IX

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Ainsi, notre jeune écuyère suivit ce rythme durant presque cinq ans. Elle en était heureuse. À aucun moment elle ne regretta son choix. Il faut dire qu’elle était devenue une jeune écuyère des plus prometteuses avec qui seul Égilon arrivait à rivaliser.

Alors qu’une fois de plus sire Léothéric l’avait laissée aux soins de dame Cléophée pour partir en mission diplomatique en empire, un grave incident se produisit.

Les jumeaux avaient poursuivi leur éducation auprès de leurs précepteurs, maître d’armes et de maître Lómelindi. À leurs quatorze ans, devant leur sérieux et leur talent, on leur avait finalement donné quelques responsabilités au sein du château. Ils étaient déjà sûrement plus responsables que leurs parents. Ils avaient montré dès le début qu’ils étaient efficaces et sérieux. C’était ainsi que naturellement, alors que les deux souverains étaient partis faire leur devoir en suivant la grande procession, qu’on leur avait confié une grande partie des responsabilités au château.

Et ce fut d’ailleurs vers eux qu’accourut un messager affolé et essoufflé au beau matin :

— Les pirates ! Les pirates ont enlevé Leurs Majestés ! Il… Il…

— Du calme, stoppa sèchement Palantir dont seuls les yeux laissaient légèrement voir sa détresse intérieure. Mélis, fais venir tous les ministres disponibles en urgence.

— En évitant que la rumeur se répande plus vite que nécessaire, précisa sèchement Éledhwen.

— Bien, Altesses.

— Et que quelqu’un fasse venir Élentir, ajouta Palantir.

En très peu de temps, tout ce beau monde fut réuni dans la grande salle et la situation leur fut rapportée.

Alors que la grande procession avait quitté la ville de Kélinial, sur la côte à trois jours de cheval au nord, le convoi royal fut attaqué par une bande de pirates de l’Ouest très organisée. Même si une partie de la procession avait réussi à se disperser, parmi tous les chevaliers, soldats, serviteurs et nobles enlevés, seul le couple royal avait été gardé en vie. Le roi Bëor et la reine Daïna servaient d’otages. Les pirates avaient déclaré vouloir négocier avec ce qu’il restait de gens influents sur le continent.

— Mon frère et moi irons négocier, déclara Éledhwen à la fin du rapport. Cependant, je ne pense pas que nous pourrons accepter un quelconque accord. Nous savons tous très bien ce qu’attendent de nous les pirates de l’Ouest. Élentir, tu vas former une équipe qui se chargera de libérer nos souverains. Tu as carte blanche.

Un instant, les ministres furent déstabilisées, mais le mécontentement ne tarda pas à se lire sur leurs visages. Sire Godefroy, général et ministre des Armées, fut le premier à intervenir :

— Vous ne pouvez pas faire cela ! Que vous soyez les négociateurs n’est pas raisonnable, mais que ce soit Élentir, une écuyère qui est loin d’avoir fini sa formation qui se charge de l’exfiltration, c’est… C’est impensable…

Autour de la table, des têtes hochèrent.

— Stop, coupa Palantir. Nous n’avons juste pas décidé sur un coup de tête. Les pirates veulent des négociateurs importants, nous sommes importants. Pour autant, on ne se livre pas, il va falloir qu’une bonne garde nous accompagne. Si on se fait enlever, vous serez dans une position encore plus compliquée. D’un autre côté, le fait que ce soit nous qui menions les négociations va permettre de faire une bonne diversion. Ils seront concentrés sur nous. Cependant, le pays n’a pas à tomber si notre famille échoue à le protéger. Si jamais ni l’exfiltration ni les négociations ne réussissent, et que nos parents et nous disparaissons, il faut qu’il reste suffisamment de personnes pour protéger le pays. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi Élentir. Bien qu’elle soit très importante pour nous, et sûrement pour l’avenir de notre pays, elle n’est pas forcément nécessaire à la restauration du pays. De plus, elle fait partie des personnes les plus brillantes de notre entourage. Beaucoup de personnes autour de cette table peuvent le confirmer.

