X
Le château se réveillait à peine que pourtant, une vingtaine de personnes étaient déjà réunies dans la cour. Élentir fut heureuse de voir que tous ceux qu’elle avait elle-même recrutés étaient présents. Elle ne se leurrait cependant pas, les dix autres personnes que les ministres avaient désignées n’appréciaient guère ses choix. Elle les sentait dubitatifs. Ce n’était cependant pas le temps des réclamations. Elle monta sur le dos de son cheval pour se mettre en hauteur et commença un petit discours :
— Nous sommes maintenant tous présents et prêts à partir. Je vois des visages qui ne me sont pas familiers. Et je me doute que c’est votre cas à tous. Toutefois, nous aurons tout le temps de faire les présentations sur le chemin. Et oui, je sens le mécontentement de certains d’entre vous et je peux le comprendre. Toutefois, je pense que vous comprendrez qu’on ne peut pas prendre le temps que chacun donne son avis. Nous partons immédiatement et nous ferons connaissance en chemin. Ceux à qui cela ne convient pas, qu’ils restent ici. Sinon, en selle !
Après un dernier regard aux héritiers venus saluer leur départ, Élentir se dirigea vers la sortie suivie de tous ses hommes. Personne ne resta en arrière. Devant la porte se tenait sire Godefroy qui proposa poliment de les accompagner aux portes de la ville. Il se plaça à côté d’Élentir, en tête de la troupe. Il chuchota alors.
— Tu n’as pu convaincre le conseil des ministres seulement avec ta magie. J’espère que tu as réellement les capacités pour une mission aussi périlleuse.
— Si vous étiez réellement contre, je ne serais pas ici, répliqua-t-elle doucement, mais je vois de toute façon que tu as placé un de tes hommes pour me surveiller.
Le chevalier l’observa de nouveau silencieusement. Élentir se sentait toujours un peu mal face à quelqu’un dont elle ne pouvait connaître l’état d’esprit, mais elle garda son air sûr. Elle sentait qu’il la jugeait de nouveau. Et surtout, elle savait que s’il changeait d’avis, elle ne pourrait plus participer à la mission.
— Je te laisse ta chance, car dame Cléophée a plaidé en ta faveur, reprit-il soudainement. J’espère ne pas me tromper.
— Vous ne vous êtes pas trompé, je ne laisserai pas mes amis souffrir de mon inexpérience.
— Nous verrons cela.
L’homme avait fini de parler, il les accompagna silencieusement aux portes de la ville, lançant une bénédiction avant de se retourner. La troupe sortit de la ville alors qu’elle commençait tout juste à s’animer.
Une fois que la petite troupe fut sortie de la ville, Élentir se décida à se présenter aux combattants choisis par les ministres. Elle avait vu une figure familière parmi eux. Elle l’observa quelques secondes de loin. Avec lui dans la troupe, elle partait avec un avantage. Elle dirigea donc sa monture vers lui et lança sur un ton guilleret :
— Alors, pas trop déçu d’être sous mon commandement ?
Égilon lui fit un sourire franc.
— J’ai hâte de voir ce que cela peut donner. Rien que le choix de tes compagnons est très intéressant. Te connaissant ce n’est pas juste parce que ce sont tes amis.
Élentir sentait que son ami avait déjà évalué ses compagnons. Il ne désapprouvait pas ses choix, sinon il lui aurait dit clairement. Étrangement, la jeune fille se sentit rassurée.
— Non, ils ont tous des talents qui leur valent leur place parmi nous, même si cela va sûrement être difficile à faire admettre à nos nouveaux amis. Par contre, je suis étonnée que les vieux coincés aient choisi d’eux-mêmes un écuyer pour la mission.
Elle eut droit à un regard désapprobateur, mais à une réponse amicale :
— Et tu as raison, ils ne m’ont pas choisi. Ils ont demandé à dame Cléophée, cependant, elle s’est désistée préférant accompagner les jeunes Majestés. Elle m’a donc choisi pour la remplacer. Elle pensait qu’un allié parmi les hommes que tu n’as pas choisis ne te ferait pas de mal.
