VII

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Ainsi, la fillette commença sa vie d’écuyère. Elle dut changer à nouveau de chambre, emportant ses rares affaires dans une petite remise de la chambre de sire Léothéric où elle allait dormir à présent. Son devoir d’écuyère lui imposait d’être toujours auprès du chevalier qu’elle servait. Je ne vous cacherai pas que cette idée ne la réjouissait guère, mais elle savait qu’elle devait faire des sacrifices si elle voulait être libre par la suite. Elle découvrit le célèbre chevalier, le suivant et servant comme le voulait la tradition, mais surtout apprenant plus qu’elle n’avait jamais appris. Le chevalier était certes aussi sévère, voire plus que ne le disait la rumeur, mais il attendait beaucoup d’elle. Et elle supportait facilement cette pression, car il y avait un autre revers à la médaille. Sire Léothéric était également quelqu’un de naturellement bon et juste. Il savait quand lui faire des reproches, quand lui en demander plus ou quand la féliciter et la récompenser. Avec lui, elle dépassa ses limites à de nombreuses reprises, finissant ses journées fatiguées sur le plan mental comme physique.

Ils passèrent les premiers mois de son service au château. Pourtant, elle ne trouva même pas le temps de voir ses amis en dehors des cours. Pour la première fois de sa vie, elle n’avait pas le moindre temps libre ni la possibilité de s’en créer. Elle se levait tôt, avant même le soleil, pour suivre un entraînement matinal avec son maître. Au programme, étirements, course, escalade et natation qu’il vente, pleuve ou neige. Il finissait par un petit échange de passes. Les premiers jours, elle tenait à peine debout. Poussée à bout, elle ressentit vite des changements se produire dans son corps. Elle avait toujours été particulièrement fine, souple et musclée ; mais après quelques semaines à ce rythme, elle avait encore gagné en souplesse et en force. Elle avait déjà l’impression que son corps lui répondait plus rapidement.

Après cet entraînement, ils revenaient dans leurs appartements pour prendre leur petit déjeuner. Par chance, ou par bonté bien avisée, sire Léothéric ne demandait pas, contrairement à beaucoup des autres chevaliers, à ses écuyers d’aller chercher le plateau-repas aux cuisines. Une servante se chargeait de le monter et maître et élève déjeunaient ensemble, le premier surveillant que, malgré la fatigue, la seconde mange correctement. Ils en profitaient également pour discuter. Elle pouvait poser toutes les questions qu’elle souhaitait, il y répondait avec patience et pédagogie. Il comprit très vite qu’il ne s’était pas trompé en la choisissant comme apprentie. En plus de ses talents physiques et magiques, elle avait un intellect très développé pour son âge. Parler avec elle était un réel plaisir pour l’adulte. La curiosité et la vivacité de l’enfant les entraînaient dans des conversations et des réflexions insolites.

Après avoir repris des forces en mangeant, la première partie de la matinée était consacrée à l’apprentissage de la magie, chose assez nouvelle pour elle. Bien qu’elle ait lu un certain nombre de livres sur le sujet, elle n’avait jamais tenté l’expérience.

Pour les chevaucheurs, la magie venait de la capacité à manier la matière originale laissée par les consciences quand elles eurent fini de créer le monde. Cette matière invisible, encore vierge de toute règle hormis celle du temps, pouvait ainsi prendre toute forme voulue par le mage si tant est qu’il soit suffisamment doué. Élentir, qui ne savait pas vraiment si elle croyait en ces consciences, avait choisi cependant de croire, du moins temporairement, à l’existence de cette matière.

Elle apprit qu’il existait plusieurs types de magie. Les chevaucheurs utilisaient une magie liée à la langue draconique. Un mage pouvait lancer des sorts ou user de rituels. Les sorts étaient plus rapides à lancer, il suffisait généralement de quelques mots bien utilisés pour les lancer, bien qu’on puisse se servir d’artéfacts. Toutefois, leur puissance était limitée. On pouvait converser par la pensée avec une personne et dans un rayon dépendant de la puissance du mage, mais dépassant rarement vingt mètres. Tandis qu’avec des rituels, nécessitant plus de temps, d’incantations et d’ingrédients, le mage pouvait créer un lien temporaire entre les esprits de plusieurs personnes permettant de se contacter à plusieurs kilomètres de distance. Mais l’apprentissage de la plupart des sorts ou rituels demandait un long et fastidieux entraînement, si bien que seuls les mages disposaient d’un grand panel de sorts et rituels, ainsi que quelques chevaliers spécialisés en magie. Si certains sorts ne nécessitaient que quelques semaines d’apprentissage, d’autres prenaient des années.

