XII

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Le lendemain, dès l’aube, la troupe reprit la route. La nuit glaciale laissa place à une nouvelle journée chaude et sèche. Élentir profita de la matinée pour former des groupes de reconnaissance pour le lendemain. En les désignant en avance, elle leur demanda de faire plus ample connaissance. Pour une situation optimale, ils devaient tous connaître les forces et faiblesses de leurs coéquipiers avant qu’il ne parte en mission.

Son choix, bien que mûrement réfléchi, ne la convainquait pas. Elle s’était retrouvée à séparer chaque chasseur. Or, des équipes avec un maximum d’affinités augmenteraient les chances de réussite. D’un autre côté, elle avait voulu compléter les compétences de chacun.

Ainsi, le don de discrétion et l’instinct de survie de Rian étaient complétés par l’expérience et les connaissances en pistage d’Aramis. Le savoir des nomades et l’habileté d’Ode, avec celui des chasseurs et des chevaliers de Calywen. Ellyne et son don pour communiquer avec les bêtes complété par une formation de chasseuse avec la vision impressionnante et le don pour le combat de Moyra. Le talent sans limites du capitaine Iago et l’analyse visuelle de Dael. Et le groupe qui l’inquiétait le plus, Valia et son maître complétés par l’habileté et le don d’Auriane. Elle avait peur que leurs origines respectives empêchent une entente. Elle présenta tous les couples personnellement, même ceux qui avaient déjà fait connaissance. Ainsi, elle prit la température et fut rassurée de voir que les assortiments fonctionnaient bien.

Le midi arrivant, la troupe fit une pause non loin d’un village tout en restant hors de vue. Élentir envoya Ode et Calywen en réapprovisionnement d’eau, ce qui voulait surtout dire recherche d’informations. Les deux avaient déjà bien fait connaissance et bien que la jeunesse de la nomade ait un instant fait douter le chevalier de ses compétences, il apprécia vite son esprit vif et sa réactivité.

Pour leur petite expédition, Calywen se débarrassa de tout ce qui pouvait le faire passer pour un chevalier, misant sur la discrétion. Pourtant, aux côtés d’Ode, discrète et passe-partout, il faisait toujours impressionnant. Rien qu’avec la taille, le chevalier éclipsait de loin la petite garde. Ils descendirent doucement avec la charrette au village. Ils furent surpris de croiser un garde à l’entrée d’un si petit village. Ce dernier les arrêta presque timidement, il ne semblait pas habitué à son rôle :

— Halte… Euh, qu’est-ce qui vous amène ici ?

Calywen prit la parole en insufflant de la magie dans sa voix :

— Nous sommes des marchands ambulants, notre caravane bivouaque plus loin. Nous aurons besoin de quelques réapprovisionnements. Surtout en eau. Est-ce habituel chez vous d’avoir un garde ?

L’homme ne sembla pas douter des paroles du chevalier, il hésita cependant à répondre :

— Une rumeur circule comme quoi des pirates de l’Ouest sont entrés dans les terres et n’hésitent pas à attaquer des villages. On dit même que la ville de Kélinial a été attaquée. On n’est jamais trop prudent, même si Felasys veille sur nous… Vous devriez peut-être vous arrêter ici quelque temps pour votre sécurité.

L’anxiété du garde était palpable.

— Merci du conseil, nous avons des mercenaires très compétents, et nous ferons attention. Pouvons-nous nous réapprovisionner ?

— Oh oui, bien sûr, nous sommes un petit village, nous n’avons pas beaucoup de stock, le plus simple c’est de voir avec Math, notre aubergiste, il devrait pouvoir vous renseigner.

Les deux visiteurs entrèrent dans le petit village. Ode regardait son compagnon fixement. Calywen sourit en ressentant sa curiosité :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tout à l’heure, quand tu as dit au garde que nous étions des marchands, tu m’as presque convaincue. Tu t’es servi de magie ?

— En effet.

— Mais comment ?

