XI
La troupe reprit la route aussitôt qu’Élentir et ses compagnons les eurent rejoints, pour ne s’arrêter loin de toute habitation que quand le soleil déclinait. Alors seulement, Élentir donna l’ordre de monter le camp. Quatre tentes furent érigées autour d’un beau feu. Elle demanda à Ciryon et Irwaen de diriger les chevaliers dans la mise en place de pièges magiques de détection tout autour du campement, plus par crainte de prédateurs que d’une attaque ennemie. Idril décida de placer des pièges physiques en plus, par habitude. Niniel et Gwindor demandèrent d’eux-mêmes à préparer le repas, bien décidés à prouver leur utilité en revigorant tout le monde grâce à leurs connaissances. Moyra vint les aider aussitôt qu’elle eut fini ses propres tâches. De son côté, Élentir, après avoir aidé à monter le camp, s’était réunie avec Égilon, Ciryandil et Auriane pour mettre en place les tours de garde. Ils choisirent, au moins dans un premier temps, de former des groupes mixtes mêlant ceux choisis par Élentir et ceux choisis par le conseil. Élentir s’assura de prendre en compte l’avis de ses trois compagnons tout en faisant attention aux affinités de chacun. Quand, au bout d’une vingtaine de minutes ils eurent fini, le regard que portait sire Ciryandil sur Élentir s’était adouci.
Quand tout cela fut enfin fini, toute la petite troupe se réunit autour du feu. Le repas finissant de cuire, Élentir prit la parole.
— Bon, nous y voilà, nous sommes tous réunis pour cette mission de la plus haute importance. Une mission qui pourrait changer le royaume entier si nous échouons. Une mission de sauvetage envers nos souverains. Cette responsabilité nous revient, et nous avons tous des raisons d’avoir choisi cette lourde responsabilité. De même, il existe également des raisons pour que je sois à la tête de cette importante mission. Je sais que la décision prise par les héritiers n’est pas appréciée par tous et toutes. Et honnêtement, je vous comprends. Je suis jeune, inexpérimentée, juste une écuyère n’ayant pas encore fait ses preuves. Finalement, on pourrait dire que je ne suis là qu’en tant qu’amie des héritiers. Cependant, j’espère que vous considérez un peu mieux la manière de penser des héritiers. Certes, tout comme moi ils n’ont que quinze ans, pourtant, au contraire de moi, ils ont déjà fait plus de preuves que leurs parents réunis. Et il est rare qu’ils se soient trompés.
Élentir parcourut du regard l’assemblée. Pour l’instant, tous, même les plus dubitatifs, écoutaient avec attention. Elle continua donc :
— Toutefois, j’ai également conscience que tout ceci n’est pas un argument valable. J’y ai réfléchi moi aussi aujourd’hui. De notre mission dépend l’avenir de notre pays. Et pourtant, nous sommes un groupe disparate qui ne semble pas apte à s’entendre. J’entends ceux qui m’affirment que j’ai choisi, tout comme les héritiers, des amis plutôt que de véritables combattants. Et à cela, je réponds que chacune des personnes, y compris celles que j’ai choisies, a des talents qui nous seront utiles. Chacun des membres de ce groupe mérite sa place. Il se peut que je ne sois pas encore prête pour diriger ce groupe. Pourtant, contrairement à vous tous, j’ai pris le temps de vous écouter, de réfléchir à ce que vous m’avez dit, d’entendre les reproches silencieux que vous me portez. J’aurais aimé que vous tous fassiez la même chose. Surtout les personnes dubitatives. Pourtant, la plupart d’entre vous sont restés dans leur coin avec leurs préjugés. Et si, finalement, une ex-voleuse était une parfaite éclaireuse. Surtout si elle sait parfaitement se battre. Pourquoi ces gardes encore inconnus ne posséderaient-ils pas des dons incroyables ? En quoi un apprenti forgeron ou une pêcheuse ne seraient-ils pas de meilleurs bretteurs que vous ? Mais je me demande également pourquoi ces derniers ne sont pas allés à la rencontre de ces chevaliers et soldats pour se faire connaître et en apprendre plus sur les autres. Je comprendrai si demain soir, après m’avoir parlé, testée, mise à l’épreuve, vous me rejetez en tant que chef. Je comprendrais que vous refusiez de travailler avec les compagnons que j’ai choisis si vous leur aviez parlé, les aviez testés, mis à l’épreuve. Et c’est là où tout mon long discours aboutit. Avant de nous juger trop vite, profitons de cette soirée et de la journée de demain pour apprendre à nous connaître. Si demain soir ceux qui ne me considèrent pas comme légitime d’être cheffe n’ont pas changé d’avis, alors seulement, je laisserai ma place. D’ici là, merci de faire connaissance avec vos compagnons et bon appétit !