Le silence retomba. Si une grande partie de l’auditoire ne semblait toujours pas convaincue, les paroles du prince donnaient à réfléchir. Les héritiers avaient sûrement poussé suffisamment loin leur réflexion et étaient prêts à défendre leur choix. Toutefois, cela ne suffirait pas à convaincre tous les ministres qui pouvaient mettre leur veto. Élentir l’avait compris et elle prit la parole, insufflant une légère magie dans ses paroles :

— De toute façon, je n’irai pas seule. Nous n’avons pas le temps de trop tergiverser, déclara-t-elle. Voilà ce que je vous propose ; je pars avec une troupe de vingt personnes. Je vais en recruter moi-même dix ; je vous laisse le choix des dix autres avec comme seule demande que cinq d’entre eux soient des chasseurs, je ne doute pas que vous choisissiez de bons combattants. Si jamais ils estiment que je ne suis pas à la hauteur, ils pourront toujours choisir de changer de cheffe. Nous avons trois jours de voyage, après tout.

Même si la proposition d’Élentir semblait rassurer une bonne partie de l’assemblée, la magie aidant, une certaine inquiétude flottait encore. Ne laissant pas le temps aux protestations, Élentir se leva, salua l’assemblée et quitta la pièce. En passant à côté de ses amis, elle posa rapidement une main sur leur épaule, leur communiqua de l’énergie positive et leur marmonna une bénédiction.

Une fois, dehors, elle commença à réfléchir à ses choix. Il lui fallait choisir dix personnes qui lui permettraient de faire une exfiltration discrète et efficace. Il lui fallait un profil de personne de chasseur ; apte à se déplacer rapidement et silencieusement, mais qui puisse se battre et se défendre au besoin. Idril semblait coller au profil ; une mercenaire qu’elle avait croisé durant l’un de ses nombreux voyages avec son maître. Elle savait que la mercenaire se trouvait actuellement à Port-Château, à une demi-journée de cheval. Elle se dirigea vers la volière pour lui faire parvenir un message en urgence.

Elle en profita pour rajouter un nom, Moyra de Port-Château, certes elle n’était qu’une petite pêcheuse, cependant, outre d’excellentes capacités de combat — elle avait fait ses armes en partie auprès de sire Léothéric qui lui avait même accordé ses compliments — elle avait une vue des plus perçante, pouvant voir distinctement un oiseau à l’autre bout de l’horizon. Elle avait une vue qui dépassait même les capacités magiques, surtout qu’elle était dépourvue de magie, ce qui était rare pour une chevaucheuse. Elle avait, en plus du sabre, appris à se servir d’un arc. Son habileté, combinée à sa vision, faisait d’elle une excellente archère.

Élentir sortit de la volière et se dirigea vers la salle des gardes. Amie avec un certain nombre de gardes depuis l’enfance, elle savait que certains seraient parfaits pour son équipe. Bien que beaucoup pensaient aisément que les gardes étaient des personnes n’ayant pas réussi à devenir soldats, Élentir connaissait quelques talents cachés. Ne restait plus qu’à les convaincre de la suivre.

Elle choisit de trouver tout d’abord le jeune garde Dael qui, comme Moyra, avait une vision particulière. S’il ne voyait pas plus loin que la moyenne, il voyait avec une netteté éclatante. Il percevait des détails que personne d’autre ne voyait et son analyse visuelle touchait toujours juste. Il pouvait savoir en un coup d’œil combien de miettes il y avait sur la table. Un regard lui suffisait pour connaître les émotions de son interlocuteur. Elle pouvait compter sur lui pour la mission et ne doutait pas de pouvoir le convaincre.

Si elle conviait Dael, proposer à Niniel de venir serait une bonne idée. Bien qu’elle sache un peu se défendre, c’étaient plutôt ses talents d’herboriste qui pourraient être utiles. Rien de mieux qu’un soignant dans une équipe guerrière, surtout s’il peut se défendre tout seul. Élentir espéra que le savoir encyclopédique de son amie lui permettrait d’en apprendre davantage sur ses ennemies. Elle irait la voir plus tard.

Après toutes ces réflexions, Élentir était enfin arrivée devant la salle des gardes. Quand elle entra, son regard se porta aussitôt sur Hoel, attablé nonchalamment à la grande table, une chope de bière à la main. Après une demi-seconde d’hésitation, notre jeune écuyère se dirigea vers lui d’un pas assuré.

— Salut ! l’apostropha-t-elle en s’asseyant à ses côtés.