— La magie draconique est une magie des mots. Elle consiste à insuffler de la magie dans nos mots pour qu’ils deviennent la réalité. Cela fonctionne mieux avec le draconique surtout avec des formules transmises depuis des générations. Toutefois, en insufflant de la magie dans le langage moderne, tout bon mage peut convaincre un auditoire de novices.

Ode le regarda un instant encore avant de hocher la tête sans rien dire de plus.

L’auberge était en fait une grande bâtisse qui servait de lieu de rassemblement pour les gens du village et de maison au chef de village. Et l’aubergiste était le chef du village. Comme il était seulement midi, hormis quelques personnes qui prenaient leur repas la salle était bien vide. Les étrangers furent néanmoins généreusement accueillis. Alors qu’ils s’approchèrent du comptoir, quelques villageois vinrent les saluer joyeusement comme si le discours du garde n’avait jamais existé. Ce n’était cependant pas étonnant de la part de chevaucheurs, habituellement peu soupçonneux et très hospitaliers. Les deux visiteurs se virent offrir une chope de bière. Et Ode laissa Calywen répondre aux nombreuses questions de leurs hôtes, observant discrètement, elle-même étant mal à l’aise devant tous ces inconnus. Très vite, elle se fit oublier alors que le chevalier avait toute l’attention.

— Nous avons appris pour la ville de Kélinial, déclara-t-il gravement. Je ne comprends cependant pas pourquoi vous avez un garde. Nous sommes encore à quelques jours de voyage de là-bas.

L’atmosphère se refroidit, la plupart des villageois se retirèrent pour reprendre leurs tâches de la journée, les laissant seuls en compagnie de Math. Ce dernier s’installa à leur côté une chope à la main. Sa nervosité à peine dissimulée.

— Kélinial n’est pas la seule touchée. Plusieurs petits villages sont tombés aux mains de pirates. Ils ont un comportement étrange. Ils vont plus loin dans les terres et au lieu de tout piller, ils restent deux ou trois jours, comme s’ils étaient chez eux, avant de partir avec toutes les réserves de provisions. Ils ne se sont jamais comportés comme ça. Ils ne tuent que si on oppose une résistance, mais ils se prennent pour les maîtres. Et ni l’armée ni les chevaliers ne sont encore intervenus.

— Je vois, marmonna Calywen, semblant inquiet.

Ode comprit qu’il mimait l’inquiétude pour mieux communiquer avec le tavernier. Elle était impressionnée par son aptitude à faire parler. Elle avait compris qu’elle avait beaucoup à apprendre de lui.

— Pouvez-vous nous dire quels villages ont été attaqués pour que l’on puisse éviter la zone ?

— Il vaudrait mieux que vous restiez ici le temps que ça se calme, protesta Math.

— Malheureusement, nous ne pouvons pas nous le permettre…

— Très bien, répondit le chef du village, résigné.

Il se leva et monta à l’étage avant de revenir avec une grande carte. Il la déposa sur la table et désigna une à une les villes touchées. Calywen demanda quelques précisions, mais rapidement la conversation dévia sur le réapprovisionnement. Peut-être à cause de son inquiétude pour eux, Math insista pour leur faire un prix en leur offrant un tonneau de bière. Ils durent finalement se retirer pour rejoindre le reste du groupe. Ils eurent du mal à échapper au chef du village qui insista jusqu’au bout pour qu’ils restent quelques jours.

Sur le chemin du retour Ode questionna son compagnon :

— Pourquoi tu ne voulais pas qu’il nous fasse de prix ?

Sire Calywen sourit doucement :

— Ils sont déjà bien en difficulté. Ils sont assez loin des côtes pour voir rarement des pirates, mais ils souffrent de la sécheresse. La vie est compliquée pour eux et nous avons les moyens de payer si nous leur prenons leur pain.

— Au début, je pensais que tu étais un vieux con trop imbu, déclara soudainement Ode. Je ne connaissais pas bien Élentir avant de partir, mais je trouvais injustes et méchantes vos conversations sur elle. Sans chercher à la connaître, vous l’avez jugée. Pareil pour nous qui avons été choisis par elle. Finalement, quand je te vois agir, je comprends que moi aussi je t’ai trop vite jugé. Tu es vraiment doué et tu as de l’expérience. En plus, tu aimes les gens et tu cherches à les protéger. Tu as vraiment le cœur d’un chevalier. J’espère apprendre des choses en étant à tes côtés.