Elle apprit également que la magie des autres peuples était très différente. Chacun des différents peuples du continent avait développé ou appris une magie bien à lui. Le peuple de l’eau avait appris auprès des syrènes la magie du chant ; le peuple des forêts du Sud, la magie des plantes auprès des elfes ; le peuple insulaire au sud, la magie des artéfacts auprès des nains. Et les autres peuplades humaines n’ayant pas reçu d’aide par des créatures magiques possédaient une magie rassemblant une infime partie des autres magies. L’empire, faisant exception, avait créé sa propre magie basée sur la foi.

Du côté de la pratique, elle commença par apprendre la méditation. Existant dans toutes les sortes de magie, cela permettait de retrouver plus facilement ses forces physiques comme magiques. Cela permettait également de rassembler ses pensées. Lors de la méditation, l’on devait se rendre dans son palais intérieur. Élentir eut un peu de mal à le trouver. Et pour cause, une fois qu’elle l’eut trouvé, elle découvrit un endroit qu’elle ne connaissait pas. Or, son maître lui avait dit que le palais était forcément un lieu qu’elle connaissait et qui avait de l’importance pour elle.

Son palais était une alcôve de la taille de la chambre de Palantir ou d’Éledhwen, séparée d’une grotte si grande que l’on aurait pu y entrer une grande maison par un rideau digne de la création du meilleur artisan de toute l’histoire du continent. D’ailleurs, tous les objets qui remplissaient la pièce, bien que très disparates en style comme en époque, était tous de la même qualité que le rideau. Élentir aimait particulièrement se coucher dans la couche formée plus comme un nid de couvertures très confortable qu’un lit. Couchée dedans lors de ses méditations, elle se sentait en sécurité.

Après avoir fait entre une demi-heure et une heure de méditation, commençaient les cours de magie en eux-mêmes. Elle découvrit rapidement qu’elle avait des facilités. Sire Léothéric lui mit en évidence qu’elle se servait déjà de capacité magique dans la vie de tous les jours :

— Je ne me trompe pas quand je dis que tu es capable de ressentir les émotions de ceux qui t’entourent ?

— Non, vous ne vous trompez pas, mais pas pour tout le monde. Par exemple, je n’y arrive pas tout le temps avec les mages ou les chevaliers. Avec vous, je n’y arrive jamais. J’ai compris que pendant l’examen, c’est une sorte de magie, n’est-ce pas ?

Sire Léothéric sourit avec douceur devant l’explication de son élève.

— Tu as bien compris, lire les émotions ou encore améliorer sa vue, son ouïe, sa sensibilité sont des capacités magiques. On apprend cela à tous les futurs chevaliers, mais on leur apprend également à s’en protéger. En effet, si ce n’est pas aussi facile que pour toi, toute personne douée d’un peu de magie peut se servir de ses capacités. Ce qui est réellement impressionnant, c’est la façon dont toi tu l’utilises de façon instinctive. Même moi, j’arrive à m’en servir sans difficulté, mais il faut que je sois suffisamment concentré. Je suis d’ailleurs surpris que cet idiot de Salmar, qui se prétend mage, n’ait pas souhaité t’avoir comme apprentie.

Élentir avait écouté avec sérieux jusqu’à maintenant, mais la remarque acerbe de son maître la fit sourire. Elle n’avait pas eu conscience que son maître n’appréciait pas le mage royal avant cet instant. Et elle ne pouvait pas lui en vouloir quand elle-même se rendait compte de l’incompétence de l’homme.

— Vous auriez vraiment laissé ce mage me prendre comme apprentie ? demanda-t-elle avec insolence. Je suis pourtant la meilleure écuyère que vous n’aurez jamais.

Léothéric éclata de rire et ébouriffa les cheveux de sa protégée :

— Tu ne doutes vraiment de rien, gamine. Puis il reprit de manière plus sérieuse. Il est vrai que je suis intéressé par ton potentiel au plus haut point. Mais il ne faut surtout pas que ça te monte à la tête. Si tu n’es pas à la hauteur, je trouverai bien un autre chevalier qui voudra finir ta formation. Cependant, sache que beaucoup de chevaliers auraient voulu t’avoir comme écuyère, et pas seulement pour tes capacités physiques. Ton don en magie est évident. Et même avec son niveau de compétence, Salmar a dû le remarquer, et la logique voudrait qu’il se batte un minimum pour au moins participer à ta formation. Et honnêtement, il pourrait avoir des arguments implacables. Avec tes capacités, tu pourrais devenir le meilleur mage jamais vu depuis l’âge des dragons. Je ne comprends pas pourquoi il n’a même pas bronché.

