XVII
Ellyne, Niniel et Gwindor les accueillirent au camp. Les deux derniers se rendirent immédiatement auprès des souverains tandis qu’Ellyne aida de son mieux les combattants éreintés, et pour certains blessés, à se déséquiper. Elle les installa auprès du feu où tous devaient attendre d’être auscultés avant de pouvoir se lever. Elle distribua à chaque combattant une infusion préparée avec soin par Niniel. En la buvant, ils retrouvèrent un peu de forces. Toutefois, le silence régnait. Ils étaient tous heureux et soulagés de la réussite de la mission, mais bien trop fatigués pour la fêter. Quelques-uns, notamment les combattants de profession, étaient encore anxieux d’être retrouvés par l’ennemi.
Un peu plus loin, les soigneurs examinaient avec soin le couple royal. Gwindor menait d’une main experte l’auscultation, assisté par Niniel. Après quelques minutes d’examen, Gwindor fit un sourire. Finalement, les souverains n’avaient souffert d’aucun mauvais traitement physique et n’avaient aucune blessure apparente. L’apprenti médecin diagnostiqua cependant une légère sous-alimentation et un grand choc psychologique. Ne pouvant pas faire grand-chose de plus, Gwindor les laissa aux mains de Niniel. L’herboriste leur donna un premier repas en prenant en compte leur état. Elle se servit de son peu de magie pour accentuer l’effet des différentes herbes de l’infusion qu’elle leur fit boire. Elle les accompagna dans une tente montée à leur intention tout en faisant la conversation. Son caractère aidant, elle réussit à sortir légèrement les souverains de leur état de choc. Parlant joyeusement, n’attendant pas de réponse, sa douceur était une véritable aide dans son métier. Après leur avoir préparé un bain d’herbes, elle se retira, les laissant se reposer.
Elle rejoignit Gwindor qui avait déjà commencé à prendre soin des combattants. Le premier diagnostic, peu surprenant, était leur état de grande fatigue. Certains mêmes s’étaient endormis avant que Gwindor et Niniel aient pu les examiner, après avoir bu la décoction. Cela n’avait rien de surprenant, entre les longues heures de chevauchée et le combat de la nuit, ils étaient tous vidés de leurs forces. De plus, la majorité des membres la troupe étaient revenus blessés, la plupart légèrement. Cependant, Gwindor tint à examiner chacun. Il surprit d’ailleurs tout le monde. Jusqu’à présent, il avait été plutôt discret, voire timide. Pourtant, à cet instant, devenant le médecin, il ne laissa personne lui dire ce qu’il devait faire ou non. Même Ciryandil, avec quelques hématomes, qui avait voulu laisser sa place à Irwaen, totalement vidée d’énergie magique, s’était fait sévèrement rabrouer. Il était le seul, avec peut-être Niniel, à être habilité à dire quel patient était prioritaire.
Élentir observait du coin du feu le médecin faire son œuvre, le sourire aux lèvres. Sourire parfois tordu par un rictus de douleur. Toutefois, observer le jeune homme exercer avec une confiance toute nouvelle la réconfortait étrangement. Elle était presque apaisée de regarder ce ballet. Elle porta la main à son front. Il était vraiment intéressant, ce jeune médecin.
Gwindor avait fini de s’occuper des blessés les plus graves. Il avait arrêté l’hémorragie d’Éloi et recousu sa blessure. Le jeune garde ne pourrait plus se servir de son bras pour le moment et pour s’assurer qu’il n’ait pas de séquelles durables, le médecin dut pratiquer une opération magique pour réparer une partie des tendons et muscles touchés. Après lui avoir fermement bandé le bras de sorte qu’il ne bouge plus, il l’envoya auprès de Niniel qui lui donna une potion lui permettant de reconstituer le sang qu’il avait perdu. Enfin, on le coucha dans sa couche et il s’endormit aussitôt.
Gwindor avait examiné la profonde blessure à la tête de Gleen. Surpris que le garçon soit toujours conscient après un tel traumatisme, il poussa son examen magique pour étudier l’intérieur du crâne. Il dut alors résorber une partie de l’hémorragie interne à l’aide de sa magie. Il dut prendre une potion pour récupérer un peu de ses réserves magiques avant de continuer l’examen du titan. Toujours surpris de le voir si en forme, il exigea cependant qu’après sa nouvelle infusion il aille directement se coucher. L’apprenti forgeron osa protester, souhaitant aider, et dut faire face à un Gwindor qui n’avait plus rien de frêle. Le médecin s’assura que son patient était bien couché avant de passer au suivant.