Le chevalier fut surpris par cette déclaration. Il prit quelques instants avant de répondre d’un ton grave :

— Je suis désolé de t’avoir fait aussi mauvaise impression, mais je le mérite sûrement. Je pourrais te dire que devant l’importance de la mission, je m’inquiétais que ce soit une jeune inexpérimentée qui la dirige, ou encore qu’être avec autant de personnes dont je ne savais même pas les capacités m’inquiétait. Toutefois, je sais que cela n’excuse en rien mon comportement.

— Et tu as changé d’avis ? demanda Ode.

Les yeux verts du chevalier se posèrent sur l’ancienne nomade. Il ne répondit pas, mais rentra en grande réflexion. Ils rejoignirent leurs compagnons avant même de reprendre la parole. Élentir donna aussitôt le signal du départ sans qu’ils aient le temps de se poser. Elle leur demanda cependant un rapport. Après celui-ci, Élentir réfléchit rapidement avant de déclarer en soupirant :

— Ce ne sont pas les pirates que nous cherchons.

— Je suis d’accord, affirma Calywen tandis qu’Ode hocha la tête, elle aussi convaincue.

Gleen, qui n’était pas loin intervint sans hésiter :

— Bah pourquoi pas ? Ils ne sont pas loin de Kélinial, ça pourrait être eux.

— Non, répondit calmement Élentir. Je pense que ce sont plutôt les pirates qui vont négocier avec la délégation princière. Ils ne sont pas assez discrets. Ceux que nous cherchons ont tout intérêt à ne pas se faire remarquer. Espérons même qu’ils n’aient pas choisi de se rendre sur une petite île côtière en attendant la fin des négociations. Ceux qui ont attaqué ces villages sont sans aucun doute au courant de l’enlèvement des souverains. Leur comportement le prouve. Ils sont avantagés dans les négociations. Certains pensent sûrement qu’ils vont pouvoir reprendre des terres sur le continent, si ce n’est tout le pays. Ils n’ont donc pas d’avantage à détruire des terres qui seront bientôt à eux. Tu es d’accord, Calywen ?

Le chevalier la regarda avec un long regard sérieux. Elle ne put savoir ce qu’il en pensait avant qu’il reprenne la parole. Un instant, elle crut même qu’il allait la contredire.

— Ton raisonnement me semble juste, répondit-il sèchement avant de s’éloigner.

Élentir fut prise au dépourvu devant cette réaction, mais choisit plutôt de continuer à parler avec les deux autres.

L’après-midi fut chaud et très ensoleillé, mais personne ne se plaignit, tous étant habitués aux températures extrêmes. Finalement, ils établirent le camp quand il fit trop sombre pour continuer à avancer. L’organisation se fit exactement comme la veille et chacun avait déjà trouvé son rôle dans le groupe. Si bien que le camp fut monté rapidement et efficacement. Élentir discutait encore des derniers préparatifs pour le plan d’action avec Égilon, Ciryon, Ciryandil et Idril, quand Gwindor vint les prévenir que le repas allait être servi. Encore une fois, l’herboriste et l’apprenti médecin y avaient mis du cœur. Ils avaient d’ailleurs fait quelques détours dans la journée pour que Niniel ramasse quelques plantes qu’elle estimait importantes pour le voyage. Elle avait fait l’effort de lui expliquer en détail leurs utilisation et préparation.

Le repas fut plus joyeux que celui de la veille, tout le monde avait fait connaissance et chacun se parlait maintenant sans douter des capacités des autres. Gleen, toujours joyeux et rieur, expliquait en quoi la forge de son père n’avait rien à envier à celle du château aux chevaliers. Ces derniers étaient, en effet, impressionnés par la magnifique hache de combat et le bouclier de ce dernier. Rian était émerveillé par Valia, et n’avait plus d’a priori sur Lôrindel, si bien que les deux garçons parlaient joyeusement en compagnie d’Ellyne et d’Auriane. Iago et Lidoire expliquaient à Dael et Ode à quel point il serait plus intéressant pour eux de faire partie de l’armée plutôt que de la garde. Hoel avait décidé qu’il était grand temps pour Éloi d’apprendre à festoyer correctement.

