VIII

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Les jours de repos, elle commençait sa journée certes plus tard que d’habitude, mais toujours de bonne heure avec quelques étirements et exercices moins fatigants, mais suffisants pour se maintenir en forme. Après cette mise en forme, elle rejoignait les cuisines pour petit-déjeuner en compagnie de Hylde. Elle en profitait pour lui raconter sa nouvelle vie. La cuisinière était heureuse de ces rares moments avec la fillette et écoutait avec fierté la vie que menait la fille qu’elle avait élevée.

Le reste de la journée, elle la passait en ville. Elle était descendue à quelques occasions comme pour les fêtes ou les marchés, cependant, à part pour soigner la sœur du forgeron, c’étaient les premières fois où elle y allait seule. Elle en profita pour visiter des endroits qu’elle n’avait pas vus. Elle descendit dans les ruelles les plus sombres de la basse ville, elle visita des magasins de toutes sortes, aidait toutes les personnes qui le souhaitaient, estimant que tout cela faisait partie de son apprentissage.

Elle fit la rencontre de nombreuses personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres. Bien qu’elle ait du mal à supporter la compagnie de personnes sur d’aussi longues durées, elle se forçait à toujours retourner en ville. Par curiosité, et parce qu’elle avait compris qu’elle apprenait beaucoup d’autres personnes.

Elle fit notamment la connaissance d’une herboriste et pharmacienne en visitant sa boutique. Elle en avait entendu parler en discutant avec des gens. On lui avait dit que cette petite boutique était celle qui faisait les médicaments les plus efficaces de la capitale, et ce malgré le jeune âge de sa propriétaire. Toute curieuse, Élentir avait poussé la porte de la boutique. L’odeur lui chatouilla les narines. Des senteurs fortes et agréables qui la firent s’arrêter quelques secondes. Puis son attention se porta sur une jeune femme un peu rondelette avec la peau claire pour une chevaucheuse qui leva la tête d’un livre et la regarda de ses yeux verts cachés derrière ses lunettes. Elle fit un grand sourire sincère à Élentir qui sentit la générosité et l’amitié que dégageait l’herboriste.

— Bonjour, je peux t’aider ?

— Bonjour, j’ai juste entendu dire que cette boutique faisait les meilleurs remèdes de la capitale et j’ai voulu voir.

— Tu as besoin d’un remède ?

— Non, je vis au château. Par contre, j’aimerais bien en savoir plus si ça ne te dérange pas. J’ai lu beaucoup de livres sur la médecine, mais je n’ai jamais rencontré d’herboriste ! Tu connais toutes les plantes ? Comment tu les connais ? T’as des livres ? Tout se soigne avec des plantes ? Tu utilises de la magie ? Tu as fait un apprentissage…

La jeune femme éclata de rire doucement.

— Tu es presque plus curieuse que moi, remarqua-t-elle. Je vais tout te raconter, mais viens plutôt t’asseoir avec moi. Tu veux boire quelque chose ?

Élentir s’assit avec un grand sourire et accepta avec joie une infusion de plantes qui d’après l’herboriste lui redonnerait de l’énergie. La jeune fille avait déjà décidé que cette femme, bien que plus âgée qu’elle, devait faire partie de son entourage.

— Très bien, dis-moi d’abord qui tu es ?

— Je suis l’écuyère Élentir au service de sire Léothéric. J’ai dix ans.

— Enchantée, Élentir, moi, je m’appelle Niniel. Si tu veux, je peux te raconter comment je suis devenue herboriste, mais cela va prendre du temps, ton chevalier ne va pas t’attendre ?

— C’est mon jour de congé.

Niniel accepta donc de conter son histoire, ne cessant de parler que pour servir les clients qui se présentaient en boutique. Alors Élentir observait avec tellement de sérieux et d’attention que presque tous les clients la prirent pour la nouvelle apprentie.