— Toujours aussi maline, je ne peux pas vraiment la contredire. Il est d’ailleurs temps que j’aille affronter le reste de nos compagnons. Je te laisse. Tu devrais faire pareil, d’ailleurs.
Là-dessus, elle laissa Égilon la dépasser et se rapprocha d’un autre visage connu. Elle salua Ellyne, une jeune palefrenière de dix-huit ans qui faisait déjà partie des chasseurs malgré son âge et son rang. Rien que cela prouvait à quel point elle était talentueuse. En effet, être chasseur était un titre très dur à avoir dans le royaume. Un chasseur avait pour rôle de participer à la battue annuelle visant spécifiquement les bêtes douées de magie devenues trop dangereuses. Ils pouvaient également être appelés dans des situations d’urgence quand on déplorait trop de pertes humaines. Ces tâches étaient fastidieuses et très dangereuses, c’est pour cela qu’être chasseur était un titre rare et difficile à obtenir. Il fallait être parrainé par un chasseur et qu’au moins trois autres soutiennent le candidat. Ce dernier était alors formé par son parrain et pouvait être révoqué durant une période de deux ans s’il ne faisait pas ses preuves. Être un chasseur demandait de grandes capacités pour la chasse et de préférence des capacités magiques ou du moins une grande résistance à cette dernière. Finalement, on pouvait dire qu’être chasseur était un titre presque aussi exceptionnel que celui de chevalier.
Élentir avait déjà croisé la jeune chasseuse à plusieurs occasions aux écuries royales. Ellyne ne semblait pas sûre de son utilité dans la mission. Cependant, connaissant Élentir, elle n’était pas étonnée du choix des compagnons de l’écuyère. Et elle se sentait sûrement plus proche de ces derniers que du groupe choisi par le conseil. Avant l’arrivée d’Élentir, elle parlait tranquillement avec Auriane et Rian. Élentir les laissa donc pour s’approcher d’un frêle jeune homme en pleine conversation avec Niniel.
— Bonjour, tu es Gwindor, c’est ça ?
Le jeune homme rougit légèrement en hochant la tête. La pâleur du jeune homme, accentuée par sa timidité, lui donnait une aura de fragilité. Élentir eut envie de le protéger et espéra qu’il supporterait le dur voyage.
— C’est donc toi, l’apprenti médecin qui s’est porté volontaire pour la mission. Merci, je vois que tu as rencontré Niniel. Je pense que ce voyage te sera bénéfique et je t’assure que rien ne t’arrivera.
Il fit un léger sourire et prit une étrange assurance.
— C’est moi qui suis heureux d’avoir l’occasion de voir de nouveau le monde extérieur. Surtout que Niniel m’a proposé de me montrer des plantes médicinales. Ce voyage sera très instructif.
— Heureuse de l’apprendre, bon, je vous laisse.
L’apprenti médecin avait perturbé notre jeune écuyère. Son côté fragile l’avait touchée, mais elle sentait qu’il possédait sans aucun doute une volonté de fer. Après s’être éloignée de la pharmacienne et du garçon, elle prit un temps pour reprendre ses esprits avant de se diriger vers le jeune noble de la troupe qui ne semblait pas vraiment à son aise. Il se tenait tout droit, presque raide sur sa monture, son faucon tournoyant, agité par la nervosité à peine voilée de son maître. Quand Élentir arriva, elle eut droit à un regard dubitatif.
— Bonjour, salua l’écuyère.