Élentir s’était mise à l’écart, profitant d’être moins demandée pour s’isoler un peu. Elle gardait un œil sur ses hommes tout en prenant un bol de solitude. La compagnie de la troupe commençait à lui peser. Elle était contente et soulagée de voir tout le monde s’entendre et être capable de collaborer. Cependant, elle regrettait le temps où elle ne voyageait qu’en seule compagnie de Léothéric. Au moins avec lui, malgré les journées chargées, il y avait toujours de longs moments où elle pouvait profiter de la solitude. Elle se rendit d’ailleurs compte qu’elle n’avait pas médité depuis leur départ du château. Elle regretta la fin rapide du repas qu’elle aurait souhaité plus long. Égilon vint la chercher.

— Alors, tu déprimes dans ton coin ? On te croirait presque revenue à ton apprentissage.

Élentir leva son regard vers lui. Il la regardait avec gentillesse et compassion. Elle tendit la main et il l’aida à se lever.

— Cela devait faire aussi longtemps que je n’avais pas eu à rester aussi longtemps en compagnie humaine. Allez ! Il faut que je leur parle un peu, comme je leur avais promis.

Égilon la suivit. Elle se rapprocha de ses compagnons avant de prendre la parole :

— Avant même de commencer, il faut que je vous informe que Niniel a préparé de la tisane pour vous aider à reprendre des forces pour demain. Je vous fais passer l’ordre à tous de la boire complètement. Ce n’est pas mon ordre. Il vient de Niniel. Je vous conseille donc fortement de ne pas désobéir à nos soigneurs. Bon, maintenant, il est temps de vous dire que je suis à présent prête à entendre toute contestation. Vous avez plus que rempli votre part du marché. Je suis heureuse de voir que la plupart d’entre vous ont fait connaissance. Hoel, je sais bien que tu n’as fait aucun effort, mais je n’en attendais pas moins de toi.

Il y eut quelques rires. Le concerné leva sa chope comme pour trinquer et but une grande gorgée. Élentir reprit une fois le calme revenu :

— Maintenant que vous me connaissez mieux, que vous savez ce que je compte faire, m’acceptez-vous comme votre chef ?

Ses yeux balayèrent l’assemblée, s’arrêtant sur ceux qui l’avaient moins acceptée. Aramis lui fit un sourire, plus aucun doute dans son regard. Calywen hocha la tête d’un air toujours sévère. Iago fit un léger salut. Narmacile et Lidoire ne semblaient plus opposées. Ciryandil ne dit rien. Le point commun entre tous : dans leurs yeux, la défiance s’était transformée en respect légèrement protecteur. Elle n’était pas sûre que leur protection serait nécessaire, mais il y avait incontestablement du progrès.

— Bien, il semble que personne ne veuille prendre mon fardeau, je continuerai donc. Vous savez donc ce que vous avez à faire demain, vous êtes libres de faire ce que vous voulez ce soir. Pensez à vous reposer. Moi, j’ai promis un duel à un certain emmerdeur.

— Youpi ! s’exclama l’emmerdeur en question.

Gleen se leva pour récupérer sa hache et son bouclier, tandis qu’Élentir s’éloigna pour trouver un bon terrain pour le duel. Quand les deux combattants furent face à face, toute la troupe avait formé un cercle autour d’eux.

— Vous n’êtes pas censés boire une tisane ?

— L’un n’empêche pas l’autre, petite sœur, répliqua Auriane.

Élentir grommela, mais se mit en garde. En face d’elle, l’apprenti forgeron lui opposait une défense parfaite. Élentir savait comment le jeune homme combattait. Caché derrière son bouclier, il faisait des attaques rapides, mais puissantes, avant de retourner derrière son bouclier. Élentir choisit donc une garde purement offensive pour réussir à passer à travers sa garde tout en évitant les attaques.