Je vais également vous raconter la vie qu’avait menée jusqu’alors notre petite herboriste. Elle était née dans une famille plutôt riche de marchands de la capitale. Elle avait eu la chance selon elle de ne pas être née comme aînée, et cela lui allait très bien de ne pas être la benjamine non plus. Elle reçut une excellente éducation dès son plus jeune âge. Cependant, ces leçons ne comblaient pas totalement sa curiosité naturelle. Vers ses dix ans, quand elle eut fini de lire la bibliothèque familiale, elle se lança dans l’exploration complète de la ville. Tout comme Élentir, elle visita les quartiers qui lui étaient encore inconnus, parla à toutes sortes de gens et finit un jour par tomber sur un garçon de son âge qui lui était sympathique. Ils avaient alors douze ans. Ce garçon, nommé Dael, avait commencé la formation pour devenir garde. Il voulait travailler le plus rapidement possible pour aider sa famille très pauvre à subvenir à ses besoins. Lors des permissions du garçon, les deux amis s’occupaient de plusieurs manières. Parfois, Dael lui apprenait à se battre, d’autres fois Niniel lui apprenait tout un tas de choses. Il leur arrivait même de juste se balader au gré du vent. Malheureusement, les parents de Dael moururent d’une maladie sans que ni leur fils ni Niniel ne puissent y faire quelque chose. Cela marqua beaucoup la jeune fille alors âgée de quinze ans. Comme tous les enfants de son âge, elle avait depuis cinq ans commencé un apprentissage. Mais c’était sans grande conviction qu’elle avait accepté de devenir apprentie marchande. Alors après cet événement, elle passa tout son temps libre à faire des recherches sur la médecine, la pharmacologie. Elle finit par rencontrer une vieille herboriste qui accepta de la prendre en apprentissage, même si elle avait déjà seize années. En revanche, sa famille fut moins ravie, il faut dire que malgré son manque d’intérêt, la jeune fille avait des capacités très intéressantes. Une mémoire excellente et un savoir impressionnant. Une grande dispute eut lieu avant le départ, définitif, de Niniel. Depuis lors, elle avait étudié autant en magie qu’en herboristerie et en médecine. Vers ses dix-huit ans, elle finit son apprentissage, voyagea durant un an, récoltant des plantes, soignant et apprenant auprès d’autres savants d’autres remèdes. À la fin de son voyage, elle utilisa de ses économies pour s’acheter la boutique qu’elle fermait quand son stock était trop vide. Elle avait donc à ce jour un peu plus de dix-neuf ans.

Élentir écouta avec attention et intérêt l’histoire de la jeune femme jusqu’au bout. Et prit congé juste après, car il se faisait tard. Cependant, elle lui assura qu’elle reviendrait la voir, promesse qu’elle tint. Dès qu’elle en avait l’occasion, elle repassa la voir, avec, à chaque fois, des petits cadeaux tels que des plantes qu’elle ramassait en voyage ou des bouquins qu’elle empruntait à la bibliothèque royale. En échange, la jeune femme lui enseigna ce qu’elle pouvait avec le peu de temps qu’elles avaient.

Si les trois premiers mois sire Léothéric resta au château, il ne tarda cependant pas à décréter qu’il était grand temps pour lui et son écuyère de partir en voyage. Comme à son habitude, il partait sans autre but qu’aller en aide à la population. Le printemps arrivant, c’était le temps des semis. Et ils croiseraient sans aucun doute quelques pirates.

Ils partirent au lever du soleil. Il faisait encore frais et Élentir, malgré le lourd manteau qu’elle portait, devinait que le voyage serait loin d’être agréable. Une fois les murailles de la ville passées, ils se dirigèrent à l’ouest en direction de Port-Château ; une ville côtière à un jour à cheval de la capitale. Ne voulant pas la laisser inactive, le chevalier lui proposa des leçons. S’il n’était certes pas aussi savant que les scribes, il n’en demeurait pas moins très cultivé. Toutefois, il préféra débattre plutôt que de donner un simple cours. Si son élève en était heureuse, retrouvant un peu de ses longs moments passés en compagnie de Lómelindi, il ne lui était pas moins difficile de se concentrer. En effet, elle avait plus l’habitude des courtes balades que de longues chevauchées. Le temps se réchauffant seulement en fin de matinée, le froid s’ajoutait à la douleur.

Après le repas frugal qu’ils partagèrent, le maître retrouva enfin toute l’attention de son élève. Toujours à cheval, le chevalier approfondit la connaissance en magie de son élève. Continuant à creuser les bases et à travailler sur les magies instinctives qu’elle possédait.

Et le soir, malgré la fatigue d’Élentir, ils échangèrent quelques passes d’armes avant de placer ensemble des alarmes de magie. Au moment, de se coucher, le corps d’Élentir était tout endolori, douleur qui persista jusqu’au petit matin, accentuée par le froid de la nuit.