Pour seule réponse, elle eut droit à un grognement. Le noble fixait maintenant la route. Élentir sentait que, plus que du mépris envers elle, il n’avait surtout pas envie d’être là. Elle en fut étonnée. Elle ne pensait pas qu’on eut pu lui imposer la mission. Elle savait que ce jeune noble, Lôrindel, était un chasseur depuis maintenant trois ans. De ce qu’elle savait, il s’était suffisamment fait remarquer pour que sa présence dans une mission aussi importante ne soit pas une surprise. Son attention se porta alors sur le faucon. Elle siffla en caressant de son esprit celui de l’animal. Ce dernier vient aussitôt se poser sur son bras. L’humaine et l’oiseau se fixèrent du regard un instant, avant que le dernier donne un léger coup de tête affectueux à Élentir. Si elle n’arrivait pas à charmer le maître, le rapace, lui l’avait adoptée. Lôrindel fronça légèrement les sourcils devant le comportement de son faucon. Cependant, il se détendit et observa d’un œil nouveau la jeune fille.
— Il est rare que Valia apprécie quelqu’un d’autre que moi.
— Tout le monde m’aime, rigola Élentir. C’est sûrement pour ça que la moitié de la troupe voudrait que je me retire, ironisa-t-elle.
Le regard du jeune homme se tourna de nouveau vers la route sans réelle conviction.
— Tu ne peux pas leur en vouloir, tu as quoi, quinze ou seize ans ? Tu es à peine adulte. Tu n’as pas d’expérience. Et le choix de tes compagnons est… comment dire… original, affirma-t-il en plissant le nez.
Élentir éclata de rire.
— Je le sais parfaitement, tu sais. Ce qui m’intrigue, par contre, c’est que rien de tout ça ne semble te poser problème. Alors pourquoi ce mécontentement ?
Le jeune homme rappela Valia qui se posa doucement sur son épaule. Il la caressa pensivement.
— Effectivement, mon problème n’a rien à voir avec toi. Si j’avais réellement eu le choix, je ne serais pas là aujourd’hui. C’est ce qui cause mon « mécontentement ».
— Je ne pensais pas que ces vieux croûtons avaient forcé quelqu’un à participer à cette mission.
Sa façon de parler tira un très léger sourire à Lôrindel, sans pour autant le faire changer d’état d’esprit.
— Ils ne l’ont pas fait, c’est ma famille qui m’a mis la pression pour que j’accepte la demande du conseil, répondit-il avec un ton de plus en plus exaspéré.
— Et qu’est-ce qu’ils avaient à y gagner ?
Élentir était certes curieuse, mais elle espérait surtout qu’en ouvrant son cœur le jeune noble finirait par accepter sa situation. Il serait un très bon élément une fois que tous ses ressentiments se seraient calmés.
— Leur titre de noblesse. Mes parents sont la cinquième génération, et donc, comme tu le sais, leur titre peut être retiré, surtout que ce ne sont que des petits barons et qu’ils ne sont pas aimés par les gens de leur terre.
— Ils espèrent donc que tu fasses un acte de bravoure à leur place pour qu’on ne puisse pas leur retirer, comprit Élentir. Mais cela ne semble pas t’intéresser.
Il leva les yeux au ciel, mélancolique, regardant Valia voler.
— En effet, je suis moi-même le cadet de la fratrie, la seule façon pour moi d’avoir un titre, c’est de me marier avec quelqu’un. Et ce n’est pas vraiment ce dont j’ai envie, mais mes parents ne pensent qu’au confort de leur position, et non au devoir. Je sais bien qu’un certain nombre de chevaliers sont également nobles, mais moi, je n’ai pas envie de recevoir la responsabilité de la vie de dizaine de familles et puis la déléguer. Moi, mon rêve, c’est de voyager dans ce royaume, découvrir des secrets, aider quand je peux, mais sans aucune obligation. C’est un peu pour ça que j’ai tout fait pour devenir chasseur. Et puis, je vois bien que la famine est partout. Trouver une solution n’est pas aisé.
— Je te comprends, moi-même, je suis devenue écuyère pour ne pas rester enfermée au château. Mais du coup, pourquoi tu as accepté de venir ?
— Parce que c’était ça ou je faisais un mariage arrangé avec une gamine à peine sortie de l’enfance avec un cerveau à peine plus gros qu’une graine…
Élentir éclata de rire :
— Je compatis sincèrement.