Après quelques passes, l’écuyère prit le dessus et termina rapidement le combat. Gleen fit une moue et après avoir repris son souffle, il déclara :

— Toujours aussi forte, et en plus tu n’as même pas utilisé de magie… J’ai l’impression que l’écart se creuse entre nous.

— Tu ne suis pas le même entraînement que moi. Personnellement, même après avoir fait quelques leçons d’artisanat, je ne serais jamais capable de forger une arme. Mais peut-être que ça va changer après la mission. Tes parents ne seront plus contre tes projets si elle est une réussite.

— Surtout que c’est pas moi qui vais reprendre la forge. Tu as raison, je n’aurai pas à attendre la fin de mon apprentissage pour partir sur les routes me faire un nom. Tu verras, tu entendras parler de moi. Et tu pourras dire « je suis son ami ».

— J’ai hâte de pouvoir voir ça, mais en attendant, amuse-toi avec d’autres personnes, moi, je vais méditer.

Soulagée que personne ne vienne l’interrompre, elle retourna se placer à l’écart. Suffisamment loin pour que les bruits du camp soient légèrement étouffés, mais pas trop, pour pouvoir réagir au besoin. Elle s’installa confortablement et rentra dans son monde intérieur. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’y était pas sentie aussi bien. Elle s’installa sur le lit dans l’alcôve. Elle avait réellement l’impression de s’y trouver. Elle sentait le tissu doux lui caresser la peau, la douce chaleur la réchauffer.

Elle y serait restée sûrement plus longtemps encore si Irwaen n’était pas venu la sortir de son état méditatif :

— Je suis sûre que sire Léothéric t’a déjà prévenue, mais la méditation ne remplacera pas une nuit de sommeil.

— Oui, je sais, répond Élentir d’une voix ensommeillée. Cela fait combien temps que je médite ?

— Suffisamment pour que tout le monde aille se coucher.

— Merci de m’avoir prévenue.

— De rien.

Là-dessus, les deux femmes allèrent dans leur tente pour se coucher à leur tour. Irwaen surveillant du coin de l’œil Élentir se coucher.

Le départ se fit de nouveau à l’aube. La nervosité avait légèrement augmenté dans la troupe. Aujourd’hui, c’était le grand jour. Si tout se passait bien, l’extraction aurait lieu le soir même. Le silence régnait, chacun se concentrant sur sa future tâche. En fin de matinée, la petite ville portuaire de Kélinial fut en vue. On monta le camp, tandis que les éclaireurs prenaient un dernier casse-croûte avant leur mission. Quand il fut temps, Élentir les réunit :

— Vous savez déjà ce que vous avez à faire et je ne doute en rien de vos compétences. Je vous souhaite bonne chance, que Felasys et Stelasys assurent vos pas.

Alors, chaque éclaireur ressentit une vague de chaleur parcourir son corps. Élentir venait de les bénir. Au royaume, on considérait que ce genre de bénédiction servait à gagner les faveurs des consciences. Ici, Felasys, conscience de la chance et Stelasys, conscience guide. En réalité, il s’agissait d’un charme protecteur.

Les éclaireurs se retirèrent par couples, partant dans des directions préalablement définies. Élentir les observa se retirer, regrettant de ne pas pouvoir participer à cette étape du plan. Elle avait cependant confiance en eux. Ils trouveraient le camp ennemi. Elle retourna donc vers le campement. Privé de la moitié du groupe, il semblait bien vide.

Égilon et Ciryon vinrent à la rencontre de leur cheffe. Égilon affichait son agacement sans prendre la peine de le cacher, tandis que Ciryon semblait plutôt calme.

— Qu’est-ce que j’ai fait ? soupira Élentir à Égilon.

— Tu n’aurais jamais dû donner une bénédiction, critiqua-t-il sèchement. C’est bien trop gourmand en magie, même pour toi, et tu dois garder de l’énergie pour ce soir.

— Je sais bien, soupira la jeune fille, ce n’était pas volontaire.