Le chevalier arrêta de parler avec un regard interrogateur. Il ne cherchait pas vraiment de réponse de la part de son apprentie. Il était plutôt en grande réflexion. Cependant, la petite, comme à son habitude, vint mettre son grain de sel.

— Moi, je pense savoir.

— Ah bon ?

— Oui, déjà, l’apprenti actuel ne me porte pas dans son cœur. Je sais plus pourquoi, mais ça a un rapport avec quelque chose que j’ai fait quand j’étais petite. Et je crois que pour le mage, c’est plus récent. Mais c’est Lómelindi qui l’a remarqué. Pas moi.

— Maître Lómelindi est un homme sage. Que dit-il ?

— Il dit que j’ai touché la fierté du mage. Je n’ai pas tout compris.

— Pourquoi serait-il touché dans sa fierté ?

— Je crois que c’est parce que l’autre jour, en lisant un livre, j’ai trouvé l’erreur qu’il faisait dans un rituel magique. Et comme ce n’était pas la première fois, il boude.

Léothéric comprit alors que le mage avait déjà conscience depuis longtemps que la fillette allait le dépasser un jour et, trop orgueilleux, il n’avait pas voulu avancer l’échéance. D’un autre côté, c’était sûrement mieux ainsi, il valait mieux ne pas laisser aux mains d’un amateur cette pierre précieuse encore brute. Ainsi se termina la discussion et reprit le cours de magie.

Elle commença, les premiers mois, par apprendre les bases. Ils parlèrent beaucoup de théorie, sur les secrets draconiques, sur les rituels complexes nécessitant incantations et ingrédients. Niveau pratique, elle apprit à contrôler les magies qu’elle utilisait jusqu’à présent d’instinct, ainsi que les bases de la magie, ne pouvant commencer la véritable magie que si elle les maîtrisait.

Une heure avant le repas du midi, elle se rendait à la bibliothèque pour suivre, avec les autres écuyers présents au château, un cours donné par Lómelindi et d’autres scribes, surtout consacré aux devoirs des chevaliers. Elle avait donc le plaisir de retrouver son père d’adoption et ses anciens camarades de promo. Ne vous trompez pas : si la compagnie des humains était toujours dure à supporter à la longue, elle appréciait ses camarades écuyers. Sauf peut-être Vanyar qui avait commencé son écuage deux ans plus tôt. Il était d’une grande prétention et comme souvent dans ces cas-là, il n’était pas le plus prometteur des écuyers. Il était fier d’être l’écuyer de Godefroy, général des armées et ministre de la Guerre. En revanche, il précisait rarement que le ministre en question était son oncle et qu’il ne l’avait pris sous son aile que parce que personne d’autre ne voulait de lui alors qu’il avait atteint la limite d’âge de quatorze ans pour devenir écuyer. Cependant, grâce à lui, Égilon et Élentir avaient cessé de se disputer, tous les deux fortement agacés par le jeune prétentieux. Égilon se retrouvait même dans le camp d’Élentir quand le jeune noble s’en prenait à cette dernière. Bien qu’elle soit apte à se protéger seule, il est bon parfois de savoir qu’on a quelqu’un sur qui s’appuyer.

Finalement, rapidement toute l’animosité que ressentait le jeune homme pour Élentir disparut. En effet, la jeune fille semblait moins prendre les choses à la légère, se donnait totalement dans son apprentissage. Dépassant son appréhension, il découvrit la complexité de sa camarade, tandis qu’Élentir trouva alors un véritable ami. Bien qu’il soit vrai qu’elle aimait se moquer de son côté chevaleresque à l’extrême, elle comprit rapidement que c’était un ami loyal et sincère.

Le repas du midi se déroulait dans la grande salle avec tous les hauts dignitaires du château. En réalité, les écuyers mangeaient sur une petite table à l’écart, placée là pour qu’ils puissent à tout moment venir au service de leur chevalier. Cet autre moment avec ses condisciples lui permit de sociabiliser un peu plus. Toutefois, elle ne trouva de véritable intérêt que dans la compagnie d’Égilon.

L’après-midi commençait par trois à quatre heures de cours théoriques en compagnie des héritiers. Malgré la réticence des différents précepteurs en dehors de Lómelindi, sire Léothéric avait réussi à placer son élève avec ses amis, estimant que ce serait bénéfique pour les deux parties. Élentir suivit donc des cours de politique et de diplomatie, d’histoire, de langues. Elle se découvrit d’ailleurs un don pour les langues. En plus du draconique et de la langue des chevaucheurs, elle apprit rapidement à parler la langue de l’empire.