— Tu n’as pas à le faire, honnêtement, je pense que j’ai accepté aussi parce qu’au fond cela répondait à mes attentes d’aventures. Peut-être même que savoir que ma cheffe est une fillette de quinze ans m’a intrigué. Même si je suis rassuré de voir qu’elle est déjà prête pour son rôle.
Il avait dit ces paroles en plongeant ses yeux gris foncé dans ceux d’Élentir.
— Je te remercie de ta confiance, et tu me rassures, cela ne fera que huit personnes à convaincre de mes compétences. D’ailleurs, bien que notre conversation soit fort agréable, je m’en vais saluer le reste de la troupe. Je te conseille d’en faire de même, si tu es trop timide, commence donc par Ellyne. Je suis sûr qu’elle va adorer Valia.
Élentir lui fit un clin et le laissa seul, contente que son charme opère.
Elle se dirigea lentement vers un groupe qui conversait vivement un peu plus loin. Sire Aramis, sire Calywen et Iago, les trois derniers chasseurs de la petite troupe. Même s’ils discutaient à voix basse, Élentir entendait parfaitement le sujet de la conversation. Les propos peu flatteurs qu’ils avaient à propos d’elle ne la blessèrent pas plus que cela. Entre son jeune âge, son choix de compagnons, son comportement, tout y passait. Cependant, pas rancunière et très compréhensive, la concernée s’approcha en se faisant entendre pour « ne pas surprendre leur conversation ». Les trois hommes se turent quand elle fut à portée de leurs chuchotements. Aucun d’eux ne prit la peine d’adoucir son regard. Le plus jeune ayant déjà plus du double de son âge, elle pouvait voir qu’ils se sentaient supérieurs à elle en tous points. Un instant, elle laissa son agacement prendre le dessus.
Elle n’était là que parce que ses amis lui avaient demandé et qu’ils avaient confiance en elle. Cependant, elle aurait largement préféré y aller seule ou en compagnie de ses amis. Soudain, la présence des humains lui sembla de nouveau insupportable. Après tout, toute seule elle aurait peut-être pu y arriver…
Élentir se força à effacer de telles pensées de sa tête. Elle savait que cela ne mènerait à rien, et pire, si ses pensées étaient découvertes, elle risquait de perdre des hommes. Elle se concentra plutôt sur le défi de taille qui se présentait à elle. Si elle n’aimait pas forcément la compagnie des hommes, elle appréciait beaucoup les défis. L’écuyère sourit en allant à la rencontre des deux chevaliers et du capitaine :
— Je vous salue, messires, et m’excuse de n’être pas venue plus tôt. Comme vous le savez, je suis l’écuyère Élentir, élève de sire Léothéric.
Elle laissa une pause pour que les hommes en face d’elle se présentent d’eux-mêmes. Elle crut durant quelques instants qu’ils ne daigneraient même pas le faire, mais le capitaine Iago inclina imperceptiblement la tête :
— Capitaine Iago, chasseur.
Sa voix claqua sèchement et Élentir pouvait clairement sentir que cet homme ne se laisserait pas facilement diriger. De ce qu’elle savait de lui, il avait trente-quatre ans, il était devenu soldat à quinze ans, n’ayant pu devenir écuyer faute de magie. Il avait fait rapidement ses preuves. On lui avait proposé de devenir chasseur après qu’il eut battu à lui seul une meute de loups magiques. Lui-même ne possédant pas de magie, cela relevait d’un exploit extraordinaire. On lui proposa même le titre de baronnet, mais il préféra accepter de devenir sergent et chasseur. Il n’avait alors que vingt ans. Depuis, seize ans avaient passé, il avait déjà accompli un certain nombre d’exploits. Il était reconnu par ses hommes comme par ses compagnons chasseurs comme quelqu’un d’estimable. On racontait qu’il n’allait pas tarder à devenir commandant. Il n’était pas étonnant que quelqu’un de sa trempe ait du mal à se mettre sous les ordres d’une écuyère qui n’avait encore jamais fait ses preuves. Cependant, elle comptait sur son passé de jeune héros pour qu’il lui laisse une chance.