Cette réponse exaspéra encore plus Égilon qui poussa un long soupir. De temps en temps, il retrouvait le même agacement qu’il avait vis-à-vis d’elle alors qu’ils n’étaient qu’aspirants. Ciryon observait attentivement les deux écuyers, les yeux légèrement pétillants. Égilon reprit finalement la parole d’une voix lasse :

— Je vois que tu ne sais toujours pas te contrôler, c’est à se demander si on peut vraiment laisser le commandement à une gamine incapable d’utiliser son pouvoir à bon escient.

Là-dessus, le garçon tourna les talons et s’éloigna rapidement. Élentir resta seule avec Ciryon, le regard perçant du vétéran la fixant.

— Tu as là un bras droit qui t’est totalement acquis, déclara-t-il soudain. Tu as de la chance.

— Je sais, répondit-elle fièrement. Égilon et moi, c’est une longue histoire…

— Pauvre garçon, souffla le chevalier avec un sourire.

— Je suis bien d’accord.

Ciryon lui fit un dernier sourire avant de s’éloigner. Élentir avait compris le message de Ciryon. Elle le savait sûrement déjà, d’ailleurs. Il fallait qu’elle porte plus attention aux conseils de son camarade. Surtout que dans ce cas, il avait raison. Elle sentait qu’elle avait perdu une quantité de magie bêtement. Et si elle avait effectivement lancé la bénédiction inconsciemment, elle en payerait le prix. Il lui faudrait bien passer une demi-heure de méditation avant l’extraction. Élentir alla cependant rejoindre Niniel et Gwindor :

— Alors Gwindor, tu apprends des choses intéressantes ?

Le jeune homme rougit et hocha la tête. Élentir le perturbait quelque peu. Et l’écuyère s’amusait de ses réactions :

— Je viens vous voir pour discuter de ce qui va se passer quand nous serons en mission. Vous allez rester tous les deux au campement. Cependant, bien que je sache que Niniel sait un minimum se défendre, je pense qu’il serait plus prudent que quelqu’un reste avec vous.

— Comme tu veux, mais je ne voudrais pas que cela nuise à la mission, retourna calmement Niniel.

— Votre protection ne semble pas essentielle. Je pensais laisser Ellyne avec vous, elle est déjà en train de remplir son rôle.

— Dans ce cas, j’accepte.

— Et toi, Gwindor ?

— Euh, oui.

Élentir continua la conversation avant de se retirer. Elle alla demander à Idril de l’accompagner jusqu’en ville. Elle n’arrivait pas à tenir en place. La mercenaire accepta et les deux femmes quittèrent le camp, laissant à Ciryandil le commandement. Élentir recueillit quelques informations auprès des gens de Kélinial. L’écuyère savait d’expérience que si les rumeurs étaient souvent déformées, il y avait toujours un fond de vérité. Et que la population était bien mieux informée que ce qu’on imaginait.

Le garde les laissa entrer malgré sa méfiance après qu’Élentir se fut servie d’un peu de magie. Idril emmena alors l’écuyère dans une taverne qu’elle connaissait bien. Élentir n’appréciait pas les tavernes, souvent trop bondées. Tous ses sens trop aiguisés étaient agressés et la foule d’humains la dérangeait. Toutefois, c’était un des lieux où l’on récoltait le plus d’informations. Idril s’installa au comptoir, ignorant les regards qui la suivaient. Non pas qu’elle ait des charmes féminins, hormis son visage fin, mais plutôt que ses habits de mercenaire et ses nombreuses cicatrices impressionnaient. Élentir, plus passe-partout, s’installa à ses côtés. Sachant que la mercenaire n’était pas très bavarde, elle se lança dans une conversation avec quelques autres clients :

— Dis, gamine, tu en poses des questions ? T’es encore en apprentissage, non ? Je parie que t’es une future scribe ? Beaucoup de blablas, mais besoin d’un mercenaire pour te protéger.