Elle n’avait cependant jamais encore étudié la politique et la diplomatie. Elle découvrit alors la complexité de ces deux disciplines. Si elle comprenait vite ce qu’on lui apprenait, elle sut rapidement qu’elle ne deviendrait pas de sitôt diplomate. Cependant, elle continua à suivre les cours avec assiduité et sérieux, consciente que si elle voulait épauler ses amis, elle devrait se servir de quelques-unes de ces notions. Et de toute façon, elle avait déjà compris depuis longtemps que toute instruction était bonne à prendre.

Elle prit également un grand plaisir à apprendre les cultures, histoires et religions des autres contrées de ce continent. Elle avait déjà eu des cours sur l’empire en étant aspirante et elle avait lu quelques livres sur leurs religions. Mais, il était vrai qu’elle n’avait jamais rien appris sur les autres pays et peuples. Elle découvrit ainsi le peuple de l’eau. Elle fut surprise d’apprendre que ces humains sous la protection des syrènes, ne posaient presque jamais un pied au sol. Sa plus grosse surprise fut d’apprendre que les pirates de l’Ouest avaient un jour fait partie du peuple des chevaucheurs. Elle avait lu un nombre incalculable de livres, elle avait eu de longues conversations sur eux avec Lómelindi et jamais elle ne l’avait appris. Ce fut d’ailleurs un des rares sujets de dispute entre le maître scribe et la fillette.

Après les cours, elle se retrouvait aux écuries pour s’occuper des montures de son maître et d’elle. Elle n’avait en soi que très peu de choses à faire puisque les garçons d’écurie et les aspirants écuyers s’occupaient très bien des bêtes. La seule réelle tâche qui lui incombait, c’était de dégourdir les pattes des montures. Elle devait également sortir le faucon de sire Léothéric. Elle en profitait pour s’occuper d’un jeune faucon qu’elle dressait depuis peu dans le but de l’offrir à ses amis.

Une fois que cela était fait, elle retrouvait son maître dans la cour pour un entraînement au combat. Il la faisait travailler avec toutes sortes d’armes et à mains nues. Parfois, d’autres écuyers les rejoignaient, soit envoyés par leur maître ou en leur compagnie. Élentir était toujours heureuse quand Égilon la rejoignait. Il faisait partie des meilleurs bretteurs parmi les écuyers et maintenant qu’elle avait appris à ne plus se limiter, les combats contre lui l’amusaient beaucoup. Elle aimait aussi particulièrement dame Cléophée, maîtresse d’Égilon, qui était une chevalière dynamique et intelligente. Cependant, hormis les chevaliers, les plus vieux des écuyers et Égilon, Élentir s’ennuyait rapidement quand elle combattait avec ses autres camarades. Les cours que lui prodiguait sire Léothéric étaient si exigeants et fatigants qu’elle tenait à peine debout à la fin. Toutefois, ils portèrent leurs fruits rapidement. Les écuyers ne suivant pas un entraînement aussi strict étaient certes moins fatigués que leur camarade, mais progressaient moins vite. Les premières leçons, Élentir les finit pleine d’hématomes et de courbatures. Elle boitillait pour se rendre à la grande salle pour le repas du soir et s’effondrait dans son lit tout de suite après la séance de méditation que lui imposait sire Léothéric.

Vous comprenez maintenant pourquoi aucun écuyer de sire Léothéric n’avait réussi à finir son service. Le régime qu’imposait le chevalier à ses élèves était dur et intransigeant à la fois sur le plan physique et sur le plan intellectuel. Toutefois, jamais Élentir ne se plaignait, même si elle tenait à peine debout, même si certains jours ne serait-ce que lire lui était devenu compliqué. Elle redressait toujours la tête et continuait. Elle avait totalement foi en ses capacités ainsi qu’au jugement de sire Léothéric. S’il pensait qu’elle était capable de s’en sortir, s’il pensait que c’était nécessaire, alors elle le ferait. Elle deviendrait plus forte pour avoir le futur qu’elle désirait, pour pouvoir rester auprès de ses amis.

La détermination de l’enfant plut énormément au chevalier qui, malgré son exigence, ne tarissait pas d’éloges sur son élève. N’hésitant jamais à la féliciter et lui offrir des petites récompenses. Notamment, il lui laissait un jour de repos tous les dix jours, pour s’assurer qu’elle puisse récupérer correctement. C’était certes un peu plus que ce qu’avaient la plupart des autres écuyers, mais il lui demandait également plus.

La fillette accepta ces pauses avec une joie difficilement dissimulée. Bien malgré elle, elle était soulagée de pouvoir enfin souffler. Cela lui donnait du courage dans les moments les plus difficiles de son apprentissage. Cependant, lors de ces journées, elle ne fainéanter pas pour autant.

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