L’homme tourna à peine le regard vers elle. Elle sentait qu’il était déjà fatigué de leur conversation, mais tout de même heureux de la voir. Élentir faisait partie de ses rares vrais amis et elle était l’une des seules à pouvoir le faire réagir.

— Salut, gamine, ça fait un bail que t’es pas venue traîner dans les parages.

Il poussa sa chope vers elle pour qu’elle puisse boire. La jeune fille, honorée de ce geste amical, but une grande gorgée avant de retourner :

— Mais je vois que tu es toujours occupé.

Elle n’eut droit qu’à un regard désabusé. Il récupéra sa chope qu’il finit en quelques longues gorgées. Après un long soupir, il tourna de nouveau son regard sur elle. Son regard bleu foncé semblait à peine sortir d’un long sommeil. Élentir se retint de bâiller. Elle savait qu’il lui prêtait une totale attention, ce qui était rare de sa part.

— Je viens te faire une proposition qui ne va pas te plaire, déclara-t-elle.

— Bien sûr, tu ne viens pas juste partager un verre avec ton vieux pote, comme au bon vieux temps.

— Un voyage de trois jours tous frais payés, ça ne te dirait pas ? demanda-t-elle ignorant la réflexion.

L’homme haussa les sourcils, il n’était pas vraiment emballé par cette idée. Ce qui n’aurait étonné personne le connaissant un peu. Cet homme d’une famille de gardes et soldats aurait pu, avec un peu de volonté, devenir écuyer. Il avait pourtant choisi une vie simple de garde. Il détestait tout ce qui lui demandait de l’effort, y compris les relations sérieuses. Peu de gens auraient imaginé lui demander de faire un voyage. Cependant, il restait à l’écoute.

— J’imagine que ce n’est pas des vacances.

— Peut-être, mais je peux t’assurer que si tu m’accompagnes, tu seras fortement récompensé. En plus, on sait tous que tu es fatigué même à l’idée de faire un voyage pour des vacances.

L’homme émit un rire rauque. Il envoya sa chope à un garde en train de remplir la sienne au tonneau. Élentir sentit qu’elle perdait de son attention.

— Je sais bien que les récompenses ne t’intéressent pas, cependant, je pense que tu devrais être intéressé de savoir que si la mission rate, tu ne pourras sûrement plus rester là à te bourrer la gueule, c’est sûr. Garde ne sera vraiment plus un boulot de tout repos. D’ailleurs, j’imagine que tu deviendrais soldat. Si tu veux encore pouvoir passer une partie de tes journées à boire, tu as tout intérêt à faire en sorte que je réussisse ma mission. Et je pense que pour réussir la mission, avoir le meilleur bretteur du royaume ne serait pas négligeable.

Hoel, qui avait récupéré sa chope, la posa violemment contre la table. Il était rare de le voir faire des gestes aussi brusques.

— Arrête tout de suite, la coupa-t-il.

Elle le regarda, pensive. Elle avait toujours eu du mal à le suivre.

— Tu sais parfaitement que si tu me demandes de venir, je viendrai. Tu me fatigues avec tes discours. Que dois-je faire ?

Voilà pourquoi elle ne suivait pas. Elle sentait à la fois l’immense respect qu’il avait pour elle qui le poussait à accepter, et le manque de volonté à la suivre. Même après cette affirmation, la jeune fille n’était pas convaincue qu’il viendrait réellement. Elle finit cependant par déclarer :

— Merci pour ta confiance. Nous partons demain à l’aube. Je viendrai te chercher personnellement si t’es pas dans la cour à l’heure.

— Hum, grommela le garde.

Sentant qu’il était temps de se retirer, Élentir lui fit une accolade et se dirigea vers une autre présence familière. Quand elle entra dans la salle de repos, le regard inquiet d’Éloi se posa sur elle. Il s’était installé près de la fenêtre à l’autre bout de la pièce. Élentir lui fit signe de la rejoindre.

Elle l’invita à marcher avec elle. Le garde la suivit silencieusement, attendant plus d’explications.

— J’imagine que tu as entendu ma conversation avec Hoel.

— En effet, répondit-il timidement.

Bien qu’il soit de cinq ans plus âgé qu’elle, le jeune garde ne dépassait qu’à peine l’écuyère. Sa façon de se tenir et de se déplacer le rendait effacé.