La jeune pêcheuse ne s’était pas plainte une seule fois, Gwindor avait remarqué que quelque chose n’allait pas grâce à son œil expert. Durant le combat, un sorcier ennemi avait réussi à rendre aveugle Moyra. Cette dernière, bien que très inquiète, restait droite et calme. Le médecin, ne reconnaissant pas le sort utilisé, rassura cependant la jeune fille, ses yeux n’étaient pas physiquement touchés, un mage compétent pourrait lui retirer le sort et elle retrouverait la vue. De même, il banda la blessure d’Aramis en stoppant magiquement l’hémorragie. Pourtant, sur la blessure restait un sortilège qui l’empêchait de complètement guérir. Même s’il faudrait revenir régulièrement arrêter l’hémorragie jusqu’à trouver un mage capable de soigner la blessure, Gwindor n’était pas inquiet.
Gwindor passa un onguent sur les côtes cassées de Calywen qui s’était pris un violent coup que son armure n’avait pas pu totalement amortir. Toutefois, le médecin ne fit qu’une toute petite opération magique, faisant juste en sorte que les côtes puissent se reconstituer correctement. Mais devant garder son énergie pour la fin des soins des autres combattants, il choisit de ne pas accélérer le processus normal de guérison.
Ellyne, de son côté, s’était occupée de la pauvre Valia. Elle estima que le rapace pourrait de nouveau voler correctement d’ici quelques semaines.
Ce n’est qu’après avoir soigné tout le monde et les avoir presque tous envoyés se coucher que Gwindor remarqua le teint de plus en plus pâle de sa cheffe. Cette dernière l’avait observé tout le temps des soins, serrant de plus en plus les poings, crispant de plus en plus la mâchoire. Gwindor hésitait entre l’étonnement de n’avoir rien remarqué après son rapide examen et l’agacement que la jeune fille ne lui ait pas signalé son mal. Ne lui laissant pas le temps de répliquer même si elle n’en avait plus vraiment la force, le médecin refit un examen plus approfondi. Toutefois, hormis qu’une grande partie sa réserve de magie avait été utilisée, il ne semblait pas qu’Élentir souffre de blessure, physique comme magique. Si la fatigue magique pouvait faire entrer le patient dans un état second, comme pour Irwaen, voire le faire s’évanouir, elle ne causait jamais de telles douleurs. Ne sachant pas quoi faire exactement, il lui prescrivit une concoction contre la douleur et une pour l’aider à se reposer.
Prenant celle contre la douleur sans rechigner, Élentir ne but pas son somnifère. Elle sentait au loin l’arrivée de l’armée. Donc, malgré une douleur aiguë à la tête, elle choisit de méditer plutôt que de dormir. Et alors que la course du soleil atteignait son sommet, une petite troupe de l’armée du royaume accompagnée de sire Léothéric fit son entrée dans le campement.
En le voyant, l’écuyère eut envie de courir accueillir son seigneur. Mais juste en se levant, elle vacilla. Restant à sa place, elle laissa le chevalier prendre le contrôle du camp. Elle savait qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait, et que dans son état elle ne ferait que le ralentir.
Dans un premier temps, on amena les souverains dans un carrosse qui partit en premier avec une grosse partie de la troupe. Ceux qui restèrent s’occupèrent de l’équipe d’Élentir.
Tous les compagnons furent placés dans des charrettes pour qu’ils puissent se reposer encore. Le campement fut rapidement plié et la procession se mit en route.
Alors seulement, sire Léothéric s’approcha de son écuyère placée dans la première charrette. Elle se tenait droite, essayant de cacher de son mieux la douleur. Le chevalier lui sourit :
— Je suis fier de toi, jeune fille.
— Moi aussi, retourna-t-elle d’une voix pâteuse.
Sa vision commençait à être brouillée. Léothéric s’aperçut aussitôt qu’elle n’allait pas bien, cependant, il prit cela pour de la fatigue.
— Je ne vais pas t’embêter plus longtemps, prends donc un repos bien mérité.
— Ce n’est pas ça, répondit avec difficulté la jeune fille ne pouvant mentir à son mentor. Je… J’ai une douleur aveuglante. J’ai mal à la tête comme si on me tatouait quelque chose à l’aide d’une aiguille chauffée à blanc.
La voix d’Élentir se cassa. Elle vacilla et porta ses mains au front, se repliant dans une position de fœtus. Léothéric monta aussitôt dans le chariot pour venir soutenir son élève. Il la prit doucement dans ses bras. Il porta, inquiet, sa main à son tour sur le front de son élève. Elle ne semblait pas avoir de bosse ou de fièvre. Il ne découvrit aucun sort ou maléfice. Inquiet, il la fit se coucher dans le chariot et retourna chercher Gwindor et Niniel. Les deux examinèrent de nouveau la jeune fille, mais tout comme lors de leurs premiers examens, tout semblait normal. Pourtant, l’état d’Élentir se dégradait à vue d’œil, elle n’arrivait presque plus à garder les yeux ouverts et des larmes coulaient sur ses joues.
