Prologue
Les murs épais de la forteresse avaient traversé et résisté des centaines de lunéaires et pourtant, ils se mirent soudain à trembler. Le puissant grondement retentit jusque dans les cachots, et avertit tous les habitants du domaine de la rage de l’Empereur, qui avait probablement laissé échapper des flammes de ses naseaux fumants. Personne n’avait envie d’être à la place de celui qui subissait ce châtiment.
La salle d’où émanait la colère du dragon avait la forme d’un vaste rectangle aux angles arrondis dépourvu d’ouverture sur l’extérieur. Elle était éclairée par trois feux répartis dans la pièce, le plus important d’entre eux placé entre deux trônes juchés sur un large piédestal. Le premier, vide, avait été fabriqué dans une pierre noire et brillante qui le rendait à la fois sombre et étincelant. Mais en le regardant de plus près, on pouvait distinguer des formes blanches que les invités de l’Empereur prenaient d’abord pour de la pierre, avant de réaliser qu’il s’agissait d’os. Des os non pas de proies, mais des os de dragons, qui tantôt disparaissaient dans l’ébène et tantôt en dépassaient comme s’ils avaient été mélangés avec la pierre. Certains étaient plus blancs que les autres, preuves de crimes récents, et l’ensemble attirait l’œil des nouveaux venus comme un avertissement.
L’autre trône était plus clair. Il avait été sculpté dans une matière particulière de laquelle émanait une lumière imitant la couleur de l’astre. A cet instant, il était jaune pâle bien qu’on devine encore les teintes de rouge et d’orange qui avait précédé, indiquant aux dragons que le soleil se levait à l’extérieur des murs. Ce trône présentait peu de décorations mais on y apercevait que quelques formes indistinctes qui semblaient se mouvoir dans la matière, comme si elles en avaient été prisonnières. Une dragonne aux écailles soufre y était installée, et elle affichait un air amusé tandis qu’elle observait son compagnon martyriser le petit dragon à ses pieds.
Au centre de la pièce, Noros, un immense spécimen charbon aux yeux pourpres, rugit à nouveau. Il laissa échapper de ses narines un filet bleuté en direction du jeune dragon tremblotant replié devant lui. L’Empereur était plus élancé que sa compagne, et ses écailles prenaient une teinte fumée à la lumière, trahissant leur translucidité.
« Que dis-tu ? Nous avons été repoussés ? répéta-t-il.
— Oui, Majesté… Ils… Ils ont réussi à en-envoyer un émissaire d-dans le Nord, et les guerriers du Roi… »
Noros ouvrit la gueule et cracha une autre langue de feu sur l’autre, qui se reprit aussitôt en fermant les yeux. A son âge, sa peau était encore sensible au feu impérial. S’il le voulait, il le grillerait sur place en quelques minutes.
« Les guerriers du traître sont arrivés dans la soirée…
— Suffit ! Et mes ordres ? Mes ordres étaient de les retrancher au-dessus de la Mer, ils ne devaient pas pouvoir se poser ! Ils devraient être tous morts à l’heure qu’il est, noyés, pourrissant au fond de l’eau ! Fais entrer Ithlas, IMMEDIATEMENT ! »
Le dragonneau ne se fit pas prier et franchit le plus vite possible la lourde porte grisée, s’empressant d’aller quérir Ithlas. L’Empereur Noir se mit à déambuler à pads lourds dans la pénombre le long du mur nord en attendant qu’on exécute ses ordres. La dragonne descendit de son trône et s’approcha de lui à pas de velours pour enrouler son cou autour du sien. Malys était la seule ici à ne pas craindre l’Empereur. Elle s’interposa pour arrêter ses déambulations avant de prendre la parole.
« Détends-toi, cela n’arrangera rien de t’énerver. Tu verras, la victoire sera un jour à nous, mais il faut savoir être patient, dit-elle. »
A ces mots les lèvres de Noros se rétractèrent en un rictus qui laissa apparaître ses dents. Cependant un bruit sourd les interrompit. On frappait à la porte. L’Empereur ordonna à l’inconnu d’entrer. Un dragon sombre apparut et franchit le seuil. Il ressemblait, aux yeux du premier venu, trait pour trait à l’Empereur Noir. Mais il était plus petit et plus élancé encore, et ses yeux arboraient une couleur bleu glacial, rare dans ce Royaume, qui rendaient impossible à quiconque de sonder ses pensées.
« Ithlas, mon fils ! s’écria Noros en s’approchant à grandes foulées.
— Oui père ? demanda ce dernier, prudent, en adressant un léger hochement de tête à Malys qui l’ignora superbement.
— Je me demandais simplement… Comment tu interprétais les ordres que je te donnais ? Pourquoi la mer n’est-elle pas rouge de sang ? Où sont les morts ? Où sont les survivants ? » dit l’Empereur en grondant de plus en plus fort.
Ithlas frissonna imperceptiblement en devinant la colère que son père contenait encore pour une durée qu’il ne pouvait deviner, mais se retint de reculer. Il avait l’habitude de subir les aléas caractériels de son paternel.
« C’est ce que j’ai fait. J’ai ordonné aux troupes d’empêcher quiconque de s’évader par la côte est sous peine de m’occuper d’eux moi-même. » Il s’interrompit un instant lorsqu’il vit Noros pencher sa tête sur le côté, affichant un air interrogateur et cruel à la fois. « Mais Aïdas a envoyé des renforts, reprit-il, beaucoup de renforts, nous n’avons rien pu faire. Quelqu’un nous a probablement vu arriver au loin, et est allé prévenir le Nord, car j’ai veillé à ce que personne ne nous échappe. Nous avons dû nous replier, sinon c’était nous qui étions transformé en morceaux de viandes » souffla-t-il.
— Se replier… répéta Noros.
— J’ai fait ce que je pensais être le mieux pour le Royaume. Nous aurions perdu trop de guerriers si nous étions restés combattre jusqu’au bout !
— Ne m’interrompt pas et baisse le ton ! Aïdas contrecarre tous mes plans, toutes mes attaques, c’est à se demander si nous n’avons pas un espion bien placé dans nos rangs ! Je ne conquerrai jamais Drakhora tant qu’il vivra… Il faut que je trouve le moyen de le tuer, pour de bon !
— Calme-toi, s’exaspéra Malys. On trouvera un moyen. Ne t’acharne pas sur ton fils, il a fait ce qu’il fallait. Si un espion se trouve bel et bien parmi nous, il ne fera pas long feu. Tu sais très bien que la délation est encouragée, le premier qui le découvrira n’hésitera pas à accourir nous prévenir. »
Noros acquiesça en silence. Ithlas remercia à peine sa mère du regard pour cet appui, conscient qu’elle avait agi ainsi dans le seul but de pouvoir obtenir quelque chose de lui plus tard.
« Bien, lâcha enfin l’Empereur. Réorganise les troupes, Ithlas, et veille à ce que tous nos guerriers, sans exception, soient disponibles et en état le plus rapidement possible. Les jeunes rentreront à l’entraînement le jour de leur cinquième lunarion. Je veux la meilleure armée et ce, pour les prochaines Lunes de Cristal. D’ici-là, j’aurais trouvé le moyen de détruire Aïdas. Pour de bon.
— Oui, mon père, répondit le fils de l’Empereur Noir avant de se retirer promptement. »
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