L’homme qui venait de s’exprimer éclata d’un rire tonitruant. Visiblement, il n’était pas apprécié dans la salle. Il dégagea le voisin d’Idril et lui demanda :

— Pas trop dur de faire la nourrice. Rejoins mon groupe, nous on se bat contre de vrais pirates !

La jeune femme continua calmement à boire son verre, ignorant le malotru. Élentir réagit avant qu’un autre client le fasse, craignant qu’une bagarre suive. Elle marmonna discrètement un sort et quand elle prit la parole, elle devint soudain plus intimidante. Elle semblait avoir grandi, la lumière semblait vaciller, elle avait une aura de danger :

— Tu vas quitter cette taverne tout de suite, déclara-t-elle avec un calme inquiétant. Je suis une magicienne et je ne tolérerai pas que tu importunes mon amie devant moi.

Le mercenaire sembla hésiter. Sans comprendre la raison, il avait soudain peur de la jeune fille qui semblait, quelques instants plus tôt, inoffensive. En plus, les mages étaient souvent très respectés dans le royaume, personne ne s’attaquait à eux. Toutefois, il ne voulait pas perdre la face si facilement. Il fit donc le mauvais choix :

— Tu vas me faire croire, gamine, que tu es une mage ? Retourne boire le lait de ta mère et laisse les grands parler ensemble.

Élentir, tout en gardant son calme, marmonna quelque chose en draconique. L’homme se retrouva immobilisé, son visage se décomposa quand la jeune fille s’approcha lentement de lui. La salle était à présent silencieuse. Et pour l’homme, chaque pas qu’elle faisait était assourdissant. Après un temps qui lui parut interminable, elle fut juste devant lui. Elle se mit sur la pointe des pieds, planta son regard gris dans ses yeux avant de se pencher pour chuchoter :

— Comment veux-tu que je te prouve mes pouvoirs ? Dois-je te lancer une malédiction qui te fera perdre tout ce qui te rend fier ? Je peux en quelques instant te faire perdre des muscles ou bien ce qui fait de toi un homme. Ou alors tu as une dernière chance de quitter cet endroit avec toute ton intégrité.

La jeune fille recula d’un pas et libéra l’homme de son sortilège. Ce dernier fit un pas en arrière, le regard affolé, avant de détaler en courant. Élentir se sentit d’un coup fatiguée. Entre la bénédiction un peu plus tôt et l’enchaînement de sortilèges qu’elle venait de faire, il lui restait un peu moins de la moitié de son énergie magique. Idril se leva d’un coup, déposant quelques pièces supplémentaires sur le comptoir.

— Pour le dérangement, dit-elle sèchement.

Sans plus attendre, elle poussa Élentir vers la sortie. La jeune fille se laissa emmener, sentant l’agacement d’Idril :

— Je suis désolée, s’excusa-t-elle alors.

— Pourquoi tu as utilisé de la magie ? Tu comptes saboter ta propre mission ? C’est bien pour ça que je n’ai même pas envie d’apprendre. Il suffit que tu en utilises trop pour ne plus pouvoir combattre.

— C’est faux, tu te fatigues aussi physiquement en combattant.

La mercenaire l’ignora, marchant rapidement vers la sortie. Élentir la suivait sans difficulté :

— Très bien, j’ai merdé. Mais je ne voulais pas que l’on sache qu’une écuyère était là.

Sa compagne continua à l’ignorer, elles sortirent vite de la ville. Et le temps qu’elles arrivent au camp, l’agacement de la mercenaire avait disparu.

Toutefois, leur tour de la ville ne leur apprit rien de nouveau. Elles en savaient un peu plus sur l’attaque des pirates sur la ville et les villages alentour. On leur avait décrit le comportement étrange des pirates, mais rien que n’avaient pas déjà rapporté Calywen et Ode.

Elles allèrent se reposer avant le retour des éclaireurs. La plupart des chevaliers étaient en pleine méditation, tandis que ceux qui ne se reposaient pas s’occupaient de leur équipement.

Élentir se trouva un coin pour méditer. Il devenait urgent qu’elle récupère un peu d’énergie magique. Elle se plongea dans une médiation profonde jusqu’au retour des éclaireurs.

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