— Tu as reçu un coup sur la tête ? demanda Gwindor, perturbé.
Il ne s’était encore jamais trompé dans un examen. Il était devenu l’assistant et apprenti principal du médecin royal grâce à sa magie instinctive pour l’auscultation. C’était d’ailleurs sa fierté. Pourtant, pour lui, hormis la fatigue, sa magie lui disait que la jeune femme était en parfaite santé. Niniel lui donna de nouveau une potion contre la douleur, qu’elle accentua grâce à sa magie. Et Gwindor demanda qu’Élentir reste éveillée malgré la fatigue, si jamais c’était un coup qui lui causait cette douleur. Inquiet, Léothéric resta auprès d’elle tandis que les deux autres retournèrent faire des rondes régulières auprès des autres blessés. Il tenta de son mieux de l’apaiser grâce à sa magie, mais sans succès.
Il avait mal de voir sa protégée dans cet état. Elle était méconnaissable. Repliée sur elle-même, les mains sur son front, des larmes de douleur coulant sur ses joues sans couleur, elle s’agrippait, presque suppliante, à son mentor. Il la tenait dans ses bras comme il ne l’avait jamais fait. Il ne l’avait jamais vue autant ressembler à une enfant. Elle semblait si fragile.
Le voyage jusqu’à Kélinial parut une éternité à Élentir. Chaque sursaut de la charrette accentuait la douleur déjà insoutenable. Pour elle, rester éveillée était une véritable souffrance. Elle arrivait à peine à sentir la présence rassurante de Léothéric.
Une fois en ville, le groupe se scinda en deux. Pour rétablir rapidement la situation, il fallait au plus vite que le couple royal soit rentré au château. Les cinq jours que mettrait le carrosse à atteindre la capitale seraient de trop. Il ne restait qu’une solution, coûteuse et compliquée à mettre en place, mais qui permettrait au couple d’être dès le soir dans sa chambre. Il existait un rituel venant de l’ère des dragons qui permettait de se téléporter entre deux portails. Le rituel ne s’était pas perdu, mais comme il demandait beaucoup de ressources, il n’était plus faisable qu’à partir de certaines villes. Il était beaucoup moins utilisé qu’au temps des dragons, on ne l’utilisait qu’une fois par an. Seul un certain nombre de chevaliers et mages étaient aptes à le pratiquer.
Comme le rituel était dur à maintenir, seuls les souverains ainsi que les blessés les plus graves, accompagnés de Gwindor, purent passer. Léothéric porta lui-même Élentir, dont la bouche entrouverte laissait échapper un cri silencieux. Ses camarades étaient tous inquiets de la voir partir ainsi.
Deux mages et trois chevaliers s’occupèrent du rituel qui se déroulait sur la place principale, fermée pour l’occasion. Le rituel se servait des dessins et écrits draconiques gravés depuis des centenaires à même la roche du sol de la place. Les cinq personnes dirigeant le rituel tenaient dans leurs mains un bouquet de branches. Ils se tenaient en cercle autour de la place et récitaient, parfaitement ensemble, une longue formule draconique. De temps à autre, ils se livraient à d’étranges ballets, échangeant leur position d’une façon qui semblait aléatoire pour les spectateurs. Après dix minutes, un vortex lumineux apparut au milieu de la place, à peine assez grand pour faire passer une personne. Après qu’un soldat de la garde royale fut passé pour s’assurer de la sécurité de l’autre côté du passage, le roi puis la reine furent enfin renvoyés au château. La fatigue commençait à se lire sur les visages des magiciens. Léothéric suivit donc le couple royal sans plus attendre. Son écuyère dans les bras, il eut quelques difficultés à passer le portail.
Au château, Léothéric porta lui-même la jeune fille dans sa chambre. Il choisit de la poser dans son lit, plus confortable, plutôt que dans celui d’Élentir. Cette dernière avait fini par plonger dans l’inconscience, mais son visage pâle affichait encore de la souffrance. Une servante fut aussitôt envoyée pour chercher Hylde et Lómelindi. Ils arrivèrent en même temps que Gwindor.
