont les trois que j’ai eus en cours pour insubordination. Je dormais souvent et malgré les connaissances que j’avais déjà acquises, je n’aurais sûrement pas dû remettre en cause certains propos de mes instructeurs devant les autres aspirants. Cependant, je ne regrette pas d’avoir rectifié ces adultes. J’aurais juste dû le faire autrement.

— Donc tu ne t’en veux pas d’avoir répondu, juste de l’avoir fait devant tes camarades.

— Exactement, qu’ils soient des adultes ne veut pas dire qu’ils ont tout le savoir du monde. Ni même qu’ils ont toujours raison. Je suis sûrement prétentieuse, mais j’ai la chance, malgré mes origines, d’avoir reçu une bien meilleure éducation que mes camarades. Je savais lire à cinq ans. Je passais un temps fou à la bibliothèque et j’ai suivi de nombreux cours particuliers avec Lómelindi. Il n’est forcément pas étonnant que j’en sache plus long sur certains sujets.

— Certes, et pour les deux autres ?

— Celui que j’ai reçu à la suite d’une bagarre était injustifié. Je n’ai pas participé à la bagarre. Je suis seulement coupable d’avoir encouragé Míriel à se défendre contre Flocel qui la méprisait parce qu’elle était celle qui avait le moins de capacités au combat. Elle était bien plus cultivée et intelligente que tous les autres aspirants, moi comprise. Elle mériterait bien plus d’être chevalier que lui. Le seul regret que vous pouvez lire en moi, c’est de ne pas avoir réagi plus tôt. Cela aurait peut-être eu une fin différente.

— Bien, et le dernier ?

Élentir ne répondit pas tout de suite. Très clairement, c’était le blâme qu’elle avait le plus de mal à expliquer.

— Le dernier est… totalement mérité.

— Je sens que c’est la vérité, mais j’aimerais que tu t’expliques plus longuement.

— Bien. Je l’ai reçu pour refus de combat, ce qui est inexact, j’ai combattu et perdu. Mais Égilon refusait le résultat parce que je ne m’étais pas battue avec toutes mes capacités. Et ce n’était pas la première fois… Je l’ai toujours fait… Malgré le blâme, malgré ce que dame Astal m’a dit. Je n’arrive pas à combattre de toutes mes capacités…

Elle regardait Léothéric droit dans les yeux. Elle attendait son jugement. Mais elle fut incapable de lire en lui encore une fois.

— Bien, tu as été totalement honnête. Et en plus, nous sommes arrivés au point qui me tracassait. Pour aucune des épreuves physiques, tu ne nous as montré le meilleur de toi-même. Tu t’es contentée de faire partie des premiers. Penses-tu sincèrement que ça suffise pour devenir écuyer ?

— Je ne sais pas. Vous êtes seul juge. Mais ce n’est pas un problème de volonté.

— Bien, je vais maintenant te dire en quoi consiste ton épreuve. Tu vas te battre contre moi.

Un frisson de plaisir parcourut la nuque de la jeune fille.

— Tu ne devrais pas être si heureuse. Je vais te combattre, car j’estime que tu as le potentiel pour être une écuyère très douée. Cependant, j’accepterai de te former à la seule condition que tu te battes comme tu en es réellement capable. Je pense bien que tu auras d’autres propositions si je refuse de te prendre. Mais seras-tu contente d’avoir réussi ta présentation sans t’être donnée à fond ?

Élentir ne répondit pas. Elle savait cependant qu’il avait parfaitement raison.

— Es-tu prête ?

— Pouvez-vous me laisser une minute de concentration ?

— Fais donc.

Élentir s’agenouilla, ferma les yeux et chercha un moyen de briser les verrous qui l’empêchaient de se battre au mieux de ses capacités. Elle imagina alors une porte derrière laquelle se trouvait l’entièreté de son expérience au combat, de ses capacités, de ses techniques. Cette porte était fermée par des chaînes. Elle pouvait entrouvrir la porte, mais elle ne s’ouvrait pas. Elle chercha la clef dans son cœur. Elle revit Hylde la mettre en garde. Le problème venait de là. Elle se rappela soudain qu’elle lui avait dit qu’elle devait ne montrer ses réelles capacités que devant des personnes de confiance. C’est sûrement pour cela qu’elle avait toujours réussi à combattre de toutes ses forces face aux jumeaux. Alors, elle se concentra, il était grand temps de prendre son envol. La mise en garde d’Hylde n’était plus nécessaire maintenant. Elle était capable de supporter le regard d’autrui. Elle n’avait plus besoin de cette chaîne. Alors cette dernière disparut. Élentir se sentit comme boostée. Elle rouvrit les yeux. Se leva avec souplesse et sans aucun mouvement inutile. Quand elle posa son regard sur son adversaire, elle put voir l’approbation dans ses yeux. Son attention toute tournée vers son combat, elle ne remarqua pas le frisson qui parcourut l’assemblée. Tous ces chevaliers aguerris savaient que sous leurs yeux venait de se révéler un prédateur dangereux.