La jeune écuyère avait la bouche sèche et sentait une légère fatigue, mais elle était plutôt contente d’elle. Elle avait vu passer et ressenti la culpabilité d’un certain nombre de ses compagnons. Bien que les avis n’aient toujours pas changé ; elle pouvait voir que le comportement avait évolué. Des regards se portèrent sur le voisin, sans jugement. Elle avait confiance, ils allaient suivre son conseil. Et si le lendemain certains doutaient encore d’elle, alors elle admettrait avoir perdu. Elle prit en la remerciant la gamelle que lui tendait en souriant tendrement Niniel. Elle alla s’asseoir à côté d’Égilon et but une longue gorgée de bière.
— Tu ne devrais pas montrer l’exemple en allant t’installer près d’un de tes détracteurs ? demanda malicieusement le jeune homme.
— Il me semble que tu en as fait un jour partie, répliqua Élentir.
Le jeune homme sourit, mais ne répliqua pas. De toute manière, il n’aurait pas eu le temps, Aramis s’installa à son tour aux côtés d’Élentir. Cette dernière le salua de la tête, mais continua de manger tranquillement.
— Ton discours était très intéressant, je dois bien avouer. Et je dois admettre que tu as vu juste. Même s’il n’est jamais agréable de se faire rabrouer par une jeunette dans ton genre.
— Je m’en doute.
Aramis commença donc à interroger Élentir sur un tas de sujets plus ou moins liés à la mission. Élentir lui répondit avec patience et passion. Très vite, un cercle se forma autour d’eux et d’autres se joignirent à la discussion. Ainsi, elle expliqua les différents plans auxquels elle avait pensé, détailla pourquoi elle avait choisi telle ou telle personne, mais également comment se passait la formation, pourquoi elle avait choisi sire Léothéric comme maître, pourquoi elle avait choisi de devenir chevalière et si elle était toujours contente de son choix…
Au bout d’un moment, elle mit fin aux questions, secrètement lassée, et proposa qu’on la teste autrement. Elle s’abstint bien d’avouer que sa proposition venait de son envie soudaine de se retrouver de nouveau loin de tout humain. Alors commença toute une série de petits tests aussi bien mentaux que physiques ou magiques. Entre deux duels, on testait sa réactivité mentale et stratégique avant de lui demander une démonstration de sa maîtrise magique. Elle sut vite impressionner même les plus sceptiques. Elle ne gagna pas tous ses duels, ne réussit pas forcément tous les défis, mais elle montra qu’elle était une jeune fille capable. Et la seule personne à être déçue par ses défaites ce fut elle.
Elle ne fut pas la seule à être testée, tout le monde y passa ou presque. Et même ceux choisis par le conseil. Le seul qui ne se prêta pas au jeu, ce fut Hoel.
— Je suis là parce que la gamine me l’a demandé, que vous soyez content ou pas, tant qu’elle reste votre cheffe, je resterai, déclara-t-il avant d’aller se coucher dans l’une des tentes.
Toutefois, sa réputation le précédait, et malgré les doutes restants sur sa fiabilité, personne ne douta de son talent de bretteur.
Sans surprise, quelques conflits et disputes eurent lieu, mais la seule qui demanda l’intervention d’Élentir fut celle entre Moyra et Auriane. Il faut dire qu’autour du camp, la pêcheuse était sûrement celle qui respectait le plus l’ordre et la loi, tandis qu’Auriane ne cachait pas qu’elle jouait avec les règles selon son bon plaisir. D’ailleurs, si elle asticotait volontiers Moyra, elle-même n’était pas en colère ni même agacée. Au contraire, elle s’amusait de l’animosité de la pêcheuse. Élentir intervint quand Moyra dégaina son sabre avec l’intention de mettre une correction à la jeune ex-voleuse. Elle se plaça entre les deux et leva les mains :
— Moyra range ton arme et Auriane ta langue. Je ne permettrai pas un duel autre que dans le but de tester vos capacités dans le respect et le calme.
La voix ferme d’Élentir fit réagir aussitôt Moyra qui rangea aussitôt sa lame, mais la colère brillait dans son regard. Toutefois, Auriane ne semblait pas savoir ranger sa langue :
— Mais je ne faisais que la tester. Vas-y, montre Moyra, montre-moi comment tu fais taire une criminelle dans mon genre.
Élentir lança un regard légèrement exaspéré à Auriane tout en plaçant une main sur l’épaule de Moyra. Elle demanda à l’oreille de cette dernière de l’attendre un peu plus loin le temps qu’elle dise deux mots à Auriane. La jeune fille hocha la tête, hésitante, la colère n’étant pas disparue. Cependant, elle obéit à sa cheffe sans la moindre hésitation. Élentir se tourna vers Auriane :
— Très bien, rappelle-moi, tu as quel âge ?