— Je suis toujours aussi étonnée par ta capacité d’écoute, s’émerveilla l’écuyère.

— Désolé, marmonna Éloi, je ne voulais pas écouter, mais c’est difficile.

— Ne t’excuse pas pour tes talents, Éloi ! Tu veux en savoir plus ?

Le timide jeune homme esquissa un léger sourire. Élentir sentit une pointe de curiosité chez lui. Elle sut d’instinct qu’elle n’aurait pas besoin de beaucoup de mots pour le convaincre de la suivre.

— J’imagine que ça a à voir avec l’enlèvement du roi et de la reine, répondit-il, hésitant.

— Tu as entendu ça aussi ? Bien, en effet, je vais diriger l’équipe de sauvetage de Leurs Majestés, tu voudrais venir ?

Le jeune garde s’arrêta, surpris. Lui qui était toujours discret, que personne ne remarquait jamais, était invité à rejoindre une mission de cette importance. Il ne pouvait pas vraiment y croire. Il ne savait même pas s’il avait envie de la suivre.

— Tu es surpris que ce soit une gamine de quinze ans qui dirige l’opération ou qu’elle te propose à toi, jeune garde de vingt ans pas très remarqué, de participer ?

— Plus rien ne m’étonne venant de toi, je te connais depuis suffisamment longtemps pour savoir que tu y arriveras. Mais je doute de t’être d’une quelconque utilité.

Élentir soupira et continua d’avancer, aussitôt suivie d’Éloi. Elle savait que le manque de confiance du garçon allait être au moins aussi problématique que le manque de réactivité d’Hoel. Elle avait rarement parlé au jeune garde, mais ce dernier avait su attirer son attention malgré sa discrétion. Il allait falloir le mettre en confiance.

— Tu te souviens de la fois où tu avais réussi à repérer de nuit l’arrivée de pirates par le fleuve alors même que tu n’étais pas de garde et en train de te reposer ? Et ce rien qu’avec ton ouïe ? Eh bien, c’est ce genre de talent qui pourrait m’être utile. Nous ne savons pas où sont retenues prisonniers Leurs Majestés.

Éloi ne fut pas convaincu par l’argumentation de la jeune fille, mais cette dernière ne lui laissa même pas le temps de répliquer.

— Bon, tu sais déjà où et quand, je te revois demain matin. N’oublie pas, c’est un ordre officiel. Et tu préviendras Dael que sa présence est également requise.

Là-dessus, elle l’abandonna pour poursuivre ses recherches. Comme personne d’autre ne semblait lui convenir dans la salle, elle se dirigea vers la porte principale où elle savait qui elle allait trouver à cette heure. Auriane semblait s’ennuyer ferme à son poste devant l’entrée principale du château. La jeune femme sourit en la voyant arriver.

— Ah ! De quoi m’empêcher de dormir !

— Salut, les métiers honnêtes sont si ennuyeux que ça !

— Bah, c’est toujours mieux que les cachots. Je devrais plutôt te remercier de pouvoir revoir le jour, moi l’ancienne princesse des voleuses…

— Si tu veux me rembourser ta dette et te sortir de ton ennui, un petit voyage aux frais du royaume ça te dit ?

L’ancienne voleuse plissa ses yeux gris, suspicieuse.

— Ne t’inquiète pas, c’est juste une mission qui engage l’avenir de notre pays. Si on échoue, on risque de ne plus reconnaître notre royaume.

La déclaration d’Élentir était sur un ton joyeux. La présence de la grande chevaucheuse avait un côté apaisant pour la jeune fille. Avec le temps, elle avait fini par la considérer comme une grande sœur et elle appréciait toujours ses conseils. La présence de l’ancienne voleuse était sans aucun doute un atout pour la mission.

— Et bien sûr, tu as pensé tout de suite qu’une ancienne voleuse devenue garde était parfaite pour une mission aussi capitale.

— Bien évidemment, je suis d’abord allée voir le garde le plus fainéant de l’histoire du royaume, et aussi le plus discret et timide.

La jeune femme ne put s’empêcher de sourire devant de telles paroles. Elle appréciait vraiment la fougue et la langue acérée de la future chevalière.