— Que lui est-il arrivé ? s’exclama Hylde, affolée devant le corps inconscient de sa fille. Elle n’est pas…
Sa voix se cassa. Elle imaginait le pire, et on le comprenait facilement. Malgré l’absence de blessure, l’écuyère avait la pâleur d’une morte, son rictus figé dans la douleur. Seules les gouttes de transpiration et la faible respiration saccadée la différenciaient d’un cadavre. Le chevalier posa une main aussi réconfortante qu’il le pouvait sur l’épaule de la cuisinière :
— Elle est vivante.
Malgré le ton crispé du chevalier, ses mots soulagèrent les deux parents adoptifs de la fille. Lómelindi faillit défaillir de soulagement, avant que l’inquiétude reprenne le dessus.
— Qu’a-t-elle, dans ce cas ?
Gwindor, de nouveau penché sur Élentir, releva la tête avec une légère culpabilité :
— Je n’en sais rien. Cependant, je voudrais pouvoir retirer son bandeau pour mieux l’examiner. Je sais bien qu’Élentir comme sire me l’ont interdit. Puis-je cependant insister ?
Dans sa voix, en sentait plutôt l’ordre que la demande, il attendit néanmoins la réponse. Léothéric laissa à Hylde le choix de la réponse.
— Je préfère qu’elle se rétablisse plutôt que de conserver le secret. Tu peux y aller, mais garde pour toi ce que tu vas découvrir.
L’apprenti médecin ne comprit les paroles que quand il découvrit le front de la jeune fille et la marque étrange, l’écaille émeraude sertie de chaque côté de fins traits pourpres. Mais les plus surpris furent peut-être ceux qui connaissaient déjà l’existence de cette marque. En effet, à l’extrémité de chaque trait, sans les toucher, une petite boucle commençait à apparaître. Elles étaient moins vives et moins marquées que les traits écarlates.
— Depuis quand la marque s’est agrandie ? demanda Lómelindi.
— La dernière fois que je l’ai vue, avant de partir en mission, elle était encore normale, répondit le chevalier.
— Puis-je demander quelle est cette marque ? coupa le médecin. Pour moi, elle n’a rien de normal, qu’elle soit plus petite ou non.
Un silence gêné suivit la déclaration de Gwindor. Personne n’avait la réponse à cette question.
— Elle l’a depuis que je la connais, répondit cependant Hylde dans un murmure. On ne sait pas exactement ce qu’elle représente, mais elle ne l’a jamais blessée. Cependant, jusqu’à il n’y pas longtemps, il n’y avait que l’écaille et les deux traits.
L’apprenti médecin hocha la tête pensivement en déposant la paume de sa main sur la marque. Alors qu’il se concentrait pour examiner magiquement cette étrange marque, il retira sa main, comme s’il s’était brûlé. Il sourit cependant, comme rassuré.
— Je ne pense pas qu’Élentir soit en danger. Je ne peux dire ce qu’est cette marque, mais sachez que je pense que la douleur vient de l’énergie qu’elle dégage. Mais rassurez-vous, je ne sens qu’une énergie positive. Je pense qu’une fois qu’Élentir aura récupéré toute sa magie, elle ira beaucoup mieux.
Lómelindi hocha la tête, soulagé, mais Hylde semblait suspicieuse. Elle connaissait bien évidemment la réputation de Gwindor. Toutefois, sa protégée, son enfant, avait l’air si malade. Elle ne l’avait jamais vue dans un état pareil. D’ailleurs, Élentir n’avait jamais été malade jusqu’à présent. Même lors de la grande épidémie, elle n’avait pas été touchée. Jamais, elle n’avait le moindre rhume. Hylde s’approcha d’Élentir, s’agenouilla au bord du lit et caressa avec une douceur maternelle le front de sa fille.
— Tu es sûr de toi ? demanda-t-elle brusquement. Après tout, tu n’es encore qu’un apprenti.
Légèrement vexé et touché dans son ego, Gwindor répliqua cependant avec calme et gentillesse :
— Bien évidemment sans connaître l’origine de la marque, je ne peux que faire des suppositions. Je suis toutefois confiant dans mon analyse. Pour autant, il est vrai que je ne suis que l’apprenti du médecin royal, donc vous pouvez bien évidemment faire appel à lui pour vous assurer de mon diagnostic. Je vous préviens cependant qu’il risque fort de faire appel au mage de la cour, car ce mal est sans aucun doute d’origine magique. Cependant, si vous souhaitez vraiment garder la marque d’Élentir secrète, alors je tiens à vous rappeler que vous avez devant vous la personne possédant la meilleure magie d’auscultation du château.
Hylde fit un sourire d’excuse devant cette longue tirade. Elle regarda sa fille d’un regard triste avant de remettre en douceur le bandeau.
— Si tu es si confiant, laissons-la se reposer et observons l’évolution.
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