XVIII
Ouvrant difficilement les yeux, Élentir découvrit les jumeaux royaux à son chevet. Palantir, assis sur une chaise, était plongé dans un livre, tandis qu’Éledhwen était allongée dans le lit aux côtés d’Élentir. Elle avait les yeux comme endormis, mais quand son amie se redressa dans sa couche, elle lui sauta au cou :
— Tu n’as pas le droit de m’inquiéter à ce point ! s’exclama-t-elle.
La princesse était encore partagée entre le soulagement de voir son amie se réveiller et l’inquiétude qu’elle soit encore mal. Palantir posa doucement son livre et jeta un regard exaspéré à sa sœur :
— Tu ne devrais pas la secouer comme ça, elle a peut-être encore mal. Comment te sens-tu ?
Le jeune homme était sincèrement inquiet, même si son visage stoïque ne le montrait que peu. Élentir sourit, un peu hésitante :
— Très bien, et même plus que ça, je suis prête à faire cinq fois le tour du château en courant ! Je n’ai plus du tout mal. Et j’ai toute mon énergie !
Le soulagement de la jeune fille se ressentit dans sa dernière phrase. Si elle n’avait plus mal du tout, le souvenir de l’atroce douleur était encore bien présent. Elle était même étonnée de ne ressentir aucune douleur résiduelle. Le gargouillis de son ventre la rappela à l’ordre.
— Je pense que l’exercice devra attendre, rigola Éledhwen enfin rassurée. Allons en cuisine te nourrir un peu. Et rassurer Hylde par la même occasion, depuis que tu es dans cet état ses plats sont moins bons.
Élentir hocha la tête, elle sortit de son lit avec adresse et alla derrière un paravent pour s’habiller. Elle profita de ce moment pour poser toutes sortes de questions. Elle apprit ainsi qu’elle avait dormi un peu plus de deux jours, et que tous ses compagnons étaient rentrés le matin même. Ils étaient retournés près de leur famille pour ceux qui en avaient, et se reposaient. Les blessés arrivés en même temps qu’elle allaient tous très bien. Éloi ne perdrait pas l’usage de son bras. La carence en magie d’Irwaen avait pris finalement fin le matin même. Moyra commençait à retrouver la vue.
Quand elle fut prête et présentable, Élentir sortit enfin de la chambre avec ses amis. Sur leur passage, les habitants du château saluèrent, allant même jusqu’à remercier Élentir de vive voix. Malgré le léger agacement de celle-ci, ils continuèrent leur conversation. Élentir s’intéressa aux négociations qui ne s’étaient pas trop mal déroulées jusqu’à ce que les pirates apprennent qu’ils n’avaient plus d’otages. N’étant plus en position de force, les pirates s’étaient retirés sans insister ou chercher à se battre. Toutefois, leur haine envers les continentaux n’avait fait qu’augmenter. Cependant, dès le début, tout en restant diplomates, ils n’avaient jamais caché leur ressentiment envers les chevaucheurs avec des discours pleins de haine.
— À les entendre, nous sommes des sortes de monstres pour eux, précisa Éledhwen attristé. Je trouve ça triste, nous avons été un jour un même peuple. Nous avons une culture, une langue, des croyances et une histoire semblables.
— On leur apprend dès leur plus jeune âge que nous sommes la cause de la disparition des dragons, ajouta Palantir. Est-ce qu’ils se souviennent réellement de quelque chose ou c’est juste leur haine ancestrale pour notre peuple qui parle ?
— Hum… réfléchit Élentir, il est possible qu’il y a cinq cents ans ils aient été au courant de quelque chose, que ce soit la cause de leur exil sur les îles de l’Ouest. Mais je ne pense pas qu’aujourd’hui, ils s’en souviennent. Ils ne gardent plus qu’une haine irrationnelle à notre égard.
— C’est décidé, déclara Éledhwen. Il faut envoyer une mission diplomatique renouer les liens avec eux.