— La minute est écoulée. Le combat commence.

Le chevalier se mit en garde, la main prête à dégainer. Élentir recula légèrement, sentant d’instinct le danger que représentait cet homme. Malgré la concentration extrême, elle sentit une excitation nouvelle. Ses sens devinrent de plus en plus aiguisés. Elle resta immobile durant quelques secondes. Puis, il attaqua. Elle le sut, son instinct la sauva. Elle para l’attaque et sentit le choc se propager dans l’épaule. Il ne comptait pas la ménager. Au vu de sa taille et de sa force physique, elle ne pouvait plus se permettre d’encaisser un seul coup. Alors qu’il s’apprêtait à renouveler son attaque, elle se faufila sous son bras et profita de la grande différence de taille pour tenter de pénétrer sa zone. La rapidité de la jeune fille en aurait surpris plus d’un, mais le vétéran lâcha juste son épée d’une main, évitant le coup de l’enfant et la poussant dans la direction de son attaque. Elle perdit l’équilibre, une seconde. Cela aurait suffi à l’homme pour lui asséner un coup dans le dos si elle n’avait pas choisi de chuter. Elle se releva face à son adversaire avec rapidité en envoyant une poignée de sable à l’endroit où celui-ci se trouvait. Il ne sembla même pas gêné et l’attaqua d’un coup oblique. Au lieu de reculer pour esquiver, elle rentra de nouveau à l’intérieur de la garde. Elle voulut tenter d’asséner un coup au niveau d’un point vital, mais sentant le danger, elle fit un bond en arrière. Revenue sur la défensive, elle se rendit compte qu’elle venait d’éviter de justesse un coup de poing qui l’aurait mise K.-O. à coup sûr. La fillette avait repris ses distances et pouvait parfaitement voir que contrairement à elle, son adversaire n’était pas essoufflé. Soudain, elle se propulsa en avant, utilisant toute la puissance de son petit corps. Elle attaqua avec une vivacité et une vitesse telles qu’elle parut presque invisible. Alors que son adversaire s’apprêtait à parer son attaque, elle roula au sol et se retrouva dernière lui. Il voulut lui asséner un coup de pied en se retournant, mais elle était déjà dans les airs. Elle se servit de la puissance qu’il mit dans sa parade pour reprendre sa distance.

Étonnamment, Léothéric sentait que plus le combat avançait, plus le danger grandissait. Il ne savait d’où venait cette sensation. Une fillette de dix ans pouvait-elle dégager une telle aura ? D’un coup, l’enfant le rattaqua avec plus de vivacité encore que la fois précédente. L’instinct du chevalier prit le dessus. Jusqu’à présent, il avait tenté de réduire sa force pour ne pas blesser la fillette. Il l’évita et lui arracha l’arme des mains avec habileté et puissance. La gamine, même désarmée, s’apprêtait à relancer une attaque. Mais il n’était pas raisonnable de continuer. Il ne voulait pas lui faire du mal. Il rengaina son épée et recula au moment où elle allait attaquer.

— Stop, on s’arrête là, déclara-t-il. Je pense que nous en avons assez vu.

Un instant, il crut qu’elle allait quand même continuer, mais la fillette fit soudain un grand sourire en penchant la tête. Faisant disparaître toute sensation de mal-être qu’il avait ressenti. Elle le salua avec l’entrain d’un enfant de dix ans qui venait de faire un jeu des plus amusants :

— Merci beaucoup, c’était un honneur de vous combattre.

— Je suis content que tu te sois amusée, mais il est grand temps de savoir si oui ou non tu seras une écuyère. Que tous les chevaliers voulant Élentir comme apprentie lèvent la main.

Ce fut unanime, toute l’assemblée leva la main. Léothéric se tourna alors vers l’enfant :

— Voilà, tu as le choix, déclara-t-il.

La fillette se sentit déçue. Le chevalier n’avait pas levé la main. Pourtant, tous les autres étaient convaincus. Soudain, sire Léothéric s’esclaffa.

— Tu devrais cacher un peu plus ce que tu ressens. Tu vas les vexer. Ne t’inquiète pas. Si tu le veux, tu peux me choisir. Cependant, je te préviens, je ne suis pas forcément le meilleur choix pour devenir chevalier. Aucun de mes écuyers n’a réussi à finir sa formation.