— Enchantée, faut-il que je vous appelle capitaine ?
— Non, ce serait bien étrange.
Élentir hocha la tête. Puis porta son regard sur les deux chevaliers :
— Chevalier de l’ordre des dragons, sire Aramis.
Il ne fit même pas un salut de la tête.
— Chevalier de l’ordre des dragons, sire Calywen.
Elle choisit de se retirer. Elle savait qu’elle ne pourrait pas les convaincre de quoi que ce soit juste en parlant. Elle préféra donc aller se présenter au reste de la troupe. Elle sentit le lourd regard que lui portèrent les trois vétérans. Ils semblaient décidés à l’observer se présenter aux autres. Dissimulant parfaitement son agacement, remerciant que l’une des premières choses que lui eut appris sire Léothéric fut de placer une barrière dans son esprit.
Les quatre derniers étaient ceux choisis pour leur capacité de combat. Élentir ne trouvait rien à redire aux choix du conseil. Elle reconnaissait la valeur de chacun. Il ne restait plus que ce soit réciproque. Elle s’approcha de Ciryandil, en pleine conversation avec Lidoire. Sire Ciryandil avait sûrement été choisi, en plus de son talent au combat, pour sa proximité avec le ministre des Armées. Bien qu’il n’y ait pas de hiérarchie chez les chevaliers, il était communément admis qu’il faisait partie des plus « gradés ». Devenu chevalier jeune, à dix-sept ans, il avait marqué les esprits par ses missions solitaires réussies avec brio. Contrairement à certains chevaliers qui se spécialisaient finalement soit en armes, soit en magie, il avait su maintenir un équilibre impressionnant entre les deux. Il était également connu qu’il s’intéressait de près à la politique. Il n’était pas considéré comme une légende comme sire Léothéric et était moins aimé que lui, mais il n’en restait pas moins un chevalier remarquable.
Lidoire, elle, était lieutenante depuis peu. Elle avait vingt-six ans et n’était devenue soldate que tard. Elle était rentrée dans l’armée à ses vingt ans avant de monter les grades à une vitesse plus que prodigieuse. Elle était connue pour son calme calculateur, lui permettant de s’adapter à toute situation périlleuse. Contrairement à la plupart des gradés qui adaptaient leur équipement, Lidoire avait gardé l’équipement basique du soldat : une armure en cuir sur une légère cotte de mailles, un casque rond attaché à sa selle, un bouclier et une épée courte. Rien ne l’aurait distinguée d’un autre soldat.
Élentir se présenta à eux, prenant la température. Si aucun des deux n’était aussi réticent à son égard que les trois chasseurs, elle se rendait bien compte qu’ils attendaient tous les deux qu’elle fasse ses preuves. Elle les salua donc pour aller voir Irwaen.
Irwaen était une chevalière de vingt-six ans spécialisés dans la magie offensive. Elle avait sa technique bien à elle et de prime abord, quiconque la voyait pensait qu’elle se battait principalement avec des armes. En effet, elle avait une belle épée accrochée à la taille et un bouclier à sa selle. Dans la réalité, elle se battait au contact, usant habilement de sa magie. Son épée, elle l’avait elle-même ensorcelée ; elle s’en servait finalement comme un bâton ou une baguette, pour catalyser sa magie. Son bouclier lui permettait juste de se protéger, bien qu’elle l’ait également ensorcelé. Elle était surnommée l’abeille magique.
Quand Élentir lui parla, elle sentit qu’elle ne venait que par devoir. Elle cachait évidemment très bien ses pensées, cependant, elle ne prit pas la peine de dissimuler l’animosité qu’elle ressentait à l’égard de la jeune écuyère. Elle avait, comme tous, des doutes sur Élentir. Et patriote comme elle l’était, il était incompréhensible que l’on donne une mission d’aussi haute importante à une novice. Toutefois, sachant que cette demande venait des héritiers, elle choisit dans un premier temps de se faire son opinion. Et ça commençait mal, comme tous, elle avait de gros doutes sur les capacités des compagnons choisis par Élentir. Cependant, la jeune fille ne s’en faisait pas, elle voulait juste rencontrer tout le monde et prendre la température. Elle n’avait prévu de passer à l’attaque que le soir.