Palantir et Élentir sourirent devant le nouvel enthousiasme de leur sœur et amie. Surtout que les deux étaient dans le fond d’accord avec les propos de la princesse. Élentir se souvenait encore du discours de la pirate lors de leur repli, et pensait qu’il était temps de faire changer les choses. Palantir tempéra cependant sa sœur :
— Cela risque d’être une tâche compliquée. Depuis longtemps, ils pillent nos côtes et je pense que la haine n’est plus maintenant seulement de leur côté. Même si nous n’apprenons pas à nos enfants que les pirates de l’Ouest sont la cause de la disparition des dragons, il n’en reste pas moins que nous leur apprenons aussi que ce sont des monstres. Très peu savent aujourd’hui qu’ils faisaient partie de notre peuple. Ce sera un travail de longue haleine.
— Je crains également qu’ils ne demandent des choses insensées pour signer la paix, compléta Élentir tristement.
— Je suis cependant certaine que comme nous, il y a des personnes souhaitant la paix et le rassemblement de nos peuples, répondit, confiante, Éledhwen. Il faut juste que l’on arrive à entrer en contact.
Ils arrivèrent enfin aux cuisines. Hylde remarqua sa fille dès qu’elle pointa son nez dans la pièce. La cuisinière posa alors tout et avança doucement vers l’écuyère. Son visage laissait refléter soulagement et inquiétude. Elle prit Élentir par les épaules et l’observa longuement. Toute inquiétude disparut devant la mine rayonnante de la jeune fille. Alors elle la serra dans ses bras avec force.
— Pourquoi faut-il que tu m’inquiètes autant ?
— Parce que je suis l’héroïne de ce royaume, ironisa la fille.
— Eh bien, jeune héroïne, il n’est pas question que je laisse ton ventre crier famine. Viens là, Eugen, débarrasse-moi cette table, Hugo, mets la table ! Vos Majestés veulent un encas ? Quelques pâtisseries peut-être ?
— Oh, nous ne voulons pas vous déranger, répondit poliment Palantir.
Hylde plissa les yeux et déclara fermement :
— Leurs Majestés ne nous dérangent pas, alors installez-vous avec Élentir et dégustez ! Alys ! Tu sors des pâtisseries pour Leurs Majestés ! Élentir, mange un peu de pâté pendant que je prépare ton repas.
Élentir eut droit à un repas de cheffe. Elle sortit de la cuisine rassasiée et en meilleure forme qu’elle ne l’avait jamais été. Comme elle l’avait promis à Hylde, elle se rendit avec ses amis à la bibliothèque où elle retrouva Lómelindi en train de donner un cours aux enfants du château. En la voyant, il laissa les enfants au scribe qui l’aidait, et fit rentrer ses visiteurs dans son bureau. Moins démonstratif que Hylde, il posa juste sur Élentir un regard plein affection. Cette dernière lui sourit.
— Je vais bien, affirma-t-elle.
— Je vois, et j’en suis soulagé. Comment est ta marque maintenant ?
— Ma marque ?
— Vous ne lui avez pas dit ? demanda le gardien du savoir aux héritiers. Ta douleur semblait venir de la marque. Enlève donc ton bandeau.
Élentir obéit, un peu perturbée. Lómelindi la fit se regarder sur la surface réfléchissante d’un plat. Elle découvrit alors que sa marque s’était agrandie. Maintenant, les boucles étaient aussi marquées et pourpres que les traits. Elle remit son bandeau et demanda, intriguée :
— Tu penses que ça veut dire quoi ?
— Je ne sais pas, il ne s’est rien passé d’étrange pendant ta mission ?
Aussitôt, elle se rappela comment elle était arrivée au bon moment pour sauver la reine alors qu’elle se trouvait à l’extérieur du camp. Elle raconta alors l’événement en quelques mots. Elle précisa qu’elle ne comprenait toujours pas comment cela avait pu arriver. Ça ne pouvait pas être de la magie instinctive, puisque ce genre de pouvoir apparaît tôt dans l’enfance, mais un sort de téléportation demande des années d’études et de travail, qu’elle n’avait pas faits.