— Alors je serai la première, répliqua Élentir. De toute façon, contrairement aux autres, je n’ai pas plus envie que ça d’être chevalière. C’est juste que pour l’instant, c’est ce qui semble rassembler le plus de mes centres d’intérêt.

— Tu es trop honnête, mais je t’accepte. Mais ne crois pas que je ne serai pas sévère.

— Merci, mon seigneur.

Élentir fit une révérence.

— Très bien, maintenant que tu es mon écuyère, dame Astal va te donner les derniers détails. Tu dois te présenter quand tu entendras la cloche.

— Bien, mon seigneur.

— Tu peux te retirer.

Après une révérence rapide, la fillette partit en courant. Elle avait retrouvé ses forces. Elle courut vers les appartements des héritiers. À cette heure, ils devaient avoir un cours de géopolitique avec l’un de leurs précepteurs. Lorsqu’elle fut arrivée devant les appartements, le garde posté devant voulut l’arrêter :

— Vous ne pouvez pas vous présenter. Monsieur le Précepteur a demandé à ne pas être dérangé durant son cours.

— Pourtant, ce sont les appartements des héritiers et non du précepteur. Vous ont-ils donné une indication quelconque à ce sujet ?

Élentir se retint de sourire devant la confusion du garde. Ce dernier répliqua cependant :

— Certes non, mais pourquoi devrais-je laisser passer une servante sans tâche à effectuer dans les logements princiers ? Il me semble que quelqu’un comme toi n’a rien à y faire.

La toute nouvelle écuyère fut légèrement agacée par le mépris manifeste que lui montrait le garde. Elle lui sourit avec une fausse politesse et retourna :

— Sûrement, que vous avez raison, mais comme j’ai du temps devant moi, je vous propose un pari. Si l’un des deux héritiers vient m’ouvrir d’ici les cinq minutes qui viennent, vous me devez des excuses. Sinon, demandez-moi ce que vous souhaitez avec comme seule condition que ce ne soit pas dégradant outre mesure.

Le garde la regarda avec hésitation. Mais il finit par approuver de la tête :

— Très bien, si tu perds, tu me devras ta prochaine paye en entier.

Élentir sourit. Le garde ne se rendait sûrement pas compte de ce qu’il gagnerait si elle perdait. Le salaire d’un écuyer est en général plus élevé que celui d’un simple garde. Quoique cela dépende du chevalier. À ce moment, la porte s’ouvrit sur la princesse et son grand sourire :

— Je me disais bien que j’avais entendu la douce voix de notre amie. Alors ? Il t’a prise, j’en suis sûre !

— Si tu es sûre de sa victoire, tu ne devrais pas la presser ainsi. Rentrons plutôt à l’intérieur pour parler.

— Je n’aurais pas mieux dit, répliqua Élentir.

Quand elle passa devant le garde, elle lui glissa :

— J’attendrai mon dû.

À l’intérieur les attendait un vieil homme légèrement rouge :

— Je proteste, Vos Altesses, vous ne pouvez pas interrompre vos cours pour parler avec cette… Avec…

— Écuyère Élentir, au service de sire Léothéric.

Et elle fit une magnifique révérence. Le précepteur resta bouche bée. Cependant, ses élèves, eux, sautèrent dans les bras de leur amie.

— Bravo ! Je savais que tu pourrais y arriver !

— Toutes mes félicitations !

Élentir les écarta en douceur :

— On croirait presque que vous êtes soulagés. Merci de votre confiance.

— On était sûrs que tu t’en sortirais, mais il se trouve que Léo est du genre très têtu également.

— Bon, je vous laisse, je dois rejoindre les autres pour les dernières consignes et la remise officielle du titre d’écuyer.

— On se retrouve là-bas, alors.

Élentir courut. Elle ne souhaitait pas être en retard dès ses premiers pas en tant qu’écuyère. Elle dévala les escaliers, passant par les couloirs des serviteurs, usant de quelques passages secrets de sa connaissance, et arriva certes bonne dernière, mais dans les temps dans la tente où s’étaient retrouvés tous les apprentis reçus. Sur les trente, seuls six avaient réussi à arriver jusque là. Elle ne fut pas surprise du résultat même si elle était triste de voir que certains de ceux qu’elle appréciait, notamment Míriel, n’avaient pas réussi. Elle s’installa discrètement aux côtés de ses camarades. Égilon lui lança un regard plein de reproches, ce qui était devenu une habitude. Il devait lui reprocher d’être arrivé de justesse. Elle lui fit un grand sourire. Elle sentit la frustration du garçon. Il faut dire qu’elle avait réussi du premier coup, là où même lui, considéré comme un futur grand chevalier, avait dû s’y prendre à deux fois. Elle l’avait toujours agacé avec la façon dont elle passait tout avec facilité sans sembler le moins du monde sérieuse. De son côté, notre héroïne ne comprenait vraiment pas pourquoi il lui prêtait autant d’attention, pourquoi il lui reprochait son manque d’implication.