— Bien évidemment… Et on part quand ?

— Demain à l’aube, je te vois dans la cour. Je file, il me reste quelques cas perdus à recruter.

— Tu en trouveras une sur les chemins de ronde, elle est un peu moins désespérée que nous autres, mais je suis sûre qu’elle te convaincra.

Intriguée par le conseil de la jeune femme, l’écuyère monta sur le chemin de garde. Elle ne comprit que quand elle croisa des gardes faire leur ronde. Elle s’approcha et demanda sans gêne à pouvoir parler seule à seule avec Ode. L’autre garde, après avoir lancé un regard noir, s’éloigna. Pour être sûre de ne pas être entendue, Élentir marmonna un sortilège de silence.

L’ancienne nomade l’observait, intriguée. De deux ans l’aînée d’Élentir, elle était devenue garde à ses quinze ans, quittant la vie de nomade. Bien qu’elle ait remarqué les passages réguliers de l’écuyère, elles ne s’étaient jamais adressé la parole.

Élentir sentait l’intérêt que lui portait la garde aux yeux verts. Elle ne la connaissait que de vue, mais elle remarqua tout de suite qu’Ode ne faisait aucun mouvement inutile, elle devina aisément son habileté. Elle faisait de toute façon confiance à Auriane.

— Bonjour, je suis Élentir, écuyère de sire Léothéric.

— Bonjour, Ode, garde, répondit-elle de manière monotone.

— Auriane m’a conseillé de te prendre pour une mission importante.

— Une mission importante confiée à une simple écuyère…

Élentir sourit.

— Certes, simple écuyère, mais mission particulière.

— Si tu le dis… Auriane t’a parlé de moi.

Élentir sourit de plus belle. Elle sentait la loyauté de la garde envers l’ancienne voleuse. Elle savait qu’en jouant correctement, elle pourrait l’avoir dans son équipe.

— En effet, je lui ai déjà proposé de rejoindre mon équipe. Elle a accepté avant de me diriger vers toi.

— OK, si elle souhaite que je participe, j’accepte.

— Vraiment, je ne t’ai pas parlé de la mission, retourna, surprise, Élentir.

— Peu importe, il faut que j’y retourne.

Élentir la regarda s’éloigner et rejoindre son camarade. Les deux reprirent leur tour de garde sans un mot. Élentir appréciait déjà la petite garde aux yeux verts. Elle aimait la loyauté dont elle faisait preuve. Au moins, elle allait faire connaissance avec des personnes intéressantes durant ce voyage.

Elle passa ensuite aux écuries récupérer son cheval et descendit en ville. Après sa visite à Niniel, qui accepta de se joindre à la mission après une courte hésitation en apprenant que Dael faisait partie du groupe, elle se rendit à la forge de Gleen. Ce dernier, bien qu’apprenti forgeron, restait un très bon combattant avec trop d’énergie à revendre pour passer le reste de sa vie dans une forge. De plus, elle le connaissait bien, et s’il n’avait peut-être pas le niveau d’un chevalier, elle savait qu’il servirait de ciment à son groupe. En effet, le jeune homme était très sociable, il se mêlerait sans problème à tous ses compagnons y compris ceux que les ministres choisiraient.

Il accepta sans hésiter, bien trop heureux d’avoir une excuse pour s’éloigner de la forge. Ses parents et patrons furent moins enthousiasmés, mais Élentir n’eut pas de mal à les convaincre. Il faut dire qu’à dix-huit ans, le jeune homme était adulte depuis un an.

Élentir se dirigea donc à la rencontre de la dernière personne qu’elle avait en tête. Elle n’avait pas osé en parler à Auriane de peur que cette dernière pose un veto. Elle descendit dans les quartiers pauvres. Très vite, elle fut la seule montée à cheval et sa progression fut ralentie par la route déformée et la foule. Elle fut presque soulagée quand elle tourna dans une petite ruelle peu fréquentée. Elle descendit de selle.

— Luce, tu pourrais garder ma monture, je viens discuter avec Rian et Salvin.

— Je ne le fais pas gratuitement, dit fièrement la petite.