— Ça ressemble au saut du dragon, remarqua Lómelindi. Il faudrait demander à sire Léothéric pour en être sûr, mais ce que je sais, c’est que cela fait partie des sorts draconiques. Ce sont des sorts qui sont censés rapprocher leur utilisateur des capacités d’un dragon. Certains chevaliers savent le faire, mais de ce que je sais cela demande normalement plusieurs années d’apprentissage. Et pour un saut si grand… La quantité de magie demandée… Pas étonnant que tu aies été vidée de toute magie. C’est même surprenant que tu aies pu combattre après un tel effort.
— Impressionnant ! souffla Palantir. Et tu penses pouvoir le refaire ?
Sans répondre, Élentir plissa à peine les yeux et elle se retrouva à l’autre bout du bureau, elle-même surprise. Éledhwen lança un regard noir à son frère, avant de courir vers son amie :
— Ça va ? demanda-t-elle, inquiète.
— T’inquiète, tout va bien.
— Mais il n’aurait pas dû te demander une telle chose ! cria la princesse à son frère. Tu t’imagines, elle aurait pu avoir de nouveau mal !
— Je ne pensais pas qu’elle le ferait, tempéra Palantir.
— Et je vais très bien, ajouta en souriant Élentir.
Lómelindi ne dit rien, cependant, il était sûrement le plus étonné d’entre eux. Sa fille venait de réaliser un plus grand exploit qu’elle ne l’imaginait. Utiliser un sort draconique sans apprentissage ni entraînement relevait du miracle. Ce genre de sort demandait bien souvent un renforcement physique. Par exemple, le saut du dragon n’était pas un sort de téléportation, c’était un sort qui permettait de se déplacer à une vitesse à peine visible à l’œil nu. C’était bel et bien un saut. Il fallait donc que le corps puisse résister à une telle accélération. Il était arrivé à plusieurs reprises qu’un chevalier impatient tente le saut avant que son corps ne soit prêt. Les conséquences allaient de quelques os cassés à la mort. Le fait qu’Élentir ne s’en sorte qu’avec une grande douleur au front était miraculeux. Et prouvait par ailleurs, que cette marque n’avait rien d’ordinaire.
La conversation dura encore quelques minutes avant que le maître scribe retourne à ses élèves. Après un dernier signe de tête, les trois amis choisirent de se rendre dans les jardins intérieurs. Ils marchaient en silence, prenant des chemins de traverse leur permettant de croiser moins de monde. Les trois amis quittèrent donc la bibliothèque. Ils arrivèrent au jardin quand un messager essoufflé arriva. Le pauvre était en sueur, il les recherchait depuis qu’il avait quitté la bibliothèque. Le laissant reprendre son souffle, Élentir lui proposa de se désaltérer à la fontaine du jardin. Quand enfin il put parler, il les informa que les héritiers étaient convoqués par le roi et son conseil, tandis qu’Élentir devait se rendre au plus vite auprès de sire Léothéric dans la cour d’entraînement des gardes. Regardant le messager repartir en vitesse reprendre ses ordres, les héritiers et l’écuyère se donnèrent rendez-vous si possible au dîner.
En quittant ses amis, Élentir était un peu attristée. Elle avait encore tellement de choses à dire. Cependant, elle avait conscience de leur devoir. Elle-même allait sûrement être convoquée devant le conseil pour faire un rapport de la mission. Elle se doutait qu’un premier rapport avait dû être rendu durant ces deux derniers jours.
Quand Élentir rentra dans la cour, elle fut prise de pitié devant les gardes au bord de l’évanouissement. Ce fut d’ailleurs un soulagement pour eux de la voir arriver. La voyant, Léothéric leur donna un repos bien mérité :
— Qu’ont-ils fait pour que tu les tortures ainsi ? demanda joyeusement l’écuyère. Me torturer te manquait à ce point ?
