Un mystérieux message

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Baptiste passa la matinée suivante à rédiger deux projets de reportage qui, une nouvelle fois, eurent la chance de plaire au consul. Celui-ci, d’excellente humeur, lui épargna même ses commentaires sur ses sorties avec Brissac.

Il étudia ses carnets de croquis et déjeuna dans des gargottes dont il avait apprivoisé l’odeur. Il aimait aussi s’arrêter devant les devantures des fourreurs. Des peaux qui coûtaient une fortune dans les boutiques huppées des Champs-Élysées étaient ici empilées sur le sol dans la boue et la poussière. Assis immobiles sur leurs nattes, les marchands semblaient avoir l’éternité devant eux. Il ne s’étonnait plus des vieillards portant leurs oiseaux en cage au bout d’une longue perche au milieu de passants qui s’écartaient respectueusement. Malgré les mises en garde, il se laissait envahir par une impression trompeuse de sécurité.

Rien de notable ne se produisit au cours des jours précédant la réception au consulat du Japon. Il reçut un télégramme de son directeur qui le félicitait pour ses envois, ce qui accrut la bonne humeur générale. Avec Brissac, son compagnon de débauche, il fit une nouvelle incursion dans la maison de madame Xue qui les reçut avec les égards dûs aux habitués. A leur grande déception, Montagne Pourpre était encore absente.

Le jour venu, il trouva son habit de cérémonie lavé et repassé par monsieur Lin.

— Vous permettez ?

Moustier, dans un éblouissant costume blanc, rectifia son nœud papillon.

— Voilà, vous êtes parfait ! Les réceptions japonaises sont toujours pleines de beauté et de surprise. J’imagine que vous y trouverez plus d’agrément que chez Wong Li. Portait-il une natte ?

— En effet !

— C’est ce que je redoutais, Malgré ses bonnes paroles à notre égard, il affiche sa fidélité à l’impératrice, Je suppose qu’il vous a fait traverser le salon où trônent les cercueils. C’est une façon de nous dire qu’il a déjà quitté ce monde. Les obsèques d’un mandarin sont si onéreuses qu’il doit les préparer longtemps à l’avance.

L’arrivée du consul mit fin à la conversation.

— Etes-vous prêts, messieurs ? Comme tous les japonais, mon ami le seigneur Yamagashi est très à cheval sur la ponctualité. Mes compliments, monsieur Martineau, une fois de plus, vous faites honneur à l’élégance française.

Lorsqu’ils firent leur entrée, Baptiste eut l’impression de basculer dans un univers de rêve empli de couleurs changeantes et de parfums inconnus. Les tenues occidentales sombres et austères, ne pouvaient rivaliser avec les costumes chatoyants. Ils avancèrent avec dignité sous le regard sévère de dieux inconnus, d’empereurs défunts et de shoguns morts depuis des siècles. Le maitre des lieux avait revêtu, par courtoisie, un smoking. A ses côtés Yukiko portait un kimono blanc serré à la taille par une ceinture d’un bleu céleste.

— Ma couleur préférée…

— Vous dites ?

— Non, rien….

Au mépris de tout protocole, leurs regards se croisèrent longuement. Malheureusement, la jeune femme, tenue par ses obligations ne put lui accorder que de courts instants. Il trinqua avec des personnalités dont il oublia le nom, mangea de délicieux raviolis à la vapeur et d’autres mets inconnus tout en essayant de s’intéresser aux conversations, gouta un alcool de patate douce qui soutenait la comparaison avec celui de la Grande Prospérité. La dame de compagnie était là, silencieuse et discrète. Elle se faisait oublier mais Baptiste sentait son regard. A plusieurs reprises, il lui sembla qu’elle cherchait à l’approcher.

Il écoutait avec la politesse de rigueur un vieux noble japonais, fier de son français approximatif et qui lui racontait ses exploits militaires, lorsque Yukiko s’approcha enfin de lui.

— Appréciez-vous notre hospitalité, Baptiste-san ?

— Elle est somptueuse et raffinée, à l’image de votre langue que je regrette de ne pas connaitre. Vous êtes une hôtesse parfaite.

— Je suis désolée de ne pas vous consacrer plus de temps. Je dois remplir mes devoirs auprès de nos hôtes.

Elle s’interrompit en voyant entrer un groupe de chinois richement vêtus.

— Qui sont ces gens ?

— Des lettrés chinois que mon oncle invite régulièrement. Certains sont venus de loin malgré des routes peu sûres. Nos deux pays se font la guerre depuis la nuit des temps mais cela n’empêche pas d’apprécier les beaux textes… Des japonais en robe safran les rejoignirent et entamèrent avec eux une discussion animée.

— Un jour, je visiterai votre pays.

Leurs mains se frôlèrent. La jeune femme baissa la tête, un voile de tristesse assombrit son regard.

— Je vous recevrai dans la demeure de l’époux qu’on m’a choisi. Dans mon pays, il ne faut pas rester veuve trop longtemps lorsqu’on est en âge de porter des enfants. Et vous quand repartez-vous ?

— Je ne sais pas, beaucoup trop tôt… Je ne sais presque rien de ce pays.

Moustier passa près d’eux et leur jeta un regard que Baptiste ne parvint pas à interpréter.

J’aime votre musique, comment s’appellent ces instruments ?

— Ce sont des shamizen, le plus souvent réservé aux Geishas, à côté vous avez un biwa (*). Je ne connais pas la musique occidentale. Il y a tant de choses que j’ignore.

Une nouvelle fois, le regard du seigneur Yamagashi la rappela à ses devoirs et elle repartit d’un pas léger.

— Nous nous reverrons peut-être.

A plusieurs reprises il tenta de se rapprocher d’elle mais un mauvais sort s’acharnait à les séparer. Les adieux furent aussi protocolaires que l’accueil et ils n’arrivèrent même pas à échanger un regard.

Baptiste et Moustier allumèrent une dernière cigarette dans la cour du consulat. Le vent s’était levé, rafraichissant la nuit.

— J’ai eu votre âge, Martineau et je vous comprends, mais cette femme n’est pas pour vous.

Le lendemain, en se promenant dans les ruelles, il ne leur trouva plus autant de charme, la puanteur et la misère ne le fascinaient plus. Il revint au consulat, noircit quelques pages sans conviction, les relut et les jeta à la poubelle.

Lorsqu’il ressortit, après avoir croisé dans l’escalier l’inévitable monsieur Lin, le ciel était noir mais il n’y prêta aucune attention. Il se promena au hasard, sans plus se préoccuper des mauvaises rencontres. Perdu dans ses pensées il ne prit pas garde à la vieille femme accroupie à un coin de rue.

Lorsqu’il enleva sa veste, il trouva dans une poche un message écrit en chinois. Il prit la carte de Brissac et vérifia le point de rendez-vous, dans une ruelle longeant le consulat du Japon. Il n’y avait aucune mention d’expéditeur mais il lui sembla reconnaitre le parfum qui imprégnait le papier. Ce soir là, il ne sortit pas au bar et s’endormit, bercé d’un fol espoir.

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