Élentir prit un air déçu :

— Ma reconnaissance ne te suffit pas…

Elle lui glissa une pièce en lui promettant sa petite sœur quand elle récupérerait sa monture. Elle descendit les escaliers bancals et sombres. L’odeur âcre et la forte chaleur lui firent remonter une certaine nostalgie. Elle arriva dans une grande salle décorée de toutes sortes d’objets dépareillés. Une bibliothèque grossièrement faite sur laquelle étaient entassés toutes sortes de bouquins. De magnifiques livres reliés de cuir, des rouleaux de parchemin et de papier, des livres vieux et en lambeaux avec des couvertures en papier ou tissu. Devant, se trouvait une bande d’enfants plus ou moins jeunes qui feuilletaient des ouvrages avec une concentration presque religieuse. Un groupe de bambins entourait une jeune femme qui leur faisait la lecture.

Le reste des murs étaient tapissés de tableaux qui n’avaient clairement pas leur place ici, d’étagères remplies de bibelots en tout genre. Au centre de la pièce, un attroupement avait lieu où chacun se vantait des trouvailles du jour.

Parmi tout ce beau monde, Élentir faisait clairement tache. Ils étaient tous vêtus de guenilles rapiécées et sales. Aucun ne devait fréquenter assidûment les bains publics. Pas plus en tout cas qu’ils ne mangeaient de véritables repas. Une grande partie d’entre eux étaient si maigre qu’on s’étonnait presque de les voir bouger. Si la moyenne d’âge était assez basse, les quelques jeunes adultes semblaient bien plus âgés qu’ils ne l’étaient réellement et aucun n’avait de denture complète. Ils se tenaient à l’écart, observant d’un œil protecteur les plus jeunes. Ces derniers, malgré leur flagrante pauvreté, semblaient tout heureux d’être là, ils rigolaient, se coursaient de bon cœur. Cela rafraîchissait le tableau sombre.

Si notre jeune écuyère détonnait, il n’en restait pas moins qu’elle se glissa sans difficulté dans le groupe, comme si elle en faisait partie. Quelques enfants vinrent l’accueillir en rigolant et en lui courant dans les pattes, lui réclamant de nouvelles histoires. Un jeune homme vint à son tour à sa rencontre, avec un grand sourire :

— Élentir ! s’exclama-t-il. Ça fait un bail, tu es rentrée quand ?

— Il y a une semaine environ, j’aurais voulu venir plutôt et dans d’autres circonstances…

Salvin fronça les sourcils, inquiet. Il comprit vite qu’il y avait un problème et il savait qu’Élentir ne venait jamais chercher de l’aide. Il lui fit donc signe de la suivre et ils allèrent s’installer sur une table bancale dans un coin. On servit un verre de bière à Élentir qui l’accepta volontiers et elle lui expliqua rapidement la situation et lui demanda si Rian était là. Quelques instants plus tard, un jeune garçon de treize ans débarqua avec une gueule d’ange et un grand sourire enjôleur à la vue d’Élentir. Il vint la prendre dans ses bras et elle ébouriffa ses cheveux châtain clair assombris par la crasse.

— Tu en as mis du temps à venir nous voir, sœurette, j’ai cru que tu nous avais oubliés, déclara-t-il avec un air faussement boudeur qui aurait attendri le cœur de n’importe quel guerrier.

Cependant, cela n’eut aucun effet sur Élentir qui garda la mine grave. Elle n’était pas encore décidée. Elle savait qu’elle demandait quelque chose de dangereux à un gamin pas encore sorti de l’enfance. Et elle savait également que quoi qu’elle demanderait, il accepterait sans réserve.

— Bah alors, sœurette, tu as perdu ta langue ? C’est rare, l’asticota le jeune garçon.

— Ta gueule, gamin !

— T’as qu’à parler dans ce cas, la vieille. Tu vas vieillir plus rapidement si tu réfléchis autant.

— Tu es bien trop impertinent, gamin ! J’aurais besoin de tes talents pour sauver le royaume.

— Le royaume a besoin de moi ? Je ne savais pas que j’étais si important.

L’adolescent bomba le torse et prit un regard hautain.

— Je ne savais pas que j’étais si important. J’ai dû me tromper.

Élentir se leva et se dirigea vers la sortie. Et bien que ce soit Rian qui lui courut après, c’est Salvin qui l’arrêta en l’apostrophant. Elle s’arrêta sans se retourner.

