le guet-apens
Le guet -apens
(2 jours plus tard)
Baptiste s’était habitué au grouillement de la foule, si différent de celui des Grands Boulevards. Il ne s’étonnait plus de la fluidité avec laquelle les pousse-pousse et les palanquins fendaient la masse compacte sans bousculer personne. Il s’habitua même, plus vite qu’il ne l’aurait cru, à l’incroyable mélange des odeurs qui enveloppait les étalages en plein air, relents d’oignons frits, d’épices et de poissons marinés dans la saumure, humanité mal lavée auxquelles venait se mêler, au hasard des boutiques, des parfums délicats et subtils. En visitant la concession italienne, il eut l’agréable surprise de dénicher un coiffeur volubile qui avait exercé pendant plusieurs années rue du Faubourg Montmartre.
Le surlendemain de son arrivée, après avoir déjeuné avec le consul, rassuré par son attitude conciliante et raisonnable, il décida d’explorer explorer un nouveau secteur. Il se décida pour une zone entre le quartier européen et la vieille ville dont l’enceinte balafrée et toujours hautaine semblait le défier. Il se dirigea vers un vaste terrain désert parsemé de ronces et des vestiges noircis portant encore la trace des récents combats. Il fourra la carte dans sa poche et s’avança prudemment entre les pans de murs et les buissons maigres. Un petit temple miraculeusement épargné se dressait au milieu des ruines. Il contempla le toit couvert de mousse, les pierres envahies d’herbes folles où le vermillon voisinait avec le marbre blanc. Il s’efforça de déchiffrer de vieux idéogrammes masqués par la cendre et la poussière et passa un long moment à les recopier. Les rumeurs lointaines de la ville se mêlaient au souffle léger du vent. Il pensa à son vieil ami Chang qui, de l’autre côté de la terre, calligraphiait dans le silence de son arrière-boutique.
Lorsqu’il ressortit, le ciel s’assombrissait de nouveau. Il revint à pas lents vers la concession française, dont il apercevait les toits au dessus des faubourgs miséreux.
Une pierre roula derrière lui. Il sortit son pistolet et se retourna. Le silence était chargé de menace, comme si la ville elle-même retenait son souffle. Quatre chinois avançaient vers lui, armés de couteaux luisants. Derrière eux, un homme au visage masqué, entièrement vêtu de noir surveillait la scène. Deux dragons étaient tatoués sur ses bras croisés. Baptiste tira dans sa direction, l’homme vacilla puis s’abrita derrière un pan de mur. D’autres coups de feu lui répondirent. Deux de ses agresseurs s’effondrèrent, les autres s’enfuirent. Des ordres claquèrent autour de lui. Le silence revint enfin, Il attendit, l’arme toujours pointée. D’autres chinois s’approchèrent, en uniforme bleu, le fusil au poing. Leur chef s’adressa à lui dans un anglais hésitant.
— Cet endroit est dangereux ! Que faites-vous ici ?
Il retourna un cadavre d’un coup de botte.
— Laissez-les là ! Il y aura toujours quelqu’un pour les ramasser et les mettre en terre. Nous allons vous ramener au consulat.
D’un geste sans réplique, il lui fit signe de le suivre.
Le consul leva les bras au ciel.
— Vous rendez-vous compte de la situation dans laquelle vous nous mettez ? Je vous avais pourtant bien demandé de nous informer de vos déplacements. Vous êtes là depuis quelques jours et vous trouvez le moyen de vous faire agresser par des boxers. A cause de vous, nous devons admettre que les patrouilles chinoises sont plus efficaces que les nôtres.
— Des boxers, vraiment ? Comment pouvez-vous en être sûr ? Je n’ai vu aucune marque distinctive sur leurs vêtements.
— Le chef des policiers qui vous ont sauvé en est sûr. Il passe son temps à les traquer, vous ne prétendez pas en savoir plus long que lui ?
— Certes non, et je me félicite de leur intervention, même si je la trouve un peu rapide. On dirait qu’ils attendaient pour surgir au bon moment.
— Qu’allez-vous encore imaginer ? Le commissaire Ling est un homme très compétent. Il sait que vous êtes arrivé. Il a probablement donné des ordres en ce vous concerne. Qu’en pensez-vous, Moustier ?
— Il a l’œil sur tous les européens, en particulier les nouveaux venus.
— Et nous n’avons qu’à nous en féliciter. Je lui ai d’ailleurs envoyé en votre nom un message de remerciement. L’incident est clos. Parlons de choses plus agréables. Dans deux jours, le consul anglais donne une réception à l’hôtel Astor. Vous y rencontrerez tout ce qui compte dans notre petite société d’exilés, et sans nul doute quelques personnalités qui pourraient vous fournir d’excellents sujets de reportage.
Au moment où Baptiste sortait, le consul le rappela.
— Une dernière chose ! Il parait que vous allez vous distraire en compagnie de monsieur Brissac. C’est un joyeux luron, certes, mais n’oubliez pas qu’il est tout sauf un homme du monde .
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