Le voyage permit à l’écuyère de découvrir son pays. Ils ne s’arrêtaient que très peu de temps dans chaque village rencontré, une journée ou deux, histoire de prendre des nouvelles, d’apporter leur aide. Durant les journées au village, l’apprentissage d’Élentir se résumait aux conversations avec son entourage et aux passes d’armes le soir. Toutefois, elle apprenait beaucoup sur le monde. Comme elle avait pris plaisir à visiter la ville, rencontrer de nouvelles personnes et découvrir des types de gens et de métiers qu’elle ne connaissait pas encore.

Durant leur long périple, elle fut également confrontée à quelques brigands, surtout le long de la frontière avec l’empire, ainsi qu’à des animaux sauvages. Elle découvrit ainsi qu’un certain nombre des créatures possédaient des attributs magiques. Bien que rares, ces créatures étaient dures à combattre. En effet, aucune d’elles n’avait les mêmes caractéristiques magiques.

Sire Léothéric prit cependant soin de l’écarter lors des combats contre les pirates, trop nombreux et forts pour une fillette de l’âge d’Élentir.

Sa découverte du pays passa également par sa rencontre avec les nomades. Sire Léothéric et Élentir croisèrent la route de la tribu Mentië au milieu de leur périple. Ils furent accueillis joyeusement par les enfants qui visiblement connaissaient le chevalier. Élentir fut aussitôt entraînée dans un cercle d’enfants de son âge, curieux. Elle se découvrit ainsi pas mal d’affinités avec eux. Sire Léothéric les laissa faire connaissance et s’éloigna en compagnie du chef de la tribu et des deux chamanes.

Le premier soir, une fête en leur honneur fut organisée. Ainsi, Élentir découvrit que les nomades avaient des coutumes en tous points semblables à celles des sédentaires, hormis les habits. La fête, comme en ville, était entrecoupée de petites compétitions et défis aux invités et se finissait par des histoires racontées par les chamanes.

Elle fut ravie de passer une semaine au sein d’une tribu. La chamane Olwë et le chamane Lenwë la prirent en charge dès son arrivée. Grands amis de Léothéric, ils voulaient juste lui apporter de l’aide. Sire Léothéric, certes doué en magie, n’était cependant pas un mage et par conséquent utilisait la magie plus qu’il ne la comprenait vraiment. Il profita donc de cette rencontre pour mettre entre de bonnes mains l’éducation magique de son écuyère. Les chamanes étaient, en effet, plus indiqués pour ce rôle. Ils découvrirent d’ailleurs rapidement l’immense talent de la jeune fille dans le domaine. Ce fut donc un réel plaisir pour eux de lui enseigner la magie. Au contraire du chevalier qui, lui, enseignait surtout des magies utiles au combat, les chamanes se concentrèrent sur les excellentes perceptions de la fillette. Elle commença donc à apprendre à percevoir les flux magiques, ce qui lui permettrait, avec plus d’expérience de prédire le temps, mais également de deviner quel sort allait être lancé et avait été lancé. Elle apprit également quelques bases sur la magie de guérison.

Le dernier soir, les deux chamanes la firent venir une dernière fois dans leur tente pour discuter.

— Tu ne dois pas devenir chevalier, mais mage, déclara la Chamane Olwë. Tu es née sous la bénédiction de Luclys sans aucun doute.

Devant le sérieux des deux adultes, Élentir se sentit très légèrement intimidée, ce qui ne lui arrivait pourtant jamais. Elle comprit alors qu’il faudrait se montrer ferme si elle ne voulait pas qu’ils l’enlèvent à sire Léothéric.

— Je ne sais quand je suis née, mais ce qui est sûr c’est que le mage ne m’a pas choisie alors que sire Léothéric lui, m’a reconnue. Je deviendrai donc chevalière.

Le jeune chamane Lenwë posa doucement sa main sur celle de l’enfant qui se sentit aussitôt détendue.

— Si une tribu t’avait recueillie, nous aurions pu voir ton potentiel, retourna-t-il. Tu serais devenue une grande chamane. Il n’est d’ailleurs pas trop tard.

Élentir retira sa main, refusant d’être ainsi manipulée. Elle se sentit agitée dès qu’elle perdit le contact. Elle répondit cependant calmement :

— J’en doute fort, je ne suis pas vraiment attachée aux dieux et aux coutumes.