— Je pense que tu as raison de vouloir emmener Rian, déclara Salvin d’un ton grave. Tu sais très bien qu’il est capable de se défendre et qui pourrait réussir mieux que lui à se faufiler dans un camp ennemi ?

Voyant que l’écuyère hésitait encore, il poursuivit :

— Tu es trop douce, tu sais très bien que les gamins ici vieillissant plus vite qu’ailleurs, et je ne pense pas que tu ne lui proposes de t’accompagner que pour te servir de son don. Tu veux lui donner également une chance d’avenir meilleur.

Élentir ne répondit pas, mais hocha la tête. Elle lança un regard vers Rian qui la regardait avec un sérieux rare.

— Tu faisais quoi, toi, il y a deux ans ? demanda-t-il.

— Demande à Salvin pour les détails, retourna-t-elle en ignorant sa juste remarque. On se retrouve demain à l’aube dans la cour du château.

Là-dessus, elle sortit. Elle rentra rapidement, laissant sa monture aux bons soins des palefreniers. Elle discuta rapidement avec Iago pour s’assurer que tout le monde ait une monture le lendemain. Elle se permit de choisir elle-même la monture pour Rian. Ce dernier n’étant jamais monté à cheval, il lui fallait une monture docile. Elle passa ensuite voir Sébaste pour qu’il s’occupe de faire préparer les provisions et l’armement utile pour l’expédition. Et elle finit aux cuisines où elle fut accueillie par Hylde. Cette dernière avait dû apprendre ce qui aurait dû rester un secret puisqu’elle vint la serrer dans ses bras en l’apercevant, ce qui n’était pas si courant. Personne n’osa faire de remarque sur le comportement anormalement affectueux de la cheffe cuisinière. Élentir fut emmenée sans qu’elle puisse dire un mot devant l’une des tables où elle reçut un repas fait de la main même de sa mère adoptive.

— Merci, Hylde, remercia Élentir quand cette dernière vint enfin s’asseoir en face d’elle.

— Mange, tu n’auras plus de bon repas avant une semaine au moins.

Élentir mangea donc sans parler. Hylde la regarda avec la même tendresse que lorsqu’elle avait quitté le château pour la première fois avec sire Léothéric. La cuisinière n’était pas des plus sentimentales, cependant elle ne cachait jamais l’affection qu’elle avait pour la jeune fille. Et à cet instant, elle avait du mal à cacher son inquiétude. Et elle pouvait encore moins la cacher à la jeune écuyère, toujours douée pour lire en elle. Le repas silencieux d’Élentir prit fin et avant qu’elle ne se retire, Hylde la prit de nouveau dans ses bras et la serra fort :

— Reviens entière, chuchota-t-elle.

— Ne t’inquiète pas, je serai en bonne compagnie.

Hylde la garda encore un peu dans ses bras malgré le léger malaise d’Élentir. Finalement, elle la libéra en lui conseillant de passer voir Lómelindi.

Même si elle n’avait pas prévu ce détour, Élentir se rendit rapidement à la bibliothèque, où le gardien du savoir se trouvait encore. Ce dernier semblait l’attendre. Il lui sourit tendrement en la voyant entrer :

— Content que tu aies pensé à venir avant de partir, à moins que ce soit Hylde qui te l’ait rappelé.

— Désolée d’être si ingrate, répliqua-t-elle. De toute façon, je devrais être rentrée d’ici une semaine. Si je ne t’avais rien dit, aurais-tu remarqué mon absence ?

— Bien sûr, dire que tu venais tout juste de rentrer. Je me faisais une joie de discuter avec toi.

— On le fera à mon retour, ce n’est pas comme si je n’allais pas revenir.

Lómelindi l’observa un instant, ne pouvant cacher sa grande inquiétude. Puis sans dire un mot, il fit demi-tour et prit quelque chose sur sa table de travail.

— J’ai été prévenu trop tard, dit-il d’un ton d’excuse. Du coup, il n’est pas totalement sec.

Élentir attrapa le bout de papier que lui tendait son père de substitution. Dessus était dessiné un charme de protection. Élentir, touchée par l’intention, lui fit un câlin. Elle sourit devant la gêne du scribe. Après une dernière embrassade, il était temps pour elle de se reposer. La journée du lendemain et celles qui suivraient risquaient d’être éprouvantes.

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