Elle continua donc les présentations avec Narmacile, chevalière de trente et un ans. Elle avait une carrure imposante et dans son dos trônait une hache impressionnante. Elle se battait en première ligne avec sa magie défensive et sa hache virevoltante. On racontait que malgré sa carrure et son arme disproportionnée, sa façon de combattre était comme une danse, un spectacle magnifique à voir. Sans étonnement, elle était du même avis que les autres chevaliers. Cependant, elle parla franchement et sans animosité. Elle écouta même Élentir. Cette dernière fut rassurée.
Il était temps qu’elle finisse de se présenter, Port-Château était en vue. Élentir ordonna à toute la troupe de s’arrêter. Elle les mena à l’écart de la route près d’un rare cours d’eau. La pause permettrait à ses hommes et aux bêtes de se restaurer pendant qu’elle-même se rendrait en ville pour récupérer les trois derniers membres de l’expédition. Elle confia à Égilon et Ciryandil la responsabilité du camp et accepta que Narmacile l’accompagne.
Elles laissèrent leurs montures et se rendirent en ville. Elles n’eurent aucun problème à y pénétrer, les gardes les saluèrent poliment. Élentir, connaissant bien la ville, préféra passer dans des rues transversales, plutôt que d’arpenter les rues principales bondées. Les deux femmes arrivèrent rapidement au lieu de rendez-vous : une petite place discrète à l’arrière de l’hôtel de ville. Là, hormis les activités habituelles, se trouvait un étrange groupe de trois personnes.
Moyra se démarquait à peine des autres habitant de la ville, vêtue de vêtements simples et colorés, une tunique bleue et un pantalon beige. Elle portait cependant à la ceinture un long sabre, un carquois et un poignard. Accroché à son dos, un arc simple, mais bien ouvragé. Toutes ces armes étaient de bonne facture et détonnaient avec son allure de pêcheuse.
Idril, la mercenaire détonnait plus. Vêtue d’une armure en cuir dépareillée et usée, sa masse de combat à sa hanche, une lourde sacoche à ses pieds, une arbalète et ses carreaux.
Quant à Ciryon, il était appuyé sur son bâton de mage. Il était spécialisé dans la magie élémentaire, et il n’avait pour seule arme qu’un poignard. Il était connu comme un chevalier sage et érudit qui avait passé plus de temps à étudier que sur les champs de bataille. Il n’était cependant pas rouillé, les nombreuses incursions des pirates sur les côtes voisines lui donnaient de quoi s’entraîner. Et malgré ses cinquante ans, il était parfaitement apte à se servir de son bâton pour le combat, au besoin. Il était connu et respecté parmi les chevaliers, si bien qu’un certain nombre de ses confrères lui envoyaient de temps en temps leurs écuyers pour parfaire leur formation magique.
En arrivant, Élentir sentit aussitôt l’atmosphère conviviale entre eux. Elle en fut soulagée. Ciryon ne semblait en rien gêné par le fait qu’Idril soit une mercenaire inconnue et Moyra une pêcheuse. Le chevalier l’accueillit d’ailleurs avec un sourire qu’elle lui rendit :
— Ça fait longtemps, très chère ! s’exclama-t-il. Qui aurait pu penser que tu serais si vite mon chef pour une mission. J’ai hâte que tu me montres de nouveau tes talents.
— Je suis heureuse de vous revoir et j’espère pouvoir bénéficier de vos conseils. Salut, les filles, merci d’avoir accepté de venir. Je vois que vous avez déjà bien tous fait connaissance. Je vous présente dame Narmacile, également chevalière de l’ordre. Je suis désolée, mais nous n’avons pas le temps de prolonger les retrouvailles, retrouvons vite les autres.
Annotations
Versions