— Nous sommes tous différents, murmura la vieille Olwë, c’est pour cela que chaque tribu possède deux chamanes. La croyance n’est pas le plus important pour un chamane. Bien que tout chamane doive porter le savoir de sa tribu et que nos croyances en font partie, si tu possèdes d’autres qualités de chamane telles que la sagesse et de grandes capacités magiques qui pourront guider ta tribu, tu peux devenir un grand chamane. Je suis persuadée que tu pourrais lire les signes de…

Élentir éclata de rire :

— Je vous assure, laissez tomber, je ne deviendrai pas chamane. Et ce qui est sûr, c’est que j’ai tout de même plus de chance de le devenir en étant écuyère auprès de sire Léothéric qu’en étant apprentie auprès du mage royal. Donc si jamais cela m’intéresse finalement, je ne regretterai pas mon choix actuel.

— Tu ne devrais pas le juger aussi fort, protesta doucement Olwë. Ce pauvre homme a perdu son maître trop tôt, il n’a pas pu finir sa formation. Toutefois, il existe d’autres mages dans ce pays et je sais que certains sont sûrement plus habiles que le mage royal. Je pense que c’est la voie de la magie que tu dois suivre.

— Je ne regrette en rien d’être devenue écuyère. C’est ce qui me correspond le mieux.

C’est alors que Léothéric se décida à entrer dans la tente pour interrompre les deux sages toujours décidés à faire changer d’avis la fillette. Il se plaça à côté de son écuyère et prit un air sévère.

— Je doute rarement de vos paroles, et conteste peu vos choix, déclara-t-il sèchement. Cependant, je me dois de vous dire que je n’apprécie pas que l’on tente de me ravir mon écuyère. Vous m’avez déjà avancé vos arguments que j’ai écoutés avec attention. Je vous ai déjà dit que tant qu’Élentir consentira à me suivre, je la prendrai sous mon aile malgré vos avertissements. Je vous ai cependant accordé de le lui demander directement, car je tiens à son avis. Cependant, ma gentillesse a des limites. Je ne permettrai pas que l’on force mon élève à quitter la voie qu’elle a choisie par elle-même.

Si la voix grave et ferme du chevalier sembla convaincre le jeune Lenwë, la vieille Olwë ne fut pas perturbée :

— Nous voulons seulement le mieux pour cette enfant. Elle porte clairement la marque de Luclys.

— Tu ne peux le savoir que si tu as assisté à sa naissance, et ce n’est pas le cas. Pour l’instant, respecte son choix. Je ne veux pas vous quitter en étant fâché. Allons dehors, participons aux festivités, et laissons Élentir faire ses adieux aux membres de la tribu.

À la suite de ces paroles, tout le monde sortit de la tente pour se joindre aux rires et chants. La dernière soirée que passa Élentir aux camps fut joyeuse et animée. Les enfants de son âge l’entraînèrent une dernière fois dans des défis et jeux. Ils chantèrent pour elle, dansèrent avec elle. Malgré tout, la jeune fille ne put oublier la discussion de la tente. Elle ne savait pas ce qui l’avait perturbée, mais elle se sentait étrangement anxieuse.

Le lendemain matin, sire Léothéric choisit de partir au lever du soleil, ne laissant pas la possibilité à son élève de croiser de nouveau les chamanes. Légèrement triste de quitter la caravane, la jeune fille fit un dernier signe à ses nouveaux amis et suivit son maître sans se retourner.

Après six mois de vadrouille, l’écuyère et son maître furent de retour au château. Élentir avait alors bien évolué. Elle avait grandi et s’était encore renforcée, sa peau brunie par les heures passées sous le soleil à voyager et à travailler. Elle avait également mûri. Elle acceptait plus le contact humain et son esprit s’était encore aiguisé. Sa magie s’était bien développée, notamment grâce à son passage chez les nomades. Elle continuait encore à suivre leurs conseils. Sire Léothéric était heureux de voir que ce voyage avait été aussi bénéfique pour son élève.

Après une semaine de repos, sire Léothéric repartit. Seul. Pour une mission secrète. Confiant pour un temps l’apprentissage d’Élentir à dame Cléophée, la chevalière maîtresse d’Égilon. Élentir découvrit que malgré les nombreuses exigences de la chevalière et sa sévérité, elle avait quand même plus de temps libre et elle était moins poussée vers ses limites qu’avec son maître. Elle en profita pour reprendre contact avec ses amis de la ville.

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