Sire Léothéric laissa percevoir un court instant son soulagement de voir son élève debout avec toutes ses couleurs. Il l’observa un instant pour s’assurer qu’elle allait réellement bien. Élentir, sentant son examen, laissa tomber ses barrières défensives.
— Content de voir que tu as repris des couleurs, déclara alors le chevalier. Viens, marchons un peu. J’aimerais que tu me racontes comment s’est passée ta mission.
Tandis que le maître et l’élève marchaient, la dernière fit un rapport détaillé de sa toute première mission. Léothéric la coupait de temps en temps pour poser des questions, avoir quelques précisions. Élentir n’était pas avare de détails. Elle donna toutes ses impressions, parla de tous les plans qui lui avaient traversé l’esprit, raconta les rapports qu’elle avait eus avec ses compagnons, et leur évolution. Elle commenta tout ce qu’elle pouvait sur sa mission et tout ce qu’elle avait ressenti. Elle ne cacha pas les nombreux doutes qui lui avaient traversé l’esprit. Elle-même avait eu des doutes sur ses capacités à réussir, elle avait remis en doute sa maturité, son esprit stratège, sa capacité à diriger, à faire les bons choix. Mais elle avoua également sa fierté. Fierté d’avoir réussi une mission aussi complexe, fierté d’avoir eu des compagnons aussi talentueux, fierté d’avoir su les diriger au mieux ; fierté d’avoir réussi à obtenir l’approbation des plus réticents. Malgré ses longs détours dans son rapport, rallongé par les questions du chevalier, elle finit par arriver à la fin de la bataille. Elle lui raconta avec autant de détails comment elle avait secouru la reine.
— Un saut de dragon, chuchota sire Léothéric après l’avoir écoutée. Je me doutais que tu avais les compétences nécessaires, mais je n’imaginais pas que tu puisses réussir sans préparation ni apprentissage. Même pour toi, je pensais qu’il te faudrait au minimum un an. Il en faut souvent plus pour pouvoir résister au choc de la vitesse.
— Lómelindi pense également que c’était le saut du dragon, l’informa Élentir. Il pense d’ailleurs que c’est ce qui m’a mis dans cet état.
Élentir porta la main à son front, ne réalisant pas encore ce qui lui était arrivé. Son mentor hocha la tête pensivement :
— Maître Lómelindi a raison, comme souvent. Cette crise a dû être provoquée par le sort. Tu as de la chance qu’il t’ait pris sous son aile, c’est un homme sage et intelligent. Je ne doute pas qu’il ait déjà un certain nombre de suppositions sur l’origine de cette marque. Je devrais aller lui parler plus souvent.
— En effet, répondit fièrement Élentir.
Léothéric sourit, puis reprit d’un ton un peu plus sévère :
— Penses-tu pouvoir recommencer ?
— Oui, j’y arrive, déclara, toujours fière, son élève.
— Je suppose donc que tu as déjà essayé. J’aurais préféré que tu le fasses sous ma supervision. Demain, il faut que tu voies par toi-même à quel point tu maîtrises ce nouveau pouvoir et combien il consomme ton énergie. Pour l’instant, continue ton rapport.
Alors que le récit de la jeune fille touchait à sa fin, la cloche du dîner sonna. En se dirigeant vers la salle à manger. Élentir parla du discours de la jeune pirate. Sire Léothéric ne fut pas étonné et lui dit que tous les pirates de l’Ouest qui attaquaient les côtes tenaient des discours similaires. Il était cependant d’accord avec Éledhwen sur la possibilité de trouver des insulaires qui étaient également pour la paix. Il y voyait même une priorité. L’empire devenant de plus en plus belliqueux, le royaume ne pouvait lutter de tous côtés. Et il fallait voir s’il n’y avait pas moyen de trouver des points d’entente avec l’empire alors qu’il y avait beaucoup de points communs pour mettre en avant une alliance avec les pirates de l’Ouest. En écoutant son mentor, Élentir prit conscience de son inquiétude vis-à-vis de la situation avec l’empire. Jusqu’à présent, les raids des pirates de l’Ouest comme de l’Est étaient beaucoup plus préoccupants selon elle. Elle avait toutefois confiance dans le jugement de son maître.