Dame Astal et maître Romary entrèrent à leur tour dans la tente, suivis d’autres de leurs anciens professeurs. Ils étaient tous très fiers de la réussite de leur élève comme le signifia dame Astal :

— Bravo à tous et à toutes. Vous êtes maintenant de fiers écuyers. Avant de commencer les recommandations, laissez-moi vous dire que vos mentors et moi-même sommes fiers de vous et vous souhaitons de réussir à devenir de grands chevaliers. Maintenant, je dois vous dire que c’est peut-être le plus dur qui commence. On vous a appris tout ce qu’un écuyer doit savoir sur son rôle et la façon dont il doit servir son maître. Cependant, maintenant, c’est la réalité. Vos maîtres sont conscients que tout cela est nouveau pour vous, mais ils sont maintenant seuls juges de votre futur. S’ils décident que vous n’êtes plus digne d’être leurs écuyers, ils peuvent choisir de vous renvoyer à tout moment. Il faudra également être toujours attentif, tout peut être une leçon bonne à prendre. Rappelez-vous que votre but est de devenir à votre tour des chevaliers. Vous avez donc un exemple de ce que vous visez devant vous perpétuellement. Vous allez maintenant sortir de cette tente pour rejoindre votre maître et devenir écuyer. Rappelez-vous vos leçons et tout se passera bien. Bon courage !

Ce fut le signal, tous se levèrent pour sortir de la tente. Au moment où elle se dirigea vers la sortie, dame Astal posa une main sur son épaule et lui chuchota :

— Élentir, je sais que tu as ce qu’il faut pour être un bon chevalier, mais essaye d’être une bonne écuyère, sinon tu ne pourras pas devenir chevalière. Et surtout, n’oublie pas que tu n’as plus le droit à l’erreur surtout avec sire Léothéric.

— Je sais, répliqua Élentir sans exprimer le moindre doute.

Égilon, qui se trouvait juste derrière, haussa les sourcils, peu convaincu qu’elle y arrive.

Les futurs écuyers firent leur entrée dans la grande cour. Toute une foule était venue assister à leur entrée en service. Des gens de la ville étaient installés debout dans un parterre au pied des tribunes remplies de tous les résidents du palais souhaitant voir l’événement. Parmi eux, les chevaliers ayant déjà un écuyer ou n’en ayant pas souhaité, les parents des aspirants ayant réussi ou non, peu importe leur condition, des nobles… Et parmi tout ce beau monde, la famille royale. Le roi Bëor, légèrement transpirant en prévision de son discours, la reine Daïna bien apprêtée pour l’événement, les deux héritiers qui firent un grand sourire quand ils virent Élentir entrer sur la place ainsi que Lalwendë et Lancelin, déjà ennuyés de se trouver là. Les écuyers vinrent se placer à côté de leur futur maître après avoir fait une révérence.

— Bienvenue à vous tous, nouveaux écuyers, et bienvenue à vous qui êtes venus célébrer les futurs héros de notre pays. Écuyer, vous avez su par vos prouesses éblouir les chevaliers qui vous ont choisis pour votre courage, votre connaissance, votre magie, votre force. Ils s’engagent à faire vous des chevaliers dignes de protéger notre pays. Et que les dragons m’en soient témoins, nous avons besoin de vous. Vous êtes l’espoir de notre pays, et cela est une bien lourde responsabilité. Vous allez devoir vous battre contre des pirates toujours plus avides, aider notre peuple qui souffre. Mais j’ai foi, que dis-je, nous avons tous foi en vous. De grands chevaliers vous ont choisis, faites-leur honneur. Bienvenue dans le monde de la chevalerie.

Le discours guerrier du roi ne collait pas vraiment au personnage, mais fut tout de même applaudi avec ferveur. Ce fut à ce moment-là qu’Élentir comprit à quel point le peuple était désespéré pour placer autant d’espoir en six jeunes enfants. Cependant, elle s’agenouilla devant sire Léothéric qui lui tendit une nouvelle épée ainsi qu’une tunique portant son blason. Elle les attrapa avec émotion, saluant une nouvelle fois de la tête pour montrer sa sincère reconnaissance.

— Relève-toi, jeune Élentir et devient l’espoir du peuple. Bien plus que les autres, tu en es capable.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alexianehb ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0