La jeune femme sourit.
— Tu m’attristes de ne pas le savoir.
— Et tu vas me dire que tu te comportes comme une personne de vingt-cinq ans ?
Élentir essayait de ne pas rentrer dans le jeu de l’ancienne voleuse. Cette dernière était clairement d’humeur taquine.
— Je ne faisais que suivre tes conseils, petite sœur, répliqua-t-elle malicieuse.
— Ne te cache pas derrière cette excuse. Je sais parfaitement que tu ne faisais que t’amuser. Et bien que ton caractère et les principes de Moyra soient en opposition, j’aimerais qu’à l’avenir, tu t’abstiennes de la provoquer.
— Très bien, petite sœur, se résigna Auriane, déçue qu’Élentir ne veuille pas jouer avec elle.
— Et Rian, rends tout de suite la bourse que tu as « empruntée » à Moyra.
Le petit voleur lui fit la moue et fila. Il remit discrètement la bourse à sa place sans même que sa propriétaire s’en rende compte. Élentir se dirigea alors vers celle-ci en se promettant cependant de continuer la conversation avec la jeune garde plus tard. Même si elle-même aimait le côté malicieux et décontracté d’Auriane, il ne fallait pas que ça entrave la coopération et gêne la mission.
Quand Élentir la rejoignit, Moyra était en train d’entretenir son arc. La pêcheuse ne leva même pas le regard vers elle quand elle s’assit. Cependant, elle prit en premier la parole d’une voix douce :
— J’ai beaucoup de respect pour toi. Je sais bien que tu me trouves sûrement trop droite et que je donne trop d’importance aux règles. Et le fait que tu aies une amie comme elle ne m’étonne pas vraiment…
— Où veux-tu en venir ? coupa calmement Élentir.
Moyra leva son regard, pour planter ses yeux dorés dans ceux gris d’Élentir.
— Qu’elle soit ton amie est une chose, et vu ses antécédents, je ne doute pas qu’elle sache se battre. Mais peut-on être certains qu’on puisse lui faire confiance ? Je veux dire quand on est aussi peu respectueux des ordres qu’elle…
— Je lui fais autant confiance qu’à toi, coupa Élentir plus sèchement. Je sais que ça peut te sembler obscur, mais malgré sa liberté, elle respecte ses principes plus que n’importe qui. Tu peux être certaine que si demain ta vie était en danger, elle mettrait la sienne en jeu pour te sauver. Et ce, malgré ce que tu penses d’elle. Il faut comprendre que pour elle, chaque vie est sacrée. La seule chose qu’elle ne fera jamais sauf force majeure, c’est tuer.
— Si tu le dis…
Moyra, peu convaincue, se concentra de nouveau sur son arc. Elle avait été blessée qu’Élentir la compare à Auriane. Élentir, sentant la peine de son amie, essaya de calmer le jeu :
— Je ne peux pas te promettre qu’un jour vous serez amies, par contre je suis sûre que tu ne tarderas pas à lui faire confiance également.
Moyra lui fit un sourire un peu forcé sans lever les yeux de son travail. Élentir lui posa un instant une main sur l’épaule avant de se lever. Elle ne pourrait pas faire grand-chose de plus ce soir-là. Elle les laisserait faire connaissance. De toute façon, au vu du nombre, il n’était pas étonnant que tout le monde ne puisse s’entendre. Il fallait juste que tout le monde coopère sur le terrain.
Il était temps de sonner l’extinction des feux. Tout le monde, hormis ceux qui prenaient leur tour de garde, s’installa dans sa tente désignée. Le seul qui protesta fut Gleen, qui débordait d’énergie malgré tous les duels qu’il avait faits. Il avait su parfaitement démontrer sa force au combat et personne ne remettait plus en cause la raison de sa présence. Mais lui combattait plus pour s’amuser et se défouler que pour montrer sa force. Élentir dut lui promettre un duel le lendemain pour qu’il veuille bien rentrer dans sa tente. Elle se félicita cependant secrètement de l’avoir choisi. Il avait très bien su détendre l’atmosphère à lui seul.
Élentir salua ceux qui restaient près du feu pour monter la garde et rentra également dans la tente qu’elle partageait avec Irwaen, Lidoire, Auriane et Niniel. Les autres femmes étaient toutes dans l’une des autres tentes. Tandis que les hommes s’étaient répartis ainsi : Dael, Aramis, Égilon, Gleen, Lôrindel, Ciryon et Gwindor d’un côté ; Éloi, Rian, Hoel, Iago, Ciryandil et Calywen. Les groupes avaient été choisis au tirage au sort pour que chacun fasse connaissance. Et d’ailleurs, durant une trentaine de minutes, des chuchotements et des rires se firent entendre avant que le calme de la nuit reprenne ses droits.
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