En rentrant dans la grande salle, Élentir fut heureuse de voir la totalité de ses compagnons déjà attablés à la table d’honneur. Au centre, se trouvait la place qui lui était attitrée. Alors qu’elle avança de quelques pas, le silence se fit dans la salle. Elle fut le centre d’attention de toute la salle. Elle hésita un instant à faire demi-tour, mais derrière elle se trouvait Léothéric qui lui barrait clairement le passage. Elle se plaignit mentalement qu’il la connaissait trop bien. Gleen, dont la tête était encore bandée, l’accueillit soudain à l’aide de grands cris. Elle sourit alors en allant s’asseoir à la place qui lui était attribuée. Tous ses compagnons l’accueillirent avec autant d’enthousiasme que le forgeron, même si la plupart eurent plus de retenue. Sans qu’elle sache comment, son assiette et son verre furent remplis. Elle fut soudain heureuse de revoir tous ceux avec qui elle avait bravé cette épreuve. Elle oublia un instant sa nervosité d’être au milieu d’une foule, et rit de bon cœur avec ses camarades. Elle dut rassurer tout le monde sur son état, laissant cependant sous silence les raisons de sa crise. Elle prit elle aussi des nouvelles des blessés. Tous avaient reçu les soins nécessaires en arrivant au château et aucun n’en subirait de séquelles, bien qu’Éloi garderait une cicatrice. Le repas fut pour elle étrangement revigorant et elle espéra pouvoir refaire équipe avec eux, trouvant soudainement que tout s’était déroulé bien trop vite.
Après ce repas fort animé, Élentir retrouva en compagnie de Léothéric le calme de leur chambre. Après avoir reçu le droit de se retirer, la jeune fille entra dans son cagibi et s’effondra sur le lit, s’endormant aussitôt.
Durant deux jours, elle fut prise à plein temps. Il lui fut notamment demandé d’écrire un rapport sur la mission. Sire Léothéric, en plus du saut de dragon, avait bien l’intention de continuer sa formation. Elle eut même l’impression qu’il accélérait le rythme des leçons. Il lui consacra tout son temps, ne lui laissant que la soirée pour écrire son rapport. Et même pour cela, il n’était pas très loin, vérifiant ce qu’écrivait son élève, n’hésitant pas à lui faire réécrire toute une page. Il la levait en même temps que le soleil bien qu’ils soient en été. Les exercices avaient triplé en difficulté et lui laissaient à peine assez de force pour petit-déjeuner. Le matin était consacré à la magie, d’abord aux bases, puis il lui faisait utiliser le saut, travaillant sa précision et sa vitesse. Lui-même le maîtrisant, il put lui donner de bons conseils. Lorsque arrivait midi, elle était à la limite de l’inanition. L’après-midi, il reprenait ses leçons de diplomatie, de politique, d’histoire, de stratégie militaire. Et juste avant le repas, ils faisaient un duel.
Avec cet emploi du temps, elle n’eut pas le temps de voir grand monde. Elle ne put même pas voir Palantir et Éledhwen. Les héritiers semblaient encore plus occupés qu’elle. Elle put cependant voir la plupart de ses compagnons, durant les repas surtout. Certains vinrent aider à ses entraînements. Contrairement à elle et à Égilon, qui suivait le même traitement de la part de dame Cléophée, ils avaient tous reçu quelques jours de repos ainsi qu’une chambre au château. Les plus hyperactifs se plaignirent presque du manque d’activité, c’était souvent eux qui étaient heureux de venir aider pour les entraînements des écuyers, mais les autres furent ravis, voire soulagés. Niniel, par exemple, passait ses journées dans la bibliothèque tandis qu’on pouvait apercevoir Hoel couché dans le jardin à profiter du soleil brûlant de l’été à l’ombre des arbres.
Le deuxième soir, alors qu’elle avait presque terminé son rapport, Lôrindel vint la voir l’air décidé :
— Je sais que nous allons être récompensés d’ici quelques jours, mais avant cela, j’aimerais qu’on me déshérite. Je ne souhaite pas que ma famille se serve de moi pour garder son fichu titre.
— Je comprends, répondit aussitôt Élentir. J’imagine que c’est une décision mûrement réfléchie ?
— Oui, parfaitement.
La voix du jeune noble ne laissait entrevoir aucun doute. Ses yeux gris foncé plantés dans ceux plus clairs d’Élentir. Elle sourit alors :
— Eh bien, je devrais pouvoir arranger ça.
Elle fit une courte pause avant de reprendre avec une voix douce :
— Je suis heureuse que tu aies pensé à venir me voir. Moi-même je ne peux pas faire grand-chose. Tu aurais été plus vite en passant directement par les héritiers ou le conseil. Et au vu de ton rôle dans la mission, tu aurais eu une entrevue immédiatement.
— Tu as été ma cheffe durant cette mission. Je te fais confiance pour prendre soin de moi. Je suis sûrement plus à l’aise de traiter avec toi qu’avec quelqu’un autre.
— Merci, répondit la jeune fille soudain très touchée par la déclaration de Lôrindel. Au fait, Valia va mieux ?
— Oui, grâce à tout le monde elle pourra bientôt revoler ! s’exclama-t-il tout sourire.
Après quelques échanges, Lôrindel se retira, laissant Élentir à son rapport. Malgré l’heure tardive, Élentir envoya une missive officielle, demandant à être reçue par les héritiers dès le lendemain.
Elle et Lôrindel furent convoqués juste après le petit déjeuner dans la salle des doléances. Légèrement amusée par cette étrange situation, Élentir entra dans la salle, suivie de son compagnon. Ils furent accueillis poliment par Palantir dans sa tenue officielle. Un scribe se tenait à l’écart devant un bureau, prêt à prendre des notes.
— On m’a dit que tu voulais me voir dans mes fonctions officielles ? demanda-t-il.
L’écuyère dut s’empêcher de sourire tant la situation l’amusait. Elle répondit néanmoins avec sérieux :
— Oui, excuse-moi pour le dérangement, mais mon compagnon ici présent a une demande assez urgente à faire.
Élentir s’effaça devant Lôrindel, qui fit un salut :
— Lôrindel de Valdeau, fils du baron Tillion de Valdeau, se présenta-t-il en faisant une belle révérence.
Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, Élentir vit les origines nobles du garçon.
— Oui, j’ai entendu parler de toi, j’espère pouvoir un jour rencontrer Valia. Que souhaites-tu demander ?
— Je souhaiterais qu’on me déshérite, demanda fermement le garçon.
Palantir fut légèrement surpris, mais il ne fut pas indiscret pour autant :
— J’imagine que ce n’est pas sur un coup de tête que tu demandes ceci. Et tu es au courant que si on le fait avant la remise officielle de vos récompenses, ta famille ne pourra pas bénéficier de la tienne.
Le jeune futur ex-noble hocha la tête fermement, légèrement impressionné par la présence d’esprit du prince.
— Très bien, je vais tout de suite faire les papiers pour confirmer que vous ne faites plus partie de la famille des barons de Valdeau. Vous ne souhaitez pas demander le retrait de leur titre.
Lôrindel eut un sourire, mais répondit sans hésitation :
— Non, qu’ils en profitent tant qu’ils l’ont encore…
— Sachez en tout cas que s’ils viennent vous poser des problèmes, ma famille vous soutiendra. Ah, et puis, il faut que vous vous trouviez un nouveau nom. Revenez me voir d’ici demain.
— Merci beaucoup, Votre Altesse.
Élentir et lui se retirèrent. Le jeune homme remercia avec énormément de gratitude la jeune fille. Après cela, ils se séparèrent.
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